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Full text of "Nouvelle Revue Germanique Deuxieme Serie.Tome Second."

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NOUVELLE 



miSTiriS (QISIMAHI^IVE. 



STRASBOUEG , IHPRIM. DE F. G. LSVRÀULT. 



NOUVELLE 

REVUE GERMANIQUE; 

LITtÉHAIRE ET SCIENTIFIQUE, 



UNE SOCIÉTÉ d'hOHHES DE LETTRES ERARÇAIS 
ET ÉTRANGEAS. 



DBDXIÊMB 5BBIB. 



^ouKj decoiu). 



PARIS , 



Chez F. G. LETBAULT y éiiuat , rue de U Harpe , d.° 81 ) 

H«me mmon, me ia }>àh, o.' 33, k STRASBOURG; 

A BRUXELLES, i U Librùiie PiTiùinne. 



1SS4. 



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aa 



ataMsiHuaftage 



TABLE DBS MÀTIÈRBS 

' * ' « • . , 

BU SECOND VOLUME. ^ DEUXIÈME SÉRIE. 



S."* HUMÉKOé 

, Pag*»* 

I< Etadeâ biographiques : IV et V. M."* Rahel-Fréderiqae 

Vamhagen Ton Ensc, ei-Jcan-Angelos Silesius .3 — iS 
U. RëYoltes et Guerres det paysans au moyen iige, par M. 

Guillaume Waclismuth (premier article) . . • • • 23 
m. Peter SchlémiM (fin) 48 

IV. JVouvelUs et Fariéiés : 

État comparatif de Tinstruction publique daits les 

diyers pays de TEurope 65 

Universités . • 73 

Statistique : Berlin, CracoTie^ Odessa • . . . . 7 3 

Les productions delà presse allemande en 1 833 . . 74 

Littérature périodique et imprimerie en Suisse « . 7 S 

Nouvelles diverses 7 S 

Chansons aux bords du Rhin : Cologne, Kreutberg, 
Bonn, la Mialade, le Matin, Rolandseck, le Rhin- 

gau, Bade 77 

V. MmOlMfiHÊibfgrapkttiiue: 

Répertoire de Leipzig ^ 

8igel, Lettre au'D.' C. F. Bachmann, professeur de 

philosophie à léua, par le D/ Rosenkrani ... 9^ 
ManUel de la géographie militaire, par le baron de 

Malchus q3 

6."* KUMÉRO» 

L Le Parlai tragédie en un acte, traduite de Michel Béer. , 99 
U. Révoltes et Guerres des paysans an moyen âge (second 

artiole) . 138 



ij TABLE DES MATIERES. 

IIL La Lampe perpétuelle , traduite de Lauge. . • . . i $7 

IV. Nouvelles et Variétés : 

Nécrologie î Henri Lagarmitte \*)a 

La Société royale allemande de Kœnigsberg; 8e$ tra- 
vaux — ^^ ses mémoires 177 

Épô^es de la littérature allemande» depuis 1750, 

diaprés Goethe. . ' i84 

Statistique : Bohème , Angleterre 1 85 

Publications nouvelles 1 86 

V. Bulletin bibliographique: 

Répertoire de Leipsig ,«...*.... 188 

7-°** NUMÉRO. 

.1. Études sur Gœthe : Gœtz de Berlichingen ..... 19S 

II. Révoltes et Guerres des paysans au moyen âge (fin) . . aaf. 

III. Nouvelles et Variétés : 

Tableau comparatif du commerce prussien avec le 

commerce français et anglais 256 

Accroissement de la population des divers États de 
TEurope en quinze ans a6S 

Sur Tétude des langues sanscrite et mongolique eu 
Russie a66 

Nouvelles diverses ^ . t . • . 270 

lY. Bulletin bibliographique: 

Répertoire de Leipzig. . , *. * * >^7' 

Illustrations israélites, recueil des portraits des Juifs 
de tous les siècles, accompagnés de leurs biogra- 
phies, publiés par Eugène Breza; première série , 
première livraison 376 

Paris, Fragmens de sa vie théâtrale, par Éd. Jerr- 
mann a8a 

La Théorie de la preuve dans la procédure criminelle 
allemande, eu égard à la jurisprudence des tribu* 
naux et aux nouveaux codes allemands, ainsi qu^aux 
principes comparés des législations anglaise et fran* 
raise, par M» le conseiller intime MIttermaier . 986 



I 



TABLE DES MÂT I ÈRES. U) 

S*""* NUMÉHO. 

PagM. 

I. Études snr Goethe : Egmont , . . . 291 

II. Le Trésor des Nibelnngen, tragédie en cinq actes ^ de 

Ranpach. i834 3o8 

in. Universités allemandes : II. Halle (premier article). . 349 

IV. Nouvelles et Variitéa: 

Prague 36S 

Le Œuvres de Schleiermacher 374 

Universités : Leipzig, Berlin, Bonn, Fribonrg en' 

Brisgan, Kiel, Tnbîngue, Helsingfors. 37 5 

V. Bulletin bibliographique: 

Répertoire de Leipzig . « 376 

Offrandes sur Pautel de la patrie , par M. Benjamin 

Dieu 38a 

Leasing, Nouvelle par le baron de Sternberg . . . 383 



/ 



MAI 1834. 



TOH£ n* 




(nbes (io^r<t,|)Ç((|u<j. 



IV ET V. 

I 

M.-' RAHEL-FRÉDERIQUE YARNHA6EN 

VON ENSE. 

• 

OoN nam n'est point encore inscrit panni ceux des femmes 
célèbres* Sa gloire n a point encore été sanctionnée par les 
journalistes et les critiques, juges souverains de tout ce qui 
appartient à Fart et à la poésie. Il y a à peine un an qu elle 
est morte. On la conduisait dans la tombe avec des yeux pleins 
de laimes; car c était une de ces femmes dont Ion ne se sé- 
pare pas sans regret, surtout pour ce long et mystérieux 
voyage de lautre monde. Mais au milieu de ce grand cortège 
qui environnait son cercueil, bien peu savaient quel trésor 
ils venaient de perdre. Puis la terre s'est refermée sur elle, et 
la gloire s est épanouie sur ce tombeau^ comme les fleurs 
s épanouissent sur le cimetière. 

Jamais elle n avait songé à écrire un livre. Jamais vous ne 
pourre:& dire : c'est M.*"' Cottin ou M*""' de Staël, c'est M.'"* 
de Genlis ou M.*"" de Sévigné ; vous ne pourriez pas la corn* 
parer à M.*"^ Du Defiand, ni à M.""' Dufrenoy, ni à toutes 
les autres femmes qui se sont rendues célèbres par leurs 
écrits y ni même à M.""* Guyon, avec laquelle elle a pourtant 
^us d'un rapport pour les idées religieuses et le sentiment 
poétique. 

EUe vivait d'une vie assez retirée, lisant beaucoup, étu- 
diant beaucoup, s'occupant de toutes les renommées scienti- 
fiques et littéraires, prenant part k tous les succès, et n'en 



4 MADAME RAHEL DE YARNHAGEN. 

ambitionnant pas d'autre pour elle que celui d'être aimée de 
ceux qui l'entouraient ^ ou d'obtenir de temps à autre un sou- 
venir de son grand poète Goethe, une visite de Jean-Paul, 
une conversation avec Tieck. Mais comme elle avait besoin 
d'épancher les idées qui se pressaient en foule dans son ame, 
elle écrivait des lettres à ses parens, à ses amis, et ses lettres, 
recueillies avec un soin religieux par son mari, forment un 
des livres les plus remarquables qui aient paru depuis long- 
temps en Allemagne. 

Jamais peut-être on n'a écrit avec moins de prétention, 
et cependant avec plus d'esprit et d'originalité. Ces lettres 
sont allemandes pour la pensée, mais la forme en est tout 
autre. Il y a je ne sais quel mélange d'esprit et de sentiment 
qui en rend la lecture si attrayante -, quelle admirable grâce 
de femme qui en colore jusqu'aux moindres détails. Le style 
est vif, rapide, brillant, entrecoupé de sailbes, de mots pit-» 
toresques, d'effets inattendus. On dit qu'elle écrivait avec 
une rare facilité, et je n'ai pas de peine à le croire. Ce style-lâ 
n'est pas celui que l'on acquiert à force de recherche et de 
travail. Dans ses lettres elle passe tour à tour avec une 
admirable aisance de la description d'un paysage à de hautes 
questions d'art, de la peinture d'un bal aux plus profondes 
idées de métaphysique. C'est là que Ton peut voir à quelles 
graves études elle se livrait: théâtre, histoire, philosophie, 
jurisprudence, tout l'intéresse, tout l'occupe. Tout passé 
en revue sous ses yeux, pour qu'elle y jette en quel-^ 
ques mots ou le blâme, ou l'éloge, ou sa critique fine et 
acérée, ou le tribut de son admiration. C'est dans ces lettres 
aussi que se peint toute sa vie, non pas seulement sa vie de 
monde, mais sa vie intérieure, sa vie de l'ame, cette vie 
simple, touchante, profonde, qui se cache aux recherches 
du' vulgaire, qui recule avec timidité devant le regard de 
l'observateur, qui se reploie comme la sensitive craintivement 
5ur elle-même quand une main étrangère s'en approche, mais 



ITÀDÀME RÀHEL D£ yARlIHÀGEir. 5 

qui s'épanche pleinement, largement dans les mystérieux 
entretiens de lamour, dans les confidences de lamitié. 

J'ai dit que M.*"* de Vamhagen n'avait pas songé à faire 
im livre, et je crois qu'elle était de nature à ne jamais y 
songer. 

Parmi ceux qui se livrent à la culture des lettres ou des 
sciences, les uns étudient pour mettre un jour leur savoir 
à profit, pour écrire à leur tour sur ce qu'ils ont lu ou mé- 
dité. Ils font comme le laboureur qui prend toujours une 
part de sa récolte pour l'ensemencer et lui faire porter de 
nouveaux fruits.^ Les autres, au contraire, n'étudient que pour 
satisfaire à cette sorte d'instinct naturel, à ce besoin indéfi* 
nissable qui les presse de feuilleter sans cesse de nouveaux 
livres, d'apprendre sans cesse de nouvelles choses. Pour ceux- 
là le savoir n'est qu'une provision faite pour apaiser une soif 
qui se renouvelle à toute heure. Us ont devant eux un but 
lointain, mais indéterminé, auquel ils sefibrcent d'atteindre» 
De temps à autre une nouvelle hieur leur vient, un nouvel 
espace se découvre à leurs yeux, et alors ils redoublent de 
courage, ils accumulent matériaux sur matériaux , ils éche- 
lonnent leurs pensées, ils commencent à gravir, ils veulent^ 
comme les vieux Titans, escalader le del, mais la montagne 
n'est pas encore asse&haute. L'idée de leur impuissance ks frappe, 
et ib retombent tristes et découragés.^ Alors le plus souvent leue 
ame, d'abord si ardente et si active, se reploie sur elle-même 
comme la flamme dont oa arrête le libre élancement^ et se 
résout à une humble et timide passivité. Tandis qu autous 
d'eux des hommes doués de moins de t^ens peut-être étalent 
sans cesse quelque nouveUe œuvre au grand pur, eux seuls 
ne veulent rien savoir de ce cpi'ils pourraient faire. Ils con*!- 
centrent leurs forces en eux-mêmes,, ils se retirent hors du 
monde, à l'écart, et cherchent leur monde au fond de leur 
cosur.. Alors, ait lieu d'exprimer leurs pensées, ik s'occupent 
à les scruter méthodiquement, à analyser leurs passions, à se 



6 MADAME KAHEL DE TA&HBAaEJT. 

soumettre à chaque instant à un nouvel interrogatoire , à an 
nouvel examen. «La véritable science, dit M*"^ de Vam- 
hagen, nest pas celle qui nous facilite les discussions poli- 
tiques, les débats littéraires, mais celle qui peut nous servir 
de guide quand nous voyageons au dedans de nous-mêmes, 
ceUe qui peut nous faire découvrir au fond de notre ame un 
autre horizon , un plus large espace. ^ 

Ainsi de ce retour constant sur soi-même^ de cette occu- 
pation inquisitoriale et sans relâdie résulte nécessairement 
Timpuissance productive. La chaleur vitale est trop concentrée 
à Fintérieur pour pouvoir se répandre au dehors; la subjec- 
tivité est trop bien établie pour pouvoir se façonner aux 
formes objectives, aux caractères variés que le monde ré- 
clame. D'ailleurs, Thomme qui en est une fois venu là se 
trouve assez bien de cette espèce de retraite doitrée dans 
laquelle il se retire, de cette vie inactive, rêveuse, endormie* 
Sa fantaisie lui présente tous les songes qu*il désire voir, et 
il en jouit seul. Le monde réel lui offire souvent des côtés 
ridicules et choquans, mais il s'en fait un à lui, aussi bon^ 
aussi beau, aussi moral et reh'gieux. qu'il le veut. S'il va dans 
la société, il ne peut faire autrement que d'y arriver avec 
ses laideurs ou ses défauts, avec son humble fortune ou sa 
difformité, avec un œil de travers ou une poitrine sans dé- 
corations, et la société le lui a sans doute fait sentir; mais 
il rentre dans son monde intérieur comme un roi. Toutes les 
images qui le peuplent lui appartiennent, tous les rêves légers 
et capricieux sont à ses ordres. 11 éveille d'un coup de ba^ 
guette les génies enfantés par son imagination, et tous ces 
génies se rassemblent devant lui avec la forme et la couleur 
qu'il lui plait de leur donner. 

Une autre cause contribuait encore à œ que M.°^ de 
Vamhagen ne sortit pas de son état de subjectivité pour se 
jeter dans la composition longue et difficile d'un livre; c'est 
qu'elle avait une ame habituellement pîste et maladive* Toi 



MADAME RAHEL DE VARKHAGEH* 7 

beaucoup aimé^ dit-elle dans une de ses lettres: si elle & 
beaucoup aimé y elle a beaucoup senti ; si elle a beaucoup 
sçntî, elle a beaucoup souffert. Cet argument ne se trouve 
peut-être pas dans les traités de logique que Ton remet tux 
élèves de gymnases^ mais il est écrit en grosses lettres dana 
ce livre de philosophie que nous portons sous un des repli& 
de notre cœur^ et dont nous déroulons chaque jour quelque 
page^ 

Sans doute le travail console des souffrances de 1 aibe; mai» 
cette consolation a par elle-même quelque chose d'aride et 
de rebutant pour celui qui s'est fait une habitude de retomber 
sans cesse sur lui-même, et de se bercer dans tous les rêves de 
son imagination. Je ne prétends pas d'ailleurs donner rex<*- 
plication de ce problème, je tiens plutôt à constater le fait: 
il est des hommes piour qui l'œuvre la plus difficile est la 
plus attrayante. Il en est d'autres, comme le bon Lafontaine^ 
auxquels les longs ouvrages font peur, et il en est pour qui 
c'est un assez grand travail d'écrire chaque soir dans leur 
Tagebuck où ils ont été, et quelles idées leur sont venues,, 
comme le marin écrit dans son journal de voyage par quel 
vent il a navigué, et combien il filait de nœuds à l'heure* 

M.""* de Varnhagen a pourtant fait mieux que de jeter ail 
hasard quelques notes furtives, ou plutôt ses lettres recueillies 
et publiées sous le titre de Rahely sont le journal te plu& 
complet, l'analyse la plus exacte de toutes ses sensations» 
C'est de là que nous viennent toutes ces échappées de lumière 
sur ces nouveaux espaces qu'elle découvre, comme elle le 
dit si poétiquement, au fond de son ame, toutes ces réflexions^ 
jetées comme la sonde du navigateur au fond de l'abime in- 
connu, et qui ne remontent pas à la surface sans rapporter 
avec elles quelque vague indication des lieux où elles ont 
pénétré. On comprend, en lisant ces lettres, toutes les études 
que M."^ de Varnhagen a faites sur ce monde ; tout ce qui 
rentraine à se plonger dans une atmosphère supérieure,, toute 



s MADAME RAHEL DE VARNHAGEK. 

la portée du mysticisme vers lequel el)e penche, et le but 
qu elle entrevoit. Et Ion relit ces lettres avec d*autant plus 
de joie quelles nous viennent sans prétentions, non point 
comme un ouvrage savamment surchargé de dogme ou de 
philosophie, mais comme une conversation, comme une re- 
marque exprimée sans efforts, comme un épanchement d'ami 
à ami. Quelques pensées extraites de ces lettres serviront 
peut-être- à en donner une plus juste idée ; je prends au ha- 
sard celles qui me semblent les moins profondes, et qui 
rentrent dans le cercle de choses le plus habituel. 

i 

— Les hommes vraiment méprisables sont ceux qui se 
louent de faire ce qu'ils ne peuvent approuver dans les autres. 

— Dans la chambre la plus étroite il y a tout un roman , 
si Ton connaît seulement le cœur humain. 

— Le monde est, à proprement parler, un tragique em- 
barras. 

— Qiacun de nous devrait toujours avoir une voiture 
prête et un poignard, afin de pouvoir partir dès que l'idée 
lui en viendra. 

— Etre vraiment bien et seul avec quelqu'un , c'est se le 
représenter quand il est absent, et songer à ce qu'on veut 
lui dire. 

— Nous faisons souvent preuve de haine, d'amour, de 
préventions favorables ou défavorables, jamais de justice. 

— Si nous n'étions pas si sots , nous devrions être fous ; 
c'est le soin de dîner, de souper, les occupations niaises de 
tout le jour qui nous protègent. 

-* La vie est bien certainement une expiation, une puri- 
fication , où Dieu a mis quelques attraits et quelques joies. 



MADAME HABEL BE TARIIHAOEV* 9 

— Voir de nouvelles villes, de nouveaux pays, c'est un 
besoin pour celui qui ne se sent pas heureux, comme c'est 
un besoin pour le malade de changer de place dans son lit* 

— Nous ne faisons point de nouvelles expériences, mais 
oe sont toujours de nouveaux hommes qui font de vieilles 
expériences. 



~* Jamais ce que je faisais volontiers ne m'a causé de 
repentir, mais seulement ce que je fusais à regret. 

-— ^Les bons poètes ont dans Famé une image qu'ils s'ef- 
forcent de représenter, tandis que les autres s'efforcent de se 
créer des images. 

— Mon cœur est mort. Voilà le grand point. H faut qu'il 
se couche. Ne riez pas de cettç vulgaire expression. Il a été 
si agité pour une cause ou pour une autre, à droit ou à 
tort, par la compassion ou par les mauvais traitemens : voilà 
ce qui Ta rendu si faible, et ce qui me fait pleurer si souvent. 

— Rêver, créer, imiter des images : voilà notre destin, 
n y a de notre part un effort continuel, un effort qui tend 
vers la liberté et l'accord universel. 

— Le cœur est à l^écart, tout seul dans l'ombre; et c'est 
lui qui sait tout au mieux. Si on l'interroge, on voit que ses 
connaissances sont justes ; car les fausses lumières de ce monde 
ne l'égarent pas, et il vit au dedans de nous, comme 1 éma- 
nation d'un autre monde. 

— Le savoir est un magasin de provisions, une propriété 
intellectuelle. Le savoir conduit à la persuasion, mais l'amour 
est la persuasion même. 

— Je ne comprends pas la douleur, mais un autre la com- 
prend. La douleur est le secret de Dieu. 



? 



lO JCADÀXE HAHEL DE VA&HHÀGBIT. 

— Pendant notre sommeil Tame retourne dans sa patrie 
pour y reprendre des forces y autrement elle ne pourrait se 
souienir. Mais ce retour lui fut promis, et alors elle se baigne 
^ns le bain de Dieu. 

— Personne n'a d'indulgence pour nous que Dieu et notre 
conscience, parce que personne autre ne sait le vrai mobile 
de nos actions. 

^- L'équité envers nos semblables, le courage pour nous: 
voilà les deux vertus sur lesquelles les autres s'appuient. 

— Les baisers des enfans sont plus doux que la pluie de 
Mai, que le pariiim des roses, le chant de lalouette, la m^*- 
lodie du rossignol. 

— J'ai trouvé aussi une épitapbe pour mon tombeau ; la 
voici : « Braves gens , s'il arrive quelque chose de bon à l'hu* 
manité, pensez à moi dans votre joie.^ 

M."* Rahel-Fréderique Varnbagen von Ense naquit à Berlin 
le jour de la Pentecôte 1 7 7 1 • Son nom dé fille était Levin- 
Robert. Sa. famille était riche, et ne négligea rien pour lui 
donner une complète éducation; mais les dispositions naturelles 
qu'elle possédait et le goût excessif qu'elle avait pour l'étude, 
contribuèrent encore plus que tous les soins des maîtres à 
développer son esprit. Elle grandit avec cette époque dé 
gloire pour la littérature allemande, avec ce siècle fécond, 
qui , après avoir donné à la poésie Klopstock , à la critique 
et à la philosophie Lessing et Mendeissohn, produisit encore 
dans son généreux enfantement Wieland, Herder, Gœthe, 
Schiller, Fichte, les grands maîtres de Tàrt, les grands ré- 
formateurs de la marche intellectuelle de leur nation. Gœthe 
devint son idole, elle lut avec transport tout ce qu'il écri- 
vait, eDe exprima hautement son enthousiasme pour lui; elle 
eut ainsi le mérite de reconnaître le génie du poète , à une 



JtADllfB RAHEL DE YAIIIIHA6ES» II 

époque où beaucoup de critiques puissans s efforçaient encore 
de le renier« Elle suivit assidûment les cours de Fichte, et 
se dévoua aussi à cette noble philosophie qui élève si haut 
la dignité de llionutte. Plus tard elle passa outre pour re- 
vivre dans le mysticisme de Saint-Martin, mais non toutefois 
sans que des traces saillantes de ses premières études se re-* 
trouvent ça et là dans ce qu'elle écrit. 

Une passion violente qu elle éprouva toute jeune encore 
et qui n eut pour elle que des suites malheureuses, ne con- 
tribua paè peu à lui faire rechercher les graves consolations 
que présente la ^ence et letude, à la conduire plus avant 
dans les mystères de la vie humaine. Le monde la blâmait, 
elle voulut trouver contre ce blâme un refuge dans ses nobles 
occupations; les hommes méchans et frivoles, les femmes 
prudes et envieuses pouvaient la recevoir avec un regard 
dédaigneux ou un sourire moqueur : elle domina ces hommes 
et ces femmes par son intelligence toute-puissante et son 
ascendant majestueux. 

M. de Yamhagen la vit pour la première fois chez Wie- 
land, et il a dépeint ainsi l'impression qu elle fit sur lui : 

«J'étais un soir chez Wieland, on annonça une visite, et 
au nom qui Ait prononcé , je remarquai parmi tous les mem- 
bres de notre société un mouvement de surprise et d'attente 
qui n'indiquait pas l'approche d'une personne ordinaire. C'était 
Rahel Levin-Robert. J'avais déjà souvent entendu parler 
d'elle, et toujours d'une façon si enthousiaste, que je ne 
pouvais la comparer à rien de ce que l'on voit habituellement 
dans le monde. Ce que le comte de L. et M.""* de B. entr^ 
autres m'en avaient dit, indiquait chez elle un assemblage 
étonnant des facultés de l'esprit avec les dons de la nature, 
combinés spus le point de vue le plus saillant, et sous la 
fonne la plus pure. J'avais entendu aussi les reproches qu'on 
loi adressait ; mais ces reproches équivalaient pour moi à la 
plus bdle de toutes les louanges. On parlait d'une passion 



■^ 



la MADAME llAâEL DE VÀRNBÀOEK* 

qui par son impétuosité^ son élévation et le malheur (jui 
lavait frappée j surpassait tout ce que les poètes avaient ja- 
jnais chanté. J'attendis -donc avec un vif sentiment d'impa- 
tience et de curiosité cette apparition de Rahel, et j'aperçus 
une femme. légère, gracieuse, d'une taille petite, mais forte 
€t bien proportionnée ; les mains et les pieds très-joUs;* le 
visage encadré dans de longues boucles de cheveux noirs. 
Sa figure portait l'empreinte d'un génie supérieur ; son regard 
était vif, rapide, mais ferme, et un air de souffrance don- 
nait à ses traits une grande expression de douceur. Mais ce 
qui me surprit le plus, ce fut le son de sa voix si douce, si 
sonore, de sa voix qui me semblait sortir du fond de son 
ame^ et l'admirable langage dont elle se servait. Dans ses pa- 
roles sans prétention,- l'esprit se joignait à la science, la 
naïveté à la finesse de bons mots, la pénétration à la grâce, 
et tout en elle portait le sceau de la vérité. » 

Un peu plus loin il dit: . 

fuJe n'ose pas essayer de peindre ma bien-aimée Rahel; 
je ne puis la faire connaître et aimer comme elle le mérite; 
il faut, pour l'apprécier, avoir été long-temps en relatipns 
avec elle, et s'être frayé une place dans son intimité. Ses 
lettres même, quel que soit leur caractère d'esprit, de douceur 
et. d'originalité, ne donnent qu'une image imparfaite de cette 
nature de femme, dont la spontanéité forme le trait distinctif, 
et QÙ tout se meut, s'en va, revient, s'exalte, s'apaise, 
s'épanouit à la lumière ou se couvre d'ombres, tout autre- 
ment que l'on ne peut le représenter. 

«Si. je voyais Rahel, je croyais toujours voir l'homme 
vrai, la noble créature de Dieu, dans son type le plus pur 
et le plus complet; partout l'intelligence et la nature dans 
leur fraîcheur; partout une image organique; des sensations 
naïves et originales; des idées si grandes par leur innocence 
et leur sagesse, et dans son entretien comme dans sa con- 
duite, la présence d'esprit la plus prompte, la plus mobile^ 



MADAME RÀHEL DE YÀRKHÀGEN. l3 

la plus juste. A tous ces dons se joignait une bonté exces- 
sive^ un amour de fhumanité constant et sans relâche 5 et 
une ame tendre et dévouée, qui prenait part à toutes les joies 
comme à toutes les douleurs.^ 

M. de Vamhagen ^vait \îngt-quatre ans lorsqu'il connuf 
Rahel; elle en avait quarante. Mais cette différence dage 
devait disparaître auprès de cette femme qui, par des qua- 
lités plus nobles et plus durables, s'était mise hors de toute 
ligne de comparaison, avec les antres femmes. M. de Vam- 
hagen Taima d'un amour profond, réfléchi, sans bornes^ 
Obligé de suivre encore les devoirs de sa place, il passa piès- 
de six ans éloigné d'elle,' et ni les distractions du monde, 
ni les voyages , ni son séjour en France, pendant les deux 
£itales invasions des alliés, ni l'ambition, ni rien de ce qui 
renverse ordinairement les plus fermes résolutions d'un jeune 
homme, ne purent éloigner de lui le souvenir de Rahel et 
affaiblir l'amour qu'il lui avait voué. 

Enfin il Fépoùsa le 37 Septembre 1814, et leur vie. se 
passa comme il l'avait imaginé, dans une confiance absolue 
de l'un et de l'autre , dans un cercle d'idées d'autant plus 
calmes et plus riantes, qu'ils se mettaient en dehors de tous* 
les petits soucis du monde pour s'arranger à leur aise une 
place dans un monde supérieur. M.*"' de Varnhagen , sans 
avoir jamais affiché de prétentions à l'esprit, sans s'être affiliée 
à aucune coterie de Bas ^ bleus ^ sans vouloir faire de sa 
maison l'hôtel Rambouillet ou le salon de lady Morgan, 
jouissait parmi toutes les célébrités littéraires de l'Allemagne 
d'une assez grande réputation. Gcethe, Fichte, Steffens, Schel- 
ling, Novalis, lui étaient personnellement connus. Les deux frères 
Tieck, le poète et le sculpteur, venaient assez souvent chez elle ; 
les Œuvres de Raumer, de Qrans, de Schleierroacher, l'oc- 
cupèrent sérieusement, et le docteur Veit de léna, le pro- 
fesseur Gentz de Vienne, étaient ses correspondans habituels. 
Dans la nouvelle édition de ses lettres, qui doit paraître 



14 MADAME RÀHEL DE YÀIllfHA&Eir* 

prochainement, et qui, au lieu d'un seul volume comme nous 
lavons aujourd'hui, en formera trois, oh ttoWFera. satos doute 
de très-curieux documens sur ses études, et des jugemens 
précieux à enregistrer sur les nouvelles publications et la 
marche de la littérature allemande. 

De son côté M. de Vamhagen n'était pas de nature à ne 
jouer qu'un rôle de contemplation passive dans cette activité 
littéraire. C'est un homme d'une grande portée d'esprit, d'une 
grande profondeur de conception , un .homme qui a sérieu- 
sement étudié et beaucoup réfléchi; ses articles de critique 
sont mentionnés avec éloges dans toute l'Allemagne; ses ou- 
vrages de biographie, notamment celle de Zinzendorf, indi- 
quent un caractère philosophique bien marqué et une éru- 
dition peu ordinaire ; «t quant à la forme, les connaisseurs 
s'accordent à le nommer comme un de ceux qui aujourd'hui 
manient avec le plus de grâce et de souplesse cette riche et 
difficile langue allemande. 

Rahel mourut le 7 Mars i833. Sur la fin de sa vie elle 
faisait sa lecture habituelle. des poésies d'Angelus Silesius et 
des Œuvres de Saint-Martin, dont elle a publié quelques 
extraits , avec des notes qui sont une preuve manifeste de 
l'attention sérieuse qu'elle portait à ces ouvrages, et de l'ap- 
titude qu'elle avait acquise à les bien juger« 

La biographie de M*'"'' de Vamhagen a été écrite dana 
tous ses détaik par son mari, qui, après un an de deuil, n'a 
pu encore se consoler delà perte qu'il a faite, et qui me disait, 
il y a quelques jours, avec une voix émue et des larmes dans 
les yeux : Voyez, Monsieur, quand ma femme vivait, je me 
sentais rattaché à une existence supérieure, et cette existence 
était la mienne. Maintenant je ne suis plus soutenu dans ce 
monde que par son souvenir, et par la mission de publier 
les œuvres qu'elle a laissées. * 



IS 



JEAN'ANGÈLrS SILESIUS. 

Jean-Angelus Silesius, Tun des poètes favoris: de M."** de 
Varnliagezi, s'appelait Jean Scheffler. Il emprunta son nom 
Angélus d'un mystique espagnol du seizième siècle ^ et son 
surnom Siksius lui vint de la Silésie^ qui était sa patrie. Il 
Baquit à Breslau en 1 6 a 4. Il étudia la médecine à l'université 
de cette ville ^ et manifesta de bonne beure un penchant vers 
le mysticisme. Les Œuvres de Yalentûn Weigdi, de Schwenk-- 
tàà y et surtout de Jacob Bœhme , fonitaîènt une de ses lec^ 
tores assidues. 

. Après avoir reçu le grade de docteur à Tuniversité, il 
entreprit un voyage en Hollande, visita les tectes religieuses 
qui y étaient établies, et s'unit à la communauté fondée à 
Amsterdam pour répondre les leçons de Jacob Bcdmie. De 
retour en ABemagne^ il aUa se fixer à OËk, en cjpalité de 
médecin du duc Là il se Ik étroitement avec Abrabam de 
Frankenbeig, l'un des disciples les plus fidèles de Jacob 
Bcdbme, et à k mort de Frankenberg il bérita de lui une 
quantité de livres et de manuscrits religieux, qu'il lut avec 
soin et qui ne manquk^t pas d'exercer sur lui une grande 
iofluesiee. 

£n 1 6 5 3 , c est-à-dire à l'âge de vingt-nieuf ans , il résolut 
de quitter le. protestantisme pour se consacrer au cacboti- 
cinne. Peu de temps après il exécuta sa résolution : de mé- 
decin du duc il devint prêtre, et fut attadié au conseil de 
r.évèdié de Breshu. Mais il abdiqua bientôt cette fonction 
pour se retirer dans un couvent. Là il se dévoua tout aitier 
à l'étude des dogmes religieux, à l'exercice de ses devoirs de 
piété, et aux moyens de défendre le catholicisme contre ses 
détractateurs. H publia d'abord un petit écrit ayant pour 
titre : Motifs de ma conversion au catholicisme ^ puis une 



l6 JEÀN-ÀKGELUS SiLESItTS» 

suite de discussions théologiques, qu'il soutint contre le pro- 
fesseur Adam Schertzer de Leipzig et le prédicateur Freitag 
d'(Ms, et qui furent recueillis après sa mort et parurent en 
deux volumes in-folio. Il ne faut pas chercher dans ces écrits 
beaucoup desprit, ni une érudition sagement coordonnée; 
la lecture en est pénible et fastidieuse-, mais ils sont curieux 
à parcourir, pour montrer avec quelle colère et quel oubli 
de toute mesure on discutait dans ce temps-là les questions 
les plus graves. C'était de la part des adversaires une attaque 
directe, continuelle. C'était à qui dirait le mot le plus dur, 
à qui remporterait le plus petit avantage. On ne voulait pas 
convaincre son. antagoniste, mais plutôt le couvrir dé boue 
ou 1 écraser, et si Ton remportait un triomphe, ce n'était 
pas un succès pour la cause que l'on défendait, mais un 
succès tout personnel , une victoire vaniteuse que l'on allait 
crier bien haut. 

Les théologiens, les prêtres de chaque religion s'en aDaient 
ainsi avec un risible sentiment d'orgueil, avec une haîne 
prononcée l'un contre l'autre, planter leur étendard, appeler 
autour d'eux les fidèles de leur parti , puis faire assaut d'ar- 
gumens, de dilemmes, tle finesses scholastiques et de cita- 
tions d'Homère ou de la Bible. Les deux champions étaient- 
là coname deux preux chevaliers, la tête bourrelée d'érudi- 
tion, la poitrine couverte de vieux diplômes et de vieux 
parchemins, les mains armées de gros in-folio, montant à 
cheval sur une phrase de Tertulllen ou d'Origène^ et se 
pourchassant avec la bulle d'un pape ou le décret d'un con- 
cile. Heureux celui qui parvenait à découvrir le défaut de 
son adversaire*, heureux celui qui le surprenait à faire un 
syllogisme contre les règles, à s'écarter de la droite logique, à 
tronquer, pour se la rendre plus favorable , une citation. C'était 
là le vice de l'armure, c'était là comme une épée trop faible^ 
comme une lance brisée, et il n'y allait pas seulement dans 
ces redoutables combats, d'une blessure à la tête ou d'un 



JEÂN-ANGELUS SILESIXTS* IJ 

bras coupé ^ mais de la vie à venir du vaincu et de Fana- 
thème éternel prononcé contre lui. 

C'étaient là les jeux du temps. Aujourd'hui nous avons 
amené la joute 'sur le terrain de la politique. Nous prenons 
la grande charte d'Angleterre et la constitution des États- 
Unis; nous nous battons pour un discours parlementaire^ 
pour un article de la charte^ comme autrefois on se battait 
pour un sermon de Martin Luther ou un article du Credo. 
Et nous nous moquons de ceux qui nous ont précédés, et 
Dous traitons de barbarie leurs guerres religieuses ; je vou- 
drais bien qu ils revinssent au monde pour voir ce qu'ils 
diraient de nous et de nos guerres politiques. 

Angélus Silésius mourut le 9 Juillet 1677, après avoir 
remporté sur ses adversaires le triomphe de faire célébrer en 
grande pompe à Breslau la 'Fête-Dieu, chose qui n était pas 
arrivée depuis la réformation. 

Outre ses écrits de polémique, on a de lui un recueil de 
cantiques, sous le titre : Des saintes jouissances de l'ame ou 
Psyché amoureuse* Ils parurent pour la première fois à 
Breslau en 1 65 7, et plusieurs furent mis en musique. En 
1675 il publia à Schweidnitz un autre poème, intitulé: Con^ 
sidérations sur les quatre dernières choses ^ mais qui obtint 
moins de succès. Le plus connu et le meilleur de ses ou- 
vrages est le Voyageur sëraphique ^ qui parut en même 
temps à Breslau et à Vienne en 1667, et qui pendant près 
d un siècle fiit peut-être le livre de piété le plus répandu. 

Vers le milieu du dix-huitième siècle les Œuvres d'An- 
gelus Silesius tombèrent tout-à^fait dans l'oubli, ou du moins 
ne se conservèrent que dans la mémoire de quelques fidèles, 
et Zinzendorf lui-même, qui voulut publier une nouvelle 
édition des cantiques d' Angélus, ne parle pas de son Voyageur 
séraphiijue. Frédéric de Schlegel est le premier qui révéla» 
l'existence de ce livre remarquable et qui le fit lire à ses 
amis. Bientôt on en publia une édition, et le poète catho-* 

TOME II. 2 



l8 JEAN-ANGELUS *SILESIUS. 

lîque, qui était demeuré si long- temps tout-à-fait ignoré ^ 
reparut de nouveau pour attirer sur lui l'attention de l'Allé 
magne littéraire. En Bavière, le Fojageur séraphit/ue a été 
publié deux fois successivement; les prêtres catholiques et les 
protestans ont été les premiers à Tacheter, et il entre au- 
jourd'hui nécessairement dans la bibliothèque de tout homme 
qui s est un peu occupé d'idées religieuses. 

Ce poème est divisé en six chants, et chaque diant se 
compose dune suite de sentences religieuses en deux vers, 
très -rarement en quatre, portant toutes un titre différent. 
Par là Fidée que le poète exprime est toujours d'une grande 
concision; mais elle est aussi quelquefois couverte de ce voile 
obscur qui revêt la plupart des œuvres mystiques, et le plus 
souv^t si sèche et si raide quelle fait peur à voir. Il ne 
faut pas s'attendre à ce que cette poésie s'insinue doucement 
dans l'ame avec un murmure mélodieux qui caresse l'oreille; 
le plus souvent elle anrive comme un soldat armé de pied 
en cap , qui entre sans cérémonie dans la maison qu'on ne 
veut pas lui ouvrir. Il y a aussi dans ce livre des idées jetées 
si loin et à travers des ombres si épaisses, que les véritables 
initiés peuvent seuls les suivre, et le tout est empreint d'une 
phflosophie singulière, à laquelle on ne se prête pas du pre- 
mier abord. Cest bien autre diose que la philosophie de 
Fichte. Cest bien un autre caractère d'élévation pour l'homme. 
Cest Dieu qui se remet à notre niveau ; c'est Dieu qui a 
besoin de nous. Dieu qui s'unit tellement à nous, que nous 
ne iaisons qu'un avec lui. Dieu qui meurt et revit en nous, 
Dieu qui est semblable à nous. Dieu qui ne peut rien sans 
nous; toutes choses qui, prises à la lettre, friseraient singu- 
lièrement, aux yeux du catholicisme, l'hérésie, et qui, prises 
dans leur sens le plus large, touchent à tout ce qu'il y a de 
plus haut et de plus problématique* dans notre vie. 

Comme Angélus Silesius n'est pas encore très-connu en 
FiaQce, j'essaierai de traduire quelques-unes de ses maximes, 



JEAN-ANGELUS SlLESXCS. I9 

pour donner une idée de sa religion et de son genre de 
piété. 

— Ne cherche point de cause étrangère à ton agitation. Tu 
es la roue qui tourne d'elle-même, sans pouvoir trouver de 
repos. 

-— Dieu est une merveilleuse chose; il est ce qu'il veut 
être, et il veut ce qu'il est, sans borne et sans mesure. 

— r Celui qui ne désire rien, na rien, ne sait rien, n'aime 
rien , ne veut rien : celui-là sait , désire , urne et possède 
encore beaucoup. 

— L'amour est noti'e Dieu; tout vit par l'amour : heuraix 
Thomme qui demeurerait toujours fidèle à c^t amour I 

7— Mettre en pratique l'amour, n'est pas facile; car nous 
ne devons pas seulement aimer, mais être, coBunç Dieu^ 
l'amour même. 

— • L'oiseau vit dans l'air, la pierre repose sur le sol; dans 
l'eau le poisson , et mon esprit entre les mains de Dieu. 

— Dès sa première origine jusqu'à présent, la créature 
ne cherche encore que le repos de son créateur. , 

— Celui qui peut trouver dans le monde quelque chose 
de doux et d'agréable, ne connaît pas la douceur, qui est 
Dieu. 

— Tu portes en toi-même le ciel et l'enfer, c'est à toi de 
choisir, et ce que tu auras choisi, tu le trouveras partout. 

*— La sagesse. se plaît avec les enfans. Pourquoi donc? 
Parce que la sagesse est elle-même un enfant. 

— Le monde est pour moi trop petit et le del trop é^oit» 
Où troiiverai-je donc un espace pour mon ame? 



ao JEÀN-AN6ELUS SILESIUS. 

— Les créatures sont la voix de rétemelle parole qui chanté 
et résonne dans le calme et dans la colère. 

— La lumière est le vêtement de Dieu : si la lumière se 
révèle à tes regards, sache que ce. n est pas encore Dieu. 

— ' Travailler est bon, mais prier vaut mieux; et ce qui 
est encore meilleur, c'est de marcher en silence devant Dieu. 

— Tu demandes ce que c'est que lliumanité, eh bien! 
c'est ce qui s'élève encore au-dessus des anges. 

— Le monde est mon océan, l'esprit de Dieu mon pilote, 
mon corps est le vaisseau, et c'est mon ame qui navigue pour 
retourner dans, sa patrie. 

— Comment est Dieu? Regarde-toi : celui qui se voit en 
Dieu, celui-là voit vraiment Dieu. 

— Dieu, ne nous dit qu'un mot à tous : aimez ; aimer 
comme il le veut, voilà le moyen de lui plaire. 

— Il n'y a pas dans le monde un plus beau sanctuaire 
qu'un corps sans tache, avec une ame sans péché. 

— La clarté de l'aurore est belle, mais bien plus belle est 
Tame que les rayons de Dieu éclairent jusque sous l'enve- 
loppe du corps. 

— Dieu est le but de la vertu, son mobile, sa couronne, 
son seul pourquoi et sa seule récompense. 

— Le miroir te mcmtre ta forme extérieure; ah! pourquoi 
ne peut-il aussi te présenter le fond de ton ame? 

* — Il est bien vrai que Dieu veut te rendre heureux; mais 
iii tu crois. qu'il veuille le faire sans toi, tu crois trop. 



JEAN-ANGELUS SILESIXJS. 21 

— Homme, ne monte pas trop haut, ne te crée point 
d'images superflues. La meilleure de toutes les sagesses est 
de ne pas vouloir être trop sage. 

— Dieu nest pas la vertu même^ mais la vertu vient de 
lui comme les rayons viennent du soleil, et Teau de la mer. 

— Ecoute, toutes les vertus se réduisent à une seule, et 
celle-ci s'appelle justice. 

*— Homme, tu demandes à Dieu Fempire du ciel, et tu 
pâlis si l'on te demande un morceau de pain. 

— Beaucoup d'hommes ont de la fortune , mais ne sont 
pas riches; celui-là seul est riche qui peut perdre sans dou- 
leur tout ce qu'il possède. 

— La goutte d'eau qui tombe dans l'océan , devient occéan, 
et l'ame devient Dieu quand elle est reçue au sein de Dieu. 

— « En vérité , celui qui regarde ce monde sous son vé- 
ritable point de vue, doit être tantôt Heraclite j tantôt Dé- 
mocrite. 

i-^ Homme, si tu ne te résous pas volontiers à la mort, 
tu n'as pas envie de vivre ; car la vie ne peut te venir que 
par la mort. 

— O homme , le ver à soie ne s'arrête dans ses efibrts 
que lorsqu'il parvient à voler, et toi,, veux-tu donc toujours 
être Couché par terre? 

-~ La multiplicité déplaît à Dieu. Tous les hommes doivent 
se réunir et ne former qu'un seul honmie dans le Christ. 

, Êpitaphe du Juste» 

Ici repose un homme qui long-temps eut soif, quf nuit çjt 
jour s'efforça d'atteindre la justice y et ne fut l^unais rassasié» 
Maintenant il est bien, il apaise sa soif dans la douce éternité 
de Dieu. X. Ma&hier. 




^isioivc 



RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSANS 

AU MOTBN AGB, 

PAR M« GUILLAUME WACHSMUTH. ^ 

(Premier article). 

L'histoire de la guerre des paysans d'Allemagne a été plus 
d'une fois l'objet de l'attention particulière et des travaux 

1 Le morceau qu'on va lire est la traduction que nous avons promise 
en rendant compte de Vjilmanach historique de M. de Raumer, d'où il est 
tiré. Le savant auteur, M. Wacbsmutli , professeur à Leipzig, s'est fait un 
nom en Allemagne par plusieurs ouvrages historiques , et par sa critique 
de la première édition de NiebuKr. 

Le sujet qu'il a traité cette fois nous a paru aussi neuf que digne d'in- 
térêt : le choix et le rapprochement des faits historiques répond parfaite- 
ment au but qu'il avait en vue. C'est toute une phase du moyen «ge qu'il 
a remise eu lumière. P^ous ne disons rien du style : nous nous sommes 
efforcé de le rendre avec exactitude, autant du moins que le permettait 
le génie de notre langue. 

Le seul reproche que nous adresserons à M. Wachsmuth , et qui sera 
en même temps un avertissement pour nos lecteurs, c'est qu'il nous semble 
avoir porté dans son jugement sur le moyen âge les idées philosophiques 
du dix-huitième siècle. Il parle , par exemple , de la violation des droits 
de V homme et du citoyen^ expression un peu étrange lorsqu'il s'agit du 
moyen âge, et que nous nous sommes permis d'adoucir. Nous n'enten- 
dons pas assurément justifier les abus et les excès qui se mêlaient à l'or- 
ganisation sociale et politique de cette époque; mais où n'y en a-t-il 
pasP et est-il permis de juger Une institution sur l'abus qui en a été fait, 
au lieu de la juger en elle-même, et sur ses principes reconnus, quoique 
non toujouts observés F £n empruntant à M. 'Wachsmuth une série de 
faits bien gyoupt», bien combinés, bien expoëés, nous n'avons pas en* 
tendu nous associer à ses anathèmes contre un ordre de choses qu'il re- 
connaît avoir duré des siècles, ce qui est déjà un préjugé favorable, et 
avoir possédé alors le principe vivant et progressif. H. K. 



KÉYOLTES ET GUERH-ES DES Vl^SkUSy ETCv 2^ 

des historieDs de ce pays >• Elle le méritait, non, certes , pour 
les excès criminels et la fougue brutale que nous y rencontrons 
à chaque pas, mais pour l'idée qui lui donne une signification 
et une valeur réelle. En effet, si nous regardons aux causes 
du soulèvement de cette multitude furieuse y nous y aperce* 
vrons, à côté des passions les plus basses, le pressentiment 
et même la conscience claire et réfléchie des droits étemels 
de rhumanité. Ce mouvement tumultueux prend un degré 
d'importance de plus de sa connexité avec la prédication de 
la liberté évangélique par les apôtres de la réforme religieuse^ 
et avec le débordement démocratique qui s y associa pendant 
les huit premières années de la réibrmiation en AUemagne»^ 
Cette agitation aboutit à la guerre des paysans. Mais la preuve 
que la réformation ne fut pas la première à réveiller le désir 
et la revendication de la Uberté politique de la part de ceux 
qui en étaient privés le plus , c'est cette suite de troubks et 
de séditions dans les campagnes qui précédèrent ismiédiate*^ 
ment la réformation , pendant quelques dizaines d^années^ et 
qu'on cite communément comme les préludes de la guerre 
des paysans. Bien plus: que l'ami de l'histoire prenne un 
point de vue plus élevé qui lui permette de regarder phi$ 
loin en arrière^ et il découvrira un endiaînement continu 
d'événemens significatifs, partant tous du même principe ^ sui^ 
vant la même direction, et disparaissant après une issue sem* 
blable* C'est qu'en tout temps et dans tantes les Ismgues ce 
mot de liberté a seoftblé doux et puissant à 1 oreille et au 
cœur de l'homme ; c est que des siècles même d'oppression 
n'épuisent pas tont*à-4i^t la colère d'aune servitude imméritée; 
c'est aussi qu a l'ardeur de la liberté des désord/es se sont 
joints, trop souvent : car Fabus et la profanation de la plus 
belle, de UT plus prédeuse des idées pditiques^ sont à peu 
près contemporains du mépris de la justice et de l'abus du 
pouvoir : leur source commune et pemicieuse^c'est Végoïsme* 

1 L'Alloiiftgiier 



^4 RÉVOLTES ET GTJEHRES DES PAYSANS 

Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt de réunir sous un 
point de vue commun ce qui est séparé dans le temps et 
dans lespace^ et de retrouver, dans des faits épars, la simi- 
litude des causes j des progrès et du dénouement. Ce qui 
nous importe, ce nest pas le détail circonstancié des actions 
particulières dont se compose chaque soulèvement, c'est le 
caractère qui s y manifeste, c'est ce que refusaient les uns 
et ce que réclamaient les autres. 

Notre tache ne s'étend pas à l histoire de l antiquité. 
Quil nous soit permis toutefois de montrer que, dans l'an- 
tiquité aussi, k civilisation avait son côté ténébreux : il n'y 
manqua ni l'orgueilleux dédain de l'agriculture, cette- profes- 
sion qu'on devrait regarder comme la base la plus essentielle 
de toute civiUsation, ni la domination d'une caste de maîtres 
sur les habitans des campagnes, et par suite les efforts de 
ceux-ci pour reconquérir les droits de la nature. C'est ce qui se 
voit de la manière la plus frappante chez le peuple policé par 
excellence, chez le peuple classique, chez les Grecs. Si le 
christianisme, au moyen âge, ne put réussir à extirper en- 
tièrement tout commerce d'esclaves , dans l'antiquité grecque 
l'inhumanité païenne ne se contentait pas de l'esclavage fondé 
dans la supériorité des Grecs sur les barbares et entretenu 
par la traite ; le Giec n'hésitait pas à asservir ceux de sa 
propre nation. Pour ne rien .dire des Pénestes de Thessalie 
et des Clarotes de la Crète, où, soit les maîtres, soit les 
serfs, n'étaient pas de pure race hellénique, les Périœqaes 
de Sicyone et d'Epidaure, les Ilotes (ou Hélôtes) et les Pé- 
riœques de Sparte, nous fournissent des exemples.de popu- 
lations helléniques asservies par suite de la conquête de leur 
territoire à des maîtres de même race qu'eux. Habitant de la 
ville et citoyen étaient des termes parfaitement synonymes, 
et l'on opposait les citadins jouissant de la plénitude des droits 
poUtiques, ytoKitoci^ aux tt^^/o/xo/^ habitans des environs, et 
privés tle ces droits au moins en partie. On ne manquait pas 



AU MOYEN AGE. a5 

non plus de dénominations injurieuses pour les habitans de 
la campagne : on les appelait conipodes (pieds poudreux) j 
parce qu'ils venaient en ville les pieds couverts de poussière, 
et catonacophores j parce quun tyran , ou plus vraisembla- 
blement l'orgueilleuse aristocratie de Sicyone, avait obligé 
le peuple des campagnes de porter, comme costume distinc* 
tif, des peaux de moutons^. Les campagnards opprimés ne 
pouvaient manquer de se porter à des réactions, là surtout où 
le souvenir 'de leurs anciens droits et d'une nationalité perdue 
se conserva plus poignant et plus vif, comme chez les Ilotes 
messéniens de Sparte. La troisième guerre de Messénie, si 
BOUS considérons la condition dont ces Ilotes s affranchirent, 
ne fut qu'une révolte de paysans asservis : il est vrai que 
le principal mobile de la guerre fut le souvenir de l'existence 
passée d'un peuple messénien, d'un Etat à part, d'une cons- 
titution nationale. — 

Autre était le caractère des luttes dans la république ro- 
inaine. Patriciens et plébéiens ne s'opposaient pas à titre de 
citadins et de campagnards : Quinctius Cincinnatus condui- 
sait la charrue tout comme un plébéien ; et la noblesse des 
temps postérieurs ne dédaignait pas davantage les travaux de 
l'agriculture, témoin M. AttiliusRegulus, qui demandait, dans 
la première guerre punique, d'être déchargé de son com- 
mandement pour pouvoir prendre soin de son champ ^. Plus 
tard encore, Gaton le Censeur rappelle , lorsqu'elle commençait 
de se perdre, l'ancienne familiarité de l'aristocratie romaine 
avec les soins de l'économie rurale. Jamais, en un mot, l'op- 
position de l'urbanité et de la rusticité n'eut de portée poli- 
^ue. Aussi l'histoire des troubles des Gracques ne préserite- 
^Ue aucune trace de mouvemens parmi les habitans des 
campagnes: bien au contraire , l'une des principales propo- 
sitions de ces tribuns, c'étaient les lois agraires, qui tendaient 

^ Voyez l'ouvrage de Tauteur sur les antiquités helléniques, tome I.% 
P- 161, 2863 tome IV, p. 596. — 2Val€r. Maxim., IV, c. 4, S. 6. 



36 RÉVOLTES BT GtJERKES DES PÀYSÀIVS 

à ce qne chaque homme du peuple à Rome f&t pourvu d un 
champ. La répubh'que romaine a eu ses guerres des esclaves^ 
jamais des soulèvemens de paysans. 

Il semble qu'il faille dire le conti*aire de Thistoire des em- 
pereurs. Du temps de Diodéûen, Tan 287 de Jésus-Christ, 
les campagnards de la Gaule, appelés Bagaudesj accablés 
d'impôts, opprimés par les magistrats, se soulevèrent. Mais 
ici les paysans n ont pas le caractère d'une classe, d'un ordre 
déterminé, parce que leur corrélatif et leur contraire, un 
ordre dominant, privilégié, ne se rencontre nulle part. A 
moins qu'on ne veuille admettre, et c'est l'avis de Gibbon, 
qu'il restait quelque trace de cette profonde séparation entre 
les druides et les chevaliers d'une part, et la plèbe de l'autre, 
qui caractérisait les vieilles populations celtiques. Ceux dont 
les témoignages nous ont été transmis, nont su se, faire de 
ces mouvemens aucune idée nette. Plus tard on en a cherché 
le principe dans le christianisme, et l'on a représenté les deux 
principaux chefs des Bagaudes comme des Chrétiens 1 ; mais 
cette manière de voir est dépourvue de toute preuve satis* 
disante. 

Nous arrivons à l'histoire du moyen âge. Pour les évé- 
nemens qu'elle nous oi&e et qui se rapportent ici , l'unité qui 
résulte de leur rapprochement ne consiste pas dans le simple 
fait de l'habitation des champs et d'une vie consaa*ée aux 
travaux rustiques ; mais dans les droits et les obligations atta- 
chés à ce fait, comme aussi au fait contraire. Or, c'était un 
proverbe: qui nest gentilhomme est vilain. Il faut ajouter: 
gentilhomme ou prêtre; alors nous exprimerons l'opposition, 
qui seule nous importe pour le moment, entre deux ordres 
honorés, privilégiés, et un ordre opprimé et méprisé à la 
fois. L'ordre des hommes libres a disparu entre ces extrêmes; 
il n'y a plus de liberté, mais seulement domination ou ser- 
vitude, privilège ou infériorité. Qui ne peut im'^oquer Thonr- 

1 Du Chesne , Hût, franc» script, 1 , 668. 



AV H0Y£19 JlG£. 2 7 

neur de la profession des annes ou la consécratioii sacerdo- 
tale, est refoulé ignominieusement dans la classe des vilains^ 
des paysans. Ici donc il y a ordre contre ordre y état contre 
éléft. Quant à l'histoire des bourgeoisies et des communes , 
elle est en dehors de notre sujet* Gomment elles s'affranchirent 
de la servitude, conmient elles maintinrent leur liberté, ce 
sont là des questions plus hautes et plus fécondes que celle 
que nous nous sommes proposée. 

Cette identité que nous venons de signaler, de la qualité 
de paysan et d'une condition servile, s est produite pour la 
première fois dans les Etats d'origine germanique* 

Si l'histoire ne connaît point un prenùer âge pélasgique 
où tout Germain cultivait son champ de sa main, elle n'admet 
pas davantage. une prétendue aversion nationale et primitive 
des Germains pour lagriculture. Sans doute le gros des tra-^ 
vaux des champs était abandonné à des colons dépendans , 
à des latesj lasses ou lues y tandis que l'homme libre s'oc- 
capait à la chasse, à la guerre, aux brigandages, ou âégeait 
dans les assemblées et dans les plaids pour délibérer sur les 
affiiires communes et juger les différends de ses pairs. Mais 
ce qui prouve à quel point l'agriculture était appréciée même 
par ces tribus germaniques, qui, arrivées en Allemagne, ne 
réussirent pas à former aussitôt des établissenfens parfaitement 
sédoitaires, c'est ce que César raconte des institutions des 
Siièves , dont une partie allait faire la guerre, et dont l'autre 
restait po'ur cultiver les champs , sans toutefois en acquérir 
k propriété privée ^ Sitôt que l'établissement devenait par- 
faitement stable et sédentaire, c'était un principe fondamental 
dans les institutions des anciens Germains, que nul ne pou- 
vait jouir dans l'association de la plénitude des droits s'il n'é- 

1 Cofsar, de Beilo GaUico^ lih. IV ^ cl. Il faut évidemment, d'après 
ce passage, restreindre le sens de cet autre (/i&. VI^ c. 22), où César 
affirme que les Germains ne s'adonnent point à Tagriculture : agricul- 
turœ non simdmU, 



36 RÉVOLTES ET GUERRES BES PÀYSA5S 

tait possesseur d'une portion du sol ; et Ton peut croire qu'a- 
lors Thomme libre ne dédaignait pas absolument de conduire 
de sa main. la charrue. 

Mais ce dédain pour les travaux de Tagriculture devait 
naître dans les bandes guerrières, et il se perpétua après 
que celles-ci se furent établies sur les débris de lempire 
romain, et que leurs membres, devenus seigneurs territoriaux, 
eurent trouvé dans les anciens possesseurs des terres con- 
quises tout un peuple de sujets. Ajoutez que le système des 
bénéfices nécessita et encouragea de plus en plus la profession 
exclusive des armes, ce qui, avec la faveur de leur seigneur 
et roi, éleva de plus en plus la condition des leudes. De 
leur côté, ceux qui ne possédaient point de bénéfices, né- 
gligèrent peu à peu le devoir, de porter les armes dans Tari- 
mannie et de rendre la justice dans les plaids nationaux: 
se livrant à l'indolente jouissance des biens qu'ils s'étaient 
acquis, ils oublièrent que le doux firuit de la liberté doit 
toujours avoir une dure écorce. 

Toute cette organisation sociale et politique, jointe au 
christianisme, fut ensuite transportée en Allemagne, dans les 
Etats Scandinaves, dans les contrées qui avoisinent l'Allemagne 
à l'orient, et communiquée à des peuples tant d'origine com- 
mune que de race étrangère. Il en résulta que, dans tonte 
l'Europe chrétienne, aussi loin que le régime féodal s'étendit, 
le propriétaire foncier qui ne se fit point recevoir dans la 
hiérarchie féodale, perdit toute influence et tout poids dans 
la société politique : l'amour, l'énergie et la conscience de 
la liberté passèrent de la terre du simple homme libre . au 
fief du vassal, ou furent donnés en échange à l'Église contre 
des exhortations à la pratique de l'humilité chrétienne et 
contre la faveur de vivre à l'abri de la crosse, et de gagner 
par de bonnes œuvres, par des services envers l'Eglise, un 
peu de repos sur la terre et la paix avec le ciel. Ceux-là 
précbément qui étaient restés le plus près du sol paternel, 



ÀtJ MOYEN AGE. 29 

qui avaient continué de s'appliquer avec le plus de soin à 
la culture de la terre, furent dépouillés le plus complète-* 
ment des droits qui en semblent inséparables : accablés de 
tailles et de corvées, ils se virent réduits à une condition 
servile. 

Avant même que cette altération des anciennes institutions 
germaniques ne fût entièrement accomplie dans lempire des 
Francs 9 et pendant que Charlemagne était encore soigneuse^ 
ment occupé à maintenir lancienne obhgation du service 
militaire de larimanme sous la forme oppressive de Fariban 
(mesure qui ne fit, il est vrai, que réduire plus rapidement 
encore le nombre des honmies libres), les Saxons furent 
soumis à la domination des Francs. Qiez eux s'étaient con^ 
servées les institutions que Tacite nous a représentées comme 
1 état primitif de l'organisation sociale et politique des Ger- 
mains. La conquête y introduisit le christianisme et la féo^- 
dalité, et la double sujétion qui s'y rattachait, d'une part 
Tobligation de payer la dime à l'Eglise; de l'autre, la rudesse, 
l'orgueil et l'arrogance des feudataires. Il en résulta, au bout 
d'un demi-siècle, un soulèvement où nous reconnaissons la 
première révolte de paysans allemands, dans le sens précis 
que nous avons assigné à ce mot. 



CHAPITRE PREMIER. 

Les Siellinga. 

Après trente-trois ans de résistance, les Saxons s'étaient 
soumis au joug de Charlemagne et de la croix. Par la paix 
conclue à Seltz en 8o3 , ils jurèrent d'être constamment 
fidèles au christianisme, de payer la dîme ecclésiastique, et 
de faire le service militaire toutes les fois qu'ils en seraient 
requis par le roi des Francs. 



3o RÉVOLTES ET G^ERIIBS OES PAYSANS 

Giarlemagne avait £ut cette guerre avec toutes les ressources 
des domaines origiaàires .de la nation franque. Le nerf de 
son armée ^ c'était sa cavalerie féodale, sa terrible Scara 
Jrancisca» Or , il est vraisemblable quun grand nombre 
de ceux qui la composaient et qui avaient suivi Qiarlemagne 
dans ses guerres contre les Saxons , soit comme possesseurs 
de bénéfices, soit pour en mériter, furent alors établis dans 
les provinces conquises. Des milliers de Saxons avaient été 
transportés à plusieurs reprises dans les domaines royaux du 
Mein et du Rhin; d'innombrables guerriers avaient péri dans 
les combats; Charlemagne avait fait décapiter à Verden 4600 
prisonniers; enfin, la guerre avait eu pour conséquence la 
dépopulation de vastes cantons , et il y eut beaucoup de terres 
vacantes à partager* Un témoignage digne de foi semble d'ail- 
leurs indiquer que Charles dépouilla sans pitié de leurs droits 
d'héritage les enfans de ceux qui avaient si souvent porté 
les armes et renouvelé la guerre contre lui; et les terres ainsi 
confisquées furent sans doute distribuées, au moins en partie, 
aux guerriers francs. ^ 

D'un autre côté la guerre avait été soutenue par les Saxons 
avec toute l'énergie nationale, stimulée par leur longue haine 
contre les Francs, par leur amour de l'indépendance, par 
leur dévouement à leurs dieux, à Odin et à Freia; mais tou- 
jours sous la conduite des nobles de leur nation. Ce sont 
ces nobles qui conclurent la paix de Seltz en 80 3^. De ce 
moment, un état de choses tout nouveau commença pour la 
Saxe. Si jusque-là edelings ^ Jrilings et lates^ c'est-à-dire la 
noblesse et les hommes de condition libre ou servile, séparés 
en trois ordres, mais étroitement liés par une origine com- 

1 yUa Ludoç. Pii : Quo eiiam tempore Saxpnibus at^ue Frisonihus jus 
paternœ hereditatis ^ quod sub pâtre ob perfidiam legaliter perdiderant^ 
imperatari* rettitmi clemêntim..,, Pmst hme tasdem gtiUes semptr sibi de- 
çotifùmas habuit, (Perts, tome II, p. 6 19.) 

2 .... Hue omni Saxonum nobilitatc 

Collecta PoETA Saxo. 



AU MOYSN AGE. 3l 

mune^ avaient résisté de concert aux attacpies de leurs enne- 
mis, on vit alors dés nobles saxons s'affilier à l'organisation 
féodale des Francs. Arrachés au sol de la patrie et au sou- 
venir de leurs anciens rapports avec les honuues libres et les 
latesj ils s'aliénèrent de leurs compatriotes pour se donner 
à la maison royale des Francs , et s'associer aux devoirs 
du vasselage. A la place des edeUngs^ noblesse chère à la 
nation, qu'elle ait été une antique prérogative héréditaire, 
ou qu'elle fût sortie du sein même des hommes Vhres dont 
elle ne cessait point de faire partie, on vit s'élever une aris- 
tocratie dominatrice, les sdgneurs (^mîiRÎ), opposés et hos- 
tiles au peuple, qu'on en vint naturellement à désigner, par 
antithèse, sous des non^ qui indiquaient la servitude ^ En 
vain Louis-le-Débonnaîre rétablit-il les droits de succession 
supprimés par son père ^ ; il ne put réussir à apaiser les esprits 
irrités et à combler l'abime qui s'était creusé entre la nou- 
velle noblesse féodale et le peuple. La dtme eccléaastique, 
importée par Gharlemagne arvec le christianisme, restait comme 
une pierre d'achopement pour la multitude sur qui elle 
pesait , et dans l'esprit de laquelle vivait le regret des fêtes 
et des sacrifices du paganisme. Ce qui augmentait le mé-* 
contentement, c'est que les seigneurs étaient exempts de la 
dime; le christianisme semblait favorable aux privilèges des 
seigneurs , et aussi contraire à la Uberté qu'aux antiques 
croyances. 

Telles étaient les dispositions des esprits^, lorsque Lothaire, 
Faîne des fils de Louis-le-Débonnaire, fut défait par ses deux 
frères , Louis et Oiarles , en 8 4 1 , à la bataille de Fontenailles. 
D parait qu'à cette bataille des vassaux saxons avaient com- 

1 Domini j dansNithard, lY, 2. — jinnal. Xantens, : Eodem anno per 
totam Saxoniam potestas ffenrdrum valde exereçerat juper dominos 5ttoj.-^ 
AtmaL Fuld. a. 842 ; f^aiidissimam conspirationem Ubenoriiin (!) légitimes 
dominos opprimere cenaaiium, 

2 Voyea la note 1 , page 30. 



32 RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSANS 

battu de part et d autre ^ ; après le combat ils passèrent tous 
vraisemblablement du côté des plus jeunes frères 2. L'impi- 
toyable Lothaire, ayant perdu la plus grande partie de son 
année, excita les Normands à faire invasion dans les domaines 
de ses frères, et manda aux hommes libres et aux lates de 
la Saxe que, s'ils consentaient à le secourir, ils auraient pleine 
liberté de retourner au paganisme et de vivre selon leur 
droit national et leurs coutumes antiques. Cet appel fut en- 
tendu. Hommes libres et lates se levèrent en masse, prirent 
le nom de Stellinga (restaurateurs) , chassèrent tous les sei- 
gneurs^ et avec eux, sans doute ^ les prêtres chrétiens, qui 
ne leur semblaient pas moins que les possesseurs de béné- 
fices, des maîtres incommodes, enfin rétablirent le paga- 
nisme et tous les usages d'un temps dont ils n'avaient pas 
encore perdu le souvenir^. On ne dit pas qu'ils aient com- 
mis des excès; mais il est difficile de croire qu'ils se con- 
tentèrent, dans leur courroux, de reconduire leurs maîtres 
abhorrés au-delà des frontières 4. Ce n'étaient plus de ces 
armées saxonnes, rassemblées par la noblesse de la nation, 
et marchant sous la conduite d'un duc ou Heretog contre 
la tribu détestée des Francs. Il ne s'agissait plus d'indépen- 
dance nationale, mais de liberté intérieure. Le mouvement 
était dirigé contre l'élévation récente des seigneurs : c'était 
une lutte, non de peuple à peuple, de tribu à tribu, mais 
d'ordre à ordre et d'état à état; une lutte des hommes libres 
et des serfs, compagnons de leurs travaux, contre les hommes 

1 Suivant Nithard , IV, 2 , une partie de la noblesse saxonne se rangea, 
au commencement de la guerre, du côté de Lothaire, l'autre du côté 
de Louis. 

2 Prudent. Trecens, {Ann. Berlin.): H ktdoyvicus partira ierrorihusy par' 
tint gratia Saxonum guident complures sute subjugat ditioni. 

3 Nithard^ l. l. Prudent, Trecens. cit. 

4 Arm. Xantens. l. /. : Multa irrationabilia commiserunt. Et nohiles il- 
lius patriœ a servis valde afflicti et humilitaii sunt. — Ce témoignage n'est 
pas, il est vrai, une preuve suffisante. 



AU M0YE9 AGE. 33 

du roi et contre les prêtres ^ C'est assez dire quel était le 
caractère de ce soulèvement, et pourquoi nous l'avons appelé 
la plus ancienne rét^olte de paysans ^m moyen âge; nom 
qui lui convient d'autant mieux, qu'il s'accorde avec le genre 
de vie des hommes libres et des lates saxons, parmi les- 
quels les habitudes rustiques des anciens Germains s'étaient 
conservées mieux que dans aucune autre partie de l'Alle- 
magne. 

Louis ne put réussir, la première année du soulèvement^ 
à réduire les rebelles à Tobéissance^ il les soumit l'année 
^vante (842). Les Stellinga résistèrent-ils, cherchèrent-ils 
à défendre vaillamment ce qu'ils avaient ressaisi avec tant 
d'ardeur? Nous l'ignorons. L'histoire ne fait mention d'aucune 
bataille, d'aucun effort extraordinaire de Louis. A la tête de 
ses fidèles, il parcourut tout le pays des Saxons, réinstalla 
le christianisme et le pouvoir des seigneurs, infligea des peines 
sévères. Cent quarante Stellinga eurent la tête tranchée, 
quatorze furent pendus, un grand nombre mutilés'. Louis 
exerça le pouvoir noblement, suivant le langage du temps, 
cest-à-dire dans la mesure de ce qu'un seigneur et maître 
se devait vis-â-vis de son serf 3. En 85o Louis tint près du 
Weser une assemblée où il corrigea les lois des Saxons 4. 
Ceci avait certainement rapport aux troubles dont nous venons 
de parler; mais aucun détail ne nous a été conservé. Les 
droits des seigneurs furent-ils augmentés ? ou bien leur pre$- 
crivit-on quelques limites? 

1 Prudent. Trescens. cit. : Qui et ehriaianam Jidem pêne reUffUêtant et 
nhi (ffludowico) saisine fidelibus tantopere o&ftiVtfnuU. 

2 Prudentius Trescensis L e, 

3 Nithard : Nohiliter .... legali tamen eade eompescuit. — Ann, Xantens. : 
Sercos Saxcnum superbe elatos nobiiiter aj/flixit et ad propfiam naturam 
restituit. — Le vrai sent, de nobiiiter ressort àe l'emploi tout analogue évL 
mot augustaliter ^ L e^ ut Imperatorem decet, au temps de Charles-le- 
Cliaufe. \oytt Du Cange. 

4 Goldasti Conftit. impatal^^ I, l9t. Mais peut- on accorder 4oKte 
créance à ce témoiguageP : . i 

TOME II. 3 



34 RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSANS 

Quoi qu'il en soit, le friiit le plus certain de la victoire 
de Louis*le-^Genndnique fut raffermissement du christianisme 
dans les cantons de la Saxe, au Heu que le régime féodal et 
Fasservissement des cultivateurs libres ne purent jamais s'y 
établir d une manière générale. La liberté primitive des Ger- 
mains s'est conservée, jusque dans les temps modernes, dans 
quelques fermes épaf ses de la Westphalie. Tout le long des côtes 
de la mer du Nord les tribus des Frisons maintinrent, pendant 
des siècles^ une liberté incontestée sur l'héritage de leurs 
pères. Peu après le soulèvement des SteUinga^ le rissenti^ 
ment des Saxons put se décharger dans d'autres. directions%t 
sur d'autres objets. L'histoire atteste à quel point leur guerre 
défensive contre les Normands adonnés au paganisme, et leurs 
attaques contre les Slaves, païens aussi, et établis sur la basse 
«et la moyenne Elbe, contrp)uèrent à gagner les Saxons pour 
l'Empire, dont ils faisaient désormais partie. Celui qui voudra 
connaître k condition postérieure des paysans de la Basse- 
Saxe , devra étudier le caractère de l'arimannie ou armée que 
Henri L" convoqua contre les Hongrois, et la forme toute 
féodale qu'il lui donna. 'Plus tard l'opposition de la race 
saxonne, mais sans distinction de «dgneurs et de sujets, 
contre les France, rebatt et cânise 4es guerres sanglantes sous 
Henri lY et Henri V. Mais ïioiiis ^e rencontrons une seconde 
guerre des paysans dans leîiord de rAllemagne qu'au trei- 
zième siècle. 

On.. sait que des «olo^ allei^aûds, des Saxoûs surtout, 
s'établirent en maîtres parmi les Slaves xie la moyenne et de 
la basse Elbe : les Slaves furent assèïvis, mJalgré une résis- 
tance 4e plusieurs, siècles.,. Plusieurs fois ils se révoltèrent, 
secouèrent le joug de leurs seigneurs, el soutinrent des guerres 
sanglantes pour là liberté. Le seigneur allemand y Voyait 
&ans doute une. t^beUion de ses paysans et de ses serfs; mais 
les Slaves, sans distinction de rangs, et oommafndés par des 



ÀrV MOYEN AGE« 35 

princea indigènes, combattaient pour leur indépendance , pour 
leur nationalité. Ces luttes sont donc en dehors de l'objet 
de nos recherches. 



CHAPITRE IL 
Les paysans de la ThurgoçU ei de VAtgùçiê^ 

De même qite la mer invite lliabitant de ses bords à de» 
courses audacieuses, et lui apprend. dans la, lutte contre Iqs 
clémens à déployer son courage et à maintenir sa liberté : 
c est pourquoi rAllemagne, au moyen âge, pouvait se vanter 
de posséder sur ses côtes du Nord des tribus d'hojpimes libres; 
de même aussi Tair vif des montagnes retrempait Tamour de 
la liberté sur le revers septentrional du Saint--Gothard, aa- 
tour du lac des Quatre-Cantons, et de là vers le Nord jusque 
dans les gorges de la Forêt-Noire* Admirable lisière de po- 
pulations libres et vigoureuses sur les marches septentrionales 
et miéridionales de TAllemagne, tandis que tout le reste de ce 
pays, comme toute l'Europe germanique et romane, voyait 
sa vie publique s^énerver et mourir sous le;i formes féodales* 
Il n est pas ici. question de cette liberté helvétique^ long-temps 
respectée^ ,et qui, après une eourte oppression, fut bientôt 
.reconquise et assurée par les armes des conCédérés* No.us ne 
parlons que des vains efforts de leurs frères un peu plu^is 
septentrionaux pour conserver leur liberté héréditaire- 

Nous rencontrons en première ligne un soulèvement dj? 
campagnards dans la Thurgovie contre la noblesse et le clergé, 
fan 9 9 2 • Il ne se distingue ni par le grand nombre de ceux qiii 
y prirent part, ni par son extension sur tut pays considé^ 
rable; mais cest un chaînon de cette longue suite de mou- 
vemens produits à cette époque par reffprt des sagiîeufs et 
la résistance des francs^tenancîers , et qui aboutirent presque 
partout au triomphe des premiers^ c^est uû éclatant témoi;* 



^ BÉVOLTES ^X <}ÛEBRES DÉS PAYSÀlTg 

griagé que le joug ne fut point partout accepté avec une 
obéissance bumble et résignée. ^ 

Dans les belles vallées de la Thur et de la Murg habitaient 
des campagnards braves et libres, de race aUémanique : sur 
les montagnes d*alentour s élevaient avec fierté les châteaux 
forts de la noblesse ; dans les sites les plus rians avaient été 
bâtis des couvens et des chapitres. L'esprit de domidation 
n'habitait pas moins dans les fondations ecclésiastiques que 
derrière les créneaux des seigneurs laïques. L'evéque de Cons* 
tance et Tabbé de Saint-Gall étendaient au loin leur pouvoir 
jusque dans ces vallées; les abbés de Reichenau etdeRheinau, 
les comtes de Kybourg, de Tokenbourg, de Winterthur, et 
une foule de nobles barons, aspiraient à étendre leur sei- 
gneurie. La liberté des campagnards, attaquée, troublée de 
mille manières, allait périr. Alors les hommes libres de Thur- 
govie se rassemblèrent, et jurèrent de ne point renoncer à 
leurs droits et à Thonneur de porter les armes, de refusée 
corvées et redevances, mais d obéir d'ailleurs en toutes choses 
justes à l'autorité légitime. Il parait qu'il y eut parmi les 
opprimés des hommes qui, comme plus tard Arnold de Win- 
kelried, pensaient, à cetlp époque où la chevalerie était en- 
core à son berceau, et où l'idée d'une noblesse de naissance^ 
était chose inconnue, que le feudataire n'était en rien supé^ 
rieur au simple homme Ubre. Henri de Stein porta la parole 
dans leurs assemblées et dans la députation qu'ils envoyèrent 

1 Ce qni •ait, d'après Jean de Miiller, Histoire de la confédération 
■uitse, I, 274; et d'aprèt S. A. Ihipikorer , Histoire de Tkurgoyie, I, 84. 

2 11 y a 4ana le teite alleniand Hitterhërtigkeit ^ ce qui signifie litté- 
ralement une naissance par laquelle .on est apte à devenir chcTalier (RU» 
ter^ cheiralier; hiirtig ou geh&rtig^ natif: suivant l'analogie de ebenbUrtig^ 
d'égale naissance , d'égale condition). C'est ce que Beaunanoir (Goatumét 
de Beauvoisis, ch. 45, p. 253; appelle Je genlillesce par la^uele Ven puUt 
estre Chepaiiers. Outre cette gentillesse par laquelle Ton pouvait être cheva- 
lier, qui ne se transmettait que par le père, il y en avait une antre, 
par laquelle on était démené comme gentilhomme du fait de son corps 
et l'on pouvait tenir fief : celle-ci se transmettait aussi par la mère. La 
signification du mot Hitterhiirtigkdt est donc plus restreinte que celle de 



kV llbYEXf AGE. 37 

aux seigneurs. La réponse de ceux-ci fit courir les paysans 
aux annes^ et déjà des violences se mêlaient à leurs apprêts: 
1^ Gouyent de Rheinau eut surtout à souffrir. Les seigneurs ^ 
de leur coté, armèrent; à eux vint se joindre, prêt à com- 
battre, labbé Âdalbert de Rheinau. A Dicssenhofen , non 
loin de l'endroit où la Schwartzach se jette dans le Rhin, un 
Qombat fut livré, le 26 Août g g 2. Les paysans se battirent 
vaillamment, plusieurs seigneurs furent tués, et parmi eux 
l'abbé Adalbert; mais la victoire resta aux seigneurs. Las- 
servissement complet des campagnards fut la suite de leur 
défaite. H se pa^sa plus de huit cents ans avant que les habitans 
de la Tfaurgovie recouvrassent leurs droits. 

Lliistoire des contrées voisines fournit des exemples sem- 
blables des usurpations, des artifices et des violences de la 
noblesse : il n'y eut, en effet, dans toute l'Europe occidentale 
^'un petit nombre de cantons montueux qui furent assez 
heureux pour sauver la hberté de leurs habitans. Voici ^ un 
second combat malheureux de cultivateurs libres contre leurs 
oppresseurs, dont le souvenir s'est conservé dans les origines 
de la maison de Habsboui^, et qui eut lieu à peu d'années 
d'intervalle de la bataille de la Schv^rartzach. Le comte Con- 
tran, ancêtre des Habsbourg, son fils Lanzehn et son petit- 
fils Radbod convertirent en redevances fixes les dons que les 
hommes libres de Wohlen et de Mûri, dans ce que nous 
appelons aujourd'hui l'Argovie, avaient coutume de leur offrir 

gentUlesse ou noblesse de naissance : nous «tous pa néanmoins traduire 
ainsi , k défaut d'un terme plus littéralement exact, parce qu'à l'époque idont 
il s'agit, c'est-à-dire à l'origine de la féodalité, il n'existait encore aucune 
noblesse de naissance : le fief anoblissait aussi bien que la profession dee 
armes, Undis que plus urd il fallut être gentilbomme pour tenir fief 
comme pour pouvoir être fait chevaUer. Aune époque postérieure- encore « 
au treizième siècle , le non-noble put être fait chcTalier par grâce spéciale 
du roi (ce qui valait anoblissement), et tenir fief, non, il est vrai, k 
hommage 9 mais à féauté y. moyennant paiement des droits de francs-fiels^ 

JVotê du Traduet. 
i Tiré des Acta Murens. dans ffergoit^ Genealog, di^hmoL aUg. ganU 
Baithurg. Yoja avsti Jean de MùUer, I, 252. 



38 RÉVOLTES ET GUEBRES liÉS PAYSANS 

pour la protection que ces seigneurs leur accordaient, et ils y 
ajoutèrent encore de pour elles changes ^ Beaucoup d^hommea^ 
Ubres furent expulsés de leurs demeures et de leurs fermes,' 
parce qu'ils ne vpulaient pas plier sous ]e joug. Lorsque le 
<pmte Lan^elin fut vieux et chargé d'année^, une foule 
nombreuse d opprimés , de mécontens et de bannis se ras-« 
sembla pour reprendre leurs biens» Mais Radbod marcha 
contre eux, les dispersa et fonda un château à Mûri. Sa 
femme Ida, qui plus tard eut Mûri pour son douaire, fut 
tourmentée de la pensée de Tinjustice commise. Pour la ré^ 
parer, elle bâtit et dota le couvent de Mûri : c'est ainsi quelle 
comptait calmer ses remords et les maux des victimes^ 

CHAPITRE III, 
Les paysans de la Normandie, 

li'an 9 1 2 fut conclu entre Qiarles-le-Simplè, roi de France, 
et le Normand Hrolf , le traité de Saint-Clair sur Epte, en 
vertu duquel cette partie des côtes septentrionales de la France 
qui a porté depuis le nom de Normandie , fut cédée au roi 
(le la mer, au chef de pirates normand, à titre de fief ducal 
relevant du roi des Francs occidentaux. 

Assaillie sans cesse, depuis près d'un siècle, et pillée par 
des troupes de Noiinands, cette contrée avait été changée en 
un désert; la plupart des possesseur des terres s'étaient en-* 
iuis; les charop*s restaient incultes. Htolf, devenu le ducRo^ 
bert, avec un Hup d'oeil sur et d'une main ferme, jeta les 
fondemens d'un nouvel ordre de choses, et éleva la Norman- 
die, qu'un faible lien de subordination féodale unissait seul 
à U France , au rang des Etats européens. Son premier soin 
fut de repeupler ce pajs dévasté, J^a nouvelle population se 
composa avant tout de ses anciens compagnons d'aventures^ 

» 

i jict. Mur. ; IstÇ' vero infrieata est ratfo cèniusuf vix ûliquis vps^ft 
iP Mç fxffç4ire , iiciit otnne ^uod éx malo ^t apafttiâ^sUht fsse^ 



kV MOYEN AGE* 3<) 

et Ton peut conjecturer , d après la nature même des choses 
et lanalogie d'un fait postérieure^ que beaucoup d entre eux 
prirent, soit avant, soit après leur établissement définitif, 
des femmes françaises pour épouses ou pour concubines. En 
même temps Robert appela à lui tousxeux qui désiraient ua 
établissement^, et la Normandie, semblable à quelque asyle 
de lantiquité, devint le rendez-vqus dune foule d aventuriers 
pauvres et audacieux. Enfin, un troisième élément, sans au-* 
cun doute' cpnsidérable, eqtra dans la composition de la po- 
pulation nouvelle: c'étaient les débris des anciens habitans 
français, qui, assurés désormais contre ks brigandages et 
une mort violente, sortirent de leurs retraites et rentrèrent 
dans leurs foyers. Robert fit mesurer le pays ^ et distribua 
des terres. Ses fidèles obtinrent certainement de meilleurs lots 
que les anciens habitans ou que les nouveaux venus qui 
n'étaient pas de race normande : ceuxH^i' devinrent la souche 
des vilains et des serfs, tandis que, parmi les Normands eux-« 
mêmes, les plus considérables et ceux qui avaient le plus de 
crédit auprès du duc, comme appartenant, du moins en partie, 
à des familles illustres de leur patrie originaire, la Scandinavie^ 
formèrent la haute noblesse 4. Ainsi fut introduite la sépara-^ 
tion du peuple d'avec un ordre de seigneurs. La législation 
devint lafiaire du duc et de ses nobles conseilleis, dont les 
décrets étaient seulement portés à la connaissance du peuple.^ 

1 Le témoignage exprès de GuiUaume de MalmcsLurj , parlant des 
Normands qui firent la conquête de l'Angleterre : Matrimonia ^uo^ua 
mm subditû jangunt (Saçile rer, angliear. scr. 30) peut aussi s'appliquer 
aux Normands de Robert. 

2 Dudo de S. Quentin (Du Chesne , Scrîptor, rer. Ncrmannicar. II , 85) : 
Securitalem omnibus geniibus in terra sua manere cupientihus ficit.... 
Illam terrant de suis militihus adçenisque gentibus refertam restruxit,* 

3 Dudo l. h : FunicuU) divisit , suivant un usage des Scandinayes. Voyea 
Ihre Glossar. v. rep ; Du Cange ^ v, funiculus^ et /. Grimm^ Deutsche 
Bechtsallerthiimer ^ p. 540. 

4 Dudo cit. : , CuepU metiri terram verbis suis comitibus iU^pie iargiri 
fidelibus. Plus loin il dit simplement : suis fidelihus. 

5 Principum sancitas et décrétas plebi indixiu Jbid. 



40 RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSANS 

L'un des principaux objets des soins et des mesures de 
Robert fut lagriculture : il voulut que le cultivateur fût à 
Tabri de tout danger pour sa personne comme pour ses biens ; 
il ordonna de laisser les instrumens de labour dans les champs, 
et pai*vint à garantir la paix et la sûreté. Il y réussit par une 
rijg;ueur inflexible dans le châtiment des vols > , et par le 
prompt secours que promettait contre Vinjustice la clameur 
de haro. Cette sécurité parfaite et alors inouïe, excita à tel 
point l'admiration des contemporains et de la postérité, 
qu on est allé jusqu'à en célébrer la mémoire par des histoires 
merveilleuses, celle, par exemple, du bracelet d'or qu'il avait 
fait suspendre dans une forêt et que personne n'osa prendre. 
Le redoutable guerrier était devenu un prince pacifique. Mais 
le peuple n'en recueillit aucun bien : la féodalité, qui partout 
élevait quelques individus au-dessus du droit commun, et 
en revanche opprimait la masse, s'accrut sous les ducs, ses 
successeurs, pour le malheur du peuple. Les vassaux regar- 
daient avec arrogance et dédain le reste de la population, 
qui leur semblait faite pour leur servir de piédestal ; et les 
possesseurs ou fermiers libres de biens ruraux, les vilains j 
n'étaient pas mieux traités que les serfs ^ que les honunes 
de corps obligés aux travaux des champs. 

Cette organisation féodale s'était trouvée aussi complète- 
ment développée dans le nord de la France, lors de l'occu- 
pation de la Normandie par les pirates Scandinaves, que l'avait 
été dans les Gaules, lors de Tinvasion des Barbares, le sys- 
tème d'impôts, de charges et d'exactions de tout genre en 
vigueur dans les provinces de l'empire romain. Après quel- 
ques générations, les hommes libres furent écrasés par le 
régime féodal chez les nouveaux peuples de la Normandie, 

1 Dttdo , /. cit — On connaît Tanecdote de cette paysanne qui ^ ayant 
soustrait, par plaisanterie , à son mari la courroie d'un instrument ara- 
toire, le lui avoua, mais après que celui-ci avait déjà porté sa plainte au 
duc : le paysan, pour avoir caché celle circonstance, fut pendu conjoin- 
tement avec sa femme. 



AU XOTEIV ÂGE. 41' 

tout comme ils Tétaient ailleurs. Cest, en efiêt, un phéno- 
mène remarquable (jue cette promptitude avec laquelle les 
Normands dévdoppèrent parmi eux une organisation sociale 
(fxih n'avaient pourtant adoptée que depuis leur nouvel 
établissement. H avait fallu plusieurs siècles aux nations ger- 
mam'ques avant d'en venir à ce point ; tout s'acheva chez les 
Normands en quelques dizaines d'années , malgré leur hos- 
tib'té et leur opposition politique contre leurs voisins, les 
Français , auxquels ils avaient emprunté les institutions féo- 
dales. Mais l'esprit du siècle hâtait cette révolution, et par- 
font les Normands se distinguèrent par une intelligence facile, 
et surtout par une grande docilité à s'approprier tout ce qui 
servait leur ambition. Ce n'est pas que tous les Normands 
recueillissent également les avantages que leur offrait la féo- 
dalité : plus d'un d'entre eux déchut de son rang et se vit 
réduit à une condition servile, comme il était arrivé long- 
temps avant aux honmies libres des nations germaniques, 
comme il leur arrivait chaque jour encore. On ne s'en étonnera 
point, si l'on considère que la conversion au christianisme 
et l'adoption rapide de la langue française par les Normands^ 
ramenèrent promptement au même type national tous les 
habitans de la Normandie, quelle que lût leur origine, excepté 
seulement ceux de Bayeux et des environs, qui conservèrent 
assez long -temps un caractère paiticulier. Ajoutez qu'une 
troupe nombreuse de Normands restés fidèles au paganisme 
et à la liberté, dont quelques-uns aj^artenaient peut-être à 
l'époque de la première occupation, mais dont le plus grand 
nombre n'était venu que plus tard , quittèrent leur patrie 
d'adoption et se jetèrent de nouveau au milieu des hasards 
dont ils s'étaient fait une habitude. Le courage et l'énergie 
ne désertèrent pas avec eux la Normandie; mais ils ne purent 
plus désormais se développer qu'unis à la prééminence, d'un 
ordre privilégié. 
Or, il arriva que le quatrième duc de Normandie, Richard II 



42 RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSANS 

(996—1026)^ éleva^ plus encore que par le passé y la noblesse 
féodale : toutes les places de sa cour fiirent données à des 
gentilshommes; il ne voulut souffrir cpie des gentilshommes 
autour de sa personne ^« Il n y avait pas encore à cette époque 
de bourgeoisie riche/ cultivée^ considérée^ que cette préfé- 
rence accordée à la noblesse eût' pu blesser ; et les campa- 
gnards étaient trop éloignés des faveurs de cour pour qu'ils 
dussent beaucoup s en émouvoir. C'est néanmoins un indice 
qui peut servir à expliquer l'agitation iqui suivit. L'orgueil 
liaturel aux Normands avait surtout été porté au comble 
parmi les feudataires : plus ils étaient haut placés dans la 
faveur du dvc^ plus ils se conduisaient avec insolence dans 
leurs rapports avec le peuple des cainpagnés. Les vexations se 
multiplièrent; peut-être aussi le duc ne se faisait-il plus un 
devoir sacré de faire respecter les instrumens aratoires laissés 
dans les champs. 

' C'était dans les premières années du règne de ce Richard, 
qu'(m a surnommé le bon, parce qu'il se montrait libéral 
envers ceux qui l'entouraient^ et particulièrement envers le 
clergé ^y aux dépens de ceux qui n'avaient alors ni voix dans 
l'histoire, ni influence dans l'Etat L'oppression des gens de 

1 Le roman de Rou et des ducs de Normandie, par Rob. Wace, poète 
normand du treizième siècle, publie par Fréd. Pluquet Rouen, 19S7« 
48. (5957) : 

Ne voit mestier de sa meisun 

Dnner se à gentiz bons nun 

Gentil furent li capelain 

Gentil furent li escrirain, etc. 

Li Chamberlenc è li Uissier 

Furent tuit noble Chevalier, etc. 

Cbescun se pena de noblesce, 

£ d'eniir (bonneur) fère è de largesce. 

9 Roman de Rou (5939) : 

Itfnlt s'entremist de Dex senrir 
£ del serTÎce Dex oir. 
Gent ama de religion^ 
Mult mist granst entencion 
▲ clera et à muinei. amer, etc.. 



• ' IV HOYEH ÀG£. 43 

k calnpagne, aggravée brusquement, put sembler intolérable. 
Il paraît qu il arriva ce qui s'est vu plus d'une fois en France |i 
en Allemagne et surtotit en Italie > : les petits vassaux furent 
aussi lésés dans leurs droits-; si le plus grand nombre étaient 
des vilains qui si^aient conservé quelque indépendance et 
qu'on voukit réduire à l'état def serfs ^ la première impulsion 
fut sans doute do^ée par ceux d'entre les opprimés qui 
&élevaiènt au-dessus de la masse du peuple par leur position 
sociale et la conscience plus vive de leurs droits 3. Car telle est 
la marcbe des conjurations; et ici rien n'indique que quelque 
attentat isolé enflamma tout à coup la iîireur du peuple, et 
fit éclater un soulèvement instantané. 

Rien n'était plus odieux aux gens de la. campagne que de 
se votr dépouillés de la libre jouissance des eaux et des fo- 
rêts* Partout' le ban, soit du duc ou de quelque seigneur, 
avait interdit sous des peines sévères l'abattage des arbres, 
la chasse et la pêche. Ces empiétemens sur l'antique liberté 
germanique étaient surtout sensibles à ceux qui, vivant plus 
près de .la nature, semblaient plus directement invités par 
elle à u^r de ces droits. Aussi un esprit sourd de mécon^ 
lentement se répandit-il par tous les comtés de la Normandie; 
il j eut des conciliabules ^, et des plaintes amères sur ces * 
vexations et ces outrages immérités, sur la spoliation et la 
privation de ce qui appartenait au simple homme du peuple 
aussi bien qu au gentilhomme. Dans leurs assemblées secrètes 
les paysans s'excitaient les uns les autres ; ils se plaignaient 
qu'on leur enlevait leur bétail, qu'on leur ordonnait joui^ 

1 Qu'on se rappelle la guerre des TavaMOun milaoAit da temps du roi 
Conrad II. 

2 Wace (6075) nomme ensemble les vilains et les TaTi^seurs. 

3 Guilietmus Gejneiicensis ^ lih, yill^ e. 2 ; Nam rustici unanimes per 
di9ersos totius Normannicœ patrùt eomitatui piuHma mgentts conçeniicuia 
juxta suos libitus vipère deeernebant. — Wacé (5975—6118) eqtre dans de 
loDgs détails, qui pourraient bien n'ètrcr qu'une alnplifiefttioD poétique, 
mais qui répondent parfaitement à là ^Bitmition, 



'44 



HÉVOLTES ET CtTEE&ES DBS 9kY$k9S ^ 



nellement des corvées, qu on leur donnait des noms injurieux* ; 
iqu'ils étaient pourtant des hommes aussi bien cjue les sei- 
gneurs, que leurs membres n étaient pas autrement confor- 
més, ni leur courage et leur vigueur moindres; qu'on pourrait 
réunir jusqu'à trente ou quarante paysans (contre un chevalier^ 
et que leurs massues, leurs pieux, leurs arcs, leurs haches 
n'étaient point à dédaigner 3. Et sur ce, ils se juraient les uns 
aux autres qu'ils ne souffriraient plus d^ormais de seigneurs, 

i Wacc : Cheftcun jnr Tnnt à grant dolnrt, 

En paine sunt et en anhan (fatigue), 

Ant an (l'antre année) ftit mai è pu cel an. 

Tnte jnre snnt lur bestet pritet 

Pur aies (aides) è pur services; 

Tant i a plaintes è quereles, 

£ cnstumes Tiez è nureles. 

Ne poent (peuvent) une heure areir paia. 

Tant i a préroz è bédels 
£ tant BaiiUa viez et nuTels; 
Ne poent aveir paiz nule hure; 
Tantes choses lor metent sur. 

JL force font lur hestes prendre, etc. 

jnU a putain dient auquant (quelquet-ant , aacim»)» . 

i Waee : Nus sûmes hommes cnm il sunt; 

Tes membres avum (avons) c^m il iint> 
Et altresi (de même, aussi) granz cors avum ^ 
£t altretant sofrir poum. 
Ne nus faut fors cuer sulement. 
Alium nus (allions-nous) par serement, 
Nos aveir è nus desfendum. 
Et tuit ensemle nus tenum; 
£ se nus voilent guerréler. 
Bien avum cuntre un chevalier 
Trente u quarante païzans, 
Btaniables è cnmbatans. 
Malveis (mauvais) serunt se vint n trente 
Bacheler de bêle juvente, 
Ki d'un ne se porrunt. desfendre. 
S'il le volent ensemble prendre. 
A machnes. è a grant peus (pieux) , etc. 
. Od (avec) la grant genz ke nus. avum , 
Des chevaliers nua desfendum. 



kV MOYEU AGE. \S 

et se réjouissaient en pensant qu'ils pourraient de nouyeau 
aller librement dans les bois, abattre des arbjes à leur.choix^ 
prendre le gibier dans les chasses et le poisson dans les yi- 
Tiers. et en toutes choses se conduire à leur volonté i. Il nest 
point parlé d'irritation contre lès institutions ebdésiasticpies; 
car le paganisme avait disparu dans la Normandie , et nulle 
part nous n'apercevons de tendance à y revenir comme che2 
les Stdlinga^ mais l'oppression féodale était aussf en partie 
exercée par l'Eglise. Chaque assemblée élut deux des plus 
sages et .des mieux parlans pour parcourir le pays , recevoir 
lessermens, et infirmer, dans une assemblée générale qu'on 
de\'ait tenir au milieu du pays , toutes les résoluticms prises 
séparément. 3 

Ils n'en vinrent point jusqu'à l'exécution : la oonjuration 
avait trop de complices et de trop peu siirs, pour qu'elle 
pût rester cachée : le duc Richard en fut donc informé. Û 
manda son oncle, le farouche Raoul d'Ivry, pour prendre 
son conseil. Raoul ne demanda que la cavalerie féodale du 
duc. A la tête des gendarmes il tomba sur les paysans avant 
qu'ils fussent armés , rassemblés ou rangés en bataille. La 

1 Wace : Einsi porum «1er as bois 

Abres trencbier è prendre à cbois^ 

Es Tivers prendre li peissuns^ 

Es as forez H Teneisuns : 

De tat ferum nos Tolentes 

De bois, de ewes (eaux) è de près* 
Wace dit encore C6o7 1), en parlant de tontes les menées des paysans : kq 
vilains commune faseient. Il écrivait vers ll5o, c'est-^-dire environ 150 ans 
après CCS événemens, et ce n'est guère qu'alors qu'il s'établit des corn- 
maoes dans le nord de la France; Toutefois ce mot commune ne doit 
pas être pris absolument pour un anacbronisme; car le mouvement com- 
munal est incontestablement antérieur k la concession de chartes par 
Louis VI et Suger. Voyez Aug. Thierry, Lettres sur l'histoire de Fi:ance ; 
et Aaynouard , Histoire du Droit municipal en France , tome II , ch. 9. 

2 Guill Gemet. , /. /. .* Quœ ut rata manerent^ ah uno^uo^e cœtu fu* 
rentis vulgi duo eliguntur legati\ qui décréta ad mediterMneum roboranda 
ferrent conventum, Wace dit que les députés étaient des plus huint è des 
miex parlant. 



^6 ÀÉVOtïËS.ËÏ G.UÊllAÊâ DÈS FAVSAlîâ 

nasse ne lui opposa aucune résistance^ et il ne parait pKS 
«fu'il y ait eu aucune rencontre les armes à la main. Alors 
Jurent infligés de sévères cbatimens : Wace, le poète, raconte 
4és choses atroces^* Peut-être na-t-il voulu quenumérer 
3poétiquenient tous les genres de peines quil savait étire d*usage 
d'infliger ^ux paysans. L*historien Guillaume de Jumîèges^ 
qui est plus ancien , ne parle que de la mutilation des mains 
et des piçds* Quoi qu il en soit, Terreur ne peut é^re ici que 
du plus au moins : U serait vain de vouloir préciser chaque 
•délail:; ce qui est hors de 4oute, cest que les paysans ex" 
fièrent cruellenient leurs projets dé révolte* JLiCur courage ne 
se releva point de ce coup pendant des siècles, et leur joug 
devint sans doute plus pesant qu auparavant* 

En 1 066 , le duc Guillaunie-le-Bâtard partit pour faire la 
conquête de TAngleterre. Vraisemhlablement son armée se 
composait non-seulement de ses vassaux et de nobles aven- 
turiers, mais encore des plus déterminés dentre le peuple 
des campagnes. Après la défaite des Anglo-Saxons le vainqueur 

• • • 

"i Wacè : Raol (a mult de mal talent; 

Nés' vout mener a jugement; 

Tnz les fist tristes è dolenz : 

A plusurs fist traire les denz, 

E li altres fi:st espercer, 

Traire les oils, li pmngs colper. 

A tex i fist li guarez kttire (brûler les jarrets, genre de 
supplice usité dans le nord de la France au dixième siècle). 

Ne li chaut gaires ki s'en muire. 

Li altres fist tuit TÎfs bruilir, 

Et li altres en plumb builir; 

Tuz les fist isi (ainsi) conréer (corriger). 

Hidoua furent k esgarder. 

Ne furent puiz en Ken véu, 

R'il ne fussent bien cuaëu. 

La cumune remest à tant; 

Ne firent puis vilains acmlant. 

Retrait se sunt tuit è demi» 

De ceo k'il aveient empris, etc. 
Puis il est dit que ceux qui éuient riches furent dépouilla de leurs 
biens. Cela s'entend : qui confisque le corps, confisque les bien«* 



kV MOYEU AGE* 47 

introduisit le régime féodal: ses compagnons formeFent un 
ordre de seigneurs qui domina sur les vaincus, et se mon- 
trèrent assez disposés à les réduire à la condition de vilains 
et de serfs. Ils n y réussirent né^nmçins pas complètement* 
Dun autre côté les rassemblemens, les courses et les exploits 
des outlaws ou proscrits anglo-saxons contre les seigneurs 
Dormands, résultaient moins de Topposition des ordres que 
de Tinimitié nationale \. Mais à quelques siècles, de là, lorsque 
Normands et Anglo-Saxons se furent mêlés et confondus en 
une seule nation, des révoltes de paysans éclatèrent, dont 
nous aurons à parler dans la suite* 

1 II est remarquable que pendant le règne Au Danois Canut en Au- 
gleterre (en 1017), un Ceof-U'Cyng , nommé Eadwig, porta les armes 
contre lui. Quoique eorl et ceorl n'indiquent pas tout'âi-fait la. même ap- 
position que gentilhomme et vilain, noble et paysan, ce n'en est pas 
moins une circonstance asseK kignificatÎTe, que la noblesse anglo-saxonne 
parait. n'avoir pria aucune part k cette lutte. 

(La suite an prochain numéro.) 




*n1 



xiUtfAmu* 



PETER SGHLÂMIHL. 



CHAPITRE VIII.» 

«Je fus bientôt rejoint par un piéton^ qui ^ aprèff. avoir 
cheminé quelque temps à côté de moi, me pria de permettre 
qu'il mît son manteau sur mon cheval , ce que je lui laissai 
faire sans mot dire. Il me remercia de ce léger service d'un 
ton fort convenable et fort ai&é^ loua mon.cheval, et en prit 
texte d'exalter beaucoup le bonheur et la puissance des riches; 
enfin, il s'engagea, je ne sais conmient, dans une sorte de 
monologue dont je n'étais plus que l'auditeur. 

«n développait ses vues sur la vie, sur le monde, et en 
vint bientôt à la métaphysique, qui devait, selon lui, fournir 
le mot de toutes les énigmes. Il posait son thème avec beau* 
coup de netteté, et marchait fort bien à la solution de la 
question. 

«Tu sais, mon ami, que depuis que je me suis échappé 
de l'école des philosophes, j'ai reconnu que je n'étais pas 
né pour la spéculation philosophique, et que je me suis 
entièrement interdit ce domaine de la science. J'ai renoncé à 
savoir et à comprendre mainte et mainte question, et me con- 
fiant à mon propre bon sens, comme tu me l'as conseillé toi- 
même, je me suis livré à mon sentiment intérieur. Or, mon 

1 Voyez jyowelle Heçue germanise ^ deuxième Série | t L*', p. 140 
et p. 234. 



PETER 9CHLÉMIHLft 4{| 

orateur me parut coustruire Bvtc beaucoup de talent un édifice 
qui reposait sur ses propres fondations ^ et qui existait comme 
par utie uécessiié intrinsèque : seulement il y manquait ce que 
précisément j*%urai6 désiré. Aussi ce n'était plus qiiun écha^ 
faudage agréable à Toeil par son ensemble et sa perfection* 
Cependant j écoutais avec plaisir mon éloquent interlocuteur^ 
car il; détournait mon attention de mes souffrances ^ pour la 
reporter $uç lui'-ménte^ et j.e'me serais entièrement abandonné 
à lui ^ s*il eût agi sur mon ame aussi fortement que sur mou 
esprit* . . 

«Le temps se passait^ et déjà laurore éclairait le firmâ*- 
ment. Je fiis saisi d'effroi en vojrant à lorient se manifester 
les bdles couleurs qui annoncent le soleiL Dans ce moment 
où les ombreç s*étendent de toute leur longueur ^ iln*y avait 
nul remède à espérer ; rien ne pouvait me garantir dans cette 
vaste plaine. Et je n*étais pas seuil Je jetai un regard sur 
mon cMnpagnon^ et je frémis de nouveau^ car cétait encore 
l'homme à fbabit gris« 

. « Il sourit de mon ^âroi^. et sans me laisser parler: Souffrez 
donc y comme c'est l'usage dans ce monde y (ju^ nous échan^ 
gians nos at^antages pendant (juelijues insiansi nous aurons 
toujours le temps de nous ijuitter» Quoique vous n'j ayez 
pas- songe y le chemin t/ui longe ces montagnes est le seul 
^ue vous puissiez raisonnablement suiyre} vous ne pouvez 
descendre dans, la vallée^ et vous voudrez encore moins re*- 
passer la montagne pour retourner sur vos pas. -^ Ce chemin 
est aussi le mien. Je vous vois pâlir déjà deuant le soleil 
lapant f mais ' je vous prêterai voire ombt'e pour tout le 
temps ^ue nous serons ensemble y et pour recompense vous 
me^ souffrirez dans votre voisinage* D'ailleurs ^ou$ navez 
plus votre Bendely et je vous rendrai de bons services. 
Fous ne ni' aimez pas y j'en suis fâché* Cela n* empêche pas 
aue vous ne puissiez vous servir de moi* Le diable n est pas 
si noir qu'on nous le peinte Hier^ il est ^toi^ vous m'at^eM 
ru 4 



50 PETER SGHLÉMIHL. 

» 

impatienté; niais je n'en garderai pas rancune aujourdhuL 
Dtjii j'ai abrégé votre chemin ,• auouez^le de bonne grâce. 
*^ Reprenez donc enfin votre ombre ^ nefûi'-ce quà Vessai* 

« Le soleil s était levé, et déjà nous rencontrions du monde 
sur la route : j'acceptai sa proposition, q[uoicpie avec répu- 
gnance. Il fit, en souriant, glisser mon ombre sur la terre, et 
tout aussitôt elle prit sa place sur Tombre du cheval, en trot- 
tant gaiement à mes côtés. Je passai près d une'Hroupe de 
campagnards, qui, la tête découverte, se dérangèrent respec- 
tueusement pour me faire place. Je chevauchais toujoars, et 
de temps à autre, le cœur tout palpitant, je jetais nn regard 
de désir sur cette ombre qui était autrefois la mienne, et que 
je venais d'empFuoter à un étranger et même à un ennenu. 

«Celui-ci m accompagnait avec indifférence, en sifflant un 
air \ il était à pied, moi à cheval; Toccasion dé reprendre mon 
ombre me tenta, ma tête s égara; je tonmai bride, et donnai 
de 1 éperon pour m*enfuir par la traverse*. •• Mais mon ombré 
ne me suivit pas, eUe demeura sur la route, et attendit an 
détour du chemin son maître. U me fallut donc revenir hon- 
teusement : sans se déranger, rbomme grb acheva de siffler 
son air, puis il daigna m apprendre, en rajustant mon ombre, 
quelle ne me resterait bien accrochée que quand j'eb aurais 
récupéré la propriété légitime. Je vous tiens par votre owAre^ 
continua-t-il, et vous ne m^échapperez pas* Un homme 
€Uissi ride que vousj a besoin d'une ambre. Cela est ainsi: 
le smd tort que vous ajreZj est de ne Favoir pas compris 
plus tôt. 

« Je continuai à suivre ht même route, en jouissant de toutes 
les aisances de la vie ^t de toute la magnîEcence possible. H 
n*7 avait plus rien qui m empédiât de me mouvoir comme je 
le voulais; car quoique je neusse qunne ombie d'emprunt, 
j inspirais partout le respect que commande la ridiesse; mais 
(avais la mort dans lame. Mon singulier compagnon, qui 
luftHuéuM se disait lindigne serviteur de Thomme le plus riche 



PETER SCHLÉMIHC. 5x 

du inonde^ était dune complaisance à toute épreuve. Son 
habileté j son adresse, dépassaient toute expression; c'était le 
véritable type du valet de riiomrae opulent ; mais il ne me 
(juîttaît pas, me parlait sans cesse ,• et ne craignait pas de 
répéter avec assurance que je finirais par conclure avec lui au 
sujet de mon ombre , ne fût-ce que pour me débarrasser de sa 
présence. Il m'était aussi incommode qu odieux, et je trembla» 
devant lui. Je m'étais mis en son pouvoir; car m'ayant rendit 
à la jouissance dune vie que je fuyais, il me tenait tout entier* 
11 fallait bien subir son éloquence, et même j étais sur le point 
de trouver qu'il avait raison. Il faut dans ce monde qu un 
homme riche ait une ombre. Cependant il* y avait en moi une 
résolution fortement prise.' Après avoir sacrifié mon amonr^ 
après avoir flétri ma vie, je ne voulais pas perdre encore mon 
ame , et pour toutes les ombres de la terre , je n'aurais voulu, 
l'engager à cette odieuse créature. Je ne savais comment tout 
cela finirait. 

«Un jour nous étions assis devant une grotte que les per-» 
Sonnes qui voyagent dans ces montagnes ont coutume de 
visiter. On y entend le bruit de fleuves souterrains qui gron- 
dent à une incommensurable profondeur : on dirait que la 
pierre qu'on y jette ne trouve point de terme à sa bruyante 
chute. Mon homme gris me dépeignit sous les plus séduisantes 
couleurs, comme il le faisait si souvent, ce que je pourrais 
faire dans ce monde, à l'aide de mon petit sac, quand une foîè 
j'aurais recouvré mon ombre; il embellissait ce tableau de toute 
la richesse de son imagination. Pour moi , les coudes appuyés 
sur mes genoux, je me cachais la figure dans les maiâs ; en 
écoutant ce perfide, mon cœur était partage entre la séduction 
et la résolution que j'avais pri^. Cette lutte me devint insup- 
portable , je l'apostrophai . en ces termes : Fous paraissez 
oublier j monsieur j (juc si je ^ous ai permis h certaines 
conditions de rn accompagner ^ je me suis réservé toute ma 
liberté. — f^ous nayez (juii parler^ dit-il, je fais mon pa-* 



52 P£T£R SCHLÉMIUL. 

^^l€^ — Cette menace lui était familière. Je gardai le silence ^ 
et sur-le-champ il.se mit à rouler mon ombre, ce qui me 
fit pâlir; mais je ne dis mot pour len empêcher. Il s'ensuivit 
un long silence. Il reprit la parole le premier. 

^ Vous ne poui^ez me souffrir^ monsieur ^ vous me haïs- 
sez j je le sais ; mais pourquoi me Jiaïssez^-vous ? serait-ce 
par Iiasard parce tjue vous m'aidez attaqué sur la voie 
.publique^ en croyant me raidir mon nid d'oiseau? ou bien^ 
serait-ce parce que vous, auez voulu me voler V ombre que 
vous croyiez confiée à votre seule bonne foi? Quant à moi y 
je ne vous hais pas pour cela; je trouve tout naturel que 
vous ayez recours h la ruse^ U la force ^ h tous vos a^^an- 
tages^ Que d'ailleurs vous ayez les principes les plus ri- 
goureux; que vous pensiez comme l'honnêteté personnifiée j 
rien dç mieux. C'est un goût contre lequel je n'ai rien à 
objecter» Je n'ai point ^ il est vraij des principes aussi sé- 
vères; mais j'agis comme vous pensez* Me serait-il une 
fois arrivé de vous mettre le pied sur la gorge pour ob- 
tenir la précieuse ame que je convoite? uii-je lancé sur vous 
un valet pour reprendre de force ma petite bourse? ai-je 
voulu m' enfuir avec elle ? . — A tout cela je n*avais rien à 
répondre. — Fort bien^ monsieur y fort bien! reprit-il, vous 
ne m'aimez paSy je ne vous en veux pas , et je le comprends» 
Il faut nous séparer; c'est évident» Et vous .aussi y vous 
commencez à m' ennuyer beaucoup» Pour vous débarrasser 
entièrement de ma présence y qui vous humilie y je vous le con- 
seille pour la dernièrefoisy achetez-m oi cela . — Je lui présentai 
la bourse. — Nony dit-il, non. — Je soupirai. Reprenant ensuite 
la parole : Monsieur y lui dis-je, j'insiste pour que nous nous 
séparions y ne me soyez. plus obstacle en mon chemin dans 
un monde qui^ je l'espère y est assez grand pour tous deux» 
-—Il so^irit et répondit : Je pars y monsieur; mais aupara- 
vant je vais vous apprendre comment il faut faire pour 
vie sonner y si jamais vqus demandez votre très-humble 



PETER SCHLÉMIHL. 53 

valet II n'est besoin pour cela ijue dT agiter votre bourse^ 
le bruit des pièces éternelles quelle renferme viendra jus- ' 
(fuà moi. Cest un son qui m attire sur^-^hamp. Chacun 
dans ce monde pense à son at^antage. Vous voyez que je 
songe aussi à votre bien ; car je vous découvre une puis- 
sance, nouvelle. Oh ce bon petit sac! lors même que les 
mîtes auraient déjà mangé votre ombre ^ il serait toujours' 
un lien étroit entre nous. Il suffit^ vous me tenez par mon 
or. Disposez j même de loin^ de votre valet} vous savez que 
je puis être assez utile à mes amisj et que les riches sur- 
tout sont bien avec moi, Vous en avez la preuve. Mais 
pour votre ombre ^ monsieur ^ tenez-le pour dit^ vous ne 
Faurez jamais que sous une seule condition. 

A l'iDstant me reTinrent à lesprît des images du temps 
passé. Je demandai brusquement : Aviez-vous une signature 
de M. John ? — Il sourit. — Je nen avais nul besoin de 
la part d'un tel ami. — Où est-il^ au nom du ciel? je veux 
le savoir. — Il mit, après quelque hésitation, la main dans 
sa poche, et en retira par les cheveux la personne pâle et 
défigurée de M. John , dont les lèvres cadavéreuses firent 
entendre ces terribles paroles : Justo judicio Dei judicatus' 
sum , jttsto ' judicio Dei condemnatus sum. J'en fus saisi 
dliorreur, et je lançai la bourse dans les profondeiurs de la 
grotte* Cest au nom de Dieu que je te conjure j homme 
horrible! m'écriai- je; éloigne-toi y et ne reparais jamais 
devant mes yeux. U se leva d'un air sombre , et disparut 
aussitôt derrière les masses de focher qui environnaient ce 
lieu sauvage. 

CHAPITRE IX. 

«Je demeurai là sans ombre et sans argent; mais un grand 
poids m'était ôté de la poitrine, et j'étais content. Si je n'avais 
pas perdu mon amour , ou si seulement j'eusse été exempt de 
rqiTochey je crois qu'il m'eût encore été possible d'être 



54 PJETEll SGHLÉMIUL. 

heureux. Je visitai mes poches ^ où je trouvai quelques pièces 
dor, que je comptai en riant. — Mon cheval était à Tau- 
ber^e au pied de la montagne, j'étais honteux de m'y pré- 
senter; il convenait du moins d'attendre le coucÈer du soleil ^ 
qui était encore fort élevé au-dessus de rhorizon. Je m'étendis 
donc à l'ombre des arbres voisins , éi m endormis paisible- 
ment. . 

« Des images riantes se balançaient autour de moi, et leurs 
formes aériennes me donnèrent des rêves gracieux. l^Iîna, 
couronnée de fleurs, passait devant moi et me souriait. L'hon- 
nête Bendel aussi était couronné de fleurs, et me saluait en 
passant rapidement. Je vis beaucoup d'autres personnes en- 
core, et toi-même, Chamisso, tu étais dans la fomle. Cette 
vision était bien éclairée , et cependant nul n'avait d'ombre, 
et, chose étrange, cela ne produisait pas un mauvais effet. 
Je ne pouvais ni retenir, ni préciser ces formes. si légères, si 
aimaUes; mais je me souviens que je prenais plaisir à ces 
rêves, et que je tâchais de ne. me point éveiller. Je Tétais en 
effet, que je tenais encore les yeux fermés, pour, garder plus 
long -temps ces images fugitives qui m'échappaient malgré 
moi. 

«Enfin, j'ouvris les yeux, le soleil était encore au firma- 
ment, mais à l'est; j'avais ainsi dormi toute la nuit. Je re- 
gardai cette circonstance comme un signe que je ne devais 
point retourner à l'auberge, et j'abandonnai volontiers ce. que 
j y avais laissé, résolu de suivre à pied u^ chemin de traverse 
qui s'enfonce dans la forêt le long de la montagne. J étais 
résigné à subir tout ce que le sort me réservait, je ne regardai 
pas même derrière moi, et ne songeai pas seulement à m'a- 
dresser à Bendel, que j'avais si fort enrichi. Vêtu d'une vieille ' 
kurtka noire, que je portais autrefois à Berlin, j'avais un exté- 
rieur fort modeste; et je ne sais comment il se fit que ce 
vêtement se retrouva précisément sqqs ma main pour ce 
toyage. J avait Aq plus xxn boniMt et de vieille^ bottes. Je 



PETER «GHLÉHIHI.. 55 

me levai donc, et, coupaot un bâton d'épines en souvenir de 
€e qui venait de se passer, je -conunençai mes migrations. 

«Dans U foret je rencontrai un vieux paysan, qui me saluai 
très-amicalement, et avec lequel j'entrai en conversation. Fn 
voyageur* curieux de s'instruire, je m'inibnnai d'abord idu 
chemin, puis du pays et de ses habitans, cniip des produits 
de ces montagnes , ctc« Le paj'san répondait sensément et avec 
complaisance à mes diverses questions. Arrivés au bord d un 
torrent qui avait étendu ses dévastations au loin dans la forêt, 
je frémis de paraHre ainsi au grand soleil, je laissai passer le 
campagnard devant moi. Mais il s'arrêta juste au milieu de ce 
dangereux espace, et se retpujrna pour me raconter l'histoire de 
ce désastre. Bientôt il vit ce qui me manquait, et s'airétant au 
milieu de son récit : Mais comment donc sfifaU-il que mon-- 
sieur ri a pas d'ombre* — Hélas ^ répondis^je en soupirant, 
foi dans une longue ma^ladie perdu mes chet^eux^ mes ongles 
et mon ombre* Fojcez^ foi repris mes che^eux^ mais ils sont 
tous blancs; mes ongles sqn\ encore bien courts ^ et quant à 
l ombre ^ elle ne veut pi^s repousser. -^ Oh y ohl répliqua 
\^ vieux en secouant la tê^, point d'ombre^ c'est bien maupaisy 
cétait donc un^ bien mauvaise maladie que celle de mon^ 
sieun**. Il ne reprit pas le récit quil avait interrompu, et au 
premier embranchement de chemin il me quitta sans mot dire. 
Des larmes amères tombèrent de nouveau sur mes joues: 
cm était fait de ma tranquillité. 

«Le cœur navré, je continuai mon chemii^, et ne recher- 
chai plus la société de personne. Je me tenais au plus épais 
des forêts y là souvent j'attendais des heures entières pour 
trayerser un endroit éclairé par le soleil. Le soir je cherchais 
ungite dans les villages. Mon but était d'atteindre une mine, 
afin de. travailler sous teire; outre que ma position me comr 
inandait à» powveir désiormats à mon entretien , j'avais fort 
hien jugé qu'un travail soutenu pouvait seul me défendre de 
mes id^es de destruction. 



66 YETER SGHL'ÉMIHL. 

^ Qnelques journées pluvieuses favorisèreîit ma route, mais 
aux dépens de mes bottes, dont les semelles avaient été faites 
pour M. le comte Pierre, et non pour un piéton. Déjà elles 
laissaient mes pieds à nu, il me fallut songer à les remplacer. 
Je m en occupai sérieusement, et me rendis dans un village 
dont c'était la fête. Une boutique renfermait beaucoup de 
bottes vieilles et neuves; j*hcsitai long-temps, et me vis 
obligé de renoncer à une paire de neuves, qui me paraissaient 
trop chères; J'en pris donc de vieilles qui étaient encore 
bonnes et solides, et que me présenta, en souriant, le jeune 
garçon aux cheveux blonds, qui tenait la boutique. Il ine 
souhaita bon voyage, je les mis sur-le-champ, et sortis du 
bourg par la porte du Nord. 

« Profondément absorbé dans mes méditations, je ne voyais 
pas 011 je posais le pied *. je songeais aux mines où, selon mon 
espérance, j'arriverais le soir même, et où je ne savais 
comment me présenter. Je n'avais pas fait deux cents pas, 
quand je vis que j avais quitté ma route» En voulant la cher- 
cher, je m'aperçus que j'étais dans une forêt de sapins que 
la hache paraissait n'avoir jamais, touchée. Je fis encore quel- 
les pas, et me trouvai au milieu d'arides rochers qui n'é- 
taient couverts que de mousse et de saxifrages; ils étaient 
entrecoupés de neiges et de glaces. L'air y était très-froid* 
Quand je me retournai, la forêt de sapins avait disparu: 
autour de moi régnait le silence. La glace sur laquelle j étais, 
«étendait à perte de vue et d'épais brouillards la couvraient, 
tandis qu'à l'horizon le soleil présentait son disque de. sang. 
he froid était insupportable : je ne pouvais me rendre 
compte de ce qui m'était arrivé ; je fus contraint par la yio»« 
Jeuce des frimas d'accélérer ma marche, et je n'entendais 
que le bruit de l'onde lointaine. Un pas encore, et me voilà au 
rivage d'un océan glacial. D'innombrables troupes de phoques 
s'élancèrent dans leau àmop approche. Je suivis ce rivage, 
où je vis dçs roches nues, des forêts dç bouleau et ^e sapin} 



»ÈTSE SGHLÉXIHL/ 67 

enfip je courus quelques minutes droit devant inoi.il fit tout 
à coup une chaleur étouffante ; j étais dans de beaux champs 
de riz sous des mûriers. Je me couchai sous leur ombre, et 
consùhaut ma montre, je vis que je n*avais quitté le bourg 
qu'environ un quart-dTieure auparavant. — : Je crus rêver, 
et me mordis la langue pour me réveiller ;• puis je fermai les 
yeux pour rassembler mes idées. Devant moi j'entendis arti- 
culer des syllabessingulières.etd un ton nasal. C'étaient deux 
Qiinôîs que leur figure orientale ne piermettait pas de mécon- 
Daitré; d'ailleurs leur vêtement eût suffi pour m'en convaincre: 
ils me saluèrent selon l'usage du pays *, je me levai et recular 
de deux pas. Alors je ne les vis plus : le paysage avait déjà 
changé. Au lieu de champs de riz, c'étaient des arbres, des 
forêts. Je considérai ces arbres et les herbes qui croissaient 
autour de moi. CeUesque je connaissais, appartenaient à 
l'isie du sud-ouest. Je voulus m'approcher d'un arbre; mais 
d'un seul pas tout "changea de nouveau. Dès-lors je me mis 
i mardier comme un conscrit qu'on exerce, posément et 
lentement. Les cultures^ les plaines, lesmontagnes, les steppes^ 
les déserts, tout cela se succédait à mes regards étonnés. Il 
n'y avait plus de doute : j'avais aux pieds des bottes de sept 
lieues. 

CHAPITRE X. 

<^ Pénétré d'un sentiment religieux, je me jetai à genoux 
sans proférer une parole , et je répandis des larmes de re^ 
connaissance :. mon avenir se révélait. à mon ame surprise. 
Exclu de la société humaine par une faute de jeunesse, le 
destin me donnait, pour compensation de ce mal, la jouissance 
delà nature que j!avais toujours aimée. Lfi terre devenait pour 
moi un riche jardin, l'étude allait être là règle et la force de 
ma vie, et la science désormais en serait l'unique but. Depuis 
ce moment je n'ai eu d'autre soin que de rendre fidèlemenl 
l'idéal qui m'était apptfu 31 lucide, si par&it, et c^t Xqvt 



Sr8 SITER SCHhÈUlBU - 

joui's quand je jn*ien rapprocbaia le plus ,. que j'étais le plus 
oonteut de moi-même* 

«Je me relevai^ et sans plus tarder^ je roolus prendra 
possession du champ dans lequel je devais désormais mois^ 
sonner.... Alors j'étais sur les hauteurs du Thibet^ et le soleil^ 
qui peu dlieures auparavant s'était levé pour moi , descendait 
déjà vers loccident* Je trayersai l'Asie de Test à l'oue^t^ et je 
le rattrapai dans sa course , puis j'entr^^i en Afrique* Je visitai 
cette partie du monde en la jparcôurant dans tous les sens 
avec beaucoup de curiosité* En Egypte j'admirai les pyra- 
mides et les temples^ et nop loin delà Thèbe^ aij^x cent portes 
je vis dans le désert les grottes dans l^qucUes vivaient autre-r 
fois des solitaires chrétiens* C'était comme si une voix inté-r 
rieure m'eût crié : voici ta demeure! Je choisis la plus cachée 
de ces grottes :.elle .était comniode, spaeieusç et inaccessible 
aux chacals; après cela je continuai mo^ courses* 

«J'entrai en Europe par les colonnes d'Herculç, et après 
en avoir visité le sud et le nord, je regagnai l'^^sie ^pten^-^ 
trionale , et de là par les glaces du p^le je passai en Groen- 
land et en Amérique* Je parcourus les dçux parties de c^ 
continent, et l'hiver qui régnait dans celle du sud, me fil 
promptement quitter le cap Horn* 

«J'attendis qu'il fit jour dans l'Asie orientale, et ne repris 
ma route qu'après un léger repos. Je suivis à travers les 
deux Amériques la chaîne des montagnes qui renferme les 
sommets les plus élevés du monde* J'allais doucement avee 
précaution de cime en cime , et tantât j'enjambais des vol- 
cans, tantôt des dômes de neige, trouvant à peine assez d'air 
pour respirer. Enfin j'atteignis le ment E3ie , et d'un saut je 
franchis le détroit â$ Behring et me trouvai en Asie* Je sui-r 
▼is la o^te occidentale dont*les contcmrs sont si variés, et je 
consacrai surtout une grande attenticm aux iles. qui m'étaient 
accessibles. De la presqu'ilc de Màkooa mes boites, me por-r 
taient à Sumatra, J|va, Bail eit Lamboc. J'essayai, non sans 



>^T£a SGHZ.ÀHIBL. 69 

danger, mais en vain, de me frayer une route vers Bornéo et 
Içs autres Iles de cet archipel, au moyen des petites îles et 
des rochers dont cette mer est hérissée. H fallut y renoncer. 
Je m'assis sur lextrémité de Lamboc, et le visage tourné au 
sud et à lorient, je pleurai coiame pleure le prisonnier contre 
la grille qui le retient; je m'indignais de trouver si tôt des 
bornes à mes courses. La Nouvelle-HoUande, si mémorable 
pour comprendlté la terre et sa riche parure, ses plantes, ses 
animaux; la mer du Sud avec ses îles de zoophytes, m'étaient 
interdites. Tout ce que je réunirais de collections, tout ce que 
j'écrirais, itait condamné à demeurer simple fragment. Oh, mon 
Adelbert! que sont donc les vains efforts des homm^? 
: « Souvent ^u fort de l'hiver austral, sans m 'inquiéter du 
retour, et dût cet affireux pays se refermer sur moi comme un 
tombeau, f essayais de franchir ces deux cents pas qui me sé- 
p^^raient du pays de Dlemen et de la Mouvelle-Uollande. Avec 
une audace extravagante je marchais parfois sur des glaçons 
^ttans, je bravais le froid d'une mer glacée. Vaine témérité^ 
je n ai point encore visité la Nouvelle-HoUande, et toujours 
je revenais m'asseoir à la pointe du promontoire de Lamboc 
pour y pleurer, la face tournée vers lest et le sud, comme 
sj là $e fut trouvée la grille qui .me tenait enfermé. 

«Enfin je m'arrachai de ce lieu, et le cœur serré, je re-r 
vins, dans Imtérieur de FAsic ; je la parcourus encore en 
suivant v6rs Toccident la marche de Taurore. La, nuit même 
j arrivai en Thébaïde, à la grotte que je m'étais choisie la 
v^Ute dans l'après-midi. 

ifiïXh» que je me. Ats un peu rep^é, et qu'il fil jour en: 
Europe, mon premier soin fut de me procurer toi\t ce dont 
j'avais besoin. D'abord il fallut me pourvoir d'un moyen d'en- 
rayer; car j'avais fait l'expérience des faico9véniens qu'il y 
avait à ne pouvoir r^courdr le pas qu'eu ôtant na botte. 

« Une paire de pai^toûffles remplit complètement le but que 
j« me ptoposais^^Dans^ k suite |'en ni eu toujiwu» deux piôres 



Bo PETER SCHLÉMIITL. " 

dans mes poches pour remplacer celles que je jetterais ^ sans 
avoir le temps de les ramasser^ quand des lions, des hommes 
ou des hyènes interrompraient mes herborisations. Ma montre 
était exceflente, dans mes courses rapides elle me servait de - 
chronomètre, n me fallût de plus un sextant, quelques ins-- 
tromens de physique et des livres. 

«L'acquisition de ces objets me força à quelques courses 
craintives vers Londres et Paris. Heureusement qu'un brouil-* 
lard favorable les voilait. Quand j eus épuisé le reste de mon 
or magique, je n'eus pas de peine à me munir en Afrique de 
dents d'éléphans : seulement je cboississais les plus petites, 
celles dont le transport ne dépassait pas mes foirces. Bientôt 
je fus pourvu de tout, et pour moi je commençai seul un 
nouveau genre de vie. 

« Je parcoui'ais donc la terre, mesurant tantôt ses hauteurs, 
tantôt la température de ses sources,' tantôt celle de l'air. 
J'observais les animaux, j'étudiais les plantes, j'allais de l'é- 
quateur au pôle, et d'un monde à l'autre, comparant les 
expériences avec les expériences. Les (£Ufs de l'autruche bu 
des oiseaux de la mer du Nord j les fruits et les palmiers du 
tropique et. les bananes pourvoyaient à ma nourriture ordi- 
naire. La nicotiane me tenait lieu de plus d'une jouissance, 
et ce qui -remplaçait pour moi l'intérêt et l'altachement des 
hommes,' c'étaient l'amour et la fidélité de mon caniche. Il 
gardait ma grotte en Thébaïde; quand je revenais chargé 
de nouveaux trésors, il bondissait dé joie, et je comprenais! 
alors que je n'étais pas seul dans le monde. Cependant une 
aventure encore devait me ramener parmi les hommes. 

CHAPITRE XL 

» 
• • • 

«Un jour que, sur les bords dé la mer du Nord, je ras- 
remblais des licbess et des algues^ et qu'au moyen de me& 
pantoufles j'avais paralysé la vitesse de mes bottes, un' ours 
blanc aceourut à moi. Je me hâtai de jeter mes pantoufles^' 



PETEKxSCH^ÉMIHX,. .6l 

te 

et voulus: passer précipitamment dans une île,. en prenant 
pour intermédiaire un rocher qui sortait ;des flots. Je lat- 
teignis d'un pied, mais, je- tombai tout aussitôt dans la mer ^ 
parce que l'autre pantoufle était restée à mon pied. Tout aussi- 
tôt je fus saisi par un froid^ glacial,, et j'çusi bien delà peine 
â me tirer de ce daQger la vie sauve. Dès que j'eus repris 
terre, je courus à toutes jambes versjes dés^if^ts d'Afrique 
pour m'y sécher au soleil; mais ses rajons ine brûlèrent avec 
tant d ardeur , que je réprib fort malade et fort chanc^ant la 
route du nord. Le. mouvement que je me donnais . devait, 
selon moi, me soulager, et mes pas, incertains autant que ra- 
,pides, me portaient d'occident en orient, et d'orient enocci- 
dent» Tantôt je passais dans un lieu édairé par le jour, et 
tantôt j'étais dans les ténèbres, tantôt je ressa^tais les ardèuis 
de leté, et tantôt les frimas de l'hiver. 
. «Je ne me rappeUe plus combien je m'égarai sur cette 
terre; mais une fièvre brûlante coulait dan&mes veines,. et 
je vis avec «firoi ma raison m'abandonner. Par ukalheur en- 
core ces courses désordonnées me firent .marcber sur le pied 
de quelqu'un : sans doute je lui fis mal; car jç reçus une vio- 
lente bourrade , et je tombai. 

« Quand je fiis revenu à moi, je me Couvai cfommodément 
couché dans un bon lit placé parmi beaucoup d'autres lits 
dans une vaste saUe. Quelqu'un était assis à mpn chevet, et 
plusieurs personnes allaient d'un lit à Vautre. Mon tour vint, 
on parla de moi, on mappçlait numéro, 12, et, sur la mu- 
raille vis-à-vis de. moi (ce n'est pas une illusion) il y avait 
une table de marbre noir, où se tKOuvait çcriten grandes 
lettres d'or mon nom, Peter Schlémibl.II n'y manquait rien: 
sur la même table de maibre il y avait, encore, au-dessous de 
mon nom, deux Ugnes d'écriture; mais j'étais trop iaibte 
pour en assembler les lettres; je refenn^^i les yeux. . 

«J'entendis lire quelques paroles, 0(1 il était question d$ 
Pierre Schlémihl, mais je n'en pus saisir Le sei\s ; enfin je vis 



^2 l^fitBR SCâLÉXtflLj 

paraître devant mon lit uil homme ,â une figure trèi-^préve*' 
Dante et une très-*beUe femme..... Ces personnages ne m'étaient 
pas étrangers, et cependant je ne pus les reconnaître. 

« Au bout de quelque temps mes forces revinrent. Je m'ap- 
pelais numéro 12. Or, numéro 12, à cause de sa longue 
barbe, passait pour un Juif, ce qui n empêchait pas qu'on 
n'en eût bien soin* Il parait quW ne s'était pas aperçu qu'il 
n'avait pas d^ombre. On ni'asswra que mes bottes, ainsi qu;: 
tout ce qui avait été trouvé sur moi , était bien gardé et me 
serait rendu après mon rétablissement. L'hospice dans lequel 
j'étais, s'appelait leSo^jJEMXÊrLiuMy et ce qu'on lisait chaque 
jour, était uike exhortation à prier pour Pierre Schlémihl, 
fondateur et bienfaiteur de la maison. L'homme à la figure 
prévenante que j'avais vu près de mon lit, était Bendel, la 
belle femme était Mina. 

<^Sans être reconnu, je recouvrai la santé dans ce Schle- 
miJdium : j appris que cette ville était la patrie de Bendel. Il 
avait employé le reste de mon or, si peu bienfaisant d'ailleurs, 
à fonder sous mon nom cet hospice où me bénissaient tant de 
malheureux, et il ^'en était réservé la direction. Mina était dcve^ 
nue veuve, un malencontreux procès^riminel avait coûté la vie 
à Rascal , et absorbé la plus grande partie de la fortune de Mina. 
Elle vivaitdans la crainte de Dieu et dans la pratique delà charité. 

«Un jour elle s'entretenait avec Bendel auprès du lit n.*" 1 2. 
Pourtfuoi^ noble dame^ 'vous exposez-^ous si souueht au 
maui^ais air (jui règne ici? Le sort ^ous serait^il donc si 
cruel que vous ayez enuie de mourir? — Non^ M, Bendel^ 
depuis que foi fini mon long rêve^ et que je suis reuenuè 
à moi ^ je ne souhaite ni ne crains plus la mort; je porte 
Ui^ec calme mes regards et sur le passé et sur Fa^enir, 
P^ous-'mémej néproupez^vous pas' un bonheur bien douxy 
bien paisible de sennr d'une manière si agréable Dieu 
votre maître et votre ami? -^Certainement y noble dame. 
Mais que le sort a été bizarre pour nous! sans y réfléchir 



nom iroùi shsothé le iHen et le mal qui découlalient à pleins 
bords de k coupe fatale. Elle esc vide désormais, et lou 
serait tenté de croire que tout cda n'était qu'une épreuve ; 
mieux atisé désormais, on attendrait volontiers que la réalité 
commençât, sans regretter toute cette fascination, et cependant 
OD est bieu'-aise d*avoir vécu au milieu de ces illusions. J'en ai 
la confiance, notre ami lui-^méme est plus heureux qu'alors. -» 
Etmoi aussi, repartit la belle veuve, et ils s'en.allèrent ensemble. 

« Cette conversa^ou avait produit sur mon sme une impres- 
sion profonde. J'hésitais \ je ne savais s'il fallait me découvrir 
à eux, ou bien si je m'en irais inconnu. Enfin je pris mon parti: 
je demandai du papier et un crayon, et j'écrivis ces mots: 

« Votre ancien ami, aussi, se trouve mieux qu'autrefois, et 
s*il fait pénitence, c'est du moins une pénitence de réconciliation. 

«Quand j'eus écrit ces h'gneà, je voulus m'habiller, car 
mes forces étaieut revenues. Ou chercha la clef de la petite 
armoire qui était à côté de mon lit : j'y trouvai tous' mes 
effets; je me levai donc, et c'est avec plajsir que je suspendis 
la boite qui cOBtaiait mes lichens par*dessu8 ma kurtka noire 
de Norwège. Quand j'eus mis mes bottes, je déposai le billet 
sur mon lit, et la porte était à peine ouverte, que j'étais déjà 
bien loin sur le chemin de la Thébaïde. 

«Lorsque sur là cote de Syrie je suivais le chemin par 
lequel je m'étais pour la dernière fois éloigné du logis, je 
vis m<m pauvre Figaro accourir au--devant de moi. Cet ex*- 
cetlent caniche, qui- avait si loug-^mps attendu son maitre, 
semblait chercher sa trace« Il bondit autour de moi, en fai*- 
sant entendre desoris de joie mille fois réitérés, et avec les 
démonstrations les plus touchantes. Je le pris sous le bras, 
.car il n'aurait pu me suivre, et je le rapportai chez moi. 

«Là tout était comme je l'avais laissé : peu à peu, selon 
que mesi forces revenaient^ je repris mes anciennes occupa- 
tions. Seulement j'eus soin d'éviter pendant un an entier les 
frimas du pôle , qui m'étaient devenus insupportables. 



64 »BTBii tcatimliti 

f 

« Aujoutdliul etieore j mon ches Chamisso^ c'c^t moù geiir« 
de vie : mes bottes oe. s'usent pas^ comme Tavait d'abord fait 
craindre Touvrage du célèbre TiekeDS^ Dé rébus gestis PqU- 
'UcilU. Elles sont toujours aussi bonnes ^ leur vertu ne s'a0ài^ 
blit pas^ mais mes forces diminuei^t. Toutefois j'ai la conso* 
lation de les avoir constamment dirigées vers un but^ et non 
sans en jretirer quelque fruit. Autant que mes hottes ont; pu 
me le permettre, j'ai appris à connaître^ mieux que tout homme 
avant moi, la terre, sa forme, ses hauteurs, sa température, 
l'atmosphère et ses variations, les phénomènes magnétiques, 
les êtres animés de la création et principalement les planles. 
Les faits et les observations ont été expiosés par .moi conscien* 
cieusement et avec la plus gr9nde ex$ictituc|e dans pli|sieurs 
ouvrages. J'ai déduit rapidement mes cotiiséquences et mes 
vues dans quelques dissertations : j'ai fixé la géo^^pdiiç de 
l'intérieur de l'AfriqucL^et des régions polaires du iiord; j'ai 
;fait connaître l'intérieur de l'Açie et ses c^t^s oriaoïlales. Mon 
histoire Stirpium plantarum utrius^ue orbisy est. un no- 
table fragment de la Mora unwersaUsJerrm^ ^t l'une des 
branches de mon système de la natare» Non -seulement je 
crois avoir accru de plus d'un tiers les espèces connues, m^'s 
j'ai la confiance d'avoir fait beaucoup pour la science de la 
nature et la géographie dea plantes. Je travaille maintenant 
sans relâche à ma Fauna^ et j'aunû soin qu'avant ma mort 
mes manuscrits soient déposés à l'université de Bei]îii«. . 

«Quant à toi, mon i^m Chamisso, je t*aî d^oisi pour 
recueillir et transmettre ma miraculeuse Jûstoire. Un jour 
peut-être, quand j'aurai disparu de la terre, die sera utile 
à plus d'un de ses habitans« Oh, mw ami, si tu veux vivre 
parmi les hommes, apprend9 à respecter avant toutr.ombre, 
puis, en second heu, l'or^ m^ si tu ne veux vivre que 
pour toi, et pour ce qu^â y a en toi de plus nd>le et de plus 
âevé, tu n'as pas besoin de. conseil. ^ 




omS^s <t ^Prttufb* 



Êiat comparatif de F instruction pubHtjue dans tes 

dii^ers. pays de tEurope* 

Le docteur Krœger de Hambourg ^ qui a traduit en allemaud 
le Rapport de M. CoUsili sur Vétat de l'instruction puilique 
dans ^ueiifues pays de Vjdllemagne^ et qui a fait lui-même 
un voyage pédagogique^ vient encore de donner une traduc 
tion de la nouvellje loi française sur cette matière ^^ ainsi que 
de lexposé des motifs du rapport de M. Renouard daiii^ U 
chaliibre 4^s députés ^ de Celui de M« Cousin dans4a chambre 
des paire j du* rapport de M. Guissot au roi sur letat de 
TiBstruction primaire en France en i832^ et de pluâieurâ 
autres pièces intéreasantes. Cette traduction, est accompagnée 
de notes te plus souvent approbatives^ et dW tableau com-^ 
paratif de Tétat de 1 mstruction publique dans les divers 
pays de TEurope^dont voici Jes résultats les plus intéressans. 
. La PRtJS8£3^ sur une population de treize millions d'hsj^i*- 
tatis^ a sept universités^ avec .6047 étudians^ dont 4 89 4 
appartiennent au pays ; 1 4 8 gymnases ou collèges ^ avec près 
de 24^000 élèves^ Il y avait en 1825 dans les États prus-; 
siens 2 1,6 3 9 écoles primaires et intermédiaires^ fréquentées 
par 1^664^218 enfans y et tenues par 212,261 maîtres^ 704 

1 Dos tieue frangôsische . tinlettichtâgeseti f fnit ^nmerkungen ^ éinet , 
iiede uhef'Geiverbschulen f etc. Alfonai, thez Uammcfrich , 18'34.' 

2 Voir no9 divers âfticlc» sur l'itisifuction en Pfus^e, ^«aàpttle ftepuê" 
germaniques première Série ^ %, XIII, p. 177 el p« 255^ 

TOU£ U0 Sf 



66 I(Ot}V£LL£S ET YAUIÉTÉS^ 

maîtresses et 7021 aides-instituteurs. Il y a en Prusse une 
école sur 5 60 habitans, et un écolier sur 7^3 dliabitans. ^ 

AuTAicHE. Dans les douze gouvernemens, qui ont ensemble 
une population de 210,372^769 habitans (non compris la 
Hongrie et la Transylvanie avec 1 1^444^000 habitans)^ 3 7 a 
huit universités et plusieurs lycées avec 30,644 étudians, ce 
qui, avec les 1600 élèves des écoles des arts de Viemie^ 
de Venise et de Milan , et avec les 267 élèves de lecole vé- 
térinaire de Vienne, fait 22,101 étudians : 127 gymnases 
comptent 28,827 élèves; l'institut polytechnique de Vienne, 
747; celui de Prague, 400; celui de Graetz, 260; l'école 
forestière de Maria-Brunn, 66; total : 30,290 élèves des 
écoles secondaires. H y à en Autriche sept étabUssemens pour 
les aveugles, avec 3 00 élèves. 

Les écoles élénïentaires sont au nombre de • • 16,967 
Les écoles de répétition, au nombre de • • • • 8^964 

Total des écoles • • • 24,931 

Les élèves des premières sont au nombre de 1^463^04^ 
Les secondes en comptent ^4d)475^ 

Total des élèves • . • 2,002^622 
Le personnel des maîtres et directeurs des écoles popu- 
laires est composé ainsi quH suit : 

Catédiistes et aumôniers ....••• 10,262 

Instituteurs et aides 21^801 

Inspecteurs, directeurs ecclésiastiques 14,011 

Total • • • 46,064 
Les frais de îinstruction publique en Autriche sont de 
2^246,668 florins (argent). 

Le nombre des écoles est aux populations comme 1 à 80a; 
le nombre des élèves, 1 à 10,12 d'habitans. ï)ans le chef-lieu 
de chaque gouvernement est établie une direction générale 
des écoles du rej^sçrt; la direction suprême appartient à 1^ 

i L« chiffre nonrial ^évt^tta écolier yur 6 « 7 habîtan». 



IfOUVELLES ET VARIÉTÉS* 67, 

CMomission des études à Vienne^ dont le président actuel est 
le comte Mittrowsky. 

La Hongrie compte ^ur neuf miSions dliabitans, 3 3,000 
étudians et élèves des collèges. 

SfJissE. La Confédération, avait en 1827, 1,978,000 anies* 
A cette époque 1 université de Baie avait encore 706 étudians 
et 20 professeurs; aujourd'hui cette haute école est menacéç 
de rume par le partage des fonds entre la ville et la cam- 
pagne. En revanche, lacadémie de Zurich a. été récemment 
ér^ée en université 1/ Berne avait 3 o professeurs en titre ^ 
Lausanne 17, avec 200 élèves; Genève x5 professeurs et 
194 élèves. Presque chaque chef-lieu de canton a un lycée. 
Le nombre des élèves des écoles popjulaires était en 1827 
dei83,ooo. Le traitement des instituteurs varie selon les 
cantons. Dans quelques-uns, comme à Baie, le minimum est de 
3oo francs de Suisse (460 fr.); dans TArgovie, de 160 fr.; 
dans d'autres, de4o,de5oà25o francs de Suisse. Ea 
1827 '^ canton de Zurich dépensait pour Tinstructioa pU;-* 
Uique 28,736 francs de Suisse; TArgovie, 37,439 fr.;, le 
Pays-de-Vaud, 57,444 û*.; Genève, 41,259 fir» Dans les 
cantons protestans le nombre des écoliers est à la population 
comme 1 à 9; dans les cantons de Luceme, Zoug, Thur- 
go vie,. Fribourg, Glarus, Saint-GaU, Soleure, une partie 
d'App^izell, comme 1 à 12; dans Schwytz, Unterwalde, 
Un, Tessin, Valais, Grisons, comme 1 à 20, terme moyen^ 
Chaque canton a un conseil d*éducation ou d'instruction pu- 
blique. Il n y a d'école normale pour former des instituteur^ 
qu a Aarau depuis 1821. 

HoLtAiwE. Ses trois universités comptaient eni82 7, i353 
étudians, dont 588 à Leyde, 478 àUtrecht, 287 à Gro« 
oingue ; les collèges avaient 1 5 5 o élèves. £n 1 8 2 5 le nombre 
des enfans fréquentant les écoles primaires était de 2180^6 17^ 
ce qui iait un écolier sur 8,2 d'habitans. 

t V#7«z ^'oupeVe Reçue germanique ^ première S«riey tr XIU» p* 36l^ 



68 HOUVELLES ET ykf.lttÈ8» 

Belgique. Ses trois universités de Louyain, die Liège et 
de Gand avaient en 1826 ensemble iô86 étadians; les 
collèges comptaient 6498 élèves. Sur une populatico de 
3,7 3 8,8 7 2 habitans il y avait 353,343 enfans dans les écoles 
primaires publiques et privées. Sur ce nombre il y en avait 
de pauvres 171,650; 22 8, 717 enfans ne recevaient aucune 
instruction. Il y a en Belgique un écolier sur 10,8 d'habîtans. 

En 1 3 1 7 la Belgique ne possédait que 11 46 école» pri- 
maires publiques, avec 152,898 enfans; en 1827 elle eut 
a 100 écoles, avec 247,476 écoliers. 11 y a eu diminution 
depuis 1 8 3o. L'ancien gouvememeat dépensa en 1827 pour 
l'instruction élémentaire 667,524 fir., tandis quà la même 
époque la France ne consacrait que 5 0,0 00 fr. à ce même 
objet. 

F&AiîCE. De tous les faits rapportés par l'auteur sur l'état 
de l'instruction en France, nous ne reproduirons que les 
Auîvans : L'instruction supérieure, dit-il, coûte 2,2 1 3,2ôo fir* 
L^s recettes pour diplômes, inscriptions et irétribution uni- 
versitaire, sont de 2,5 2 6,9 1 o fr. Il y a ainsi sur les dépensés 
un excédant de 3 1 3,7 1 o fr. Il ajoute : Ainsi le gouvernement 
prend là où il devrait donner. C'est là sans doute un grave 
abus dans l'état actuel des choses; mais cet abus pourrait 
tourner en bienfait, si l'on voulait employer cet excédsmt 
annuel à l'instruction populaire, qui aurait grand besoin de ce 
renfort. 

Avant la révolution de Juillet le nombre des enfans fré- 
quentantles écoles était à la population totale comme 1 à 2 1,6, 
tandis quen Pnisse il était comme 1 à 7,3. Depuis il a été 
porté remède à un si grand mal, et tout fait espérer que 
bientôt la France ne sera plus, à cet égard, en arrière des 
nations les plus avancées de l'Europe. 

Grakde-Bbetaghe. Les universités d'Oxford et de Cam- 
bridge comptent ensemble environ 4000 étudians. Dès 1828 
il y en avait à Londres 5.57* Edimbourg a 1600 étudians. 



H0VVELL2S ET VARIÉTéS. 69 

En 1 83 o il y avait dans les diverses écoles savantes de YÂn- 
gleterre 3o,ooo élèves. Ghelsea seul en comptait aooo« 
D après le rapport de lord Brougham, les écoles élémentaires 
de FAngleterre étaient fréquentées par 952^849 enfaos, et 
6163 écoles du dimanche par 347,151 élèves, ensemble 
i,3oo,ooo élèves, où 1 sur 11 habitans. En 1821 le rap- 
port était 1 à 1 7. Selon M. Krœger il y aurait à Londres seul 
80,000 enfans sans instruction. L'Etat ne paie rien pour les 
écoles : elles sont entretenues des rentes d'anciennes fonda* 
tions et par la bienfaisance publique. 

D'après les derniers renseignemens (i83i) le chifire des 
enfans. fréquentant les écoles primaires serait de 66,1 1 6 pour 
les écoles de dimanche, de 200,000 pour les autres écoles, 
ce qui ferait un écolier sur 7 habitans. 

Irlaude. Selon M. Brougham, en 1818 encore deux tiers 
des enfans irlandais ne recevaient aucune instruction. Et dès 
i83i, grâce aux eiTorts de la société hibernienne établie à 
Londres pour l'avancement de Imstruction populaire, secondés 
par la munificence du parlement, qui y consacre tous les ans 
3o,ooo livres sterlings, llrlande avait 1 3,632 écoles avec 
589,793 élèves, ce qui fait un écolier sur i5 habitans. 

Daknemarck. La population de ce royaume, y compris 
les provinces allemandes, était en 1828 de 1,941,705 ha- 
bitans. L'université de Copenhague comptait 780 étudians, 
celle de Kiel 33o , dont 22 étrangers. Les élèves des collèges 
étaient en i83o au nombre de 1392. 

2200 écoles primaires et populaires, oi\ enseignent 2 3 00 
maîtres, et parmi lesquelles 2146 suivent la méthode de 
renseignement mutuel, sont fréquentées par 240,000 enfans, 
ce qui fait un écolier sur 7,5. 

NoRWÈoE. Population, 950,000 habitans. L'université de 
Christiania compte de 600 à 65o étudians. Il y a sept col- 
lèges dans les principales villes avec 620 élèves. Les autres 
villes ont des écoles intermédiaires. Le nombre des écoles 



70 2ï<)rUV£|.L£S ET VARIÉTÉS. 

bourgeoises et populaires est de 1 4 1 9 avec 1 5 3,7 3 6 éeoUers. 
Panni ces écoles sont 1 1 &o écoles ambulantes. Le rapport 
des écoliers à la totalité de la population est comme 1 à 6. 
Malheureusement les écoles nomades laissent beaucoup à dé- 
lirer. 

Suède. Population, 3,5 00,000 habitans. En 1829 il y 
avait aux deux universités d'Upsal et dje Lund a 08 6 étudians, 
dont 1443 à Upsal. Douze g^nooinases comptaient 684 élèves; 
les collèges près des cathédrales (qui correspondent à nos 
collèges communaux), 9118 élèves; les écoles bourgeoises | 
4137. Il y a en Suède i3a écoles lancastiiennes avec 9000 
enfans, presque tous pauvres. Parmi les écoles des campagnes 
il y eq a beaucoup de nomades. Le sort des maîtres est peu 
assuré. Tous les ans le roi donne sur sa cassette a 000 .thaler 
à la société d'enseignement mutuel. Beaucoup de parens^ dans 
les lieux isolés, instruisent eux-mêmes leurs enfans* Presquie 
tous savent lire et écrire. 

Russie. Il y a dans ce vaste empire huit universités avec 
3 00 professem*s et 4100 étudians; quatre académies théo- 
logiques grecques, 73 grands séminaires et 18 séuunaires 
inférieui^s, avec a 6,000 étudians; i5 séminaires catholiques 
avec a 5 étudians. 1411 écoles élémentaires sont fréquentées 
par 70,000 enfans. Le gouvernement affecte toiis lesr ans à 
la création de nouveaux collèges et autres écoles 3^850,000 
roubles. Le nombre des écoliers est à la population comme 
1 à 700. Dans le royaume de Pologne ce rapport est 1 à 1 00 ; 
dans la Pologne prussienne il est 1 à 5o; dans la, Pologne 
autrichienne de 1 à 8o. 

GaÈGE iNDÉPENPASTE. Population, 900,000 âmes* 49 écoles 
supérieures et 5 a écoles d'enseignement mutuel sont fréquen- 
tées par 7773 élèves, ce qui fait un écolier: sur .116 ha* 
bitans. 

Il£s foi^i£iwEs, 180,000 habitons. 39 écoles, suivie» par 
;! 7 33 enfans.^ un çur 1.04.. 



XTOUVELLES ET VÀRIlfiTéS* 7I 

Italie. Sardaigne^ 5oo^ooo faabitan$. Il y a aux unlver* 
sites de Gagliari et de Sassari 482 étudians. Les écoles nor- 
malês des dix districts domptent 6665 élèves ; Fécole secondaire 
de Cagjiari, 1 oô 7 , total 7722 écoliers : 1 sur 7 o. Royaume 
des Deux'SicileSy 7,009,00.0 dames. A Texceplion de quel- 
({ues éc(des lancastrienaes ^ riustruction populaire est com- 
pléteinent né|^gée. Toscane. En 1818 il y avait dans ce 
pays, sur mie popidalion de 1,250,000 habijtans, environ 
6000 gar>ço9S fréquenta^nt les écoles* Près de 760,000 in- 
dividus nesayieuent ni lire ni écrire. Quatre cinquièmes de la 
pçpulalÎQn de ^.ute la péninsule se trouvaient dans la même 
îgnorajicje. C'est encore dans les j^rovinces autrichiennes qu'il 
y aie plus d-instnicUpn. Padoue a près de 7000 étudians* 
Il y skd^shrpj'aume Lombard- f^énitien 4 lycées avec 500 
élèves; a 5 autres collèges avec 5 000 élèves, 1400 écoles 
élémentaires avec 62,000 enfans, 16 établissemens religieux 
consacrés à leducation des jeunes filles. Le nombre des écoliers 
est à la population comme un à 3o. 

ESPAGNE. Population, 13,772,000 habitans. Depuis 1800 
linstmction a fait de grands progrès en Espagne. Avant cette 
époque, la moitié des Espagnols ne savaient ni lire ni écrire.^ 
L'ignorance du peuple était grande, surtout en Catalogne, 
dans FAndalousie, dians la Gallioe et la VieiUe-Castille. En 
i83i il y avait aux universités, séminaires et académies en 
tout 35,987 étudians; dans 774 écoles latines inférieures, 
26,275 écoliers; 9558 écoles de garçons étaient suivies par 
356,520 écoliers ; 3 o 7 o écoles de filles comptaient 119,202 
élèves; total: 501,997, c est-à-dire 1 sur 27 habitans. 

PoATD&ÀL, 3,600,000 habitans. L'université de Coïmbre 
avait ordinairement 1600 étudians; lacadémie de commerce 
et de marine de Porto ^ 3 1 9 ; celle de Lisbonne , 3 2 o. U y a 
en outre dans ce pays 4 8 écoles assez semblables à nos collèges ; 
824 écoles primaires avec environ 40,000 enfans, et plu- 
fiieuis écoles militaires avec 25 18 élèves; en tout un écolier 



72 WOVVELLESET \kfiltxtS* 

sur 80 habltans. De i8o5 à 1819 il n^ paraissait, terme 
moyen, par an que 94 ouvrages, 

États^Uîîis de rAmérique du Nord. La population était 
en 1 83 G de i 3,000,000, Les huit plus anciennes. universités 
avaient en 1828 près de 14,000 étudians, y conipris sans 
doute ceux qui suivent encore les classes correspondant aux 
collèges de l'Europe.' Les' universités ou les établissemens qui 
prennent ce nom, sont pour la plupart des entreprises par- 
ticulières. Ijèur 'nombre varie selon le profit qu'y trouvent 
les entrepreneurs. Le seul Etat de New-Yotk, qui a 2,oa6,o6o 
dliabitàns, possédait en i832 9339 écbles, et sur 609,967 
edfans dage à fréquenter les écoles, 607,706 les suivaient 
en effet. En général le nonlbre des écoliers dans tous les 
Etats, en y comprenant sans doute beaucoup d'adultes qui 
suivent les écoles de dimanches, est à la population comme 
l à 6, 



UNIVERSITÉS. 

L*hiver dernier l'université de Berlin comptait 2001 étu- 
dians de toutes les facultés; plus, 660 élèves de chirurgie, de 
pharmacie, des mines, etc. -^ Celle de Bonn «vait 874 étu- 
dians, dont 100 étrangers, w-^ A léna se trouvaient 486 
étudians, dont 221 théologiens. «<-« A Munich 1692,' dont 
176 étrangers; -^ à Wurrfjourg 402 , dont iQi étrangers, 

•^L'université de Breslau était fréquentée par 897 étu- 
dians, sans compter 74 élèves des diverses écoles spéciales, 
•—A Dorpat il y avait au commencement de Tannée 539 
étudians; -^ à.Giessen 362 ; ,--* à Heidelberg 6 18, dont 332 
étrangers; -^à Frîbourg en Brisgau 487, dont 79 éti*angers, 

-^ L université de Sain t-Wladimir, nouvellement instituée 

k Kiew^ aura 19 professeurs et 10 suppléans. Son budget 

'iinnuel sera de 248,390 roubles. Un professeur ordinaire 

ftura 4600 roubles; un professeur extraordinaire, 3400 



SrOVVBLLBS ET YÀ&IÉTÉS* 73 

roubles; un professeur-adjoint, a3oo roubles. Tous les ans 
» seront affectés à la bibliothèque 5ooo roubles; au cabinet 
des médailles, looo roubles; àrobservatôire, 1200 roubles; 
au cabinet de physique, 1800 roubles; au cabinet de miné- 
ralogie^ 1000 roubles; à Tentretien du jardin des plantes, 
6000 roubles; à la collection de zoologie, 1000 roubles, 
à la collection de technologie, 13 00 roubles; à lentretien. 
del'école d'équitation, 2 S 00 roubles; enfin 10,000- roubles 
seront versés annuellement pour former un fonds de pensions 
pour les professeurs, leurs veuves et leurs enfans. 

r— L'université de Casan compte 4 1 professeurs. Il s'y 
doone 86 cours ,,dQnt 1 6 dans la faculté morale et politique, 
24* dans la faculté des sciences, 1 5 dans la faculté de méde- 
cine, 3i dans la faeulté des lettres. Remarquez qu'il y a à 
Casan une faculté des sciences morales et politiques! 

— A la fin du second semestre dé 1 833 il y avait à l'uni- 
verské dUpsal 1 3 8 1 étudians. 

'-— Un journal aUemand rapporte que , dans le comté 
dUerfprd en Angleterre, sur 4i-,oi7 individus adultes il y 
en a 24,2 aa qui ne savent pas lire; que dans Londres même 
i5o,oao enfans ne reçoivent aucune jnstruction. Il y a dans 
plusieurs comtés, des villages deipooà2ooo enfans qui sont 
sans écoles. 

STATISTIQUE. 

Berlin. La population de cette capitale est pour 1834 
de 3615,000 habitans. En i83o on y comptait 5o,343 fa- 
millea dans 7342 maisons. 

— Population de la république de Cracoi^ie. La po- 
pulation totale de cet État se monte à 123,167 âmes, dont 
33,076 dans la ville. La population juive y est de 10,201 
dans la ville, de Sgg3 dans les environs. 

— Odessa, D'après les jimâlès de Dorpat^ Odessa 
comptait en i833, ôo,32 3 habitons, dont 6668 juifs. 



74 



VeWBLLBS ET TÀKIÉTéS* 



HISTOIBB L.ITT1&IIAIRE. 

Les productions de la presse allemande en i835* 



«Bée 



99: 



ETAT 3. 



POPULATION. 



Pnuse allemande 

Saxe rojale • • 

Bariére , 

Wurtemberg 

Autriche allemande 

Bade 

Hesse grand-ducale 

Francfort 

Hanorre. . • . r . ^ 

Hambourg 

Weimar 

Hesse électorale 

Brunsmck 

Holfttein 

Brème 

Gotha-<!!d>oui|f . 

Nassau 

Altenbourg 

Mecklenbouig-Schwerîn .* . . • 
Schwartzbourg-Sondershausen . 






10,0819214 
1^50,576 
49238,2o5 
1*594,671 

10,964,295 
1,223,584 

54,o»o 
1,557,900 

l^O^OOO 

233,8i4 
652,271 

35o,ooo 

426,801 

$2,000 
i$4,3ij8 
363,633 
115,189 
455,o32 

52,284 



ARTICLES. 



1758 
1110 

778 

292 

207 

190 

15; 

i44 

i4t 

118 

1*7 

89 
64 
62 

h 
34 
26 
21 

i5 



Cinq cent cinq Ubraires ou éditeurs ont publié 5653 ar- 
ticles, répartis ainsi qu'il suit : 

Belles-lettres et beaux-arts ...*.. 85i 

Théologie 828 

Philolc^e ^ 546 

Sciences politiques 5ii 

Histoire et biographie 5oo 

Médteine et chirucgie 369 

Pédagogique, «361 

Géographie et statistique ^56 

Technologie • . . . / 2.10 

Droit 196 

Philosophie génârale > i^. 



HOUy ELLES ET «VARIÉX^S* 7^ 

Sciences pbjsiqaes. ..«......•.••••• 173 

Économie rurale et domestique ^70 

Mathématiques • i35 

Art militaire lo^ 

Sur le commerce^ les mines^ etc. •;.....•• 94 

ŒuTres mêlées. ,.,.,.... .• • v • 79 

Chimie et pharmacie .....••..•..... 64 

Âxl Tetërinaire 22 

Soixante-sept éditeurs ont publié à Leipzig 886 ouvrages; 
45 à Berlin , 5 5 3 -, 1 9 à Stuttgart, 39 2 ; 1 5 à Vienne^ 207; 
a 8 à Nuremberg , 1 9 5 ; 4 à Quedlinbourg, 1 7 7 ; 1 o à Augs- 
bourgjt 161; 11 à Breslau, 148; 16 à Francfort-sur-le- 
Mein, 144 ; 9 à Munich, 141.; 7 à Hambourg, 118; 4 à 
Dresde, 100; 9 à Halle, 86; 6 à Heidelberg, 79; 4 è 
Darmstadt, 68; 6 à Carlsrouhe, 58; 2 à Hanovre, Ô71 
6 à BrunsTOck, 56; 4 à Bonp, 54; 5 à Mayence, 52. 

— LUiérature périodique et imprimerie en^ Suisse. La 
gazette de Saint-Gall rapporte les faits suivans: en 1817 il 
u 7 avait dans toute la Suisse que 5 4 imprimeries et 1 6 jour- 
naux; en i83oilyeut 71 imprimeries et 29 journaux; en 
X 83 4 il j a dans ce même pays 98 imprimeries et 54 jour- 
naux. 

—7 En France le nombre des ouvrages publiés en i833 
s'est monté à 7011. 

— En An^eterre il a paru , dans la même année., 1180 ou- 
Vrages nouveaux, formant 1567 volumes, et coûtant 83 1 
livres sterling^, non compris les pamphlets et les nouveUes 
éditions. Il y parait en outre depuis i833, 25o journaux et 
ouvrages périodiques. Londres seul compte 832 libraires. 

— En Russie, la censure supérieure a autorisé eii i832 
la publication de 694 ouvrages et 60 journaux. Sur ce nombre 
il y a 600 ouvrages originaux et 94 traductions 1414 $onl 
écrits en langue russe, 24 en polonais, 98 en allemand, 24 
en langue finnique, lette et esthenienne, 2 3 en français ^ 
41 en latin, etc. 



— Suivant une statistique insérée dans les Annales HUe-- 
rairèsy statistùjues et artistiques de Dorpatj il a paru en 
Russie^ pendant Tannée i833 , 40 journaux ou écrits pério- 
diques en langue russe* 

Sur ce non^re-, 34 paraissent à Saint-Pétersbourg, 10 à 
Moscou, 3 à Odessa, 2 à Réval, 1 à Casan. 

Quant aux matières dont ils traitent, il y en a 5 pour la 
poUtique, 3 pour l'art militaire et les promotions dans Tannée, 
8 pour la littérature, les modes et les nouveautés, 4 pour 
la religion et Téducation, 1 pour les mathématiques, 3 pour 
la médecine, 1 pour là statistique, 8 pour Tagriculture, les 
mines, les forêts, Tindustrie, les routes et les connaissances 
utiles, 4 pour les manufactures et le commerce, et 4. pour 
les annonces judiciaires. 

Vingt de ces journaux ou écrits périodiques sont publiés 
par des particuliers, 5 par des sociétés scientifiques, 3 par 
des académies ou universités, 12 par des autorités adminis- 
tratives. Au nombre de ces derniers il y en a plusieurs de scien- 
tifiques. 

Enfin il y en a 3 qui paraissent tous les jours, les fêtes 
et dimanches exceptés; 2 paraissent trois fois, 6 deux fois, 
et 6 une fois par semaine; 4 deux fois et 9 une fois par 
mois; 1 tous les deux mois, 5 tous les trois mois et 4 irré- 
gulièrement. 

— Publications nouvelles. On annonce comme devant 
paraître prochainement une histoire des papes par le pro- 
fesseur Léopold Ranke de Berlin ; — une histoire de la litté- 
rature poétique de TAllemagne , en trois volumes, par le D.' 
Gérvinus de Heidelberg. Les critiques que M. Gervinus a 
publiées dans les Annales de Heidelberg ont fait concevoir 
de kd de grandes espérance». 



VOUYELLES ET VAHIÉT&S. 77 



CfiASSONS AUX BOBDS DU BniîV. 



1. 

GOLOGITE. 

Dors, beau fleuve du Rhin; beau fleuve^ voici Theute 
Où d'un souffle léger le vent du soir t'effleure, 
Où la rumeur du jour expire sur tes bords; 
Aux pieds de la cité qui te sert de ceinture, 
JLaisse tomber tes flots avec un doux murmure, 
Courbe-toi, voyageur. C'est l'ombre et la nuit, dors* 

Si mâle en ton courroux, si fier en ton silence, 
Dans la Suisse ton onde et bouillonne et s'élance 
Sur les gouffres profonds que l'on n'ose entrevoir» 
De loin, on pourrait croire entendre l'avalanche, 
JPuis la voici qui vient avec calme et s'épanche, 
Soupire et s'aplanit, claire comme un miroir. 

Oh! la nature est noble et belle en toute chose, 

Soit quelle se réveille, ou soit quelle repose. 

Elle porte le sceau de la grandeur de Dieu; 

Mais l'homme, hélas, qui donc lui ramène sans cessç 

Et ses vagues soucis et sa mcH'oe tristesse? 

Qui donc le fait errer si pensif en tout lieu? 

• 
Dans le flux et reflux des villes et du monde. 

Comme il souflre, s'il n'a quelqu'un qui lui réponde! 

E]t quand il a porté de tous côtés ses pas, 

L'aspect d'un mont lointain , dun rivage de sable 

Réveille dans son cœur Fenvie insatiable 

De partir, de chercher ce qu'il ne connaît pas. 

m 

Tu peux laisser, 6 Rhin, tes flots dormir tranquilles, 
Ils ont de par les prés , les coteaux et les villes 



^8 KOtJVELtËS ET ykfLliTi^i 

Ramené Vespérance et la fertSité. , 
Mais rhomme se consume en efforts inutiles^ 
Et ses jours dispersés sur les chemins stériles 
S'écoulent sans repos devers Tétemité. 



RJLEUKBERO. — (j GtiMTCBEN,) 

I 

J'ai gravi le sentier qui s'en va dans les boî»^ 
Au haut de la colline, auprès de la chapieDe* 
J'étais seul, je songeais à ces jours d'autrefois, 
Où par les verts chemins, par la plaine si belle, 
Je t'emmenais, rêveuse, avec de longs récits, 
Prenant ta douce main, recherchant ton sourire. 
Du sonunet de ces lieux, où je me suis assis. 
J'ai contemplé long-temps ce que chacun admire : 
Bonn avec ses clochers au milieu du vallon. 
Les grands contours du Rhin dans les riches campagnes, 
Les ruines, les bois et le large horizoà, 
Là-bas Co^gne, ici les sept hautes mcmtagnes. 
Mais je songeais au soir, où sur la vieille tour 
Nous allions, recherchant la paix et le mystère, 
Causer tous deux, rêver un étemel amour. 
Sur ces murs que le temps fait tomber en poussière. 
Oui, ces lieux que je vois à présent sont plus beaux, 
Leur nature est plus grande, et la muse et lliistoire, 
Promenant leurs crayons à travers ces coteaux, 
Y retrouvent des jours pleins d'honneur et de gloire. 
Mais là-bas cependant j'étais auprès de toi. 
Tout ce que je pensais, tu le pensais de même, 
Ton coeur et ton regard admiraient avec moi; 
Et la nature est triste à vok seul quand on aime* 



8* 

BOUM. 

Oh! vive Bonn, la belle ville! 
Vive Bonn pour Fétudiant! 
Son coteau de Tint ett ftrtile^ 
Et Poppelsdof f est très-rianl. 
Sur les tables k rin pétille^ 
On y boit plus qu'on ne le dit^ 
Où Ton Ta dîner en famille ^ 
Où rhôtelier noua fait crédit. 

Que nous faut-fl donc pour bi^ Titre? 

Un camarade pour soutien ; 

De temps en temps quelque bon liTre^ 

Une taTeme où Ton soit bien; 

Puis une pipe de Bohème^ 

Une fillette pour Liebcken^^ 

Un paqUet de tabac de Brème 

Que Ion futaie dans son Krânzchen, 

Vous que nul braTe Bursch n honore , 
MauTais philistres, loin de nous^ 
Je suis un jeune Fuchs encorci 
J*ai le temps d'être parmi tous. 

^ lÀehchen est le terme d'aiTection, le diminutif cordiftl que les Allf* 
uuinds prodiguent à la jeune fille qu'ils aiment. — Kranzchen désigne 
les assemblées i jour fixe qui s'établissent entre un noMbre de personnes 
déterminé. »— On connaît le mot de Burtéhy d'où vient Bursckenschafi ^ 
association d'étudians , qui inspire encore t«nt d'efi'roi k U police des Etatt 
allemands. — Fuchs (renard) est l'étudiant ^i fait son premier semestre 
à l'université. — > Phiiister est ce que nous entendons chez nous par le mot 
é^cicr, littérairement et politiquement parlant -** Le HenomnUste est 
l'étudiant qui a la plus longue moustache , la plus grande rapière, qui 
Wt le mieux et se bat le mieux. — Combattre pro patriâ est le dti de 
ralliement de la BuncherucHaft attaquée dans ses droits ou blessée dau 
sou amour-propre. 



6o i!rotJVËtLfi$ IT Vkniitiêé 

Pour devenir un renommiste^ 
Je ferai tout ce qu'il faudra. 
Partout où le bon droit existe^ 
Je combattrai pro patrie» 

Bientôt pouiftant il faudra dire 
Bonsoir à monsieur le recteur , 
Et chercher à se faire inscrire 
G>mme juge ou comme pasteur* 
Mais alors dans mon presbytère ^ 
Amis, nous nous réunirons 
Autour d'une ci:uche de bière, 
Et du vieux temps nous parlerons. 



4. 

LÀ MALADE. 

EQe était jeune encor, mais déjà son jeune âge 

S était ployé sous la douleur. 
Ce quelle avait souffert, hélas i son doux visage 

Le disait avec sa pâleur. 

Ses deux sœurs sur le pont avec soin l'amenèrent, 

Heureuses d'être son soutijen, 
Et quand les bords du Bhin à ses yeux se montrèrent, 

Elle sourit et ne dit rien. 

Mais tour à tour portant les yeux sur son vieux père, 
Sur ses sœurs et sur ces beaux lieux^ 

Sur son front se montrait cette pensée amère 
Qui naît à l'heure des adieux. 

On. eût dit à la voir si timide et si tendre, 

Qu'elle craignait de trop aimer; 
Car elle avait compris qu'on n'osait plus attendre 

Un moyen de la ranimer. 



NOUVELLES ET VARIÉTÉS* Si 

Et ces rives du Rhin , cette terre riante, 

YcDaient, hélas 1 de reverdir, 
Taodvs quelle passait, pauvre fille souffrante, 

Pour 8*ea aller non lojn mojurir. 



6. 

LE MÀTlir« 



Là légère hirondelle 
Qui joue aux bords du Rhin, 
L'effleure d'un coup d'aile, 
Et s'envole soudain, 
Où va-t-elle, où va-t-elle? 

L*onde qui fuit si belle 
Aux rayons du soleil. 
Et de loin étincelle 
Ainsi qu'un lac vermeil? 
Où ya-t-elle? où va-t-elle f 

Oh ! puisse l'hirondelle 
Et Tonde s'en aller 
Vers celle que j'appelle, 
La voir et. lui parler 
De uion amour pour elle! 



6. 

&OLAlfDSEGK« 

(ballade ) 

Au milieu du Rhin dans cette ik 
S'élevait jadis un couvent. 
Couvent de femmes, saint asile; 
On y venait de loin souvent. 

TOME II« 



82 WOtJVELLES ET VARIÉTÉS. 

Et là vivait pieuse et belle 
Une novice à son matin, 
Un chevalier dans la chapelle 
L'aperçut et Taima soudain. 

C'était Roland, homme de guerre, 
Un brave comte, craignant Dieu. 
Il aimait. Il eAt voulu plaire, 
Mais la novice avait fait voeu. 

Lors au sommet de la colline 
Il alla bâtir ce château, 
Dont on ne voit que la ruine. 
Triste et pendant sur le hameau. 

Là, songeant à la jeune fille. 
Son bonheur était de la voir, 
Dans les murs, derrière la grille, 
Il la cherchait matin et soir. 

Long-temps là-haut dans sa retraite 
On le vit ainsi s enfermer. 
Oubliant jeux, tournois et fête. 
Heureux tout seul, heureux d'aimer. 

Un jour la cloche au cloître tinte 
D'un son qui lui va jusqu'au cœur. 
Il écoute, entend une plainte 
Profonde et d'amère doideur. 

Puis- un long convoi se déroule 
Avec les vétemens de deuil, 
Et de loin, à travei*s ia foule, 
Ses jewL distinguent un cercueil. 



NOUVELLES ET VlRléXÉS. 83 

Un crucifix, une couronne 
Des roses blanches, un drap noir* 
n regarde, pâlit, s étonne, 
C'était elle. Il cesse de voir. 

» 

Il s'enfuit en terre étrangère, 
Laissant son château sans soutien, 
Cherchant les périls et la guerre., 
Et de l\!ii Ton. «apprit plus non* . 

Mais riiiver> pendant les nuits sombres. 
On raconte encore au hameau 
Que Ton a vu deux blanches ombres 
Planer au-dessu§ du château. 



7. 

Oh! quand on aperçoit ces campagnes fertiles 
Au pied de ces rochers couverts de vieux châteaux. 
Ce beau fleuve du Rhin, semé de vertus îles, 
Et ces forêts de pampre à travers les coteaux. 

Quand le long de ces bois, mystérieux asyles. 
On entend résonner la dodie des hameaux . 
Et que Fombre du soir , aux images mobiles. 
Tombe de la montagne et descend sur les eaux. 

Au sein de cette paix que la terre respire. 

Sur cette onde oà les ci^ux viennent se déployer 

Devant ces grands tableaux qu en silence on admiré, 

Dans une longue extase on pourrait s oublier. 
Alors il ne faut plus s occuper de décrire, 
Il faut suivre soo cœur, ttimer, croire,^ prier. 



84 »C»tJV£LLKS ET YAHIÉTÉS*. 

8. 

ÈADE. 

Montagnes lointaines de Bade^ 
Si belles dans Tazur du soir^ 
Hélas! avec un cœur malade , 
Qu'il fait bon pourtant vous revoir! 

Voici notre Alsace fertile, 

Avec ses bois et ses moissons. 

Son industrie à chaque ville, 

Ses vieux châteaux ,. ses frais vallons; 

Là-bas le fleuve qui serpente^ 
Avec ses flots d'azur et d'or , 
Et suit si doucement sa pente, 
Qu'on dirait parfois qu'il s'endort, 

Puis Strasbourg, la cité gothique. 
Aux souvenirs grands et pieux, 
Et son Munster j œuvre magique, 
Qui s'en va si loin vers les cieux* 

Voici mon Ile-JarS tranquille. 
Où je reviens avec bonheur, 
Où dans le cercle de iamSIe 
Je me repose, voyageur. 

Adieu donc toi que je regrette, 
Allemagne, mon doux pays. 
Où mon ame avait ;sa!retraite. 
Où j'ai dû laisser tant: d'amis* 

m 

Oh ! puissiez-vous encôr m'entendre, 
NoUes cœurs que j'ai retrouvés! 
Que je n'osais j'amais attendre. 
Mais que j'avais souvent révés^ 



NOUVELLKS ET VARIÉTÉS. 85 

Adieu rivages de la Sprée, 
Où j'ai passé de si beaux jours^ 
Bords de FHster, fraîche contrée^ 
Pays d études et. d amours. 

Voici le sol de ma patrie, 
Oh! j'y reviens pour ladmirer. 
J eutends notre langue diérie, 
Et l'air est doux à respirer. 

Salut à toi, ma noble France, 
Je reviens pauvre, majs constant. 
Je dépose ici ma soufirance. 
Je t*aime tant! je t*aime tantl 

Si mon attente est inutile. 

Si le destin doit me trahir. 

Je ne veux rien <{uun humble asyle, 

Pour te voir prospérer, grandir; 

Rien que nies souvenirs d*enfance, 
Le calme obscur de mon hameau, 
La poésie et lespérance, 
La tombe auprès de mon berceau. 

X. Màrmier. 




tiCCeHn (i^fto^taf Çtijitf. 



BIBIiIOORAPHIB« 

Les lÎTraisons du mois d'Ayril du Répertoire de Leipzig' portent 
le nombre des publications de i834 de 549 ^ 7^^^ ^ V^ ^^^^ 
2i/i ouvrages nouveaux, j compris quelques continuations et les 
éditions nouyelles. 

Parmi les 3i ouvrages relatifs à la thiologib, on remarque les 
suivans : Une interprétation toute nouvelle de rApocaljpse, in- 
titulée: Johannes des Goithesprachten eschaiologische Gesichte , psiT 
F. J. Zûllicb, pasteur à Heidelberg. L'auteur a la prétention 
d'expliquer pour la première fois ce poème obscur^ et de le ra- 
mener à sa forme primitive.' Il j a joint entre autres une carte 
de la Nouvcfle-Jérusalem ^ et un portrait de Jésns-Cbrist coiffé 
d'un turban. Vingt années d'études pouvaient être mieux em- 
plojées. — Une édition des Œuvres de Bérenger de Tours , qui 
paraît sous les auspices du D.' Néander^ tome premier^ renfermant 
le traité de Sétcra cœna contre Lanfranc ; — l'Esprit de notre 
temps et le christianisme ^ ou Preuve' que le vrai besoin de l'Eglise 
est aussi le besoin du temps, ouvrage posthume de J. F. Petrick, 
de son vivant prédicateur à la cour du prince Pûckler-Muskau; 
Stuttgart, chez Hallerbei^er. (EstK» encore un masque? Y a-t-il 
' eu un prédicateur nommé Petrick, et le prince de Pûckier-Moskau 
a-t-il une cour?) 

On annonce dix ouvages de Juusprudxkce , parmi lesquels se 
trouvent : le Procès-civil du Wurtemberg, par le D.' G. Scfaiitz, 
de Tubingue, pour faire suite au Manuel de la procédure civile 
de l'Allemagne, par Linde, dont la troisième édition à paru à 
Bonn ; — Quœsiionum de Serçio Sulpicio Rufo spécimen I et II, 
scripsit Rob. Schneider de Leipzig ; — Basilicorum libri LX. post 
Annib, FabroUi curas ope codd. mss» a Gust, Em, Heimbachio 

X Yoii les noméros à» Mais , p. 280, et d'Ayril, p. 378. 



B.U.LLETTIÎ BIBLIOGRAPHIQUE* 87 

alusqiu collaionim intigriçres cum schoîiis edidit , idifos denuo r«- 
cens., Jf perdîtes restituit; iranslationem lai. et adnotationem cri'' 
ticam adjecit Car, GuiL Heimhachj Jenensis, tome I.", secl. IV. 

La MÉDEaNE compte seize ouvrages nouyeaux; entre autres : 
une Histoire des ins^rumens du trépan, par le D/ Krombholz^ 
professeur à Prague; — le quatrième volume du Diclionnairç 
encyclopédique de médecine 5 publié par les professeurs de la 
faculté de Berlin; — nouvelle collection du Code saxon de mé- 
decine légale^ par le D/ Choulant^ tome I/'; — une traduction 
allemandç de TAnatomie pathologique du professeur Lobstein de 
Strasbourg j — la Médecine de nos jours ^ perfectionnée par l'ho» 
mœopatbie^ par le D/ Braun (l'auteur pseudonyme de la Méde» 
cine au dix-neuvième siècle; Leipzig, i832). 

Il a paru sur les Antiquités classiques douze publications nou- 
velles : deux Grammaires grecques élémentaires ^ Tune par Grx- 
fenhahn, l'autre par F; Rost; une-Grammaire latine par le D/ 
Billroth ; — un Atlas du monde ancien en 24 feuilles, par le D/ 
Forbiger; — un Manuel de l'histoire littéraire de la Grèce, par 
le D/ Pelersen de Kopenhague, avec une préface de Mallhise ; — 
Demosthenis orationes selectœ commentariis in usum schoîarum 
instruçiœ ah J, fi, Bremi, sectio II : oratio de corona; formant 
le volume XY, .section II de \sl Bibliotheca grœca^ qui parait sous 
la direction de F. Jacobs et de Y. G. F. Rost ; — Luciani Charon 
vitarum auctio Piscator, recensuit et illustr. Car, Jacobitz ; — une 
Critique un peu vive de l'ouvrage de M. Schulz^ dont la Nouçelle 
Reçue germanique a donné une analjse dans le tome I."^ de la 
seconde série, p. 219 et suivantes. Cette critique est intitulée: 
Kriiische Phantasien eines praktischen Staatsmanns , par Cl. A. 
Klenz^. Elle est dédiée à la mémoire de Niebuhr; — M, TulUi 
Ciceronis de officiis lihri ires y recensuit R, Stuerenhurg; acceduni 
comment. L'auteur a déjà publié un travail semblable sur le 
discours Pro Archiâ poetâ. 

Pour les Languies o&iemtales on annonce la première section du 
toroe lU du Lexique arabe-latin de G. W. Freitag. 

Il jr a six ouvrages de Géographie ; entre autres : des Tableaux 
de la Souabe {Bilder ans Schivahen), par Zoller ; — un Yoyage dans 
Ja Haute-Stjrrie {^Darsteîlungen aus dan steyennarkischen Obet' 



88 BXILLETIIf BIBLIOGRAPHIQUE. 

lanét)^ par F. C. Weidmann ; — Silhouettes de TAllcmagne mé- 
ridionale {Schaiienrisse) , par W. Alexis. 

L'Histoire et la Biographie comptent dix*huit ouvrages ^ parmi 
lesquels nous remarquons : Mémoires et Matériaux pour l'histoire^ 
particulièrement pour celle du dix-liuitiéme et du dix-neuvième 
siècle^ parle D/ Schneidawind , deuxième livraison, relative à la 
guerre de 1 809 ; -— Histoire de l'émigration de 4o^ooo Arméniens^ 
qui en 1828 quittèrent la province persane d'Aderbaidschan pour 
s'établir en Russie y traduite du russe et de l'arménien par G. F« 
Neumann ^ professeur à Munich. Dans une introduction l'auteur 
promet une histoire de la littérature arménienne. ^- Une version 
allemande de l'Autobiogiaphie latine de Pietro d'Angelis ^ par 6. 
Vogel; — la Vie de Jean-Henri Voss , par H. Dœring; — deux 
Ecrits sur Gaspard Hauser^ l'un de son confesseur le pasteur Fuhr» 
mann^ l'autre du docteur en médecine Heidenreich. 

Parmi les cinq publications relatives à rEcoNOMiK politique sq 
trouvent l'Annuaire statistique^ principalement de l'Allemagne 
et spécialement de la Prusse ^ par le D.^ F. B. Weber, professeur 
à Breslau ) •>— sur les finances du royaume d'Hanovre , par le con« 
sellier Ubbelohdé* 

' Il jr a onze ouvrages de Philosophie. Nous remarquons : Essai 
d'une histoire de la philosophie moderne^ à commencer par 
Descartes^ par le D.' J. Éd. Erdmann, tome I.*% section I.'* (ren- 
fermant l'exposé et la critique de la philosophie de Descartes , 
avec une introduction générale, selon les idées de Hegel) ^-.- 
Sysieniatis Leihniizianij in philosophia maxime y etc., par Thomsen 
de Schleswig; ..^ Jacobi et la philosophie de son temps , par le 
D.'^ Kuhn, professeur à Giessen^ -*«un Précis de logique ana« 
Jjlique, par le professeur Tweslen, de Kiel. — -Le quatrième vo- 
lume de la seconde édition du Dictionnaire philosophique du 
professeur Krug. Les additions ont été imprimées aussi séparé- 
ment pour servir de volume supplémentaire à la première édi- 
tion. — La Doctrine philosophique secrète sur l'immortalité de 
l'individu humain (selon le système de Hegel) y par le professeur 
Weisse de Leipzig ; — Têtes de Janus {JanusîcVpfe) pour la phi- 
losophie et la théologie 9 par A. Giinthcr et J. H. Pabst (ouvrage 
de deux prêtres fort instruits^ destiné à combattre le panthéisme 



BULLETIN BIBLIOGHAPHIQIJE* 89 

isecret de la philosophie de Hegel) ; -— Campagnes esthétiques^ 
par le D/ L. Wienbarg (nous examinerons ce livre prctenlieux); 

— TAnie humaine ^ considérée sous le rapport moral et physique 
[Darsiellungdes menschlichen Gemiithes), par leD/ Ton Lenhossek, 
ancien professeur de phjsiologie, deuxième édition. 

Parmi les quatre ouvrages de Mathématiques nous trouvons la 
traduction de la Théorie analytique du sjsleme universel de M. 
de Pontécoulant^ par le D/ J. 6. Hartmann. 

Il a paru trois écrits seulement relatifs aux Sciences ipIiysiques : 
la suite de la traduction du Manuel de géologie de Gh. liyell» 
professeur à Londres ^ par le D/ Ch. Hartmann; — le cinquième 
Tolnme de la traduction allemande des Œuvres du botaniste an* 
glais Robert Bro^n 9 par le D/ Nées von £senbeck ; — la troi- 
sième édition du Manuel de botanique du D.' J. Ch. Mœssler^ 
avec une flore de rAUemagne et des additions, par Reichenbach, 
directeur, du jardin des plantes de Dresde ^ deuxième volume, 
deuxième partie. 

On annonce deux ouvrajges sur les Bbaux-^Arts : un Précis de 
géographie artistique de l'Europe, par Ch. Kruse; et l'Art de 
devenir connaisseur en trois heures (Anhitung zur Kunstkenntr^ 
schafi^ etc. ^ écrit évidemment satirique) , par M. Detmold, avocat 
à Hanovre. Sur les trois ouvrages qui se rapportent à la science 
du Commerce, aucun ne mérite une mention particulière. 

Parmi les trente-un ouvrages consacrés à l'ëducatiok de' la jeu- 
nesse, nous distinguons: un Manuel de gymnastique {dàsGanze 
^r Gymnastik), et un Traité de gymnastique pour les jeunes 
filles^ par J. A. L. Werner; — un Discours du professeur Schiivarz 
de Heidelberg sur Féducation nationale {unsere Naiionalbildung) ; 

— la Première instruction des sourds-muets, par C. G. Reich, 
directeur de l'institut des sourds-muets de Leipzig; — la Connais- 
sanee de la Bible {Bibeîkundé) pour les écoles populaires, par le 
D/ Rettig d'Hanovre ; — un Mot sur l'instruction populaire su- 
périeure {einige Worie uher hohere Voïksbildung)^ par le D.' 
Wacgner, instituteur à l'école réelle {Realschulé) de Darmstadt; 
— Directions pour les exercices de logique et de grammaire (An' 
leitung zu Denk" und Sprachiihungen) , par Grassmann , deuxième 
édition; — quatrième Rapport du comité d'administration de 



QO 3VLLETIN BIBLIOGKAPHIQI^E• 

récole des sourds et muets, fondée à Hambooig le 28'Mai 1817; 
w. Indications [Andeutungen) sur les écoles de dimanche et in- 
dustrielles , sur les bibliothèques populaires , etc. 9 par Preusker; 
-<— TEcole des petits enfans {^die Khinkinderschide) j par le pro- 
fesseur Schuch de Heidelberg^;.— TAmi des enfans saxon ^ par 
Tr. Otto, quatrième édition; — Ferdinand , ou histoire d'un 
jeune comte d'Espagne, par l'auteur des Œufs de Pâques; — 
Précis de toutes les connaissances nécessaires et usuelles pour les 
écoles primaires, par Gutbier, tome I.^, comprenant la phjsique, 
la géographie, l'histoire naturelle et la technologie; — l'Ami des 
enfans , d'après Rochow , parSchlez, quatrième édition. 

Les ouyrages inscrits sous la rubrique de Langue et de Belle- 
Littérature Allemandes sont au nombre de trente* quatre. Les 
plus remarquables nous ont paru : le Maréchal-ferrant de Jûter- 
bock, d'après une ancienne tradition populaire, en 45 romances, 
par F. Krug de Nidda ; — Garrick i Bristol , comédie en quatre 
actes et en yers , par Deinhardstein , de Vienne : cette pièce a été 
représentée sur les principaux théâtres de l'Allemagne, traduite en 
anglais par Hoare , et en danois par Œhlensohls^er ; — le Trésor 
des Nibelungen {der Nibeïungen Hort) , tragédie en cinq actes par 
Raopach; *- Robert le Diable, drame romantique en cinq actes 
par Raupach (on a dit de ce drame que c^est llias post Homerum); 
— le Roi Éric et les Proscrits, tableau de moeurs des dernier^ 
jours du treizième siècle, traduit du danois de B- S. Ingemann^ 
trois volumes. 

Sons la division Langues et Littératures étrangères notis troU" 
Tons annoncés vingt articles, parmi lesquels nous faisons reraur- 
quer : une Grammaire grecque moderne, par G. Ràssiadis, pro- 
fesseur de langue grecque à Vienne; une édition en ui| volume 
des Œuvres poétiques de Milton , et une autre' en un volume aussi 
des Poèmes d'Ossian*Macpherson , publiées par le libraire Flei- 
scher de Leipzig. 

Le Répertoire indique en6n vingt^deux journaux et ouvrages 
périodiques. Nous attendrons que cette liste soit plus complète 
pour en donner un extrait raisonné. 



BULLETin BIBLIOGRAPHIQUE. S^ 

PHIIiOSOPHIE. 

Hegel ^ Sendschreïben an dcn Prof essor der PhilosopUey 
Herrn C. F. Bachmann in Jena^ von Doktor C. Rosen^ 
kranzj etc. : Hegel, Lettre au D/ C. F. Bachmann , pro- 
fesseur de philosophie à léna, par le D/ C. Rosenkranz^ 
professeur de philosophie à luniversité de Kœnîgsberg. 
Kœnjgsberg, chez A. W. Unzer, 1834, 140 pages in-8.* 

Gomme tous ceux qui dans leur carrière de littérateur ou de 
«savant ont déyeloppé des idées qui leur étalent propres , et placé 
leur Dom à la télé d'un système nouveau , le philosophe Hegel 
de Berlin a eu ses disciples ^ ses partisans ^ et aussi ses ennemis 
et seé détracteurs. Le combat avait commencé pendant sa vie^ 
il se continue après sa mort^ et de temps en temps il se rompt 
encore quelques lances^ soit pour ^ soit contre ce nouveau s)'sième 
philosophique. Je dis, nouçeau, et à dessein ; car dans le domaine 
de la philosophie rAUemagne Toit tous les jours éclore quelque 
création qui diffère essentiellement des précédentes* Aussi n*jr 
-^•Uli rien de plus difiicilé a acquérir qu'une connaissance com- 
plète de la philosophie allemande; on peut presque dire qu'il y 
a autant de systèmes que de volumes ^ et^ à cause de cette diversité 
même, il n'j a point d'école philosophique qui se perpétue long- 
tonps par une filiation non interrompue de disciples et par 
l'uniformité de ses doctrines. Dans cette branche des connaissances 
humaines comme dans bien d'autres, l'écnyain allemand, en 
prenant la plume, s'imagine trop souvent, ou qu'on n'a rien fait 
avant lui , ou que ce qui a été produit est incomplet, défectueux, 
par conséquent a refaire. Pénétré de cette idée, il se met à l'ou- 
nage, commence avec le déluge, inrente un système, et le pour- 
suit jusqu'au moment où il écrit. Anssi, bien que les philosophes 
allemands se rattachent de loin, les uns à Kant, les autres à 
Fichte, d'autres à Schelling, d'autres enfin à Hegel, etc., on 
ne peut pas dire qu'ils forment école dans le sens strict et ab- 
Boltt du mot ; car la plupart du temps ils n'ont de commun avec 
leurs devanciers que quelques idées générales, qui affectent plutôt 
la forme que le fond. Chacun d'eux a une terminologie spéciale, 



gl BULLETIN BTBLtOGRÀPHXQXJS. 

des divisions particulières ; aussi ^ avant d'étudier lin philosophe 
allemand , faut-il d'abord faire connaissance avec son vocabulaire. 

£n i833 , le professeur Bachmann de léna fit paraître un livrof 
qui avait pour titre : Du système de Hegel, et de la nécessité tTune 
réforme dans la philosophie*» Dans cet ouvrage il attaquait avec 
virulence et quelquefois même avec un ton assez acerbe le sys- 
tème de Hegel 5 et faisait à ses doctrines de nombreux reproches, 
dont quelques-uns prouvaient qu'il ne les avait pas suffisamment 
étudiées. Les partisans et les disciples du professeur de Berlin ne 
pouvaient se taire lorsque leur maître était ainsi mis en cause^ Le 
gant était jeté^ il fallait le relever. LeD.' Rosenkranz , aujourd'hui 
l'un des plus savans et des plus actifs soutiens de la philosophie 
h^[élienne*; se chargea de répondre dans l'ouvrage que nouf avons 
annoncé plus haut. Dans sa lettre au D.' Bachmann, il le suit 
chapitre par chapitre, page par page, pour ainsi dire pas à pas, 
rapproche avec up-art infini une foule de passages empruntés 
aux difTérens ouvrages de Hegel , et poursuit son adversaire sans 
pitié et avec une grande force de logique depuis sa préface jus- 
qu'à la fin de son livre. 

Nous sommes trop peu familiarisé avec les divers et innom- 
brables systèmes de la philosophie germanique, pour nous per- 
mettre de prononcer dans cette polémique, et encore moins pour 
donner une appréciation des différentes doctrines. Notre but, en 
écrivant cette notice, est uniquement de recommander ce nowel 
ouvrage du professeur Rosenkranz à ceux qui se sont occupés de 
la philosophie allemande , et surtout de celle de H^l. Bien qu'on 
puisse quelquefois lui reprocher quelques longueurs, ils ne pour- 
ront le lire sans fruit pour leurs éludes , car le livre est souvent 
un commentaire des doctrines du professeur de Berlin; tout en 
les défendant, il les explique avec clarté, et ne laisse jamais 

z Ueber HegeTs System und die Nothwendigkeit einer noefanàH^en Umgêsialtw^ 
der Philosophie, von Doktor C. F, Bachmann. Leipzig, z833, 8.% VI taid 32% S. 

a Le DJ Rosenkianz était anparavant ytotbueut extnordinairs à l*amTenité i» 
Halle. Aa semestre d'hiver i833 — z834 il a été appelé à KfmigsberB pour y rem- 
placer M. Herbart, qui est aujourd'hui unanimement regardé comme le premier philo- 
sophe de l'Allemagne. La position du D.' Rosenkranx, comme l'un des principaux 
b^liens, donne encore à son ouvrage , sous le rapport de la doctrine, plus d'iffl- 
-porunct et d'autorité. 



• BtJLLETIH BIBLIOGRAPHIQUE* ^i 

passer, sans éclaircissemens^ ni sans justification , les nombreuses 
citations qu'il emprunte aux ouvrages de son maitre. Une con- 
Daissance profonde des philosophes allemands ^ dont on trouve 
souvent des passages entiers^ offre au lecteur une utile occasion 
de pénétrer plus avant dans la science allemande ^ et le fami- 
liarise peu a peu et sans fatigue avec les difTérens sjstémes. Gcr 
B*est pas un des moindres avantages de ce livre , qui ^ nous n'en 
doutons pa^y sera lu et consulté par tous ceux qui voudront ac- 
quérir une connaissance intime de la philosophie germanique. 

^ L. N. 

GÉOGRAPHIE MII.ITAIRB* 

Handhuch der MiUtâr-Geographie: Manuel de la géographie 
militaire ou statistique de l'Europe , particulièrement par 
rapport à Fart de ta guerre , de M. le baron de Malchus. 
Heidelberg et Leipzig^ chez Charles Groos; deux volumes* 

Dans un temps où les arts et les sciences ont fait de si éton- 
Bans progrés, l'art militaire ne pouvait rester en arriére; aussi ^ 
depuis les guerres de la révolution et de l'empire» nous avons va 
paraître un plus grand nombre d'ouvrages appartenant à cette 
branche de la littérature, qu'il n'en avait été publié encore de- 
puis l'invention de l'imprimerie. 

Dans tous ces ouvrages il a été traité fort au long de la stra- 
t^ie,de la tactique, de l'histoire militaire et de toutes les sciences 
auxiliaires; mais on a singulièrement négligé de s^jr occuper de 
la géc^aphie sous le point de vue militaire. On en est même 
encore à discuter sur la définition d'une géographie militaire, et 
le seul ouvrage de ce genre, digne d'être cité, celui qui a été 
adopté dans l'école militaire de Berlin, ne mérite guère ce nom. 

Tandis que les uns prétendent qu'un tel ouvrage doit contenir 
la desciiption du terrain sous le rapport stratégique, les autres 
disent que de telles notions appartiennent seulement à un traité 
de pure stratégie. 

Suivant notre opinion à nous, une géographie à l'usage des 
militaires qui ont déjà des connaissances géographiques élémen- 
taires, doit présenter : i* des notions ojographiuques et topogra- 



94 BULLETIN BIBLTO(3.AÀPBIQtrK« 

phiques assez délai li^es pour donner une idée exacte de la super- 
ficie des différentes contrées; 2.® des renseignemens statistiques 
sur les forces productiyes et militantes de chaque pajs; 3.® des 
données militaires et stratégiques sur la composition et la force 
des armées 9 ainsi que ^ur l'importance militaire des differens 
États; 4*^ <ics notions historiques militaires. 

Il était réservé à M. de Malchus ^ ancien ministre des finances 
de Westphalie et de Wurtemberg , qui y par ses outrages sur la 
science financière et la liante économie politique^ s'est déjà fait 
un nom très-distingué dans le monde scientifique; il appartenait^ 
disons-nous, à M. de Malchus de faire le premier un ouvrage qui 
méritât véritablement le nom d'une géographie militaire. Les faits 
étant toujours les meilleurs argumens^ nous nous contenterons 
de donner à l'appui de notre assertion un court aperçu de son 
ouvrage ^ dont on reconnaîtra facilement )a haute portée. 

Le livre de M. de Malchus se compose de deux volumes : le 
premier traite uniquement de la description des montagnes et 
des fleuves; le second contient la statistique et la topographie 
des differens pajs. 

D'après le système suivi par M. de Malchus dans le premier 
Tolume^ sjstème dont le célèbre géographe Ritter a le premier 
conçu l'idée^ la description des montagnes nous fournit non pas 
une simple nomenclature des différentes chaînes , qui souvent 
n'ont aucun rapport entre elles ^ mais une image vivante de la su- 
perficie de ces grandes étendues de terrain qu'embrassent les 
opérations militaires. M. de Malchus donne d'abord un tableau 
pittoresque et exact de la grande chaîne continue qui couvre le 
centre de FËurope; ensuite il décrit les chaînes intermédiaires ^ 
telles que les Cévennes 9 les Vosges et la Forêt-Noire; puis les 
chaînes qui sotis differens noms' occupent le centre de l'Alle- 
magne ; enfin il arrrive aux chaînes détachées du grand système^ 
qui se trouvent en Espagne ^ dans la Grande-Bretagne, en Scan- 
dinavie, dans la Sarmatie et sur la presqu'île de Tauride. Pour 
rendre ce tableau encore plus précieux ^ l'auteur a scrupuleuse- 
ment indiqué les routes avec tous leurs embranchemens , les dé- 
filés et les vallées des fleuves qui traversent chaque chaîne. Ct* tte 
méthade est la. seule qui conyicnne à ua ouvrage de ce genre: 



BTILLETIN BIBLIOGRAPHIQUE* ^5 

appliqnëe d'ane manière aussi ingénieuse que Fa fait M. de MaU 
chosi elle assure d'avance à son livre le plus grand succès. 

La seconde partie du premier volume offire le système hjdro* 
graphique de r£urope; les fleuves jr sont rangés d'après les mers 
et les lacs où ils se jettent. Cette partie aussi présente le plus 
grand intérêt^ surtout aux militaires^ par l'exactitude avec laquelle 
l'auteur décrit les bords ^ la largeur ^ la profondeur, la longueur, 
le cours des fleuves; plus les différens endroits de passage et les 
têtes de pont qui les protègent. Cette description est précédée 
d'ane théorie très-essentielle, dont l'objet est de faire jconnaitre 
la profondeur et la largeur des fleuves suivant la hauteur de l'eau* 

Le second volume , consacré à la statistique et à la topographie 
des differcns pays de l'Europe, est subdivisé dans les chapitres 
saivans: grandeurs, irontfèfes, nomenclature des montagnes et 
des fleuves, canaux, division de la superficie suivant les diffê^ 
rentes sortes de culture; population; énumération très-détaillée 
et très-exacte des produits naturels et industriels; notions pré» 
cieuses sur le commerce; institutions scientifiques avec leur oi^a» 
nisation et leur but ; description très-circonstanciée des armées 
de terre et de mer suivant leur force numérique , leur composition 
et leur mode de recrutement; fabriques d'armes; haras; admi-* 
nistrations et établissemens militaires. Dans ce dernier chapitre il 
est question de tout ce qui a rapport à l'organisation militaire 
des États de l'Ëaropey et c'est cette partie de l'ouvrage, traitée 
avec une rare conscience , qui renfetme des renseignemens pré* 
cieux , non-seulement pour tout militaire, mais pour tous ceux 
qui s'occupent de politique. Après les matières que l'on vient de 
désigner , M. de Malchns s'occupe de l'administration et du mode 
de gouvernement de tous les Etats. Enfin il complète ses rensei- 
gnemens topographiques, en indiquant les villes les plus impor* 
tantes avec les routes qui j aboutissent, et en rappelant les souvenirs 
historiques militaires qui se rattachent à chacune de ces localités. 

En ce qui concerne le dédale des petits Etats allemands^ l'au^ 
tenr fait preuve d'une grande ssigacité, en les groupant dans sa 
description par masses, dont la première, celle du midi , se com- 
pose des Etats situés entre la Suisse, le Fichielgebirg , le Rhin 
et la forêt de la Bohème; la seconde, celle du milieu, est formée 



^6 BtJLLETIK BIBllOailÀPHiQtlÊé 

des Etats qui se trouvent entre le Meîn et la Prusse.; enfin la troi-* 
siéme^ celle du nord^ réunit le Hanovre et tous les autres petits 
Etats cernés par la Prusse. Cette division du territoire est trés- 
ingénieuse , non-«eu]ement parce qu'elle est basée sur des considé- 
Jations stratégiques ^ mais aussi parce qu'elle correspond parfaite- 
ment a la manière dont on a classé les petits Etats de rAllemagne 
relativement à Forgani^tion de l'armée fédérale en corps d'armée. 

Ce court aperçu isuiïira sans doute pour faire apprécier le haut 
intérêt que présente l'ouvrage de M. de Malcbus. L'esprit con- 
sciencieux qui a présidé à son travail^ les nombreuses^ nous 
serions presque tenté de dire les innombrables sources authen- 
tiques que l'auteur a consultées ^ et qui, toujours citées par ]ni^ 
donnent à cet ouvrage le caractère d'un véritable guide dans la 
littérature de. la statistique et de l'économie politique ; toutes ces 
considérations^ jointes à la grande renommée littéraire dont jouit 
l'illustre auteur^ font de ce livre une autorité puissante en matière 
de statistique^ et expliquent le brillant succès qu'il a en Alle- 
magne. Nous sommes persuadé que, traduit dans une langue 
aussi répandue que la langue française , il aurait bientôt une 
réputation européenne. — Nous aurions désiré que l'auteur eût 
traité. dans le second volume de tous les États de l'Europe d'une 
manière aussi détaillée qu'il y a traité de l'Allemagne , et nous 
attendons avec impatience la seconde édition de cette géographie, 
qui, selon la promesse de l'auteur, ne doit plus offrir cette lacune. 
Du reste, cette lacune concernant principalement la France, qui est 
suffisamment connue des militaires de ce pajs, elle est d'une faible 
imporlance pour nos compatriotes. — Peut-être que dans cette 
seconde édition M. de Malcbus consultera avec pliis de soin qu'il 
n'a pu leÊEiire, les mémoires de nos grands capitaines, pour s'j^ étendre 
plus largement sur l'importance militaire des chaînes de montagnes 
et des fleuves, dans le cas d'attaque ou de défense d'un pajs. 

Nous terminerons cette esquisse en faisant ressortir tout l'a- 
vantage que procure la dirision de l'ouvrage en deux parties 
séparées; en effet, l'une de ces parties, étant exclusivement con- 
sacrée à faire connaître la configuration de l'Europe , consen'era 
toujours sa valeur , quel que soit l'état politique de cette partie 
du monde. Auguste DEiiMLes. 

LEYRAULT, édittur-propriétaiie. 



"V ■ TT- 



JUIN 1834- 



TOlfS II* 




»éÉ» 



xtUuhtt 



TftÀGSDiS tH VK ACtl. 
TRADUITE DE MICHEL BEEA» 



PERSONNAGES. 

Gadbi^ le Paria. Benascaa. 

Maja^ sa femme. Un Bbamins. 

LbUA BRrAMT. Ln>IEII9* 

(Le tliéÀtra représente la paairre cabane dtt Paria.) 



PREMIÈRE SCÈNE. 

GADBI. MAJA. 

(Gadki est occupé à fermer (wec des nattes de joncs et 
des branches d*arbres quelifues out^ertures de sa cabane* 
On entend gronder le tonnerre^ et Véclair luit.) 

MAJA (at^ec effroi). 
Mon enfant !..•• (EUe court dans une chambre voisine 
^ retdent at^ec plus de calme.) 

GADHI* ^ 

Ma bonne femme^ notre enfant dort-il? 

MAJA. 

n dort. Mais écoute comme Forage mugit, comme la pluie, 
tombe avec fracas. Ce que la faible main des hommes cons- 
truit, pettti)ieii pétre tout à l'heure quun travail inutile. 



XOO LE PA1IIA. 

GADHI. 

J ai fermé aussi biea que possible cette ouverture. Ce 
vieux bananier contre lequel notre demeure s'appuie^ nous 
donne un toit assuré. Sa tête grise a déjà plus d'une fois 
enduré le sillon flamboyant de l'éclair. Le tonnerre roule im- 
puissant autour de lui. Je n ai pas peur. 

MAJA. 

Oh! que si du moins je pouviiis être forte comme toi! Si 
aucune faute ne me pesait sur le cœur. Ton noble regard, 
qui peut sans crainte descendre dans les chastes profondeurs 
de ton ame, peut aussi voir sans crainte la face obscure du 
ciel. Mais moi, je tremblé quand le sol tremble, et comme 
lorage agite de toute sa force ces rameaux, une pensée qui 
ne s'endort jamais, agite aussi mon ame coupable. 

GADHI. 

Ma bien-aimée ne t'accuse pas. Qui donc oserait se dire 
pur, si tu jettes ainsi toi-même le blâme sur ta noble exis- 
tence? Non, ce n'est pas ce que tu appelles ton crime qui 
te fait trembler devant les coups de tonnerre^ non, je ne te 
souhaite pas le triste courage qui m'anime. Le malheur a jeté 
lui-même dans les landes sauvages de ma vie le germe de 
ce fruit amer. Les larmes sont sa rosée, et c'est à travers 
la douleur qu'il grandit pour me donner un jour sa jouis- 
sance empoisonnée. Hélas, je ne crains pas ces ravages de 
la foudre qui menacent également chaque créature, je ne 
crains pas cette force ouverte. Exilé des routes ordinaires de 
la vie, chassé hors du courant qui entraine le mondé, j'aime 
à errer dans les ténèbres des forêts, là où la panthère et 
Thyène se sont fait un repaire sanglant. Je ne crains ni les 
hauteurs escarpées du rocher, ni le voisinage du tigre; mais 
je me sens saisi de terreur quand le son de la trompe m'annonce 
rapproche efiroyable de l'homme. L'arc est tendu, la flèche 
part, et me déchire les entrailles; le chasseur pousse un cri 
de joie, car Brama spprit quand un Paria tombe mort. 



LC PARIA. loi 

UkJJu 

Gadhi*..* Mon Dieu, arrête donc le bruit de la foudre! 
Ta colère est efiroyable. 

6ÀDHI. 

EfiSroyaLle! Pleure j pleure, malheureuse femme, et re- 
mercie encore le Ciel de ce qu'il ta laissé les larmes; moi, 
je n'en ai plus* Mon existence n'est qu'une longue lamenta*^ 
tion, le cri du ver de terre frappé d'une étemelle malédic^ 
tion et qui rampe péniblement, tandis que les- autre» créatures 
voltigent joyeusement aux rayons du soleil. Laisse , laisse 
tomber les larmes du souvenir. Une fois aussi tu as connu 
le charme de la vie, car ton enfance a eu de beaux joifrs. 

ICAJA. 

Ah ! je ne regrette pas ces jours qui sont passés. Tu m'as 
sauvé la vie, elle est à toi, et si seulement je pouvais te 
voir tranquille, penses-tu que je m'abandonnerais à de tek 
regrets ? Que m'importe l'opulence et les biens de ce monde? 
Le cœur de la femme ne connaît qu'une félicité dans ce 
monde, c'est d'aimer et de se savoir aimée. 

GÀDHI. 

Oh ! mon amour est une misérable félicité ; car je suis le 
rebut de la société. 

MAJA. 

Toi?.... 

GADHI. 

Oui, m(n, et l'enfant que tu allaites, et qui un jour, cour- 
bant le front sous le poids de l'oppression , maudira amère-* 
ment l'existence que nous lui avons donnée. Si ta voix est le 
tonnerre, ô Brama, si ton nom signifie clémence et justice, 
réponds; pourquoi veux-tu poursuivre d'une haine étemelle 
la malheureuse race à laquelle j'appartiens? parce qu'une fois, 
dans des temps lointains, un Paria refusa de te rendre hom- 
mage, et se moqua du Dieu qui, pour éprouver la terre. 



/ 



lOa LE 1»AIIIA. 

apparut en voilant sa gloire ; les prêtres enseignent encore 
que notre race est maudite , et que le Ciel éloigne de nous 

sa grâce. 

Non, non! Le chef-d'œuvre de la création est un coeur 
qui pense aussi noblement que le tien. Le Créateur ne peut 
pas te maudire* Les pr(êtres mentent. 

GÀPBI. 

Oui, Map, il$ mentent, et si je pe le -otoym pas, j'aurais 
donc une foi mensongère en ce}ui auquel ils offrent comme 
un sacrifice leurs mensonge^. Brama est juste est bon. Son 
regard ne rayonne-t-il pa^ sur nos riches récoltes? Sa main 
n a-t-elle' pas entrelacé les branches du bananier? N est-il pas 
le père de notre mère étemelle , de notre belle et généreuse 
nature? Sa loi nous ordonne d aimer et d'être indulgens, sa 
loi doit réunir par les liens de lame ceux auxquels il a 
donné la même empreinte extérieure, la même image. Dans 
son empire il n y a rien d'étranger et rien à dédaigner. La 
vaste mer ne rejette pas l'humble goutte d'eau que les nuages 
lui apportent ; elle la reçoit dans son sein et la promène dans 
ses vagues d'argent. L'homme seul repousse d'une main té- 
méraire les lois qui lui sont prescrites , et il appelle croyance 
sa folle présomption. Mais Brama sourit, pardonne, et se 
plonge dans la lumière de Timmortelle vérité jusqu'à ce que 
le jour arrive où nous verrons la science se séparer de l'erreur. 

MAJA. 

C'est ainsi que je veux te voir, mon Gadhi. Il ne te 
manque que les choses périssables de ce monde. Les vrais 
biens de la vie t'appartiennent à jamais. N'as-tu pas ta gé- 
néreuse croyance, et mon ame fidèle qui croit, pense et 
souflre avec toi? 

GADHI. 

Ce sont là deux trésors de grand prix que j'ai trouvés 
dans la misère. Leur édat reluit sur mon chemin obscur, et 



LE PA&IiU 103 

leur possession doit me remplir le cœur. Mais je suis hoimne, 
et comme tel il me faut autre chose. Je sens dans ma poi- 
trine la force qui a besoin d'agir. Ne puis-je donc pas être 
homme parmi les hommes? Hélas, je demande si peu! si 
peu! Ils caressent leurs chiens et leurs chevaux, et nous re- 
poussent avec effroi, comme si la nature ne nous avait donné 
que les masques de la figure humaine. Mettez-iùoi donc à 
votre niveau, et vous verrez si je vous ressemble. J'ai une 
patrie, je veux la protéger. Donnez-moi donc une vie, je 
vous la paierai avec usure là où les dangers de la bataille 
demandent impérieusement que l'on se sacrifie. Déjà je me 
vois jeté au milieu du combat, je brave la mort, je m'élance 
à travers les glaives et les flèches. En avant! suivez-moi. 
Suivez-moi. Voyez cet enfant qui marche à mes côtés. C'est 
mon fils. C'est mon fils. Regardez comme il jette le dard, 
son ennemi tombe. Bénis donc mon fils, ô patrie, il a com- 
battu pour toi, et pour toi son père est mort. 

MAJA. 

Non, demeure. Ne m'abandonne pas. Tu ne peux partir, 
et quand tu le pourrais , tu ne le devrais pas. 

GADHI. 

Qu as-tu donc Maja? Qu'elle idée te vient? 

MAJA. 

Oh malheur! 

GADHI. 

Tu te laisses, effrayer par un rêve? Je suis uû Paria, et je 
ne puis pas combattre pour ma patrie. 

SSAjA. 

Ah! ce n'est pas un rêve .... c'est la réalité qui me touiv- 
mente .... je tie puis me taire plus long- temps, je ne sais 
qu'elle* sinistre appréhension, quel vague pressentiment me 
saisit! 



104 l'E PÀfilAf 

GADBI. 

Parle. Parle. 

MAJA* 

O tremble, mon bien-aimé, et pardonne-moi. Cette en- 
ceinte de rochers qoi environne notre demeure 



.... 



OADBI. 

Et que je t'avais défendu de franchir •••• 

MÀJA. 

Je Tai franchie. ••• 

GADBI (aç^ec anxiété)n 
Et l'on t'a vue?.... 

(Majajait en silence un signe affirnuitif. Gadhi se cache 
le visage dans ses mains.) 

MAJA. 

Il y a à peine six jours ; j'allai dans notre petit jardin 
pour chercher des fruits, et j'avais laissé notre enfant endormi 
sur sa natte. Lorsque je reviens, la cabane est vide, la natte 
vide, l'enfant est loin. En vain je le cherche dans la vallée, 
en vain jç l'appelle, l'air ne nie renvoie d'autre sqn que 
celui de mes gémissemens. La terreur s'empare de moi , je 
monte au-dessus du rocher, je regarde*. •• 

GADBI. 

Nous sommes perdus! 

MAJA. 

Nous? .... Mais demande donc k une mère ce quelle 
soufire, ce quelle désire, et si elle songe à la vie quand 
elle a perdu soù enfant. J'aperçois un sentier escarpé, je le 
parcours d'un pas rapide. J'arrive au-delà de cette enceinte 
sous une longue ligne de palmiers dont les rameaux couvrent 
le chemin. Je ne songe ni' à la fatigue, ni aux dangers; 
j'avance, et tout à coup je vois mon enfant, et auprès de 
lui un chasseur de la race des Rajahs qui faii donnait des 
fruits. Je m'élance, je prends mon enfant dans mes bras, et 



LE PAAIA. 105 

je ]e tiens serré contre mon corair jusqu'à ce qu^après ce mo- 
ment de. délire des larmes coulent en abondance de mes 
yeux. Cependant j'aperçois le regard ardent du'chasseur fixé 
sur moi. La peur me vient, je balbutie quelques paroles pour 
le remercier, j'emporte mon enfant, je yeux ftdr •••• mais lui, 
m'arrétant d'un bras vigoureux, s'écrie : «femme, ton aspect 
m'a causé une étrange impression, jamais je n ai éprouvé ce que 
j'éprouve maintenant. Qui que tu sois, il faut que tu me suives. ^ 

GÀDHI. 

L'entends-tu, Brama? 

:. Moi, je lui réponds : seigneur, mon époux m'attend avec; 
inquiétude, moi et mon enfant, et j'essaie encore de me dé- 
gager, tandis que lui me presse avec plus de force contre 
son cœur, en mé parlant de son amour. J'avais eu les an- 
goisses d'une mère, j'avais maintenant celles de l'épouse ; tout 
à coup j'aperçois une vipère des plus venimeuses qui lève 
la tête contre mon fils. L'amour matemel me donne une force 
de géant. Je m'arrache des bras de cet honmie fiirieux, je 
m'élance à travers les rochers, rien n'an*éte ma fuite, et 
quand, après avoir long-temps couru, je regardai derrière 
moi, le chasseur avait disparu sous les arbres de la foret. 

GÀDBI. 

Disparu? Si du moins il Tétait pour toujours? Si du moins 
ses farouches désirs ne lui faisaient pas découvrir le chemin 
de notre demeure. Je connais ces Rajahs, ils nous fuient 
comme la peste. Mais ils portent avec eux d'effroyables pen- 
chans , et peu leur importe qu'ils les satisfassent dans un 
palais ou dans la cabane maudite du Paria; 

MAJÀ. 

Qu'il vienne seulement! Qu'il tente d'approcher! 

GADHI. 

Dieu se venge souvent d'une manièi*e imprévue. Mais si 
cet homme s'en vient ravir au mendiant son dernier bien! — 



106 LE PAAIA. 

MAIA. 

Que la mort nous enlève notre bonheur , plutôt que de 
le livrer à <oet ^onime in£mie! 

GADBI. 

Ma femme^ ma bien-aimée! 

> 4 

MAJA (ai^ec effroi)» 
Écoute^ Gadhi. n entends-tu rien? 

6ADHI. 

J entends le roulement lointain du tonnerre. 

MAJA. 

Non •••• c'est pour moi un bruit plus effiroyable que celui 
du tonnerre. 

GADHI. 

. Le $on dune voix .••• écoute •••• des pas d'homme. 

F^oix du dehors* 
Ici. Icil J'aperçois de la lumière! 

MAJA. 

Nous sommes perdtis. Protège-nous^ grand Brama. 

GADHI. 

Cache-toi dans cette chambre. 

MAJA. 

Non, pas sans toi. 

GADHI. 

3e veux attendre ici. 

MAJA. 

' Non. L'aspect du malheureux Paria exciterait leur rage. 
Cache-toi. En regardant cette chaumière, ils verront bien 
qui l'habite, et s'ils ne t'aperçoient pas, ils s'éloigneront^ 
toute hâte. 

GADHI. 

S'ils s'étaient égarés? ...• 

MAJA. 

Ni le ciel en courroux, ni le désert, ni la tempête ne 



LB PÀAIA. i07 

peuTcnt les effrayer plas que ton approche. Sauvons-nous* 
Ils viennent. Ici nous serons en toute sûreté* 

GADBi (la saillant malgré lui). 
Quelle sûreté que celle de rignominiel 



DEUXIEME SCENE. 

(On entend du dehors un bruit confus y et plusieurs 
Indiens entrent Fun après Foutre dans la cabane^ 

UN nCDIEN. 

Voici de la lumière, et personne. Venez tous. Venez. 

Ujr. AUTRE. 

Nous sommes sauvés. 

PREMIER nn)TEN (aprks a^oir regardé autour de lui). 
Fuyons. Nous sommes perdus. C'est un Paria qui de- 
meure ici. 

DEUXIÈME INDIEN. 

Seeours-nous ^ Brama ^ secours-nous. 

(Tous y courant au dehors:) 
Un Pariai Un pariai 

PREMIER INDIEN. 

Retire-toi, seigneur. C'est ici l'habitation d'un Paria. 

BENAscAR (conduit par deuic Indiens^ blessé au bras droit 

et épuisé de fatigue). 
Laissez-moi, quand je devrais rencontrer l'esprit du mal 
lui-même, je ne puis aller plus loin, mon sang coule et mes 
forces m'abandonnent. 

UN INDIEN. 

Ta blessure te fait-elle soufinr, maître? 

BENASCAR. 

Elle brûle comme du feu. 



l'oB LE.PÀKIÀ* 

PABMIER nroiEif.^ 

La chasse était ardente et le tigre. furieux. 

BEKASCAA. 

i 

Le dard ne suâSisait pas, j'ai enfoncé dans ks flancs du 
monstre mon épée jusqu'à la garde. 

PREMIER nmiEN* , . 

Et il est tombé ••«• 

BEEfASCÀR. 

Pour ne plus se rdiever, j'espère. Mais à. présent allez et 
regardez en quel endroit la nuit obscure nous a égarés. Que 
la moitié de la troupe reste autour de cette cabane, afin de 
me garder de toute trahison, et que Vautre cherche un pas- 
sage à travers ces rochers. Et si un homme de race pure vient 
à vous oflGrir l'hospitalité, demandez-lui du Recours pour moi. 

PREMIER UTDlEZf. 

Veux-tu t'arréter ici ? 

BE9ASCÀR. 

Je ne peux aller plus loin. Mais vous ne devez pas à cause 
de moi vous souiller dans cette demeure. Moi-même je veux, 
à moins que la mort ne m'en empêche, me plonger neuf fois 
dans le fleuve saint, et durement expier le malheur que j'ai 
eu de reposer là où les maudits ont reposé. 

PREMIER INDIEir. 

Mais seul ici, seigneur, tout seul, abandonné ..•• 

DEUXIÈME nfPIEN. 

Malade et sans secours! •••• 

BENASCAR. 

Allez, vous dis-je, allez. Qiaque moment aggrave votre 
faute et me rend plus faible. Faites comme je vous ai dit. 
Je demeure ici. {Les Indiens sortent.) 



LE PÀ&IÀ. 109 

TROISIÈME SCÈNE. 

« 

BENASCiR (seul). 

SI tu Tas résolu, ô Brama, si la fleur de ma vie. doit se 
briser avant que de porter ses fruits, si le jour de ma mort 
approche, eh bien, (ju'il vienne ! Jamais je pe le redoutai au 
milieu des combats. Seulement, je te prie. Dieu tout-puis-* 
sant, ne me rappelle pas à toi dans ta colère, ne me laisse 
pas mourir dans la maison du Paria. — Oh, pitié I Conune je 
9oa£fre! Pitié! pitié! 

QUATRIÈME SCÈNE. 

GADHI. BENASCâK. 

GADHi (arrivant à pas lents). 
Ds sont tous loin, et cependant il me semblait encore 
entendre soupirer {apercevant Benascar et tendant tare). 
Ah! là ! .... un malade, blessé, sans défenseur.... Non, descends 
dans labîme, esprit de vengeance. Tombez, larmes de com- 
passion, et éteignez comme une rosée céleste le feu qui brûle 
ma poitrIne..é. Pardon, seigneur. 

• BENASCAR. 

Loin d'ici, monstre, loin d'ici! Reçois cela dans ton sein, 
ennemi de Dieu. (// lui lance son poignard^ (/ui tombe aux 
pieds de Gadhi.) 

GADHI (le relei^ant). 

Regarde, tu es si faible, si abattu, que cette arme de la 
haine, destinée à me faire mourir, devient entre mes maips 
un instrument de défense contre toi. 

BENASCAR. 

Oh! je t'écrase de ma main, si tu oses approcher. 

GADHI. 

N'aie pas peur. Tune tacheras pas ta main avec mon sang. 
Reprends ce glaive, et tu|e lliôte qui te donne un toit hospi- 



210 LS IPÀHIA. 

talier. (Benascar retombe épuisé.) Tu trembles et palis. La 
mort efface déjà sur tes joaes le feu de la colère. Oh! rede- 
viens bon, ne meurs pas sans me donner un regard de ré- 
conciliation. 

BENASCAR. 

Je vis encore. Veux-tu te moquer de moi ? 

GADHI. 

Me moquer? Je voudrais t'aider, si •... (/approchant de 
Benascar et regardant son bras). Oui, oui, je le vois. 
Grâces à Brama, tout n'est pas perdu. Je puis encore te sauver 
avec un baume que ma femme extrait des plantes salutaires 
de la vallée. Mais dans quelques instans il serait trop tard. 
Déjà ton sang se noircit. 

behascaa. 
Si tu peux me sauver, fais^le; 

GADHI (à part). 
La noblesse d*ame et la générosité ne changent point la 
nature vicieuse du serpent. Je veux arracher à la mort l'en- 
nemi de ma race. Si j'agis bien ou mal, je ne sais. Mais je 
dois suivre l'impulsion qui me presse et le cri de mon cœur. 
(// court dans la chambre.) 



CINQUIÈME SCÈNE. 

BENAscAa (seul). 
Q sort •••• et •••• (à haute voix) à moi, compagnons! 

J^oix du dehors. 
Seigneur! .... 

. BESASCAR. 

Soyez attentifs à mon appel. La trahison me menace. 
(On entend pour réponse un bruit d*épées qui s'entre^ 
choquent.) 



x,c rinu. lit 

SIXIÈME âCÈNE. 

{Gadhï conduisant Maja qui a la tête voilée^ et porte un 
plat ^t du Unge^) 

uuk {h Qadhi). 
A quoi songes-tu? si cet étranger était? .f. 

GJUDHI. 

Dieu frappe-t-il donc du même coup Imii^ocence et le 
crime? Non, je ne veux pas le croire ; non, ce ne sera pas 
lui. {A Benascar.) Re^rde, seigneur ,^ voici ma femme qui 
a d un regard attentif cherché les plantes médidnales dans 
la vallée. Elle va distiller le baume rafraîchissant dans tes 
blessures, et d^une main légère adoucir tes souffrances. 

BEIîASGAIl. 

Viens. 

MAJA (h part.) 

Cest lui. Juste Dieu, soutiens-moi. {Elle s'approche de 

Benascar^ qui est assis sur une chaise^ s'agenouille devant 

lui et lui bande ses? plaies,) 

benascah. 
Si la trahison conduit à présent votre main, misérables 
que vous êtes, si vous faites maintenant couler le poison 
dans mes plaies, apprenez que votre demeure est environnée 
par une troupe d'hommes qui vengera ce crime, et vous fera 
expier ma mort par une mort cent fois plus cruelle. 

* GADHI. 

Ne cherchez la trahison que parmi vous. Vous nous ap- 
pelez maudits, voyez à présent qui nous sommes. 

BENASGAR (à Mojà). 

Pourquoi trembles-tu? (Maja veut s'éloigner,) 

BENAscAR (lui prenant la main). 
Ce baume adoucit ma douleur. Mais je me sens fatigué , 
j'ai soif. Ah! donnez-moi 9iho\xe.(fiadhi se prépart à sortir,) 



lia LE PARIA. 

BEBrASCAR* 

Demeure malheureux, demeure. La boisson que tu m'ap- 
porteras ne peut me rafraîchir. La source où tu iras la puiser 
est maudite, et Feau pure et limpide se changerait dans tes 
mains en poison. Grâces aux Ciel, j'ai encore avec moi un 
fruit que j'ai cueilli dans la foret. Il me désaltérera. 

MAJÂ (hU arrachant le fruit). 
Arrête , ou tu es mort. Ce fruit est un poisou. 

RENASCAR 

Quentends-je! Quelle voîxl Oui, c'est elle, c'est cette 
belle et ravissante créature! Ote ton voile pour que je ren- 
contre encore ce regard qui, semblable au soleil dont les 
rayons portent la fécondité jusque dans le sein de la terre, 
a réveillé une nouvelle vie au fond de mon ame. 

GADHI. 

Que dis-tu donc, seigneur. C'est ma femme. 

RENA9CAR. 

Ta femme, nusérable, loin d'ici! A bas ce voile. 

MAJA. 

Gadhi, protége-moi, c'est lui. 

GADBI. 

L'étranger. 

MAJA. 

Malheur! malheur. C'esjt lui. 

RENASCAR. 

Tu me reconnais, et tu caches ton visage avec frayeur. 
J'ai toujours nourri pour toi un brûlant désir, et je veux te 
regarder encore , dût-il m'en coûter la vie. 

GADHI. 

Retire-toi, téméraire, cette femme est la mienne, et per- 
sonne n'a le droit de la toucher. La nature a donné des armes 
au plus faible des mortels , et ce bras sera pour toi comme 
une massue si tu oses avancer. 



tE FARI4. il3 

BENASCÀR. 

Tu me braves, lâdbe esclave* Eh bien, meurs! (// veut 
le frapper Of^ec'le poignard*) 

ICAJA. 

Arrête, tu veux encore me regarder. Regarde donc ces 
traits qai portent l'empreinte du malheur. Si la nature avait 
mis dans mes yeux la force meurtrière du basilic, je vou- 
drais anéantir la flamme impie que tu portes dans le cœur. 

BENASCÀR. 

C'est elle, et l'amour remplit maintenant mon ame. 

UÀJA. 

Demandes- tu de l'amour, toi! De l'amour, ohl apprends 
donc, insensé, que je te hais comme la nuit du péché. Et 
comme j'embrasse maintenant avec force mon bien-aimé, je 
suis à lui à tout jamais. Mon amour suivant les saintes lois 
de Brama, l'accompagnera fidèlement pendant la vie, et le 
suivra jusqu'à la mort. 

BENASCAR. 

Gomme cette rougeur que la colère te donne, et qui res- 
semble au crépuscule du matin, embellit encore ton visage 1 
Oh, que tu es belle! et avec quel sentiment irrésistible ne 
me sens-je pas attiré vers toi! Mais tu as juré de me haïr, 
tu repousses les hommages de l'homme libre. Eh bien, jeTob- 
tiendrai par la force, si ce n'est par l'amour^ je te choisis 
pour mon esclave. (^ haute voix,) Holà, compagnons! 

MAJA. 

Que veut-il faire ? 

GADHi (lei^ant les jeux au Ciel). 
Brama, maintenant l'heure serait venue de faire gronder 
ta foudre, et tu restes muet ! 



TOM£ II. 8 



114 X'B PARIA. 

SEPTIÈME SCÈNE. 

BENÀSCAR (aux Inàkus (fui entrmt)' 
Saisissez cette femme. 

PREMIER INDIEN. 

La femme du Paria? 

BENASCÀR* 

Qui de vous a munnuré ? Jç la prends pour mon esclave^ 
Partez. 

Atti(che-toi à moi fortement, plus fortement enoore^ 

BENASGAR (oux Indiens). 
Quattendez-vous ? 

GADHi (se jetant à genoux det^ant lui). 
Pitié! Je t'en conjure, je me courbe dans la poussière 
devant toi. Je t*ai rendu lamour pour la haine , et tu veux 
m'enlever mon seul amour. Tu entres dans la diaumière du 
pauvre, et c'est pour lui ravir son unique bien; car [e n'ai 
rien à moi dans le monde, rien que cette femme chérie. 

BENASGAR. 

Tu ne dois rien avoir, tu es un Paria. 

GADHI. 

Ah I si c'est là le seul motif qui te donne la force d'accom- 
plir ton oeuvre infâme , apprends donc... 

HAJA. 

Que veux-tu fidre? 

GADHI. 

Te sauver et mourir. Apprends que cette femme n'est pas 
de ma race. Laissez-la libre, esclaves, et tombez à genoux 
devant elle , en la priant de vous pardonner ; car elle est la 
fille d'un Rajah. 

BENASGAR. 

Quentends-je? 



L£ PARIA» ll5 

6ÀI>HI. 

La yérité, et la vérité tue. Car pareille à la flamme du 
volcan qui s'élance du sein de la terre long-temps silencieuse, 
la parole (jui vient de sortir de mes lèvres me condamne et 
me livre à la mort. 

BEHASCÀR. 

Parle! parle! quel horrible pressentiment m'agite? 

GADHI. 

Vous voyez cette femme (à Majà)^ 6, viens encore une 
fois sur mon cœur; oh! laissez-moi la presser encore une 
fois dans mes bras. 

MAJA. 

O mon bien-aimé! 

GADHI. 

Ma femme! Un jour j'eus le courage de te sauver, mais 
je me sens trop faible pour te perdre. (^ Benascar). Ma 
race est maudite. Là où de paisibles communautés s'établissent, 
où les maisons s'élèvent, où les hommes se rassemblent, là 
où l'on voit reluire le dôme sacré des temples, là il n'y eut 
jamais d'accès pour nous. Le jour ne m'avait encore trouvé 
qu'au milieu des forêts, au sein des cavernes obscures; ce- 
pendant je me sentais attiré vers les joies de la vie. Car mon 
cœur est humain, ainsi que ma figure, et quand la lumière 
perfide du jour faisait place à la nuit, je me glissais en trem- 
blant jusqu'auprès de la ville, et j'aimais à m arrêter dans ces 
lieux de repos où s'endorment enfin l'amour et la haine de 
l'homme. . . . Une fois .... 

MAJA. 

Malheur à nous! 

GADHI. 

Non, dis plutôt paix à nous! Nous n'avons eu que peu de 
temps à passer ensemble , mais ce temps fut fécond en amour. 
Une fois donc j'étais dans le cimetière. La nuit s'étendait calmé 
et majestueuse autour de moi, et sous mes yeux se déve- 



1 l6 LE PARIA. 

loppait^ aux rayoDS de la lune, notre magnifique Benarès. 
Le tumulte du jour avait cessé pour faire place à un profond 
silence ; Vair même ne passait qu avec un léger murmure sur 
le calice des fleurs. Seulement de loin, au-dessus des pagodes 
brillantes on entendait la prière nocturne des bramines, et le 
long de ses bords fleuris le Gange réfléchissait dans ses vagues 
d'argent Timage de Fétemelle lumière. Pour moi, je sentais 
au fond de mon cœur malade un sentiment inexprimable, une 
soif d amour et de pitié. Cette création , où j'arrivais comme 
un banni, était si belle! Tétais un étranger au milieu de mes 
semblables, et cependant toute ma haine était anéantie, toute 
mon ame était pleine d amour. Un torrent de larmes coula 
de mes yeux, et quand je regardai autour de moi, j'aperçus 
cette femme agenouillée sur un tombeau, dans l'attitude d'une 
profonde douleur. 

MAJA. 

Arrête. Les plaies de mon cœur saignent encore. Horrible 
souvenir! Cétait ma mère qui reposait dans ce tombeau. Mes 
parens moururent de bonne heure. On me maria à un vieil- 
lard auquel je restai fidèle non par amour, mais par devoir. 
Une maladie cruelle l'atteignit, et d'après nos terribles lois, 
la mort devait me réunir à lui. J'aperçus mon bûcher, je 
vis ma jeunesse condamnée dans sa fraîcheur à cet épouvan- 
table supplice, et toute seule, désespérée, au milieu de la 
nuit, j'allai pleurer sur la tombe de ma mère. Là je rencontrai 
Gadhi, un instant je me sentis efiiayée en songeant à sa race 
maudite. Mais la lumière de la vérité pénétra à travers ces 
obscures préventions. Bientôt, bientôt je reconnus la noblesse 
de son cœur, et comme la parole nous apporte avec rapidité 
l'expression des sentimens intérieurs, ainsi son regard me 
montra toujours plus clairement la pureté de son amour. 
Toutes les nuits il venait jeter de nouvelles fleurs sur le tom-. 
beau de ma mère, et moi, je recueillais en tremblant ces 
signes de son amour pour en parer ma tête le jour où je 



LE PARIA. 117 

devais mourir. Neuf nuits se passèrent ainsi. L'heure vint, mon 
époux mourut. 

BENAÇCJkR. 

Et toi, malheureuse, tu vis encore. 

GADHI. 

Horrible! De quoi lacciyes-tu? D avoir cédé à cette loi 
impérieuse, qui au fond du cœur lui commandait de vivre. 
Regarde ce qui se passe dans la nature. Quelle créature a 
jamais repoussé dans un fatal aveuglement les moyens de dé- 
fense quelle, portait avec elle? Elle arriva dans cette nuit 
comme une pâle image de la terreur. Ses longs cheveux dé« 
noués dans son désespoir entouraient comme une sombre 
couronne son visage. L effroi faisait battre, son cœur, et le 
vent rejetait en arrière la guirlande qu elle portait sur la tête. 
Son œil était froid, sec, sans force, et ses lèvres tremblantes 
muimuraient d'inintelligibles paroles. Elle m aperçut, et s'écria 
avec impétuosité : Mon époux est mort, et moi, bien-aimé, 
je dois mourir avec lui. {A Benascar.) Oui, secoue ton 
poignard, montre-moi la mort comme tu le voudras. Ce que 
j'éprouvai à ce cri de terreur, je ne l'éprouverai plus. Non, 
plus jamais. Pas un mot, pas un accent ne retentit dans cette 
nuit aflfreuse. Nous pleurâmes en silence sur le tombeau de 
sa mère. L'obscurité s'enfuit, le jour revint comme un joyeux 
enfant baiser avec ses lèvres rouges et brûlantes les larmes 
de la nuit. Nous seuls nous le regardâmes en pleurant. Et 
tout à coup nous vîmes s'élever une auti'e lumière sombre 
entourée de fumée, montant à travers les airs avec une cou- 
leur de sang. Le bûcher s'allumait, la flamme grandissante 
semblait appeler sa riche proie. Les chants lamentables des 
morts se font entendre. Les prêtrejs menteurs arrivent et bé- 
nissent d'une voix lugubre le féu qui va consommer le sa- 
crifice. Les femmes s'en viennent autour du bûcher en pous- 
sant des cris de joie, et avec leurs cheveux entrelacés de 
myrtes comme pour une fête; Nous les voyons s'approcher, 



1 l8 LE PÀRIÂ. 

et notre sang bouillonne avec force, puis se glace dans nos 
veines. Ma pauvre femme pâlit, chancela, et me cria: Pitié. 
Et moi, je lui répondis : Si un cœur plein damour et une 
vie pleine de misère te suffisent, je puis t'emporter avec moi. 
Elle leva les yeux vers moi et ne dit rien ; mais je sentis 
quelle avait assez de confiance j*enlaçai mes bras autour 
de son corps défaillant, et je larrachai ainsi aux flanuues. 
Après quoi elle fut à moi, ellç fut mon épouse chérie. 

BENASGÀR. 

Elle fut à toi, et Brama s'est tù ! Mais je ne sais quel pres- 
sentiment sinistre, pareil à un nuage épais, traverse mon 
ame. Dis-moi donc le nom de son père. 

MAJA. 

Ecoute, mon souvenir retourne de degré en degré à tra-> 
vers le cercle obscur du passé. Le pressentiment me menace, 
s'il est vrai, c'est la mort. O tais toi, mon bien-aimé, ne 
prononce pas ce nom. 

BENASCAR {à God/u), 

Dis'-le moi, ne dois-je pas connaître jusqu'au bout ce long 
et artificieux tissu dç fourberies? 

6ADHT. 

Eh bien! apprends que ma femme est la fille de Delhi- 
Benascar. {Benascar pousse un cri de douleur^ 

(Les Indiens se détournent ai^ec effroi. Maja se cache 
le visage entre ses niains,) 

GADHi (à Benascar). 
Autrefois si élevée] et à présent si misérable! et tu veux 
la plonger encore plus avant dans le malheur? Oh! notre 
fidélité te touche, je le vois, tu me semblés ému. 

BEHASCAE. 

Emu? C'est la rage qui arrête la parole sur mes lèvres. 
(^ Maja.) Misérable, parle, n'y a-t*il dont plus personne 



des tiens qui puisse te demauder compte de tes actions et 
venger l'honneur de ton père? 

MAJÀ. 

Que ââis-je. Mes parens sont morts il 7 a long -temps. 
Lorsque j'étais encore toute jeune y la guerre emmena bien 
loin mon seul frère, et depuis ce temps je ne Tai plus revu. 

BEVASClR. 

Si tu le revoyais? S'il venait tout à coup te dire : Femme, 
qu as-tu fait? Où est mon honneur, où est le nom sans tache 
de mes aïeux ? 

MAJA. 

Mon sang se glace.. •• 

BBNASCAR. 

Laisse-le prendre le froid de la mort. Parle, me connais- 
tu I Je sius ton frère. {Maja tombe à terre.) 

GADHi (h Benascar). 
Seigneur, c'est moi qui suis coupable. Tue-moi. 

BENASCAK. 

C'est ce que je veux faire. 

GADHI. 

Mais vite, avant qu'elle s'éveiUe. 

BE5ASCAR. 

Le conseil est bon. Que ce soit ta dernière parole! (JPetv- 
dant tjuUJlèife le poignard sur Gadhi^ Maja sort de son 
assoupissement,) 

MAJA. 

OÙ suis-je ? Malheur, les tombeaux me renvoient leur proie. 
J'aperçois la figure de mon père, pâle, courroucée .... c'est son 
esprit! .... Mon firère! oui, mon frèi*e! oh! comme ce nom, si 
doux à entendre prononcer, me serre le cceur! Mon frère, tu 
auras pitié de nous. Malheur à moi« Ton ame est de fer, tes 
regards lancent la mort. 



» •- ' 



120 LE PÀftIi. 

GADHi (à Benascar)* 
Qa attends- tu? Je suis prêt à mourir. 

BENÀSCAJt. 

Et moi à tuer; reçois donc ce que tu as mérité. 

MAJÀ {se jetant entre eux). 
Arrête , que veux-tu faire. 

BENASCÀR. 

Venger la divinité que tu as insultée^ et mon honneur 
que tu as souillé. 

MAJÀ. 

Si Famour insulte à ce Dieu dont tu parles, et si pour 
Tapaiser il lui faut du sang, oh! sépare-toi de lui, et place 
dans ton sanctuaire un agneau que tu adoreras; car il y a 
dans la douceur de cette pauvre hête plus de divinité que 
dans cet être altéré de vengeance auquel tu te dévoues. 

LES INDIEKS. 

I 

Malheur ! 

BENASCÀR. 

Malédiction sur toi! 

MAJA. 

Oui , malédiction sur moi ! Que la vengeance tombe sur 
moi! Je suis coupable, et si lamour est un crime, je serai 
coupable tant qu il me restera un souffle de vie. Car ce cœur 
est un livre immortel dont toutes les pages sont pleines d la- 
mour pour lui, pour le réprouvé, pour le Paria. Entends-tu, 
frère, achève ton œuvre, venge-toi. 

GADHI (à Benascar). 
Ne récoute pas. Elle parle dans le délire. Moi, j'ai commis 
le crime. Moi, je Tai séduite, je Tai entraînée à la violation 
des saintes lois, je l'ai bée avec une chaîne magique. Ote- 
moi la vie, sois clément, hâte-toi. 

MAJA. 

Tu ne refuseras pas d'écouter Tunique prière de ta sœur. 
Qu'importe que l'insensé se précipite lui-même dans l'abîme 



LE PARIA. laX 

ouvert par la mort, si je vis comine un triste témoignage de ta 
honte. Tu es déshonoré, si tu ne m'enterres pas moi et ma 
faute dans le secret du tombeau. Choisis.... 

GADHI. 

Choisis moi pour victime. 

MAJA. 

Non, je suis coupable. 

BENASGAR 

Vous letes tous les deux. {A Maja.) Je te dévoue au 
supplice qui t'appartient. Vis, vis en silence dans la honte 
et le repentir, et rends grâces au sentiment d'amour que 
j'éprouvai pour toi la première fois que je te vis. (jé Gadki,) 
Toi, meurs, et comme ces hommes qui m'accompagnent ont 
été témoins de cette injure faite à ma race, je veux aussi 
rendre publique ma vengeance. (j4 ses compagnons.) Il ne 
m a pas offensé seul, il a aussi outragé Dieu; s'il doit tom- 
ber, il faut que ce soit à l'autel, sous la hache du prêtre. 
(Gadhi et Maja se jettent dans les bras Fun de Foutre.) 

BEETAscAu {aux Indiens). 
Le jour commence à poindre. Allez en toute hâte chercher 
le serviteur de Brama dans le temple voisin. Conduisez-le ici, 
afin qu'il reçoive la victime de ma main. (Les Indiens sortent.) 

BENAscAR (à part). 
Silence, mon cœur! Le combat est gagné, le rude combat 
du devoir. 

HUITIÈME SCÈNE. 

BENASGAR (à Maja). 
Malheureuse! 

MAJA. 

Point de consolation, frère, ce qui arrive, devait arriver. 
J'ai seulement une prière à t'adresser. Je suis mère. 

GADHI. 

Oh! quel souvenir me rappelles-tu? Mon enfant! Mon filsf 



laa LE PAKIA* 

MUA. 

Son fils est aussi le mien. Sanve-le^ sers-lui de père, en- 
seigne-lui à connaître Dieu et sa clémence. Si mon époux 
meurt, oh! ne livre du moins pas notre enfant aux bramines. 

GADHI. 

Pourquoi vouloir lui prolonger cette existence de douleur. 
Laisse Torphelin mourir. 

MAJA. 

Non, quil vive! qu'il vive! accorde-moi cette consolation. 
(A Benascar.) L enfant repose paisiblement dans cette cham- . 
bre, et ne songe pas que Tange de la mort étend déjà ses 
ailes sur lui. Oh, par pitié, frère, sauve-le, fais-le conduire 
hors d'ici par un de tes esclaves avant l'arrivée du bramine. 

BEHASCAR. 

Quel sentiment nouveau a tout à coup pénétré dans mon 
cœur! 

MAJA. 

C'est la voix de la nature, de l'humanité qui parle en toi. 
Écoute son appel, sauve mon fils. 

BEifAscAR (courant dans la chambré). 
Je veux le sauver. 

NEUVIÈME SCÈNE. 

GADHI. 

Que fais-tu ? 

MAJA. 

Ce que le Gel m'inspire, jeter ce flambeau dans la diam- 
bre, et faire mourir tout à la fois père, mère, enfant, ennemis. 

GADBi (lui arrachant le flambeau). 
Malheur à toi! C'est le dernier degré de rinfortône que 
d'en venir à commettre un crime pour se sauver (éteignant 
le flambeau). Meurs, lumière terrestre, moi, j'ai véicu aussi. 



LE PARIA. ia3 

je veux aussi mourir. Mais je descendrai pur et sans remords 
dans le tombeau. 

MAJA. 

Ame grande et généreuse. {Apercei^ant par terre le fruit 
tmpoisonne\) Grâces au Gel, il nous reste un autre moyen^ 
nous sommes libres. 



DIXIEME SCENE. 

BENASGAR (af^ec Tcnfont). 
Qui donc a éteint la lumière ? 

GADHI. 

La nuit est loin, le jour commence à briller, nous n'en 
avions plus besoin. 

LESTFAST (s échappant des bras de Benascar)* 
mon père, ma mère] 

HAJA. 

Dieu! mon fils. 

GADHI. 

Mon fils! 

BENASGAR. 

Vite, vite! La mort s'avance, la célérité seule peut le 

sauver. 

MAJA (embrassant Venfani). 

Malheur à moi ! 

l'ewfant. 

Je ne veux pas m'en aller avec cet homme étranger. 

GADHI. 

Va, suis-le. Il te conduira dans les belles et vertes vallées 
de la vie. Celui qui les a quittées peut seul dire comme 
elles sont belles I {Benascar s'approche.) 

MAJA. 

Le voici, le voici! il vient pour t'arracher de mes bras. 



134 LE PARIA, 

BENASCAR* 

Le serviteur de 'Brama va venir, donnez-moi Tenfant 

MAJA. 

Mes forces m'abandonnent. 

BENASGAR* 

Ainsi c'est toi qui le feras mourir. 

MAJA. 

Oh ! mon enfant. (JBenascar le prend et s'éloigne.) 



ONZIÈME SCÈNE. 

MAJA. 

A présent du courage. 

GADHI. 

A quoi songes-tu? 

MAJA. 

Regarde ce fruit. Je l'ai dérobé à cet être cruel que la 
nature m'a donné pour frère. J'ai semé l'amour, et je rér 
coite la mort. 

GADHI. 

Je te comprends. 

MAJA. 

Tu ne le savais donc pas encore? Pourrais-je vivre sans 
toi, oh non! tu n'as pas pu le croire. 11 y a dans ce fruit assez 
de poison pour nous faire mourir tous les deux. Je vais le 
partager avec toi. 

GADHI. 

Femme! héroïque fenune! Et moi, je murmurais! Quelle 
existence pourrais-je donc encore envier, si je dois mourir 
de cette sorte? * 

MAJA (exprimant le suc du fruit dans un vase). 

Sois la bien-venue, volupté de la mort! Le coupable seul 
pâlit quand sa dernière heure s'approche; l'innocent la regarde 



LE PARIA. 125 

d'un œil ferme et plein de résolution. Au revoir^ mon ami. 
(EUe boit.) 

6ADBI. 

ODieu! 

MAJA (lui présentant la coupé). 

Voilà pour loi. 

GADHl. 

Merci. (7/ vide la coupe. Tous deux tombent dans les 
Iras Tun de Vautre.) 



DOUZIÈME SCÈNE. 

BENASCAR. 

L'enfant est caché. 

MAJA. 

Maintenant quitte ta terrestre enveloppe, ô pauvre ame^ 
reprends ta forme brillante , et protège avec tes' ailes la tête 
de ton enfant. 

BENASCAR. 

Séparez-vous. Le prêtre approche , et la hache va renverser 
de fond en comble les frêles murailles de votre cabane, afin 
<]ue le pied du serviteur de Dieu ne se souille pas en passant 
sur ce seuil du Paria, que le Ciel a maudit neuf fois lui et 
toute sa race. 

GADHI. 

Ton Dieu de malédiction est un Dieu épouvantable. Je 
crois à son amour, et le crime, Fambition, la stupidité parlent 
seuls de sa haine. Cest une honte que de se représenter 
Dieu et la foi comme les prêtres nous les montrent avec leurs 
contes de nourrices. L existence de Dieu est daire comme sa 
lumière céleste. U a fait le monde comme un miroir, où sa 
grandeur se reflète. J'étais un réprouvé dans la vie, et je 
porte avec calme mes regards sur le passé; car j'ai trouvé ce qui 
peut faire de la cabane du mendiant un paradis sur cette terre^ 
une ame ardente qui m'a aimé fidèlement. (Maja chancelle.) 



ia6 LE PARIA, 

GÀDHI. 

O douleur. 

MAJÀ. 

Mes veines se refroidissent. 

BENÀSGAlt. 

Comme tu deviens pâle! 

MAJA. 

Que regardes-tu doue? N'est-ce pas toi qui Tas voulu? 
Tu le sais, j'aimais, et je ne pourrais pas mourir pour celui 
(jue j'aimais!.... 

BEVASCAR. 

Quelle idée me vient ? 

MAJA. 

•Le fruit empoisonné ! . . • . 

2ENASGAR. 

Que tu m'as pris. 

GADHI. 

n nous donne la mort à tous deux. 

BENAscAR (à Gadhï)» 
Ah! monstre, est-ce toi cpii a commis ce crime? 

MAJA. 

C'est moi, moi seule, oh, comme je souffre! comme ce 
poison me déchire! {Déchirant son voile.) Loin de moi, pa- 
rure de ce monde.... Liberté ! de lalr ! Ma vie est comme une 
mer de feu qui se répand dans mes veines pour m'eniporter 
là-haut dans l'espace étemel, car cette terre est trop étroite. 

(Les Indiens arrivent et rem^ersent la chaumière,) 

A bas la demeure du Paria. Mort au Paria lui-même! Hou-^ 
neur à Brama! Honneur à Brama! 

(Quand les murailles sont tombéesy on aperçoit un beau vallon 
éclairé par le soleil du matin. Le cortège du bramine s*approche 
aux sons de la musique.) 



LE PARIA. 137 

MAJA. 

Mon bien-aimé tu frissonnes! O viens, beau soleil, viens 
colorer mes joues avec tes rayons brillans, afin que mon époux 
ne s'efiraie pas, en voyant mon visage, de la mort qu'il doit 
souffirir. , 

GADBI. 

grands dieux ! 

MAJA. 

Le combat iîit court* H est terminé. Plus de douleur — 
Ravissement — Liberté — Lumière! Mon époux, suis-moi. 
(EBe meurt) 

CADHI. 

Je te suis bientôt Je sens déjà la mort. Laissez-moi me 
dégager ici de mes maux. Cet air pur, cette clarté appar- 
tiennent à tous. Partout l'amour règne, se manifeste, et vous 
n'êtes que haine.... Si nombre .... la nuit.... Mais ici, ici le 
jour .... et tous, tous •••• égaux.... Mon enfant! 

BENAscAR {doTi^pté puT SBS sentimetis et présentant la main 

a Gadhi): 
Je te protège. (Gadhi le regarde fixement et meurt*) 



DERNIERE SCENE. 

LE BRAMiNE (porté en palanquin arrit^e sur la scène») 
Où est la victime? 

BENASGAR. 

En voilà deux au lieu dune; demande à ton Brama s'il est 

content." 

X. Marmisr* 




t^f0tr<. 



RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSANS 

AU MOTBlf AGE, 

PAR M. GUILLAUME WÀGHSMUTH. 

'(^Second articles) 



CHAPITRE IV. 
Les paysans du JutUmd et de la ScanU. 

La féodalité était définitivement organisée dans TEurope 
occidentale; la hiérarchie papale avait atteint son faite; la 
chevalerie, née de l'organisation féodale, se rattadhait à l'EgUse 
par un lien mystique ; et déjà la liberté de ceux qui n'étaient 
ni chevaliers ni clercs, trouvait de nouveau une base et une 
garantie dans les villes par l'établissement des bourgeoisies 
et des commui]ies. 

A cette époque (au milieu du douzième siècle) il y avait 
encore dans toute la Scandinavie, depuis le Jutland jusqu'en 
Islande, un ordre de paysans libres, appelés les. Odalsmans, 
les Bondes^. Us faisaient la force de l'État; ils montraient ce 
fier courage qu'inspire la conscience de la liberté; parmi eux 
s'étaient perpétués, comme auparavant chez les Saxons, le 
genre de vie et les droits des hommes libres de l'ancienne 

1 Voyez ci-dessus p. 22. 

2 Tyge Rothe, Constitution du Nord, tome I.*', p. 126 de leditioa 
allemande. Ikre , Glouar. Sueo-Goihic s. v, Od et Bonde , n.^ 4. 



KÉVOLtES ET GUEURES DES PàyIsANS^ ETC. I29 

(îermame. Mais cette liberté du simple possesseur' foncier 
était en butte depuis plus dun siècle aux attaques de puis- 
sances ennemies, qui lassaillaient de trois côtés à là fois, de 
rAllemagne, de l'Angleterre et de Rome. Cela se vit surtout 
dans le Danemark, royaume dont faisaient alors partie les 
provinces dont il est id question. 

Nous avons pu nous convaincre, par lé chapitre précé- 
dent, de la faeiL'té avec laquelle les Normands, qui avaient 
quitté leur patrie, adoptèrent le régime féodah II est vrai 
qu'une troupe de guerriers, de pillards, de piratés, en un ïnot, 
d'aventuriers séparés du sol natal, restent* rarement fidèles 
à l'esprit national, qui ne se conserve que parmi ceux îjui 
restent dânS leur patrie originaire; mab la'féodaBté trouvait 
partout un appui dans la royauté et dans TEglf^e, et prenait 
aisément racine dans l'organisation des armées. Lorsque les 
rois dands entreprirent des guerres de conquêtes^ ils n'eurent 
i leur disposition ni cette multitude de volontaires qu'avait 
autrefois' associés le goût de la piraterie, ni cette ardfeur 
qu'un intérêt direct inspire à la masse du peuple dans une 
guerre défensive: il leur fallût donc un corps de guerriers 
disposés à les suivre partout, suivant l'organisation des an- 
ciennes bandes germaniques. Maître de l'Angleterre pat la 
conquête, et y régnant en roi aussi bien que dans le Dane« 
mark, lié d'amitié avec l'empereur et le pape, et favorable 
aux formes féodales et à la hiérarchie ecclésiastique, Canut-^ 
le^rand institua une troupe de guerriers organisés féodale^ 
ment, les Husskerls ou TihglUhs^ qui devinrent là pépi- 
nière de' la noblesse et de la chevalerie danoises des temps 
postérieurs. A laide de clercs anglo-saxons, il travailla aussi 
à étendre la puissance et la considération de l'Église, qui 
depuis deux siècles luttait, au Danemark, contre le paganisme.' 
L'tmtton dé l'Angleterre et du Danemark fut dissoute peu 
après la mort de Canut, arrivée eu io35. Les rapports du 
dernier de ces pays avec l'Allemagne n'en acquirent que plus 

TOME II. 9' 



l30 RÉVOLTES ET GUEREES DES PAYSANS 

d'influence ppurla consolidation et le complément des Issu* 
tions. féodales et sacerdotales, sur la base que Canut-le-Gral 
leur avaitfaite. Le roi Suen Estritbson (1044 — 1 07 6),hûD« 
pieux, laissa à larchevêque de Brème, Adalbert, toute libett 
d^organiser les diocèses épiscopaux. Depuis lors les préitt*' 
tions de FEglise à legard du peuple augmentèrent: ilsagisîUi 
de bien autre chose que de la simple datation de quelques! 
curés vivant de privations avec une frugalité apostolique. U| 
roi Suen fut mécontent de l'esprit impérieux d'Adalbert;i 
y eut quelques démêlés: mais le principe vivant et progressï 
était avec l'Église. • . 

Canut-k-Saint (xo8o — 1086), dévoué aveuglément an 
clergé, accrut son influence : cet ordre commençait à eue 
regardé comme le premier dans l'État. Le même roi le combla 
de biens ^ e% voulut faire contribuer le peuple à ces largesses: 
ce dont Suen Estritbson avait déjà conçu le projet, de iaiie 
payer la dîme à l'Église par les francs tenanders, Canut tenta \ 
de l'exécuter. L'an 1086 il ordonna aux Jutlandais délivrer | 
au clergé la dîme des produits des cbamps et des troupeaux^) 
et ceux qui s'y refuseraient devaient payer comme équivalent 
une taille abonnée. Les Jutes ne virent point dans le paie- 
ment de la dîme une affaire de religion, mais un outrage. 
Le roi envoya des officiers dans le Jutland pour la .percevoir: 
leur sévérité et leur injustice irrita le mécontentement des 
paysans, qui s'opposaient à la perception; il y eut une sédi- 
tion où deux officiers du roi, Tosto et Horta, furent tués. 
Les troubles continuèrent; car le roi Canut persistait dans sa 
résolution. 11 se vit en danger de tomber aux mains des 
rebelles; il quitta donc Scble^wig et se rendit en Fionie; 
mais les Jutes se préparèrent à faire une descente dans cette 
île. Alors, comme Canut allait cherdier un refuge dans Kk 
de Séeland, son confident Blacco l'en détourna par trabison, 
promit d'apaiser le peuple , et se fit donner une mission pour 

1 Sa&o Grammaticus , XII, p. 21d et suW., d« rëdition de Stephanivs* 



• f 



kiS mùYElX kQÉ» l3l 



cet. objet; mais il mit le peuple d'Odensée en aimes et le 
mena contre le roi. Celuî^H^i avait eberobé un refuge dans une 
église. Blacco^ à. la tête dune troupe de furieux^ se précipita 
dans k sanctuaire. Défendu quelque teïnps par un petit 
nombre defidMes, Canut était agenouillé devant l'autel. Mais 
l'imp^uosité de la multitude ne se ralentissait pas ; les murs 
de bois de leglîse $ écroulaient sous les coups de hache ; le 
roi reçut le coup mortel d un jaVelpt lancé par une des 
fenêtres de Téglise. Cependant le peuple fut saisi de regrets 
et de remords,' et une famine ^ arrivée bientôt après sous le 
rôi Olaf ', lut regardée comme un châtim^t du Ciel. I^ ré- 
sistance ouvettj^ contre la levée de la dime cessa dan^ le Jut*. 
land et en Fiûniè; mais la haine qu'elle avait excitée contre 
l'Église ne fut point apaisée : le christianisme était loin d'avoir 
partout pris racine; il n'était sans doute pas plus solidement 
éfiaUi que dans la Saxe au temps des Sîeltinga; car même au 
douâème siècle il y avait encore des païens parmi la popula- 
tion frisonne du Judand méridional^ 

Cepetidant l'Eglise propageait les formes oppressives dans 
les autres provinces du Danemark* Depuis le neuvième siècle 
la Scanie faisait partie de ce royaume; un éveché y avait 
été érigé à Luûd en 10^2. Au commencement du douzième 
siècle on s'occupait sérieusement d'y introduire la dime. Vint 
ensuite l'époque où la puissance danoise s'accrut considéra- 
blement sous le règne de trois princes éminens, Waldémar I.*', 
Canut VI et Waldémar II. Les rapports d'amitié avec les rois 
et les princes de rÂllemagne favorisèrent le développement 
de la féodalité et de la dievalerie à tel point qu'au lieu des 
Hussherls de Canut , il y eut déjà une organisation militaire 
complète des vassaux, mon-^eulement du roi ^ mais encore du 
haut clergé. En même temps le conseiller et l'ami des deux 
premiers de ces rois danois^ Tévêque Absalon de Ro^kild^ 
appesantissait de plus en plus la domination de VEglise sur la 

i Olaf $igaiûe faim* • 



l33 RÉVOLTES )£T GtlBRUBS DES PAYSANS 

tète des hommes libres des campagnes ) foiaait observer exac- 
tement le célibat des prêtres; et, plein de dévouement pour 
le roi, et dun zèle infatigable pour Vacxnroissemeait et la 
prospérité du royaume, se montrait au peuple avec la hianteur 
d'un prince de FÉgUsç* Le clergé danois avait tiré de 1 érec- 
tion d'un archevêché à Lund , en 1 1 04 , unp nçuvelle splen- 
deur. Déjà, sous radministration^d? laçàhevélqué E^kil^Ab- 
salon exerça une grande influeiice sur les afiaires' religieuses 
de la Scanie , et prit part à la révision qui fut faite en, 1163 
du Droit ecclésiastique ide cette province, contenant entre 
autres une convention sur la dime entre larchevêque et le 
peuple. .En 1178 il devint lui-même arohevéqoQ delioiid, 
primat de.^ Danemark et de Suède, et légat du saint st^ 
apostolique. 

Quoique, réunis depuis longues annéest à la couronne de 
Danemark, les babitans de la Scanie • n'avaient nulleibent 
perdu la jouissance de leurs anciens droits : la franchise des 
terres et la liberté des campagnards n'avaient guère -fléchi en 
£ace de la royauté. L'esprit national, des Scaniens n'était même 
pas parfaitement danois, sans que, néanmoins, ils sympa- 
thisassent avec la Suède contre le Dti^fOiark. Placés entre 
deux Etats voisins et rivaux, ils avaient Qpn$ervé, à la faveur 
de leurs privilèges provinciaux et de leur législation particu- 
lière, un vif esprit de nationalité et une s<Mrte d'indépendanee 
politique. C'est cette indépendance que menaçait l'archevêché 
de Lund. Les Scaniens avaient, il .est vrai, consenti sous le 
prédécesseur d'Absalon, Eskil, au paiement de la dime, mais 
les esprits ne s'étaient point encore accoutumés à cette charge 
odieuse. Absalon se montra plus exigeant : outre la dime^ il 
imposa plusieurs autres prestations, surtout des corvées ac- 
cablantes^ et tout cela, semblait d'autant plus intolérable, 
qu il préposa à la perception des redevances et à la réquisi- 
tion des corvées dans la Scanie, ses parens et ses vassaux^ 
originaires de Séeland. Plus petite était la province, plus vive 



AU M0TS2ff AGE. l33 

devait être rappïêhmsîon deshabitans'de la voir envahie par 
des voisins qui â y constitûeraîent en un ordre privilégié de 
seigneurs. Les hommes de la Scanie se trouvaient blessés de 
la seule présence *des Séekndais. Or, il arriva que ceux-ci, 
confians dans la puissance et la faveur de leur maître, se 
conduisirent avec arrogance : ils* traduisirent Tesprit de do- 
mination du prêtre en abus d'autorité et en insolence prévôtale. 
C'était en 1180: quelques-uns de ces vassaux de l'Eglise 
prétendirent que des paysans scaniens, pour retirer d'un bois 
où les bêtes de trait ne pouvaient parvenir, des blocs et des 
troncs d'arbres, s'y attelassent eux-mêmes \ Cette prétention' 
tyrannique irrita les paysans; ils s'ameutèrent, tombèrent sur 
les domaines archiépiscopaux , dévastèrent les greniers et 
prirent tout ce qu'ils purent emporter. L'archevêque Absalon 
se trouvait dans l'île de Séeland^; à la première nouvelle du 
soulèvement, incapable d'aucune crainte, il passa aussitôt 
dans la Scanie, et convoqua le peuple à une assemblée à 
Lund; mais il n'y put rien obtenir. Le peuple, en partie 
ivre, ne cessa de se livrer à sa foreur. Espérant les affaiblir 
en 1^ séparant, Absalon convoqua les habitans de la Scanie 
méridionale, orientale et septentrionale en autant d'assemblées 
particulières. Les Scaniens méridionaux, assemblés les pre* 
miers, parurent fléchir devant la |)arole de cet homme puis- 
sant; mais les rebelles tinrent immédiatement après une grande 
assemblée de paysans à Hvitd)eck3, où Absdon ne jugea pas 

1 L'insolence des supérieurs, comme transe du soulèrement, et sa 
conséquence 9 les souffrances et la ipisère des inférieurs , voilà ce dont 
Saxo Grammaticus , l'admirateur d'Absalon , ne dit pas un mot. Mais la 
cause se trouve dans le Ckronic. incert. aud. ; dans LangeKek , Script, 
rer. Danie,, II, 6.21.—- Voyez» en fait d'auteurs ntodernes, Estrup,. Vie 
d'Absalon, traduction allemande par Molinike (dans le Journal de théo. 
logie historique de Cb. F. Illgen, II, 1, p. l50 et suiv.), et l'Histoire 
ecclésiastique du Danemark et de la Norw^e, par Mânter^ II, p. 34â 
et suiv. ' 

2 Voyez, pour ce qui suit, Saxo Grammaticus, XV, 364 et suir. 

3 Ad Attum Fantem, 



i34 hévoltes et guerIies des paysans 

à propos de paraître eu pcrsonae; et ses.tdélégués, parleur 
conduite incertaine^ insidieuse ou timide ^ excitèrent la dé- 
fiance et furent très-mal accueillis. 

Alors les troubles éclatèrent avec une nouvelle fureur. Les 
paysans marchèrent vers Tlle de Sigosdia^, où Absalon se 
trouvait : il n'en eut avis que peu avant leur arrivée ^ et ses 
hommes se bâtèrent d élever une sorte de barricade et de 
retranchement. Absalon répugnait à faire couler le sani;, et 
défendit d'attaquer avec les armes de guerre les paysans qui 
se concentraient. Mais lorsque ceux-ci eurent occupé une 
colline en regard de l'ile^ il éleva la croix, et ordonna à 
ses hommes de le suivre. Les paysans se replièrent devant 
l'audacieux archevêque et devant sa bannière sacrée; tous 
ceux qui tombèrent entre les mains de ses guerriers furent 
châtiés à coups de bâton ; mais un de ses vassaux , que aon 
cheval effarouché entraîna parmi les paysans^ fut tué par 
eux dans l'épaisseur d'un bois marécageux. Absalon échappa 
avee peine à ce danger *, il sortit de l'île et se réfugia à Luiïd. 
Le domaine qu'il avait dans l'île fut dévasté par les paysans. 

Absalon ayant passé dans l'île de Séeland , des députés sca- 
niens l'y suivirent. Ils parurent d'abord devant lui, protes- 
tèrent que l'insolence de ses vassaux et prévôts séelandais 
avait seule porté le peuple à se soulever; que s'il les éloignait, 
tout rentrerait dans l'ordre. Ensuite ils exposèrent leur cause 
au roi Waldémar, et gagnèrent si bien sa confiance, qu'il 
suivit leur conseil d'adresser aux rebelles une lettre où étaient 
entremêlées des paroles bienveillantes et sévères. Soit que 
les députés eussent réellement espéré quelque succès de cette 
démarche, soit qu'ils eussent donné au roi un conseil per- 
fide, la révQlte n'en devint que plus furieuse. Les principaux 
instigateurs paraissent avoir été les plus puissans, les plus 
considérés d'entre eux, dont la condition avait été abaissée 
par l'arrivée des hommes de fief d'Absalon : dans toute la 

1 Aujourd'hui Ifron , suivant la conjecture de JL^gerbring, II, 26Q, 



AU MOTEH AGE. l35 

t. 



ScaDÎeil uy avait quun esprit^ qu une volonté. Mais alors 
même il ne fut pas question d*abjuref la foi due àu roi; on 
n'en voulait qu'aux pkns ambitieux et avides de TÉglise, et 
Ton prit contre elle des résolutions et des mesures qui dénotent 
autant la liberté d'esprit des Scaniens en matières religieuses 
que leur âpre courage. Ils supprimèrent, comme injustes et 
usurpées, toutes les prestations jusque-là accordées k Tarche- 
véque; ils pensaient que, pour remplir les devoirs du culte, 
les prêtres suffiraient bien sans l'archevêque ; enfin , ils deman- 
dèrent la suppression du célibat des prêtres* C'était frapper 
au cœur Absalon, l'ardent zélateur pour l'observation du cé^ 
libat. 

Après la moisson le roi Waldémar conduisit une armée 
à Uelsingborg; Absalon l'y suivit. Déjà le roi était descendu 
à terre et y avait rangé ses troupes, lorsque les pécheurs de 
la côte s'opposèrent en masse au débarquement d'Absalon et 
firent pleuvoir des pierres sur son bateau. Il fallut Tinter* 
Tention du roi pour les dissiper. Aloi^ commencèrent des 
négociations entre le roi et les paysans rassemblés en grand 
nombre. Ceux--ci réitérèrent leurs anciens griefs contre les 
vassaux d'Absalon et les prévôts de l'Eglise, mais en pro- 
testant toujours qu'ils n avaient point à se plaindre du roi, 
et qu'ils ne s'étaient nullement soulevés contre lui. Dans 
Tannée de Waldémar se trouvait le contingent jutlandais , 
composé non de £sudataires, mais de paysans, comme on 
peut le conjecturer par cette circonstance, que Waldémar ne 
partit qu'après la moisson. Or, la dîme n'était pas moins 
odieuse aux Jutes qu'aux Scaniens, le souvenir de la grande 
insurrection de leurs ancêtres était sans doute aussi récent 
parmi eux, que l'habitude de payer la dtme était mal établie; 
aussi conmiencèrent-ilsà murmurer et à se prononcer en fa- 
veur des Scaniens. Les vassaux d'Absalon déclarèrent avec 
hauteur qu'ils avaient la confiance de vider à eut seuls la 
querelle de leur seigneur^ mais le roi Waldémar qui, plein 



l36 RÉVOLTES ET GVEKKBS DES PÀYSÀZfS 

dattadiement pour le glorieux conseiller de sa couronne, 
nourrissait cependant une secrète jalousie contre les préten* 
tions croissantes de rÉglise, manifesta à Absalon le désir qu'il 
renonçât à la dime. Âbsalon s y refusa. Le roi négocia une 
seconde fois avec les Scaniens; mais les griefs de ceux-ci 
<^ontre Absalon redoublèrent et s envenimèrent de plus en 
plus. Leur obstination était fortifiée par les instigations secrètes 
des Jutes. Waldémar, soit qu'il ne voulût point employer 
la force, soit que ses préparati£i ne le lui permissent point, 
repartit pour File de Séeland. 

. Comme les Scaniens persévéraient dans leur refiis de payer 
la dime et cessèrent toute espèce de prestations au profit de 
Tarchevêché, Absalon recourut aux armes, alors si terribles, 
de rÉglise, et interdit toute célébration du culte. Le peuple 
ayant su que 1 église de Saint-Laurent de Lund devait être 
fermée, se rangea en armes tout autour. Deux prêtres, en- 
voyés par Absalon, ayant prononcé les anathèmes spirituels 
contre le peuple, celui-ci répondit par d«s injures. Il fiit 
déclaré que, les prêtres ne tirant leur subsistance que du 
peuple, s'ils ne voulaient pas remplir les devoirs du culte, 
ils eussent à quitter le pays; qu'en cas de refus on les pri- 
verait de toute subsistance, et ne craindrait pas de leur in- 
fliger même des chàtimens corporels. Mais tout le bas clergé 
montra une fermeté inébranlable; Il est probable aussi que 
plusieurs de ses membres, originaires de laScanie, parvinrent 
à renouer les négociations. Mais le pillage, et la dévastation 
des fiefs continuaient , et le roi Waldémar se décida à em- 
ployer la force des armes. * 

Dans le carême de Tannée 1181 il passa de Hebingcer en 
Scanie aveo les feudataires expulsés de ce pays et les troupes 
séelandaises : il n'avait point convaqué les Jutlandais, ni ceux 
de la Fionie, ne se fiant pas à eux. Absalon vint en même 
temps à Lund, afin d'y préparer le saint chrême pour la 
Pâque, Cependant la rébellion était à son comble, les Sca- 



AtJ XOYEir AGE. ' 187 

nieiis étaitent résolus à subir les àernières extrâaités : Tim- 
puIsioB venait surtout de ceux de la Scanie septentrionale et 
du Halland. Us envoyèrent, suivant la coutume, par tout le 
pays, le bâton symbolique (Budstock) en signe d'alarme : 
chacun fut appelé à combattre peur la liberté. L'armée de 
Waldémar marcba vers la rivière de Dysia (aujourdliui 
Sax-Aaen^); les Scaniens septentrionaux vinrent à sa ren- 
contre; ils se rencontrèrent au pont. Waldémar allait or- 
donner la bataille, lorsque Absalon se présenta devant lui, 
le suppliant de ne point employer contre cette foule aveuglée 
le trandiant de lepée, mais le bâton. Le roi répondit qu'il 
avait affiure à des hommes et non à des chiens^. Le combat 
eut donc lieu. Les paysans s'élancèrent les premiers sur le 
pont 3 et se précipitèrent sur l'armée du roi. Ils se battirent 
avec courage et habileté ; long- temps le succès fiit indécis. 
Mais la gendarmerie d'Absalon ayant passé la rivière à gûé^ 
et pris en flanc l'arrière-garde des paysans, leurs masses se 
débandèrent. Un grand nombre tomba soiis le glaive,. beau-» 
coup .furent noyés; il n'y en eut que peu qui se sauverait. 
Ce n'est qu'alors que les Scaniens orientaux se trouvèrent 
rassemblés; Waldémar fut informé à Lund de leur approche. 
Lund et les environs étaient retenus dans l'obéissance par la 
présence du roi et de son armée. Mais lorsque Waldémar 
et Absalon requirent les habitans de prendre part au combat 
contre les Scaniens orientaux, ils élevèrent des rédamations, 
demandèrent une diminution d'impôt, et après savoir néan- 
moins accompagné l'armée à quelque distance^ ils s'arrêtèrent 
tout à coup, déclarant que leur devoir était de défendre la 
vOle, et qu'ils ne pouvaient aller plus loiné Après un long 
retard, Waldémar passa outre. Le combat devait avoir lieu, 
cette fois aussi^ près d'un pont appelé Getunga. Les pay-^ 

1 Langebek ad Script, rer. Danic. ^ II 9 523 , note ». 

2 Langebek : eum virit sihi , non cambus confligendùm. --^ Saxo, 

3 Ainsi le raconte le Chron. incerU auct. , dans Langebek, 



14<> RÉVOLTES ET GVEliEBS 9CS PAYSÀIiB 

des batafllons ennemis. CeuxHci fturent rompus et dispersés: 
Harald et Ako s enfuirent en Suéde* 
* Après tant de revers^ réspérance des paysans n'était pas 
entièrement abattue. Pour la troisième fois ils se réunirent, 
s excitant à immoler toute la noblesse féodale. Ce n'était plus 
une révolte ouverte, c'était une conspiration tramée dans le 
aeccet. Absalen survint avec les troupes sédaidaises, ^uil 
conduisit au lieu de rassemblement des paysans conjurés. 
Déjà les bannières étaient déployées pour lattaipie, mais Ab- 
salon ne voulait point fidre couler le sang : il précéda Vannée 
et vint au milieu des paysans tetiir sa cour de justice. Les 
résoIuti<ms des paysans furent cassées, Harald proscrit, sans 
tpe les paysans osassent élever leurs armes. Ils feignirent 
de n'avoir eu aucun mauvais dessein, applaudirent aux sen-» 
tences d'Absalon, sur lesquelles nous n'avons pas, malheu- 
reusement, de renseignemens.pUis précis, et se joignirent à 
ses troupes comme lui étanl^èles et sincèrement dévoués. 

Ainsi finit la résistance armée des paysans. La preuve qu'a- 
lors même Absalon n'atteignit pas cômplétemrat son but, et 
qu'après avoir obtenu le paiement des dîmes, etc., il n'avait 
pu vaincre la répu^ance des Scaniens pour le câibat des 
prêtres, c'est qu'en 1 1 85 le pape Qément UI lança, dit**on, 
l'excommunication contre les paysans'. Cette résistance se 
prolongea jusque dans le treizième siècle. 

Mais que le zèle d' Absalon pour établir , au-dessus de l'ordre 
des francs tenanders , la domination de l'Eglise et le régime 
féodal qui y était associé, ait eu principalement et essentiel-* 
lement pour résultat la perte de la liberté primitive des pay- 
sans danois et la naissance d'une sujétion plus ou moins ser- 
vile : l'on ne saurait en douter^ pour peu qu'on observe avec 
attention le degré de complet développement qu'avait atteint, 
immédiatement après lui , l'aristocratie du haut dei^é et des 
possesseurs de fiefs. «Jusqu'à la période des Waldémar, dit 

1 Mûnter, Histoire ecclésiastique, II, 1037.. 



* ÂO MOYM las. .«41 

l'historien de TEglise au Danemaik et en Norwége ^j le paysan 
danois était libre, tout comibele gentilhonmie, et il paraissait 
en armes dans rassemblée du peuple. Cela déplut à la noblesse 
et au dergé, qu'appuyaient les légats du pape. Les armes, 
disaitH)n, occasionnent des rixes et des désordres. Le peuple 
fut déprimé de plus en plus; la noblesse féodale héréditaire 

* 

s'éleva d'autant, et la difiérence entre les seigneurs et le 
commun peuple devint si manifeste depuis le temps de Wal- 
démarL*', qu'on né saurait hésiter à considérer Absalon et 
sa famille comme les principaux auteurs de ce changement, 
qui porta par la suite de si déplorables conséquences. Le 
paysan libre danois déchut au rang, sinon de serf et d'homme 
de corps, du moins à celui de censitaire.* 

Une légende islandaise nous a conservé un témoignage 
significatif de la haine et du mépris dont les paysans scaniens 
durent être animés pour les auteurs de ce changement. Ab- 
salon, y est-il dit, désirant avoir à lui seul im champ dont 
le revenu appartenait par moitié à VÉglige de lAmd et à un 
paysan, proposa à celui-ci de partager du moins Fai'pent 
même, et non plus seulement le revenu. Le pay«an y ayant 
consenti, Absalon se mit en devoir de mesurer lé champ avec 
ane corde, suivant la coutume Scandinave. Sur son ordre le 
paysan tendit la corde, mais si fort, qu Absalon, qui tenait 
l'autre bout, en fut renversé à terre et que le sang coula de 
son fronf. Alors le paysan fut excommunié et dépouQlé de 
son champ. A l'heure de la mort i) chargea son confesseur 
de citer Absalon devant le jugement de Dieu; ce qui ayant 
été fait, Absalon tomba aussitôt ^ans vie, et -^ descendit en 
enfer 2. 

1 Munter, p. 346. 

S Vie d'Absalon, par Estrup, p. 159 de la traduction allemande. 



143 RÉVOLTES KT aVBRR£0 DJES PAYSAKK 

•• • 

. CHAPITRE V. 

Les Stedings, 

Peu après le soulèrçment des paysans de la Scanie contre 
leur tyrannique archevêque, la suprématie papale fat portée 
à. son coupable sous le pontificat, dlanocent IQ* Fox^dée sur 
laveuglement, Tiguorauce ,et, le fimatisme de 1 époque, elle 
i|e voyait pas de plu^ dangereux ennemis que les doutes qui 
s élevaient çà et là contre la légitimité de la hiérarchie ce- 
désiastique et féodale^ Quelque prévenus, quelque timides 
et indolens. que fussent les esprits, ces doutes çommençaiest 
i se manifester d'une manière inquiétante*. Sous la double 
forme, tantôt dune raison calme et éclairée, tantôt de far- 
dent mysticisme dos sectaires ^ on att^uait les prétendons 
du. saint siège, la corruption du clergé, la pratique machi- 
nale de cérémonies religieu^s auxquelles on n attachait plus 
ni sens ni sentiment, enfin les dogmes nouveaux qui pré- 
valaient alors dans loccident. Le vieil esprit de résistance a 
la perception «des dîmes et au pélibat des prêtres avait d'ail- 
leurs laissé quelques traces. 

. L'Église recourut à ses anne$ les plus terribles : de ses 
adversaires ellie.fit des hérétiques, et les livra am bras séculier 
pour être brûlés vifs sur les bûcher^ \. elle appela à file des 
a]:inçes décroisés, qu'elle fit marcher .contre ceux qui résis- 
taient à force ouverte; elle prgaoisa les tribunaux de l'in- 
quisition pour découvrir ]e§ hérésies secrètes; elle détacha 
ses troupes légères, l'armée récemment organisée des moiiie$ 
mendians, pour s'introduire parmi les peuples, pour tout 
épier, tout incriminer et persécuter sans relâche. La guerre 
des Albigeois £at.on procès sanglant fait à l'esprit novateur: 
la papauté y fit jouer ses moyens les plus odieux, et de plus 
odieux encore y prirent naissance. Un autre effet des mêmes 
causes fut la^ révolte des paysans dont nous aUons parler. 



L. 



a:it moysv àgb* 143 

et où nous retronvons toujours la résistance contre la dtme et 1» 
féû*dalité. Il s'agit d une de ces tribus du nord de l'AUemagne 
où la liberté primitive n'avait eu que peu k soufirir de ces 
usurpations : à proprement parler j c'était donc moins une 
révolte qu'une guerre défensive» La guerre des ^toeiàig^j est le 
pendant de la guerre presipie contemporaine ^ conti'e les 
Albigeois. On en a souvent écrit l'iristoire^; il nous suflira 
d'en rappeler ici les principales circbnstanees. 

ï)e toutes les tribus germaniques aucune n'avait conservé 
si fidèlement l'ancien droit et les vieilles mceurs que les Fri^ 
soQs. Une lutte Continuelle et pénible contre l'élément ter-^ 
rible qui menaçait et souvent envahissait ktirs câtés, et deg 
courses lointaines au milieu des flots ^ avaient fortifié en eux 
la conscience d'eux-mêmes^ empreinte dans cette bette for- 
mule: noMe et libre Frison^ ^ avec laquelle ils se saluaient 
en se serrant la main. Ils étaient paysans dans le même sens 
que les Scaniens l'étaient : il n'y avait parmi eux de noblesscf 
qu'autant que les richesses, la valeur et la sagesse assignaient 
à un individu ou à une &mille une prééminence méritée. 
^ Les prêtres parmi eux étalent mariés; leurs dons aux égUses 
étaient volontaires, toute contrainte. abhorrée4. Au nombre 

1 Commencement de la guerre def .Albigeois , en 1209; Transaction 
de Raymond de Saint- Gilles , 1229; Etablissement de l'inquisition, 
1229 et 1233. 

^ '2 l/hbon* Emmii rer. Fris, historia. Lir. IX <t X. — Schmink 9 De ex- 
peditione cruciata in Sie^ingos; Marbourg, 1722. — Hitler, De pago (?) 
Sleding et Stedingis; Wittemberg, i7Si. — T, D. ff^iafda, Ostfriesische' 

^ Gesehichte, I, l9l. — G. A. de Halem^ Histoire du ducbë d'Oldenb^ourg^ 
1) 187 et suiY. — F. de Raumer, Histoire des HokenstauffMi , III, 683 
et suÏY. — Les principales sources sont : jélbert dk Suiâe: -< daiià £uipif 
Script* rer, Germ.); Gotlfried^ moin« du cloître de Pantaléon de Go- 
lo^e (dans Freher, Scr, rer, Gertn» *dit, Sirup,.it. l.**)ylti Chronique 
(le l'abbé Émo (de 1204 — 1237; vojez J. A. Fabric. Bihl, nud, et infim. 
/«/«., II, 94.) 

3 Eaîa fria Fresena {edlerrfreier Friese). •— En trinquant : à vous noblt 
et libre Frison : het gili eeU frye Frise, Siceama ad Leg, Fris., tit.-l.*' 

4 Wiarda, Histoire de TOstfrise, I^ 226, d'après Émo. Le mariage 
des prêtres était encore en usage dans rOstfria« au quinzième siècle, comme 



\l 



144- KÉYOLTEà .ET GVBREBS DES PAYSANS 

des Frisons étaient aussi les Stedings^ ainsi appelés parce 
qu'ils habitaient la plage (en allemand Gesiadé)$VLV les confins 
de la Saxe et de rOstfrbe^ dans le canton des RustrmgSj 
entre VOdite^ la Hunte^ llade et le Weser : toutefois un 
certain nonothre d'entre eux habitaient sur la rive droite du 
Weser, dans le district appelé OsterstadermarsckKheWesev 
était alors moins profond que de nos jours à son embou-^ 
chure, et divisé en plusieurs hras, de sorte que les Stedings 
pouvaient passer par les bas-fonds d une rive à l'autre ^. La 
tribu entière des Stedings comptait jusqu'à douze niille hommes 
en état de porter les aimes. Leur vie étail^laborieuse et dure; 
mais ils étaient amplement payés de leurs travaux, et il n'était 
pas rare que des. étrangers, amis de l'indépendance, vinssent 
{^'établir panrn eux. 

Au Sud et à lËst ils avoisinaient les territoires de l'arche- 
vêque de Brème et des comtes d'Oldenboui^ : les seigneurs, 
limt ecclésiastiques que laïques, étaient occupés sans relâche à 
imposer à ces paysans b'bres des charges et des Umites* Les 
archevêques y parvinrent à plusieurs reprises pour les colons 
hollandaise établis sur les deux rives du Weser, etauxquels des 
^rrains d'alluvion >, ou qui appartenaient à d'autres titres aux 
archevêques, furent concédés, à la charge de payer la dîme 
et autres redevances. Le^ Stedings originaires consentirent 
même à la payer , mais sans se faire un cas de conscience du 
paiement exact de cette charge aussi onéreuse que détestée. 
Ce n'est pas néanmoins contre rarchevêque qu'ils eurent à 
soutenir leur premier combat , majs contre les tentatives des 

JEnea» Sylvins nous l'apprend : De Piiesteren ahne Ehéfruwen wilden s€ 
nrchi geme bit sick lidmt up dat se andere lûden hedden ntcht besudeien. 
Q'est une tfoncescioa cfue L^autorité ecolëaiàstique était obligée de faire à ce 
peuple indomptable. 

1 Osierstade signi6e rive orieutale; on appelle Marsch, dans le nord 
de TAUemagne , un pays • bas , bumide , ftrtile , maiii marécageux : if 
•'oppeae ^ Geest^ qui est un terrain Uevé, sablonneux et stérile. 

A^Qte du Tradiict, 
V 2 Wiarda, 1-, «6.-3 Halem-, I, <89. ^ 



comtes d'OUenboui^ d'introduire paipnt eux la tyramiie sei- 
gneuriale. Les comtes d'OkJenbottigaTaientbâtideQZ châteaux 
forts au nord de la Hunte y i lienen et à Lichtenbei^^ dont 
la garnison commit des violences cqptre les femmes et les 
fttes des Stedings. Genx«-ciy ea 1187 ^ sortirent toutà coup 
d'un bois où ils étaient enibuscpiés^ détruisirent Içs diâteaux^ 
expulsèrent tous les homknes de fief, et élevèrent le long de 
la fiNmtière menacée une digue en pierres bordée d'un ibssé. 
Us pratiquèrent en ipielques endroits des portes à ponts-levk 
pour servir de communication. 

Cependant des firoissemens commaicèrent aussi d'avoir lieu 
avec rarcfaevéqne de Brème. Durant la guerre, les Stedings 
négligèrent de payer la dime, et ils répondaient avec in- 
diflEirence ou avec dédain aux sommations que leur faisait 
fiure rardievêque. Un outrage vengé par un crime fit édater 
une lutte ouverte» Un prêtre , à la communion, mit dans 
la boudie de la femme d'un Stèding considéré, au lieu de 
l'hostie consacrée, le denier de confession qu'il avait trouvé 
trop modique. Le mari ne put obtenir aucune réparation des 
supérieurs ecclésiastiques du preuve; alors il appela à lui ses 
amis, et ceux-ci s'étant joints à lui, ils tuèrent le prêtre. 
L'ardievéque réclamait en vain l'extradition du meurtrier: 
les SiedmgSy voulant qu'il fût jugé d'a{Hrès leur droit na- 
tional, qui permettait de payer une composition pour le 
meurbre, traitèrent outrageusement l'envoyé de l'archevêque. 
Cehii-ci les firappa de l'interdit ai 1 204 ; en représailles , ils 
révisèrent tout paiement de la dime. Toutefois les hosplités 
ne commencèrent qu'en 1207, souà l'archevêque Hartwig. 
Son successeur Gérard II, qui était un comte de lippe, 
continua la guerre de concert avec les comtes d*01denbourg: 
le reste des Rustrings vint au secours des Stedings. Vingt 
amiées se passèrent, et les Stedings n'avaient encore rien perdu 
de leur courage ni de leur territoire. Ils furent battus quel- 
quefois, mais ils vengeaient chaque défaite : une foule de 
TOXB II. 10 



14^ RÉVOtTES ET GlTEAnlrS DES VkYSkJXS 

Doblèis olde&bourgeoîs avaient été tués par eux ; Tardievêqne 
bâtit un ch&teau fort Humilié Schlùter, mais les paysans se 
levèrent et le château fiit ruitté« Alors Dehnenhont fut fondé; 
mais eux, pour pouvoir se porter plus aisément assistance, 
bâtirent l^rs demeures tout près lune de Tautre le long de 
leuts digues. Us allèrent jusqu'à faire de» couiies en pays 
ennemi, et occupèrent dans Tuile d'elles Oldenbourg même. 
Le pays était dévasté sur toute la frcNOdère ; mais les Stedings 
ne cessaient de croître en nombre et en puissance par les 
colons qui venaient du vobinage s'établir au milieu d eux. En 
i3 3t), l'archevêque Gérard ayant pénétré en personne avec 
son frëre, le comte de Lippe, dam le pays dés SteJings^ il 
sembh que la querelle aUait s'arranger à l'amiable : Farche- 
Véque renonça à l'emploi des aiiues, et les Stedings^ de leur 
côté^ promirent ou exécutèrent ce qu'il demandait. 

Mais le. sanguinaire inquisiteur Conrad de Mailwutg venait 
d'établir son siège en AQèma^ie, et recherchait avec ime 
activité infatigable les hérésies, soumettant ceux qui confes- 
saient leur faute à l'amende honomble^ et disant monter 
les impénitens sur le bûcher. U lui importait d'avoir dans ses 
forfaits les évéques de FAllemagne «eptentri<»ide pour auxi- 
liaires et le pape pour autorité. Il s'empara avidement d'un 
bruit qui avait sans doute pris naissance à Brème, que les 
Stèdings étaient infectés d'hérésie, pour en faire le fondement 
d une accusation contre eux. Dans la lettre qu'il écrivit au 
pape Gtégoire IX, l'un des plus fanatiques persécuteurs de 
Théi^ésie, il parvint, à force d'exagérations et d'odieux men- 
songes, à représenter les Stèdings comme livrés à Thérésie 
la pins impie: le pape prononça l'excommunication et or- 
donna une croisade contre eux. Certes, ils avaient passablement 
de mépris pour la dégradation du clergé, de haine et de dé- 
dann pour les prétaations despotiques de VEglise; mais tous les 
témoignages prouvent qu'aucune des erreurs crimineUes qui 
leur étaient ûnputées par leurs ennemis n'avait de réalité. 



kV MOYEU AGB. Z47 

Les moines mendians étaient si habiles à inventer des ca- 
lomnies et à les répandre! L'appel à la croisade retentit donc : 
dans rAllemagne du nord. Peut«étrte la masse de la population 
savait^eHe à quoi a'en tenir sur les récits hasardés de Impiété 
des Stedings) maift les indulgences du pape itaient, comme 
toujours, le prix de la croisade; et lespoir du butin et de 
l'impunité de toutes les Tiolenoes commises sur des hérétiques, 
attira en 12 33 plusieurs milliers de guerriers «ous les éten- 
dards de la croix. Les Stedings venaient d'obtenir la pro-» 
tection^ puissante d'Otton^le-^Guelphe, duc de Lunebourg; 
mais à "peine flit-il entré sur le territoire de larchevêque^ 
portant la dérastatioii jusqu'à- Stade *, que des représenta- 
tions lui furent adressées de la part de TÉglise, si vives et 
silsévères qu'il se retira : les Stedings.,^ trouvèrent donc 
privés de tout secours étranger et. exposés seuls à lattaque 
de leurs ennemis. Aux croisés, au contraire, se joignirent 
encore des bourgeois de Brème, attirés par les promesses 
de pillage de leur archevêque. Mais^ l'armée ne se dirigea' 
pas contre le principal siège des Stedings^ sur la Hunte çt 
llade; eUè pénétra dans le district d'Osterstade, où )es ha- 
bitans étaient. peu nombreux. Ceuxr^di ne purent soutenir le 
choc, quatre cents forent tués, les prisonniers brûlés comme 
hérétiques. L'expédition contre les Stedings occidentaux fiit 
ajournée à l'année suivante,* où les croisés devaient se rasH 
sembler ai plus grand nombre. Une tentative de l'arche- 
véque de Brème, de rompre les digues et de livrer les 5le- 
iings aux horreurs de l'inondation, édioua.9 . « . 

Au printenips de l'année ia34 les croisés revinrent^ non 

1 Chronique .du lecteur franciscaiu Detnu^r , I, 110 : ffalf h^rip^he 
Otio von Lunehorg den stedinghern unde let sine lude bernen de land 
ivende vor hremen..., Ddrna v6r he sûlçèri vàr^ staden^ darbfande undè 
vorede he in dente iande.. 

2 Do vor over de hiscop van hremen uppe de stedingher mit schiphen 
unde to grof ère dike , tmde Y^olde te mit yvateren drenken> Dar wârt des 
hitcopes volk en dtl tinghen. Ibidé 



i^8 EÉVOLTES ET GUEEftBS DES PAT8A98f 

plus seulcament des aventuriers , mais aussi des princes et des 
seigneurs avec leurs vassaux : le duc Frédéric de Brabant, 
deux comtes d'Oldenbourg, le comte de Gève, le comte de 
Hollande, etc. On les évalua à 40^00 hommes. A la pre- 
mière rencontre, les StedingSj profitant de leur avantage, 
tuèrent le comte Henri d*01denbonrg et deux cents des siens. 
L'armée des croisés et les Stedings se rangèrent pour livrer 
une bataille générale, le a 8 Mai ia34, à Altenesch. Trois 
guerriers experts dans les combats, Bolke de Bardenfleth, 
Tbammo de Huntorp et Detmar de Dieke, disposèrent les 
bataillons des Stedings en forme de coin. L'affaire fut chaude 
et' sanglante : les Stedings se battaient un contre quatre avec 
le plus grand courage; mais, de même qu'à la défaite des 
Scaniens, le sort de la journée fut décidé par une charge 
de la pesante gendarmerie contre les paysans pris en flanc. 
Environ 6000 Stedings restèrent sur, le diamp de bataille. 
Les croisés se répandirent alors par le pays, pillant, dévas- 
tant, incendiant tout à l'entour.^ 

L'énergie de ce peuple héroïque était brisée. Ceux qui 
échappèrent à la bataille d'Altenesdi se dispersèrent; une 
partie se réfugia chez les Frisons, le reste se soumit. En re- 
tour de leur promesse de payer régulièreinent la^ dime, 
l'Église leur accorda la paix et leva Imterdit. Mais ce ne. fut 
pas la seule atteinte portée à leur liberté; tout leur territoire 
fut considéré comme pays conquis par l'archevêque et par le 
comte d'Oldenbourg, qui, outre les amendes qu'ib imposèrent 
aux Stedings^ partagèrent entre eux le pays et ses habitans. 
Ce qu'il restait de francs tenanciers put garder ses biens, 
mais à titre de colons et à charge de redevances et de ser- 
vices. Un grand nombre de biens confisqués furent concédés 
féodalement aux cadets de la noblesse oldenbourgeoise et aux 
chevaliers de l'archevêché, qui s'établirent parmi les Stedings 
comme un ordre privilégié. Mais plusieurs ont renoncé par 

1 Dat land i^art herovtî al mnm9 umd^ brand. (Detmar.) 



AU MOYEN ÀGE*^ 149 

la suite à leur noblesse, et Foppoâition entre le gentilhomme, 
elle paysan ou vilain, ne se développa jamais complètement 
daos ce pays* 

L'esprit belliqueux des Stedmgs ne fut pas anéanti par 
leurs malheurs; c'est ce cpie prouve la part qu'Us prirent, 
peu après la croisade, à une guerre entre deux compétiteurs 
au siège archiépiscopal de Brème : cette guerre finit en i a6o, 
et les Stedings jurèrent fidélité à l'archevêque qui lavait emr 
porté, n paraît que toute trace de l'inimitié des Stedings 
contre l'Église fut alors efiacée* 

Mais il n'en fut pas de même d'une autre tribu de même 
race, les Budjadings^ et de leurs guerres contre les comtes 
d'Oldenbourg , dont le pouvoir ne s'étendait pas encore sur 
eux. Les comtes d'Oldenbourg , Maurice et Christian , mar- 
chèrent contre eux, en i368, soutenus par des milices de 
Brème. Le comte Christian s'écria : Que peut une troupe de 
vilains contre chevaliers armés de toutes pièces ! Mais les 
vilains taillèrent en pièces toute la troupe qui avait marché 
contre eux. Les hostilités ne finirent point là, mais elles 
cessent d'avoir le caractère qui les fait rentrer dans le cadre 
cpie nous nous sommes tracé : il n'y a plus seulement oppo- 
sition de gentilhomme à vilain ; car outre les paysans nous 
trouvons ici dés pirates, et parmi leurs adversaires, non^ 
seulement des nobles , mais encore des bourgeois de Brème. 

CHAPITRE VL 

LêCS Pastoureaux, 

Voici encore une révolte du commun peuple contre le 
clergé; et cette fois dans le pays où la féodalité avait produit 
le plus tôt et de la manière la plus tranchée l'opposition 
entre la seigneurie et la servitude; dans le pays où, chez les 
nobles, l'esprit chevaleresque était joint à l'orgueil le plus 
révoltant; où le dergé, richement doté de bénéfices et de 



l56 RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSANS 

subtilité scolastique , semblait avoir abjuré tout sentiment de 
cbarité chrétienne; où le peuple des campagnes, enfin, crou- 
pissait à la fois dans l'oppression et dans Tignorance la plus 
complète, et unissait à un esprit impressionnable et mobile 
un fanatisme qui y a toujours été accompagné de la fougue 
désordonâée des passions — en un mot , datas là France. * 
Jusqu'ici nous avon& reconnu dans les révoltes ou la résistance 
des paysans, la conscience claire de ce qu'ils voulaient, et 
des réclamations nettement formulées, parce qu'eBes étaient 
fondées sur le sentiment de leurs droits et de la justice. Mais 
ici nous rencontrons les flots timiultueux d'une foule téméraire 

I On Toit que M. Wftchfmuth ne conaprend pat mieux la France que 

le moyen âge. Il n'a point vu que la gloire de la nation française, c'est 
TinitiatÎTe intellectuelle et sociale qu'elle exerce sur les autres peuples de 
VEurdpe, ef par l'Europe sur le monde. Ses cémpatciotes ne pensent pas 
tous comme lui. Je n'en veux d'autre preuve que ce passage du philosophe 
de rhistoire ^/eiif de bienveillance pour tous les hommes et d^ amitié pour 
fous lès peuples^ de Herder : «De tons temps notre voisine a été un levain, 
un ferment pour les autres peuples. Elle' fut autrefois le centre de ce culte 
druidique, si terrible et si répandu; au temps des Grecs et des Romains, 
jusqu'où les Gaulois n'ont-ils pas envoyé leurs colonies et porté leurs ravages! 
Il y a tout juste mille ans, leur Charlemàgne (car il traita durement la 
Germanie, et , par ses étahlissemens , nous a nui pendant un millénaire^ 
comme l'aurait pu faire l'ennemi le plus acharné) ; leur Charlemàgne, dis-je, 
donna un pape k Rome, et se fit empereur pour le défendre : lés conséquences 
de la hiérarchie franque et romaine se sont fait sentir depuis bien au-delà 
des limites de l'Europe. C'est de France que partirent les croisades et 
les expéditions chevaleresques en Orient, auxquelles l'Allemagne ne prit 
part que d'une manière grossière et inintelligente, c'est-à-dire sans savoir 
pour quoi , ni contre quoi. C'est en France que naquirent les guerres de 
religion , et cet esprit d'intolétance et d'inquisition qui combattit et 
extermina les hérétiques comme des sauvages et des mécréans. C'est de 
France que vint l'essor aussi bien que l'abus de U scolastique, l'esprit 
de Pliilippe-le-Bel,* etc. {Aurvra; Fragment par Herder, Nouvelle Reçue 
germanique ^ première Série, t. X, p. 3l6.) — Si nous devions entrer en 
discussion aveè M. 'Wachsmuth, nous excéderions de beaucoup l'étendue 
d'une note : nous nous bornons à protester par une citation. 

Nous opposerons de même l'opinion de Herder à l'opinion générale sur 
le moyen âge que M. "Wachsmuth entremêle partout au récit et à l'ap- 
précialion d'ailleurs exacte des faits. La traduction de ce morceau de 
Herder, qui servira en quelque sorte de correctif à celui^i, paraîtra dans 
un de -nos numéros subséquens. Note du TraducU 



kV MOYBH AGE. l5l 

et brutale, aveugle, délirante, aventureuse, mêlée de charla- 
tans et de m^diaiteurs : ici la résistance à Finjustice , qudque 
favorises que fussent les premières apparences, ne produisit 
qu'un firuit amer et monstrueux* C'est qu'une plus longue ser-r 
vitude avait précédé la révolte : on avait supporté plus loi^g-«> 
tenips les caprices et la tyrannie des seigneurs; et la réaction, 
lorsqu'eUe éclata, entraîna les malheureux qui l'osèrent, aussi 
loin au-delà des limites de la liberté véritable qu'ils avaient 
été comprimés et retenus en-deçà par le servage. 

Trois grandes croisades à la» Terre^ainte, plusieurs croi^ 
sades contre les Albigeois du midi de la Fcanœ , une croisade 
d'enfans-, les persécutions exercées contre les Juife et accom** 
pagnées de massacres et de pillage : tout cela atteste l'extrérae 
agitation des Français dans ces tenips de fanatisme et de do^ 
mlnation de l'Eglise. Les lumières qui avaient sucgi parmi 
les Provençaux, opposés aux Français du Nord par la langue 
et le caractère, avaient été éteintes dans des flots de sang, et 
l'inquisition avait établi son premier siège à Toulouse. Le roi 
Louis IX, quoique animé d'un délicat et noble scrupule pour 
l'accomplissement de ses devoirs et pour le respect de k 
justice, était dévoué à l'Eglise, soumis à ses volontés jusqu'à 
l'humiliation et à la pénitence, et plein de zèle pour l'extir- 
pation de l'hérésie. Et néanmoins l'antagonisme oontce l'EgUse 
se révdlla dans le nord de la France. Mais le soulèvement 
du peuple dont nous allons parler, ^t aussi le derm'er où 
l'attaque ait été principalement dirigée contre l'Eglise : car 
dans la suite ce ne fut plus elle qui était en progrès, et dont 
la domination était la plus oppressive aux gens de la campagne. 
Une circonstance qui distingue cette révolte de celles qui ont 
précédé, c'est que la masse des révoltés nétMent pas des 
laboureurs, mais des bergers, des pâtres, comme leur nom 
seul l'indique (pastoureaux). ^ 

1 Voya le CoBtinvatenr français èo GnlUanme de Nangis à Tannée 

1251. 



l52 RÉVOLTES IST/GD^fUES DES PAYSAKS 

Saint-Louis , après sa délivrance de la captivité d'Egypte, 
avait passé comine pèlerin dans la Terr&-Sainte. Tout espoir 
de la reconquérir de vive force sur les Musulmans était perdu. 
Cest alors que, vers Pâques de Tannée ia5i, le bruit se 
répandit de la Flandre et de la Picardie ^ vers Paris, que les 
faibles étaient élus pour délivrer avec le saint roi la Terre- 
Sainte; que la noUesse et le dei^é étaient réprouvés par 
Dieu et destinés à lliumiliation^. Le peuple s'attroupait par 
centaines, et par milliers. Un inconnu, âgé d'environ soixante 
ans, appelé le grand-maitre 4e Hongrie, parlant le français, 
Fallemand et le latin avec une éloquence entraînante et pas- 
sionnée^, se mit à leur tête; mais il parait qu'il n'était pas 
le premier auteur du mouvement. Il prétendait avoir reçu de 
la vierge Marie une lettre qui appelait tous les bergers 4 à la 
délivrance de la Terre-Sainte : il tenait une main constamment 
fermée, et le peuple croyait qu'il y avait cette lettre; il était 
même parvenu à persuader que cette position était l'effet d'une 
force surnaturelle^. Il y eut encore deux autres chefs. Revêtus 
du signe de la Croix, portant devant eux une bannière où 
était représenté un agneau, ils parcouraient le pays : leurs 
troupes grossissaient sans cesse. 

La mère de Louis, la sage Blanche de Castille, gouyemait 
alors la France. Elle n'arrêta point le mouvement : peut-être 
en espérait-elle quelque bien pour son fils, dont l'assistance 
était annoncée conune le but de cette multitude de croisés 
d'une nouvelle espèce. Mais ce n'était qu'un prétexte. Le 
maître de Hongrie et les autres chefs irritèrent la haine du 
peuple contre les prêtres ; entourés d'hommes armés ^ ils prê- 

1 Caillanme de Nangis, dans d'Ackerj, Spieitegium^ m, 37. 

9 Mathieu Paria, 710. Cest pour toute cette histoire notre prindpiile 
autorité. Voyez, pour les autres sources, le Glossaire de Ducange v, 
Pastorelli^ et M. de Raumer, Histoire des Hohenstanffen , IV, p. 306. 

3 D'après M. de Raumer, ibidem, c'aurait été un moine échappé des 
couTens de Giteaux. 

4 Pastores opium et aliorum animatium. Mathieu Paris , ibidem* 

5 Manus sum indissolubilis çlausura, Id.^ ihid. • 



AU XOTEH AGE. l53 

chaient sur la comiption du de^é : que les Domimcams el 
les Frandscains étaient des vagabonds et des hjpocrites ; ^e 
les moines de Giteauz ne songeaient qu'à acquérir des terres 
et des troup^ux ', que les moines noirs (les Bénédictins) étaient 
gouimands et fiers; les chanoines , à demi laïques et livrés à 
la crapule; les évéques et leurs gens, avides de richesses 
et plongés dans les délices; qu'on ne pouvait dire tous les 
rices dont la cour de Rome était souillée ^ Le peuple écou- 
tait avidement. Alors il s'éleva des prêtres parmi les Pastou- 
reaux : ils déclaraient qi^e, quoiqu'ils n'eusseçt point reçu la 
consécration dans la forme accoutumée, ils étaient de bons 
et loyaux serviteurs de Dieu; ils permettaient le divorce, et 
le mariage aux degrés prohibés par TEglise, donnaient Tab- 
solution et accordaient des indulgences ^. Le peuple croyait 
qu'ils avaient le don des miracles, et que près d'eux les vivres 
ne diminuaient jamais, mais multipliaient au contraire par 
une bénédiction céleste. Le pape Innocent IV avait quitté 
Lyon vers Pâques de cette année pour retourner en Italie : 
l'opim'on n'était pas favorable à celui qui avait perdu l'illustre 
Frédéric II de HohenstauiTen. Peu auparavant (1247) la 
noblesse française avait formé une ligue contre les prétentions 
intolérables du clergé 3. Grâce à ces circonstances, l'hostilité 
contre l'Eglise, qui s'exprimait aussi dans le mouvement des 
Pastoureaux , eut quelque temps un libre cours. 

Cependant des vagabonds, des aventuriers, des malfai- 
teurs, des proscrits, étaient venus se joindre aux Pastoureaux: 
ceux-ci avaient eux-mêmes pris goût aux violences depuis 
qu'ils avaient pu passer impunément près de Paris. Une de 
leurs troupes marcha dans une attitude menaçante sur Orléans, 
une autre sur Bourges, une troisième vers la Garonne. Or- 
léans était le siège d'un clergé riche et puissant, et d'une 

1 Offprohria pradicopit irrecitabilw. Ma tliiea Paris, 711. 

2 GttiUaame de Nangis, L c. 

3 Hâthieii Paria 9 62&. 



l54 RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSANS 

université nouvellement fondée et favorable /comme celle de 
Paris, à la faiératcliie de l'Eglise. Mais il y avait aussi dans 
la ville une bourgeoisie qui n'était pas restée étrangère à 
1 esprit de liberté et d'indépendance *. A l'approche des Pas- 
toureaux^ les bourgeois leur ouvrirent les portes et la ville 
fiit encombrée de cette multitude tumultueuse. L'évéque in- 
terdit à tons iclercs, sous peine d'exconunùnication, d'assister 
a leurs prêches : la crainte qu'inspiraient les Pastoureaux retint 
plus efficacement encore la plupart des dercs dans leurs ha- 
bitations^ quelt^ues étudians se mêlèrent toutefois à la foule 
devant laquelle parlait un prêtre hérétique. Celui-ci ayant 
proféré des discours injurieux pour le clergé, un étudiant 
cria anathème sur lui comme sur un hérétique; mais aussitôt 
un des hommes armiés qui entouraient le prêtre fendit le crâne 
à l'étudiant, et la multitude s'élança aux cris de mort aux 

7 » 

prêtres! paircourut les rues, força les maisons et tua vingt- 
cinq prêtres : il y en eut encore un plus grand nombre de 
blessés. Les bourgeois coupables ou soupçonnés de complicité 
furent ensuite mis en interdit par l'évéque. 

La troiipe conduite par le grand-maitre de Hongrie en 
personne^ était entrée de même à Bourges avec l'assistance 
des bourgeois, et y avait détruit la synagogue des Juifs.' 
C'est alors , à ce qu'il paraît , que l'ordre arriva y de la part 
de la reine Blanche, de mettre fin à ces désordres; il est pro- 
bable que les Pastoureaux avaient commis beaucoup d'autres 
excès à Bourges, et d'ailleurs, quelques miracles que le maître 
avait tenté dç faire, ne lui avaient paâ réussi. Ils furent ex- 
pulsés de Bourges et poursuivis par des hommes armés; un 
bourreau qui , la hadie à la main , s*était mêlé à la foule , étendit 
mort le maître de Hongrie^, après quoi le parti de celui-ci se 

i Le roi Louis VU «Tait affrancM en 1180 tout les serfs d'Orléans. 
(R«cueil des anciennes lois françaises, I, l63.) 

2 Guillaum'cf de Nangis , l. c. 

3 Voyez Guillaume de Nangis et MalMeu Paris. Il suffit de lire ce 
dernier avec attention , pour voir qu'il contredit M. de Sismondi (Histoire 



AtJ MOYEN IGE. l55 

r 

dispersa. Ceux qui étaient venus camper autour dé Bordeaux, 
avaient été mal accueillis par le comte de Lëicester t eux 
aussi se débandèrent, ainsi que toutes leurs autres troUpes* 
Les hommes de la reine, des prélats et des barons 6e mirent 
à leurs trousses, et les foudtes de TÉglise les accompagnaient 
dans la poursuite. Errans, traqués partout, les Pastoureaux, 
lorsqu'on les atteignait, étaient assoitmiés comme des chiens 
enragés'. Non content de leur défaite, le dergé fit jouer 
contre eux les armes perfides de la calomnie et des imfHuta- 
tions mensongères. Le grand-^mattre de Hongrie, disah-on, 
a été envoyé par le sultan d'Egypte, pour lui livrer, sous le 
prétexte dune croisade, des milliers de Français; on préten* 
dait que des lettres qui le prouvaient et toute sorte de poisons 
avaient été trouvés sur uH de ses compagnons ; on affirmait 
qail n'était autre que ce même imposteur et magicien qui, 
quarante ans auparavant, avait appelé les enfaïis à la croisade, 
et les avait attirés à lui d'entre les bras de leurs parens, et de 
derricKe les portes et les verroux, par v(n charme irrésistible.* 
Ainsi défigurée, l'histoire des Pastoureaux a été transmisé par 
le dei^é à la postérité, dont le jugement ne saurait plus être 
douteux. 

Nous avons vu tous les soulèvemens antérieurs aboutir à 
Faggravation de la condition des oppimés : le même sort 
frappa les habitans des campagnes en France. La dureté du 
clergé se montre à nu dans un fait qui, sans doute, avait quel- 
que connexité avec le soulèvement des Pastoureaux. L'année 
qui suivit ce soulèvement, le chapitre métropolitain de Paris 
fit amener dans cette ville et renfermer dans un cachot à côté 

des Français, t. VII, p. 479), qui transporte la scène à Paris, et ajoute: 
qa'un bourreau aux ordres de la reine s'approcha du prédicateur et lui 
abattit la tête d'un seul coup au milieu de son discours; après quoi les 
chevaliers qu'on tenait tout prêts auraient chargé la foule. Ceci semble 
^tre une circonstance .empruntée à l'histoire de la Jacquerie. Vojez plus 
bas chapitre VII. 

1 Ceteri ijuasi fumus evanuerunt. Guillaume de Nangis, l. c. 

2 Mathieu Paris, 710, 712. 



I56 RÉVOLTES pT GUEUBiSS, ETC. 

âadoitre Notre-Dame tons les paysans du village de Chatenay, 
(|Ui étaient ses serfs, à cause de (quelques redevances arriérées* 
L'àir malsain jde la prison, le défaut d espace pour un si grand 
Qoiiibre de prisonniers, et la mauvaise nourriture <pi'on leur 
doniiait, firent périr dès le premier jour de leur détention 
plusieurs de ces infortunés. La reine Blanche en eut con- 
naissance : elle manda aux chanoines qu'elle les priait de 
relâcher les paysans moyennant caution; qu'eUe-ménie veille- 
rait à ce que l'Église ne flit point frustr.ée de ses droits. Le 
chapitre répondit que personne que lui n'avait à s'inquiéter de 
ses stijets, et qu'il pourrait, si tel était son plaisir, jes laisser 
mourir de faim. En même temps il fit arrêter les fenmies et les 
enfans des paysans de Chatenay, et ils furent jetés dans cette 
même prison déjà trop resserrée. Un grand nombre de ces 
innocentes yictimes étoufia ou mourut de faim peu après leur 
emprisonnement. La reine Blanche, informée de ces hor- 
reurs, se rendit à la prison avec des hommes armés; mais le 
chapitre mqiaçait d'exconununication quiconque y porterait 
la main : Blanche porta alors le premier coup avec une ba- 
guette qu'elle tenait à la main et fit enfoncer les portes. Les 
hommes, les fenunes et les en&ns qu'on en retira portaient 
l'empreinte de la 9ou£Erance; mais leurs visages exprimaient 
bien plus la crainte des vengeances que le chapitre tirerait d'eux 
à cause de l'humiliation que la reine lui avait fait subir, que 
la joie de leur délivrance. Celle-ci ne fut complète que lors- 
que Blanche eut obtenu raffiranchissement de ces malheureux. ^ 

i Filleàtt ^ë U Ghaite, Histoire de Sâint-Louis, Ut. X, cliap. 14.— 
Capefigne, Histoire tonttitutionncUe, t I.*', p. 257 ^ d'après une bio- 
graphe maniiscrife de Blanclie. 

(La fin an procliain numéro.) 




rcÇéof^ju. 



LA LAMPE PERPÉTUELLE. 

(TBADinr Dl UNGB. ') 

Dans le dmetière de Pforta, à Forient de l'église^ on voit 
un petit monument du temps des moines, appelé commu- 
Pleinement la lampe perpétuelle. L'extérieur porte Femprelnte 
de la main du temps , mais l'ensemble de la forme est par- 
faitement conservé. Outre la tradition j le terrain où il est 
placé et la distribution de ses parties témoignent évidenmient 
qu'il était destiné à renfermer une lumière , non pour servir 
i Téclairage, mais dans un but uniquement religieux. Cette 
drconstance tire notre petit monument de la foule, et, le rat* 
tacbant par ses rapports à des idées d'un ordre moins restreint, 
lui donne plus qu'un intérêt local. Aussi ne sera-t*on pas 
surpris, si, voulant traiter de la destination de la tourelle 
du cimetière, je remonte d'abord à des considérations qui 
se lient à mon sujet. Le feu perpétuel dans les lieux con- 
sacrés, la lumière sur les tombeaux, seront l'objet des re- 
marques et des éclaircissemens qui vont suivre. 

n n'a peut-être jamais existé, il n'existe peùt--étre pas une 
religion dans laquelle le feu, la flamme, la lumière ne se 
retrouve comme un objet ou un symbole de culte, avec ou 
sans relation avec le sabéisme. En effet, quoi de plus naturel 
que de regarder comme une manifestation ou une émanatiooi 
directe du souverain principe de la vie universelle , ce mer- 

1 Doktor Adolph Goitlob Lange' ^ Schrifiem und H€d4nf p, I91. Leip- 
zig, 1832. 



l58 LÀ LAM^E PÉRPÉTÛELLS. 

veilleux élément, à la fois si bienfaisant et si destructeur, si 
près et si loin de nous, si vulgaire et si mystérieux, si doux 
et si terrible, si simple et si composé? Cest là le sens de 
cette pensée d'Young, que les païens n eussent point eu de 
dieu, s'ils n'eussent adoté h aol^il* On sait que TOrient est 
spécialement le foyer des adorateurs du feu; là nous ramènent 
toutes les indications des anciens sur les Assyriens, lesMèdes, 
les Babyloniens, les Chaldéens, les Perses, les Phéniciens, 
les Juifs. Joignez-y le témoignage des monumens , particuliè- 
rement celui jies tombeaux des anciens Perses. Sur un tom- 
beau persépoUtain à Tschil-Miiiar on voit un vieillard-, un 
arc à la main, debout devant un autel sur lequel le feu brûle. 
Au-des3tt|5 de lautel plane un globe. Cest le roi adorant 
Ormuz (le dieu de la lumière); le globç, c'est le soleil 
(Mitbra). Les Perdes ont construit aussi des pyrées^ c'est-4- 
dire des bâtimens où l'on entretenait un feu perpétuel. Les 
jtnages y allaient tous les jours prier pendant une beure. En- 
core aujourd'hui les Parsis ou Guèbres conservent l'antique 
jusage de leurs aïeux. A Bakou, sur la mer Caspienne, dit un 
voyageur, dans une contrée qu'on appelle le Paradis des roses, 
il existe un petit temple de pierre ; dedans est un autel sur le- 
quel brûle une belle flanmie bleue. I^es' Guèbres disent qu'elle est 
sacrée; ils affirment qu'elle brûle depuis la création du monde 
et ne s'éteindra jamais. On y vient eq^élerinage de très-loin. 
A peu de distance dé ce temple on en trouve quelques autres 
où brûle également un feu perpétuel. Mais des gens qui ex- 
pliquent tout^ ont observé que ces lieux abondent en sources 
^de Uîsiphte et de pétrole. Cela est iadienx pour le miracle. 

Chez les Israélites une loi de Moïse ordonnait d'entretenir 
9ur l'autel un feu perpétuel. (Lévitique, VI, la, i3.) Un 
jprétre devait tous les matins y jeter du bois. 

Cet usage des feux sacrés passa d'Orient en Grèce. Je ue 
m'arrête pas à l'emploi fréquent et symbolique des flambeaux, 
par exemple daus les mystères des Cabires, d'Eleusis^ etc., 



LA LAMPB PBKVIÊTUBLLB. iSfi 

dans les Panathénées; dans les fêtes de Vulcain^.de Pro- 
méthée^ et dans mille autres occasions. Je passe également 
sur les candélabres sacrés j les purifications, les consécration^ 
par le feu ; j'aime mieux tirer dç l'antiquité grecque et rou- 
maine cpelques détails relatifs à la matière qui nous ooçupi(« 

A Athènes, dans le temple de Minerve Polias, ç^ ïou 
montrait lolivier sacré, se trouvait aussi un cband^er d'or 
en forme de palmier, ouvrage de Callimaque» Une kmiière 
perpétuelle y brftkit, entretenue par une: mèche danuanta. 
Paosanias raconte la même chose d'un lieu de l'Arcadie: 
«De là (du bois de Poséidon, à Mégare, en Arcadie) on 
descend par un escalier au temple de Pan ; une galerie vous 
y conduit. La statue n'est pas grande, et devant elle brûle 
mifeu perpétuel.^ Dans TAltis, bois sacré ptès d'OIympie^ 
il y avait aussi un autel consacré au dieu Pan, et sur lequel 
le feu brûlait jour et nuit* La même chose avait lieu dans le 
temple de Cérès à Mantinée, et dans le temple de Minerve 
à Goronée c'était la coutume de renouveler chaque jour le 
feu de l'autel* 

Mais c'était la déesse Hestia qui était spécialement honorée 
par l'intermédiaire dn feu* Elle est la déesse du foyçr, et 
comme dans l'intérieur de chaque maison le foyer lui est 
consacré, de même dans l'intérieur de la ville, et précisément 
au centre, on lui a Qonstruit une maison, le Prytanée, où 
sur le foyer public, image du foyer privé, brûle u^ feu qui 
jamais ne s'éteint. 

Beaucoup d'oracles célèbres s'efforçaient de maintenir qt 
d'étendre leur réputation à l'aide d'un Dsu perpétuel; par 
exemple l'orade de Delphes, dont, poadant la guerre, le 
prêtre truisportale feu sacré à Hâtée, à l'exemple des prêtres 
de Délos qui avaient transporté le leur à Lemnos, sur ^n 
avis exprès de l'oracle de Jupiter Ammon. On trouve aussi 
des traces d'une coutume établie entre les colonies et leur 
métropole : ces colonies recevaient d'elle leur feu sacré, t\ 



l6o LA LAMPB PERPéTtJEtL£. 

si par accident II venait à s'éteindre, on était obligé ponir le 
raUumer de recourir à la métropole. Un savant profondé- 
ment versé dans la connaissance de l'antiquité, prétend que 
c'était une ancienne coutume phénicienne : il dit qu'on entre- 
tenait une lampe perpétuelle dans un temple de Cadix. Peut- 
être plusieurs allusions dans l'Enéide s'édairciraient-elles en 
les rapportant à cette coutume des anciens Phéniciens. Wess- 
ling observe encore que cet objet sacré, vénéré en commun 
par les colonies et la métropole, en faisant dominer une idée 
de piété, établissait entre elles une sorte de Ken de famille, 
et qu'au moins en beaucoup d'occasions , cet usage prévint 
l'explosion d'une guerre entre la colonie et la métropole. 

Mais le feu n éclairait pas seulement le paisible autel do- 
mestique : il brillait aussi sur le champ de bataille. Ainsi du 
temps des anciens Grecs, un prêtre de Mars, appelé leporte^ 
Jeuj donnait le signal de la mêlée en jetant une torche aUumée 
dans l'espace qui séparait les deux armées ; usage qui s'était 
. conservé dans les guen*es des Perses. Chez les Lacédémoniens, 
un prêtre, appelé aussi le porte-^feu^ précédait l'armée mar- 
chant au combat, avec un tison pris sur lautel du sacrifice, 
n l'accompagnait jusqu'à la frontière, où l'on ofiraît un double 
sacrifice, à Jupiter et à Minerve. 

Mais de tous les cultes du feu, le plus célèbre est celui 
de Vesta chez les Romains. Sans aucun doute il remonte 
aux premiers temps de Rome, et plusieurs des rites qu'on y 
observait pourraient bien provenir des anciens adorateurs du 
feu en Italie. On s'accorde en général à dire qu'il fiit établi 
par Numa. Ce prince éleva le premier temple à Vesta : c'était 
lin monument d'osier tressé, de forme ronde et recouvert 
d'un toit dé roseaux. Ovide assure en termes formels qu'il 
ne s'y trouvait point de statue de la déesse, mais simplement 
iip autel sur lequel brûlait le feu sacré. L'entrée du temple 
était interdite aux hommes. Sous Tarquîn TAncien le culte 
de Vesta fut réuni à celui des autres dieux*, Servius-TuUins 



LA LAMPE PERPÉTUELLE. l6l 

len sép^a de nouveau et augmenta le nombre des Vestales; 
Leur devoir était de veiller sur le feu sacré et de Tentretenir 
jour et nuit; s*il venait à s'éteindre ^ c'était le présage des 
pins grands malheurs. C est pourquoi Ion punissait les Vestales 
d'un supplice qui les couvrait de honte. Outre le soin ^de 
conserver le feu sacré, auquel se joignait le vœu d'une 
chasteté inviolable, elles devaient encore ofiBrir des sacrifices, 
et le palladium (vieille statue de bois de Pallas, un des gages 
protecteurs du royaume) était confié à leur surveillance par-^ 
ticulière. 

Quand le feu sacré s'éteignait, on ne pouvait employer 
pour le rallumer qu'un rayon du soleil. On se servait pour 
y parvenir d'un instrument que Plutarque appelle Staphion^ 
et qui paraît avoir eu les propriétés d'un miroir concave. 
Ici y comme sous beaucoup d'autres rapports , se montrje une 
singulière resseniblance entre les Vestales et les vierges du 
soleil (vwacochà) au Pérou. S'agit-il de renouveler le feu 
étemel, ce qui arrive une fois par an, lorsque Tannée re- 
commence, elles ne s'y preûnent pas autrement : au moyen 
d'un miroir concave en or, qu'elles poitent adapté à leur 
bracelet, elles concentrent les rayons du soleil et enflamment 
un flocon de coton. 

Dans le temple- de Diane, situé à Rome sur le mont Pa- 
latin, on entretenait aussi nuit et joUr un feu sacré, comme 
dans celui de la chaste Vesta. 

Les tombeaux ont toujours été considérés comme desheux 
consacrés , et, conformément à cette manière de voir, ont 
été l'objet d*honneurs religieux de toute sorte. On dut être 
conduit à l'emploi de la lumière par l'usage de placer les 
tombeaux dans des souterrains obscurs. De nombreux témoi-^ 
gnages nous attestent que les Egyptiens éclairaient par des 
lampes perpétuelles leurs cryptes ou caves sépulcrales. L'his- 
toire de leur roi Mycérinus, dans Hérodote, en est une preuve 
remarquable. Une mort prématurée ravit à Mycérinus sa fille - 

TOME IT. 11 



^63 La lampe PEEPÉTUELLEé 

unique. Dans l'excès dç sa douleur ^ il fit faire une génisse de 
bois doré^ dans laquelle il déposa le corps de sa fille. On 
transt>orta cette espèce de sarcophage à Sais, dans le palais 
du roi; et du temps même d'Hérodote , on plaçait encore 
devant ce triste monument, le jour, une cassolette de par- 
fums; la nuit, une lampe ardente. Chez les Grecs on ne 
trouve pour ainsi dire aucune trace d une semblable coutume^ 
Dans la fameuse nouvelle de la Matrone d'Éphèse il esl 
bien question dune de ces lampes allumée dans un tombeau, 
et dont on vient de temps en temps renouveler Faliment; 
mais lecrivain qui nous a transnus cette histoire pour faire dépit 
aux dames, est un Romain dune époque plus rapprochée 
de BOUS. Cette coutume était alors fort répandue chez les 
Romains; à. la vérité, leurs écrivains n'en fournissent pas de 
fréquentes indications. Suétone cite un bon mot d'Auguste, 
en voyant illuminé le tombeau d'un homme qu'il avait connu. 
Dion Cassius en touche aussi quelque chose ei\ racontant la 
plaisanterie funèbre de Domitien envers ses convives. En outre 
les Pandectes font mention d'une certaine Mœvia, laqueUe, 
par testament, avait affranchi ses esclaves, à la charge par 
eux d'entretenir chacun, à- son tour pendant un mois une 
lampe allumée dans son tombeau. Voilà tout; mais on a trouvé 
dans les tombeaux un nombre infini de lampes; et sur aro,ooo 
lampes romaines qui peuvent nous rester, les deux tiers assu- 
rément proviennent des sépulcres* Les formes en sont ^ès- 
variées, souvent ingénieuses ,, plaisantes ; presque toujours 
elles sont ornées de figurines nettement accusées, quelquefois 
d'inscriptions. Elles sont de teri^e, fort rarement de métal. Le 
profond «ilence des écrivains sqr.c^te quantité de monumens, 
dont l'existence est inattaquable, a fait supposer avec assez 
de vraisemblance, que probableinent l'usage de placer de3 
lampes dans .les tombeaux, commença i prévaloir seulement 
au troisième siècle, lorsqu'oruo^a peu à peu de brûler les 
morts. 



lA LAHPB PBKPÉTVBLLB. l63 

On a beauoonp parié de lampes trouyées dans des tonn 
beaux anticpies encore vivantes au moment de la découverte* 
Ce sont de ces niuseries queTamour du merveilleux invente, 
et que la crédulité s'empresse d accueillir et de propager. > 
Dans un livre imprjbnié à Sulzbach en 1701, Ion vit briller 
tout à coup cin<piante* trois de ces lampes merveilleuses; 
Fortunio liceti, dans un traité spécial, en avait compté bien 

1 Une des plus curieuses est racontée d^ns le lirre de Gestis Anglo^ 
rum (apud scriptores rerum angiicarum)* Voici ce qu'on trou?e p. 31 8 1 
cliap. XXIX : 

mTune (en 1062) corpus PaUantis , filii Eoandrij de yuo yirgilius sert- 
hit^ Bomœ repertum est illibatum, ingenti stupore omnium, quod tôt 
smcula ineorruptione sut Superaperit..»,.» jirdens lucérna ad eaput inventa, 
ërte meehaniea ut nmiiius Jlatus violentia , nuiiius Honoris aspergine 
valeret extingui. Quod^ cum mulii mirarentur , unus {ut semper alitjui 
solertius ingenium in malis hahent) stjlo subtus flummam foramen Jècit» 
lia introdueto aire ignis evanmt** L'historien ajoute que le corps du 
géant Pallas, dressé contre le mur, en dépassait la crête. Il 7 avait aussi 
une épithaphe sur le tombeau , un méchant distique latin , de quoi le bon 
homme d'auteur s'étonne un peu : à moins^ dit-il naïvement, qu'on ne veuille 
attribuer HuTention des caractères latins à Carmen te ^ mère d'Évandre. 

Le recueil entier se compose d'histoires de la même force. Je noterai 
en passant que Southey 7 a puisé le sujet de sa fameuse ballade de la 
vieille femme de Berkeley. Ceêt au chapitre XXVlI : mulier in berchilia 
mansitabat, etc., et an chapitre suivant (p. 317), le sujet de l'opéra 
comique de Zampa. Sans doute M. Planard , à qui Dieu fasse paix , ne 
l'avait pas été chercher là. 

On a reproché à Fortunio liceti l'histoire du tombeau de Pallas et 
de sa lampe perpétuelle : ou voit que du moins il ne l'avait pas inventée. 
Il raconte encore que Sons le pontificat de Paul III , on trouva dans le 
tombeau de Tullia une pareille lampe «Humée depuis lS50 kns, et voici 
comment il expliquait la chose (car les savans expliquent tout) : La fumée 
de la lampe se condensait et formait de nouvelle huile, qui retombait 
dans la lampe. Si Liceti n'a pas renouvelé l'air par un procédé analogue, 
c'est évidemment et uniquement faute d'7 avoir songé. Que lui en aurait-il 
coûté de plusP mais on ne saurait penser à tout! 

Cedrenus assure que du temps de Justinien I.'' on découvrit à Edesse 
un portrait de Jésus-Christ , avec une lampe allumée depuis la passion. 

Le père Kircher avait fait non pal une lampe, mais uue mèche sans 
fin : c'était un premier pas. Cette mèche d'amiante brûla deux ans sans 
déperdition sensible. Le père Kircher se flattait de la léguer à ses héri- 
tiers , comme la partie la plus précieuse de sa succession ; mais on U 
lui ToU avant sa mort. On ne sait si ses héritiers s'en consolèrent. 

(F. C.) 



164 la'lampb perpétuelle. 

davantage*, .mats Ottavio Ferrari soiiffla sar cette respectable 
file de lampes, et les éteignit toutes lune après lautre. 

Je doute même très^fort que Ton ait jamais trouvé des 
lampes dans les tombeaux de nos ancêtres païens. Toutes 
celles qu'on présente, en leur attribuant cette origine, ap- 
partiennent aux Romains. 

Les Chrétiens reçurent bientôt la lumière parmi les symr 
boles de leur culte; on peut expliquer cette adoption de trois 
manières : ou les Qirétiens, par une association d'idées, firent 
de la lumière physique l'image de la lumière nouvelle qui se 
répandait alors dans le monde ; ou bien ils empruntèrent ce 
symbole expressif à leurs voisins paiens, sinon aux Juifs, ce 
qui est encore plus vraisemblable; ou bien, enfin, «e fiit en 
mémoire du séjour des premiers Chrétiens dans les grottes 
et les cavernes. Devenus libres, ils auront voulu perpétuer 
le souvenir d'une coutume imposée jadis par l'oppression. 
L'illumination symbolique se rattache encore à la fête de la 
veille de Noël; et aux jours de TÉpiphanie et de la purifica- 
tion, l'Église catholique célèbre une espèce de fête de la 
lumière. Le premier jour, appelé aussi jour des Rois, se 
rapporte à l'apparition du Sauveur du monde; le second, la 
purification, également célébré par des cierges allumés en 
l'honneur de la Vierge Marie, est une imitation évidente de 
la fête des lumières qui, dans l'ancienne Rome, tombait aussi 
dans le mois de Février. L'introduction dans l'église des lampes 
et des cierges, placés d'abord au-dessus, ensuite autour de 
Tautel, fit chaque jour des progrès : dans l'origine les lampes 
étaient de verre transparent; plus tard elles furent d'argent 
et d*or. Paulin de Noie le dit dans sa pièce de vers sur le 
martyre de s. Félix : 

Clara coronantor densis Altaria lychnis ; 
Lumina ceratis àdolentur odora papyris^ 
Kocte dieque micant. Sic dox splendore diei 
Fulgety et ipsa dies, cœlesti illnslris honore, 
Phis micat inouineris lucem geminata lucemis. 



LA LAMPE FEaPÉTUELLE. l65 

Les premiers Chrétiens ^ soutenant contre le pouvoir tem- 
porel une lutte incessante et terrible ^ persuadés que le jour 
de leur mort serait le jour de leur naissance à une suprême 
félicité y considéraient les tombeaux des martyrs comme des 
temples et des autels, où jour et nuit ils allaient méditer et 
prier. Or, ces tombeaux étaient communément placés dans 
des cryptes, des hypogées, des catacombes; ainsi la nécessité 
autant que la piété obligeait d y entretenir perpétuellement 
de la lumière. D'après cela il pourrait sembler étrange que 
dans le quatrième siècle un arrêt formel des conciles ait aboli 
cette coutume i, si nous ne savions qua l'ombre de ces tom- 
beaux s'était glissée une foule d'abus que déjà lempereur 
Julien reprochait aux Chrétiens, et contre lesquels s^élèvent 
les plus illustres pères de l'Eglise: S. Basile, S. Augustin, 
S. Ambroise. Mais le rit actuel des Églises grecque et catho- 
lique, atteste encore combien était vivace ce pendiant à faire 
intervenir la lumière dans la célébration des fêtes reL'gieuses. 
Une autre preuve, c'est le fameux miracle qui jusqu'à nos* 
jours s'accomplissait chaque année au tombeau du Saluvèur à 
Jérusalem. La veille de Pâques, toutes les lumières ne manquent 
pas de s'enflammec' spontanément autour du saint sépidcre, et 
la chapelle s'illumine tout à coup de plus de cent lampes. Il 
est vrai que depuis quelque temps l'église a été incendiée ; 
mais la cbarlatanerie des prêtres arméniens ne s'arrête pas à 
cette petite lârconstance : elle continue , et trouve autant de 
spectateurs crédules que, du temps d'Horace, la combustion 
spontanée de lencens à Gnatia, non loin de Brindes; et que 
de nos jours , dans Naples catholique, la liquéfaction du sang 
de S. Janvier. 

L'Arioste est entré parfaitement dans l'esprit de cette cou-' 
tome chrétienne, lorsqu'il dépeint le tombeau de l'enchanteur 
Merlin. Bradamante vient d'échapper à lartifice meurtrier de 
Knabel : 

1 Dupin, BibUoUiè({tte occlésiattîipiey toni« II, p. 772. 



)66 t LAMPE PERPÉTUELLE. 

Poi ch' ella si levé tatta stordita , 
€h' avea percosso in s^ lia pietra dara^ 
Dentro la porta an^ô, ch' adilo dava 
Nella seconda assai più lai^a cava. 

La slanza quadra é spaziosa pare 
Una devola e Tfnerabil chiesa, 
Ghe su colonne alabastrine e rare ^ 

Gon bejla architettura era sospesa. 
SoTgea nel mezzo un bel locato altare 
Gh' avea dinanzi una lampada aocesa $ 
E qnélla di splendente e cbiaro foco 
Rendea gran lume alF uno e ail' altro loco. 

{Orîanlio fur. , cant DI, st. 6 et 7.) 

«Après qu'elle se leva toute estourdie d'avoir donné sus 
la pierre dure, entra dedatfs la porte qui donnait entrée plus 
aysée et plus large en la seconde cave. 

<K Lie lieu quarré et spacieux sembloit une dévote et véné- 
rable église, laquelle sus colonnes d'albastre et rares estoit 
avec belle architecture suspendue. Au milieu se levoit un bel 
autel, qui au devant de soj avoit une lampe allumée, laquelle 
de son feu grand et dair rendoit clarté à l'un et l'autre costé. ^ 
(Trad. de Françoys Ghappuys, Tourangemi, i58a.) 

De la grotte de Merlin, qui ressemblait à une det^otè et 
và^rabh église^ nous nous trouvons naturellement raonenés 
à notre petit monument du cimetière de Pforta, lequel nous 
a servi de point de départ. 

Cette tourelle fut bâtie exprès pour renfermer une lampe 
funéraire. Cela résulte d'un acte trouvé dans le registre des 
Annales de Pforta , et passé entre l'abbé Albero de Pforta et 
Dithmar de Walkenried. Il est dit que le revenu dès biens 
situés à Damsla, et donnés au couvent par le frère Jean de 
Kothené, sera livré au sacristain de Pforta, qui devra l'ap- 
pliquer à l'entretien d'une lampe pendant la nuit sur le eime-^ 



LA LAMPE PERPÉTUELLE. I67 

tière de ladite ville i. Vscie est de i a68 , année de la dédi- 
cace de 1 église de Pforta. Il est très-vraisemblable que la 
lampe perpétuelle fut fondée la même année^ sous Tabbé 
Albero j qui est le sixième de Tordre. Au moins cette fonda- 
tion ne peut-elle remonter plus haut. 

D'ailleurs la forme et l'économie de ce monument conduisent 
à conclure qu'il ne pourrait avoir eu d'autre destination que 
celle que nous avons dite^ c'est un hexagone régulier, dont 
le sixième côté, celui qui regarde le cimetière, présente une 
porte. Sur cette base s'élève une pyramide tronquée à quatre 
pans, surmontée elle-même d'une toureUe percée à jour et 
terminée en pointe. De Fintcrieur de cette pointe pend encore 
la chaîne qui soutenait la lampe. La hauteur de Fensémble 
dépasse un peu seize pieds du Rhin. Dans la chapelle de la 
Trinité, à Pforta, on conserve comme une relique une lanterne, 
vulgairement appelée la lanterne de S. Joseph, dont la res- 
semblance frappante avec le bâtiment du cimetière, ne permet 
guères de douter que la lanterne n'ait servi de modèle à la 
lampe perpétuelle. Ce surnom , comme on a pu le voir par 
l'acte cité ci-dessus, n'est pas très-exact, puisqu'il est formel- 
lement expliqué que cette lampe ne bi*ùlera que la huit. Ce 
n'était cependant pas qu'elle dût servhr à l'éclairage ; la dis- 
position du monument repousse cette supposition. Cette limi- 
tation de temps n'a pas non plus été inspirée par Fesprit 
d'économie : à cette époque précisément, et en partie sous 
l'administration de ce même abbé Albero, on trouve tant de 
fondations pour des cierges et des luminaires, qu'on n'e&t 
point pris garde à un si léger surcroît. Mais il fallait obéir 
à un canon du concile de Perpignan , qui défend d'allumer 

1 tt Nos f rater Dyihmanu de fValkenrith et nos f rater jiihero de Pforta^ 
dieii ahhates , ordinamus et consiitmmus ut omnes fruetus et propêtttus hû- 
norum in villa qme Damsla dicitur , tjuœ frater Johannes de Kothene ton- 
versus de Pforta , custodi poriensi cedat et diripetur perpetuù, ut ex ea 
procuret lumen de noetumo tempore arsurum in cymeterio portensi , m loe0 
quQ dominus aktas melius expedirê judica^^trit.^ (Fol. XXIX ^ 6,€ot« 2O 



l68 LÀ LAMPE PERPÉTUELLE. 

pendant le joar des cierges sur le cimetière, afin, ajoutent 
les bons pères,, que les âmes errantes des saints nen soient 
pas dérangées* 

Kous croyons avoir montré la véritable destination du 
petit monument de Pforta. En tout <ais, comme on en trouve 
de pareils sur d'autres cimetières encore, il est évident qu'ils 
furent construits dans un but religieux. Peut-être servaient-ils 
dans les fêtes de Téglise ou dans les processions. Il y en avait 
un dans le cimetière de Constance et dans celui de Fribourg 
•en Brisgaù. Ce dernier est représenté comme une pyramide 
.carrée avec quatre fenêtres, et Ion ajoute qu'il renfermait 
une lampe perpétuelle* Dans la cathédrale de Paderborn, au 
point d'intersection des ailes latérales, on voyait autrefois 
une lampe de cimetière, du treizième ovt du quatorzième siècle, 
laquelle fut ensuite rétablie sur le cimetière. d^Wasteriathore. 
Enfin, près de l'église de Sainte-^ Marie, à Sangerhausen, il 
existe encore aujourd'hui une tourelle parfaitement semblable 
à celle de Pforta, et on lit dans la chronique de la ville : ^l 
appartient à nos chères sœurs de la congrégation d'entretenir 
la lampe des pauvres; pour quoi il y a. une rente. ^^ 

Toutes mes recherches n'ont pu me faire déoouvr|;r d autres 
monumens de ce genre*-! 

Cette lampe allumée dans ces h'eux par la piété des Bons 
moines,, depuis lopg-temps est éteinte; mais dans ces monu- 
mens vénérables par leur antiquité reculée, l'esprit de paix 
et de consolation semble encore habiter. On ne peut s'an*êter 

« 

1 On lit dans les Mémoires de la marquise de Créquy : 
«Je me souviens qu'il y avait dans la chapelle où les abbesses étaient in- 
humées deux superbes lampes ^ dent 1 une éuit d'un beau travail d'or< 
féTrerie gothique^ enrichie de pierreries sur un fond dW : celle-ci brûlait 
continuellement, Undis que l'autre, qui était en argent ciselé, u'éuit 
•Humée presque jamais.... J'appris que la lampe gothique arait été fondée 
vers l'an 1200, et qu'elle avait été dotée en bled y ce qui pouvait fournir 
à son entretien pendant toute l'année; undis que Vautre, qui avait été 
•fondée en 1 55o, ne pouvait être allumée que pendant quatre mois sur douze, 
attendu qu'elle avait été dotée en numéraire. (Tome I.*% p. 34.) (F. G.} 



LA LÂUPE PERPÉTUELLE. 169 

à côté de ces pierres soircies^ en i^ésence de ces églises 
revêtues de lierre, et de ces montagnes dont la cime se cache 
dans les nuages, sans se laisser aller à une contemplation 
mélancoliijue et rêveuse, qui fait oublier le-monde et le temps : 

Ici tombe le bruit des passions bumaînes; 
Les peuples endormis ont secoué leurs cbaines, 

Et pour Fétemité 
Quand ils s*éveilleront dons des flots de lumière, 
La nuit ne viendra plusVatîguer leur paupière 

De son obscurité. (Gœthe.) 

F. GÉ5IS. 




0mtïiu il ^^mttis. 




NÉCROIiOGIE. 



HENRI LAGARMtTTE. 

Pourquoi fallait-il que si jeune, mais ayant donné déjà, 
comme on la dit^, plus que des promesses pour lavenir, il 
fût arrêté dans sa course? Pourquoi fallait-il que taût de nobles 
travaux restassent inachevés, que tant d espérances fussent 
flétries? Pourquoi fallait-il que lamitié, après sa douceur et 
ses joies, eût des jours dun deuil si amer; et qu'après avoir 
traversé la vie ensemble ,^ si tôt lun de nous restât seul et 
comme privé dune moitié de lui-même?«...Mais nous n avons 
pas à entretenir le public de nos regrets ; nous devons seule- 
ment à nos lecteurs quelques mots sur Fami que nous pleu- 
rons. 

Notre ancien collaborateur à cette Reflue ^ M. Henri La- 
GARMiiTE^, a succombé le 24 Mai, dans sa vingt-septième 
année, à une cruelle maladie de poitrine qui le consumait 
depuis long-temps , et dont le ciel <]ltalie n a pu réparer les 
ravages. A la fin du mois de Janvier, letat désespéré de sa 
santé Tavait forcé de suspendre ses travaux, et de quitter 
notre climat trop humide et trop froid. Ce fut en vain .: un 
triste pressentiment, quil ne s'avouait pas à lui-même, le 
ramena parmi nous; dix jours après «on retour il avait cessé 
de vivre. 

1 Article nécrologique , par IM. Panl Rocliette , dans fe Journal du HtuH- 
et Bas'Hhin (le 25 Mai 1834), reproduit par le Moniteur universel j \t 
Moniteur du commerce et la Revue du progrès social. 

2 Ne à Landau (Bavière rhénane) le l9 Octobre 1807. 



NOUVELLES ET VARIÉTÉS. I7I 

Sans doute lamitié ne nous trompe point, lorsque nous 
croyons que quelques traits du développement intime d'un 
esprit élevé, d'un caractère généreux,, peuvent avoir de l'in- 
térêt, de l'utilité même.... 

Son point de départ avait été celui de la plupart des jeune» 
gens de nos |ours, la philosophie du dix -huitième siècle. 
Rousseau, l'histoire de- là révolution, les guerres glorieuses 
de l'empire : voila ce dont il nourrissait sa jeune et vive ima- 
gination au sortir du collège. Mais la trempe de son esprit le 
disposait à quelque (ihose de plus large et de plus profond 
que la légèreté voltairienne, que l'opposition souvent fausse 
et mesquine, empreinte dans les Résumés d'histoire en forme 
de plaidoyer, qui se publiaient à cette époque, et qu'il lisait 
néanmoins encore avec ardeur. 

C'est alors que le ministère Martîgnac rendit une voix à 
trois chaires célèbres, qu'un iinmense auditoire vint se presser 
dans la vaste salle de la Sdrbonne, et qtte l'impression, mul- 
tipliant la parole des éloquens professeurs, la répandit par 
toute la France. Presque en même temps » M, H. Lagarmitte- 
passa en Allemagne pour compléter ses études en Droit, qu'il 
avait faites à la faculté de Strasbourg. M. le professeur Mitter- 
maîer, de Heîdélberg, dont nous avons souvent eu occasion 
de parler avec éloge, et qui était son parent, l'initia à l'esprit 
de la jurisprudence allemande, ou pour mieux dire au génie 
aHemand'tôut entier. Il y avait analogie évidente entre les 
doctrinaires de France et l'école histQrique d'Allemagne ; leur 
tendance répondait d'ailleurs au besoin intérieur qui l'élevaît 
au-dessus des principes exclusifs du dix-huitième siècle : il 
s'abandonna tout d'abord à ces influences nouvelles. 

Alors aussi commença l'activité littéraire de Mt H. Lagar- 

* 

mitte. Il pubUa dans notre Re^ue^ un article sur la peine 
de mort, où il exposa les opinions des criminalistes allemands 

1 En Octobre 1828. 

2 En Mai 1829. 



Xja NOUVELLES ET VARIÉTÉS. 

SUT cette grave question. Cet article fut suivi de plusieurs 
autres , où il fit cousaître ce que les sciences politiques et 
juridiques offirâient de plus important en Allemagne i. Le Drdt 
criminel surtout loccupait, et le système pénitentiaire : de là 
le projet de traduire les excellentes Leçons du D/ Julius sur 
les prisons. (Paris et Strasbourg., chezr..G.Levrault, 2 vol. 
in-8.'' Prix : 1 5 fr») Les notes curieuses , et le tableau complet 
de rhistoire et de 1 état actuel de ladministration des prisons 
en Allemagne, dont il enrichit sa traduction , en augmentèrent 
encore le prix. Elle parut dans les premiers mois de i83i» 
Les préoccupations politiques de ,cette époque empêchèrent 
seules ce livre indispensable sur une des plus importantes 
questions^ sociales, d obtenir aussitôt tout le succès qu'il mé- 
ritait. La préface du traducteur put montrer à quelle hauteur 
de vues il avait su dès^lors s'élever. 

Plus tard M. Lagarmitte, peut-être rebuté par Tinâifférence 
qu'on monU'ait, même au ministère de la justice, pour Famé- 
lioration des prisons, abandonna la spécialité à laquelle il 
avait voué de si consciencieux travaux j et se livra avec ar- 
deur aux questions générales de la science sociale et de la 
politique. Une idée qu'il n'abandonna pas, une idée que ses 
premiers travaux avalent fortifiée en lui et à laquelle il 
est toujours resté fidèle, uite idée qu'il appartient surtout 
à la Ret^ue germanique de relever . avec insistance , c'est 
r«lliance intellectuelle de la France et de rAUemagne. Il ne 
la concevait pas comme «^une fiision, une annulation des 
sentimens de nationalité,^ mais comme «un concours à la 
grande œuvre humanitaire,^ résultat «d'une vaste division 
de travail, en vertu de laquelle chacune de ces deux na- 
tions accompUrait , dans l'œuvre générale , la mission parti- 
culière que lui assignent sa vocatipn, ses goûts, son carac- 

1 Nous rappellerons surtout un article remarquable par l'élévation des 
idées qui j sont émises, sur les théories de Droit crluiinel en Allemagne. 
Janvier 1831. 



NOUVELLES ET VARIÉTÉS. IjZ 

tère, en un mat, son génie national.^ L'Allemagne. resta pour 
M« Lagannitte Tobjet d'une constante. étude; et nous pour* 
TOUS dire avec la Gazette d'jiugsbourg^^ «qu'il était du 
petit nombre des Français qui savent apprécier l'esprit de 
la civilisation et de la littérature allemandes aussi bien que 
celui de la France. ^ 

Cependant, avant que M* Lagarmhte eût terminé sa tra- 
duction de Julius, un grand changement politique était sur- 
venu : une révolution avait puni le parjure, et renouvelé la 
base de l'édifice constitutionnel. Pour nous tous qui, nés 
sous l'empire, n'avions vu ni les abus de l'ancien régime^ 
ni la tourmenté révolutionnaire, qui n'avions même connu 
de Napoléon que l'enthousiasme de son nom se mêlant à la 
défense du territ<>ire dans les départemens frontières; pour 
nous la révolution de Juillet combla,* au-delà de toute attente^ 
nos voeux les plus chers. Mais un renouvellement si grand^ 
si inattendu, avait fait naître d'immenses espérances, auxquelles 
le pouvpir ne parut pas toujours avoir beaucoup de bâte 
de s'associer. Bientôt l'apparition des moùvemens populaires 
prouva qu'il n'était. plus possible de continuer le râle facile 
du hbéralisme sous la restauration. Le gouvernement ne songea 
qu'à empêcher et à réprimer : c'était une nécessité du mo- 
ment, et il en fit une règle constante. On parla dédaigneuse- 
ment, non pas des fausses, des mauvaises théories, mais des 
théories en général. L'opposition,. de son côté, par ses at- 
taques puériles et l'oubli qu l'ignorance des grieis véritables, 
semblait prendre à tâche de se déconsidérer elle-même. C'est 
dans cet état de choses que le saintrsimom'smè, qui jusquerlà 
avait eu une existence assez obscure, s'annonça comme pos- 
sédant la solution de tous les problèmes et le remède à tous, 
les maux. 

Le saint-simonisme est jugé par l'événement : comme 
secte, il n'existe plus; mais à plus d'un égard la société eur 

1 Article nécrologique dans le Supplément au n.^ 916^ du 1.* Juin 1834. 



174 IVOUVELLES ET YARIÉTÉSU 

tière est tout imprégnée de rinfluence indirecte qa'il a exercée 
sur elle. La rdigion remise en honneur , l'alliance tentée du 
libre examen et de lautorité^ une mission plus digne assignée 
au pouvoir, celle de diriger les forces sociales; les grands 
intérêts sociaux élevés par là au-dessus des petites luttes du 
moment; toutes les phases de* l'humanité acceptées, tous les 
besoins matériels et spirituels de l'homme cpnciUés; une régé- 
nération sociale promise au nom de lassodatton universelle, 
et par dessus tout, cette grande idée du progrès inscrite sur 
isL bannière: tel était le programme du saint-simonisme. Par là 
il attira à lui tant d'esprits élevés et généreux ; et il faut le 
dire , s'il s'était contenté de ra|^ler ainsi l'attention sur les 
problèmes de l'humanité et d'en chercher mûrement la solu- 
tion, au Ceu de présenter une solution toute faite, et de 
prétendre organiser prématurément sur des bases imaginaires 
je ne sais quelle hiérarchie bizarre et oppressive, son action 
eût été et plus étendue et plus bienfaisante. 

M. H. Lagarmitte prit au saint-simonisme une part (jui 
honorera sa mémoire. Dès avant son arrivée à Paris ^ il avait 
étudié cette doctrine. Ce qu'il y avait de généreux, de vrai, 
de fécond dans son programme, il y adhéra pleinement,. et 
ne le démentit j[amais, même après sa séparation. H n'y avait 
que le Globe où il put émettre sur la politique étrangère, 
et en particulier sur l'Allemagne, ses vues si larges, si im- 
partiales, si dégagées des petits intérêts des partis du jour. 
D'ailleurs l'indépendance de son caractère lui faisait, je ne 
dirai pas dans la hiérarchie saint-simonienne, mais à côté 
d'elle, une position exceptionnelle qui fut long-temps respectée. 
Lorsque cette hiérarchie, où la crainte de l'indivîduah'sme fut 
poussée jusqu'au mépris de l'individuaUté, menaça son in- 
dépendance ; lorsque chaque matin le Glohe prêcha une mo- 
rale, ou pour mieux dire une immoraUté scandaleuse qui 
répugnait à ses principes et à son caractère, M. Lagarmitte 

1 £n Juin laSl. 



II017TELLES ET YAIIIÉTÉS. 17$ 

rompit avec le saint^simonisme et quitta Paris ^« Peu âpr^s le 
Globe cessa de paraître. * 

M. H. Lagarmitte passa alors quelques mois à HeidelU^ierg^ 
^ publia dans un journal allemand' im article étendu. et 
trè»-remarquable sur la révision du Code pénal et du Code 
d'instruction criminelle par la loi du 28 Avril 1 83a , et sur 
les discussions auxqueUes cette loi donna lieu dans les deux 
chambres. De retour à Paris ^, il -inséra dans le journal le 
Temps un certain nombre de lettres et d'articles sur la si- 
tuation politique de TAllemagne et sur son régime municipal, 
et fut un collaborateur actif de la Rei^ue encyclopédique. 4 
Enfin, M. Lagarmitte vint à Strasbourg remplir les fonctions 
de rédacteur en chef du Journal du Haut" et Bas^RJdn. ^ 
Là, dans une position indépendante, il put développer sous 
toutes leurs faces ses idées élevées sur la politique tant in- 
térieure qu'étrangère. 

Sa ligne politique fut très-simple et pleine de firanduse, 
de loyauté et d'élévation. Depuis long-temps il était convaincu 
de la futilité et de la sanglante impuissance des théories re- 
nouvelées du Contrat social et des souvenirs de 93. Ennemi 
de la violence, il voulait Tordre et la paix, comme condition 
indispensable des progrès à venir. Il appuya donc le pouvoir, 
pensant que le pouvoir avait besoin de force pour protéger 
Tordre soqal, et que la précipitation dans les améh'orations 
nuit et compromet beaucoup plus qu'elle ne profite. Il entre- 

1 En Avril 1832. 

2 Critische Zeiischrift , etc. : Journal critique de lëgitlation et de juris- 
prudence étrangères, publié par MM. Mittermaier et Zachari», t. lY^ 
p. 428. 

3 En Juillet 1832. 

4 Nous devons rappeler , dans l'intérêt de la vérité, que Tarticle sur 
rinstruction publique, inséré dans le cabier de Janvier 1833 deU/fevue 
enryelopédifut! , ne reproduit pas exactement le travail de M. Lagarmitte; 
ce travail a été rétabli , du moins en partie, dans un tirage à part, cou* 
tenant les rectifications qu'il a été possibH de faire sans recomposer à neuf 
tout l'article. 

5 Depuis Avril 1833. 



17^ NOUVELLES ET TAAIÉTÉS*' 

voyait héapmoisB dans un lointain avenir une époque où^ 
après la défaite définitive des factions ^ les dépositaires actueb 
du pouvoir ayant accompli tout le bien que leurs théories 
comportent, son rôle viendrait peut'-étre à changer, et où il 
pourrmt se trouver placé dans lopposition : par là il n'enten- 
dait pas cette hostilité tracassière et stérile qui harcelle, mais 
ce dissentinient calme qui éclaire, qui encourage et qui féconde. 
S'il ne lui a pas été donné de voir ces temps meilleurs, tous 
ses efforts tendaient à en hâter lavénement. Inflexible contre 
lé désordre, il ouvrait ses colonnes à tout ce qui élève la 
politique au-dessus dea discussions mesquines et passionnées, 
et la transporte sur le terrain des améliorations réelles* Or- 
ganiser, tel est le vœu de la jeune école française dès son 
berceau : c'est celui que M. H. Lagamutte émettait sans cesse 
avec la vivacité et la sagesse qu'il savait si bien réunir. Son 
journal exprimait, avec une noble et chaleureuse franchise, 
toutes ses convictions les plus hautes; son journal, c'était 
lui-même. Aussi est-il sorti honorable et pur de ces fonctions 
délicates. Mais les fatigues et les mille désagrémens qui en 
étaient inséparables, achevèrent de miner sa. santé depuis 
long-temps compromise. 

Sa vie a été courte, mais elle a été pleine. Par combien de 
traverses il lui a fallu passer pour se frayer sa carrière! par 
combien de luttes intérieures, pour conquérir cette sérénité de 
convictions morales, religieuses, politiques, qui le distinguait 
si éminemment au milieu de notre é^-oque de doute, d'incer- 
titude et d'agitation ! Tant de travaux et d'épreuves l'avaient 
mûri de bonne heure; mais ces combats que l'ame se livre à 
elle-même, bien souvent la déchirent, et ils usent les forces 
du corps. Une chose Fa constamment soutenu jusqu'à sa fin, 
la foi au progrès de 1 humanité; une pensée présidait à tous 
ses efforts, de se dévouer à cette sainte cause. Et il est mort 
à la peine! et à notre tour nous y mourrons après lui : telle 
est la condition de l'humanité. 



NOUVELLES ET TARIÉTÉS. I77 

Cette gothique cathéclrale, où nous avons porté sa dépouille 
avant de la rendre à la terre, nest-^lle pas Tœuvre de plus 
de dix générations qui sont venues y mettre pierre sur pierre 
et l'élever successivement chacune dune assise? Personne ne 
sait les noms de. tous ceux qui ont mis à leur tour la maiii 
au grand et religieux édifice : à peine si, de loin en loin, 
quelques traits taillés dans la pierre ou à demi effacés dans 
un vieux livre, rappellent le nom d'un architecte. Mais le 
cœur pense à tous, quand on se promène sous ces voûtes 
majestueuses, ou qu'on gravit la' flèche dentelée. Ainsi l'édi^ 
fice des sociétés modernes s'élève lentement à la sueur de 
nos fronts, et grandit pour abriter un jour ceux qui nous 
suivront. Celui qui est venu, à son heure, y placer quelques 
pierres, ne mérite-t-il pas aussi quelques larmes et un pieux 
souvenir? Hehri Klimrath. 



LA socsàrà rotaueb aixemandb db kcbnigsberg; 

SES TSIAVAUX — - SES ]Ii£mOIRES. 

Dans la plupart des universités de VAllemagne, les pro- 
fesseurs et les savans ont formé des sociétés scientifiques dont 
les membres se réunissent à certains jours fixés par leurs 
réglemeps, et lisent tour à tour des discours ou des traités 
$ur différens points de littérature , de science ou d'histoire. 
Si Gœttingueetléna ont, comme plusieurs autres villes d'uni- 
versités, une société latine j l'on trouve à Koenigsberg une 
société royale allemande. C'est de cette dernière que nous 
voulons parler dans cette courte esquisse. Il ne sera peut-être 
pas sans quelque intérêt pour quelques-uns des lecteurs de 
la Nouvelle Re^me germanique ^ pour ceux surtout qui s'oc- 
cupent spécialement de l'Allemagne , de leur présenter rapi^ 
dément l'histoire de cette société et de ses travaux, et d'ap- 

TOME II* 2 3 



1^8 nOVYBLLES ET VARIÉTÉS. 

-pfAev leur attention sur les mémoires qu elle a récemment 
publiés. > 

La^ Société royale alkmande fnt fondée le 1 5 Novembre 
1741 par Célestin Flottwel, alors Prwat^Docent à luniver- 
sité, et par quelques savans de Kœnîgsberg. Son but originaire 
était de faire naître et d'entreteiiir parmi les jeunes Allemands 
raraour de la littéramre et de l'art, et d*exciter le zèle des 
étudiansles plus distingués, en les admettant à prendre part 
à ses travaux. L'idée de Célestin Flottwel trouva aussitôt 
beaucoup d'approbateurs. MM. de Wallenrodt et de Lesge- 
Wang, alors ministres de Prusse-, prirent la société sous leur 
protection spéciale* Elle ne fut pas sans efficacité; car, le 
18 Août 1743, le roi la confirma par des lettres-patentes, 
et lui accorda en méipe tçmps le droit de porter le titre de 
royale, d'avoir un sceau particulier, un local dans le château 
pour ses séances et un j4chtel de bois à brûler. Le même 
document affranchit de la censure les écrits qu elle publier^t 
«Toutefois, est-il dit dans ce privilège, on ne doit jamais 
oublier dans de pareils écrits le respect que Ton doit k Dieu 
le Très-Haut; la culture des sciences, des arts et surtout celle 
de la langue allemande, doit être le but unique des membres 
de la sodété.» 

Elle nomme parmi ses membres un président, un .direc- 
teur 2, un secrétaire, un bibliothécaire et un caissier. Ses 
séances sont mensuelles, mais seulement au nombre de dix 
par an , car on ne compte pas habituellement dans ce nombre 
les deux séances solennelles et publiques qui se tiennent le 
1 8 Janvier en commémoration du jour oi\ 1 électeur de Prusse 

1 ffUlorische und literarische ^hhandlungen der konigi, d/eutseken G0- 
sellschafi tu Sônigsberg , herausgegeben von dem zeitigen Direktor der Ce- 
seilschafi , D/ F. PV. Schubert , çrdentliehem Prof essor der Geschichte^ 
Géographie und Staatskunde, Konigsherg , im f^erhge der Gekrùéer Sor^n- 
trager. Erste Sammlung^ 1830; zweile Sammiung , 1832. 

2 Le directeur est élu pour un an, le secrétaire pour trois, mai* ils 
sont tous deux iodéfiiiiment rééligiblct. 



VOUYELLES EX VÀBIÉTÉS. tjg 

prit rang pânni les rois, et le 3 Août, annÎTersaire de la 
naissance du roi actuel. 

Elle se divisait dans le siècle précédent , comme aujour-- 
dliui, en membres honoraires et membres ùrdinairéSy mais 
avec cette différence, que cette dernière section se composait 
detudians de Inniversité, pour qui cette réunion scientifique 
était pour ainsi dire une école préparatoire* Pendant la guerre 
de sept ans, la société avait presque entièrement cessé ses 
séances, et elle ne reprit une nouvelle vie qu'en 1766, par 
les soins et l'activité de son directeur le professeur D/ Lindner. 
Mais à sa mort, en 1 7 7 G, elle s'éteignit presque entièrement, 
de sorte que lorsqu'un de ses andens membres , Iç conseiller 
ecclésiastique Hennig, voulut la reconstituer, il fallut faire 
confirmer de nouveau son privilège par le souverain* Ces 
secondes lettres^patentes sont datées du 4 Novembre i783. 

Pendant ce temps, une société semblable s'était formée 
dans le même but, et avait pris le nom de Société libre. 
Mais, comme il était facile de le prévoir, elle ne tarda pas 
à sentir le besoin de se réunir à son atnée. Cette permissfon 
lui fut accordée par rescrit ministériel du 3 a Septembre 
1788. Le nom de Société royale allemande et tous les droits 
que possédait la première, passèrent dès -lors aux deux 
sociétés , désormais fondues en une seule. Elle agrandit 
à cette époque le cercle de ses travaux, et s'occupa dès ce 
moment d'une manière toute spéciale de l'bistoire de l'Alle- 
magne et surtout de celle de la Prusse. L'admission de la 
plupart des professeurs de l'université, de quelques fonc- 
tionnaires instruits et de plusieurs littérateurs renommés, lui 
imprima une plus grande activité et un nouveau caractère; 
car dès- lors l'admission d'un étudiant devint une exception 
bien rare. Ce fut alors que la société, qui depuis quelques 
années avait sous les yeux l'exemple des Feuilles prôt^inciales 
de la Silésie (Schlesische Proyineialblatter) songea à pu- 
blier un journal. Ce recueil, qui parut tous les mois par 



l^O HOUVEULES ET VARIÉTÉS. 

cahiers pendant neuf ans (1790 — 1798), contient presque 
tous les morceaux qui furent lus dans le cours de cette pé^ 
riode aux différentes séances. Cette publication fut ensuite 
interrompue^ et ce ne fut plus qu'en 1801 ^ à Tanniversaire 
séculaire de la fondation de la monarchie prussiienne, quoo 
livra à l'impression une partie de ses nouveaux travaux. 

Pendant les cinq années qui suivirent, les événemens dont 
l'Europe était alors le théâtre, absorbèrent tellement l'atten- 
tion, générale, que les séances mensuelles, d'abord fort irrér 
gulières, finirent par cesser entièrement, et sans les deux 
réunions publiques et solennelles du 1 8 Janvier et du 3 Août, 
on aurait presque douté de l'existence de la. société. Cet état 
de choses dura jusqu'à l'arrivée de la famille royale à Kœnigs- 
berg pendant l'hiver de i8o6« Alors le concours d'une foule 
de'personjiages marquans, qui considéraient tous la société 
comme un des meilleurs moyens de propager dans cette pro- 
vince l'amour du travail, de la science et des arts, l'hono- 
rèrent d'une faveur particulière : surtout l'intérêt ^vec lequel 
la famille royale assista aux séances , lui donna une nouvelle 
vie, et occasiona dans son sein une régénération dont elle 
avait un urgent besoin. Les étudians et les candidats ne. furent 
plus reçus parmi les membres ordinaires , et Ion inséra dans 
les. statuts, qui fuirent refondus à cette occasion, que les 
travaux de la société embrasseraient à l'avenir l'histoire, la 
littérature, la politique et les beaux-arts. L'on devait accorder 
une considération particulière à ce qui avait rapport à l'Alle- 
magne et surtout à la Prusse. La clas^ des membres hono- 
raires fut maintenue , mais on ne dut y admettre que les per- 
sonnes qui portaient un vif et constant intérêt aux travaux 
de la société, et qui, empêchées par leui-s fonctions ou par 
la nature de leurs affaires de résider dans le pays, n'en étaient 
pas moins engagées à livrer régulièrement plusieurs articles. 

Comme on l'a déjà vu par l'extrait des lettres-patentes 
que nous avons donné, un des buts et même un des devoirs 



NOUVELLES ET VARIÉTÉS. l8l 

de cette société était le progrès, le perfectionnement de la 
langue et de la littérature allemandes. Cest pourquoi, non 
contente de l'encourager par ses propres efforts, elle voulut 
encQre provoquer la publication d anciens monumens litté- 
raires totalement inédits, et proposer des prix pour la solu- 
tion de plusieurs questions philologiques. C'est dans ce but 
qu'en 1818 elle fit publier par un de ses membres, le pro- 
fesseur F. L. Koepke, l'ouvrage de Rodolphe de Montfort, 
qui a pour titre : Balaam et JosapïiaU Ce, poème, monu- 
ment de l'ancienne littérature allemande, avait pour la Prusse 
un intérêt d'autant plus vif, qu'une foule de vieux documens 
semblent prouver qu'il était la lecture favorite des membres 
de l'ordre teutonique au quatorzième et au quinzième siècle. 
Quelque temps après elle proposa un prix de 5 o ducats de 
Hollande (5 8 o fr.) pour le meilleur traite historique et gram^ 
matical sur les prépositions allemandes. Elle laissait en outre 
à l'auteur la pleine et entière propriété de son manuscrit. La 
première année la question ne fut pas résolue; mais la société 
ayant prolongé le terme, eut, en Décembre i8a3, la joie 
d'adjuger le prix à l'un des plus grands philologues de l'Alle- 
magne, à Jacob-Grimm, alors bibliothécaire à Cassel 1. L'année 
suivante la société proposa une nouvelle question. 11 s'agissait 
d'expliquer : quels atHÙent été les rapports des P^enètes at^ec 
les Rendes, Deux mémoires furent envoyés en 1826, mais 
trouvés si peu satisiaisans, qu'ils ne pouvaient prétendre ni 
l'un ni l'autre au prix de 3o ducats (348 fr.) qui avait été 
proposé. Ce fut alors que la société prit la détermination de 
ne rien mettre au concours pour les années suivantes, et de 
faire à la place imprimer les morceaux d'histoire et de litté^ 
rature lus dans son sein depuis le mois de Janvier 1 83 7 , et 
en même temps d'encourager et même d'aider la publication 
de vieilles chroniques ou d'autres anciens monumens d'un égal 
intérêt. 

1 Le D/ J. Grimm est aujourd'hui professeur à runÎTertit^ de Gattiogue. 



l'8a NOUVELLES £T VARIÉTÉS. 

Notre intention n'est point de relater ici tous les traités lus 
depuis cette époque par les membres de la société. Nous nous 
contenterons de jeter uii coup d'œil rapide sur les deux vo- 
lumes déjà parus. Nous devons ajouter qu'on est principale- 
ment redevable dé cette publication au zèle et à l'activité du 
^irecteuf actuel^ le D.' F. W. Sdiubert j professeur d'histoire, 
de géojgrapbîe et de statistique à l'université. C'eist même dans 
une introduction placée à la tête du premier volume, et dont 
il est l'auteur^ que nous ^vtms puilsé les détails qui nous ont 
permis d'écrire cette notice. 

Le premier volume parut en 1 83o et contenait sept difie- 
reikslfaîtés, parmi lesquels nous devons particulièrement dter 
deux morceaux du plus haut intérêt dus an professeur de 
BoUen, l'un, sur le commerce et la nàwgatiûn de flnde 
lions Vfmïiquité la plus reculée; ï'rfutre, sur les rapports 
intimes , ou plutôt sur la parenté de la langue sanscrite et 
de la langue lithuanienne» Le laborieux professeur Sdubert 
a aussi fourni son contingent : sur trois articles qu'il a fait 
insérer, un surtout, sur les États de la Prusse et les diin" 
sions intérieures (jùi agitèrent ce pays U y a 200 a/v, 
mérite une attention parttculièi'e. Nous ne pouvons passer au 
deuxième volume sans mentionner encore un morceau histo- 
rique sur les derniers rapports de Vordre teutoni^ue as^ec 
le saint siège ^ sous h margrave Albert y justfuh sa sécu- 
larisation; UKurceau d'autant plus intéressant que la position 
de Fauteur, l'archiviste Faber, lui a permis de faire usage 
de plusieurs decumens inédits. 

liC second volume contient également sept articles, et si 
nous y retrouvons quelques-««s des noms que nous avons 
déjà vus, ceux du prôfesiseur de Bohlen et de son collègue 
le professieut Sdiubert ^, plusieurs noms nouveaux viennent 

1 Le professeur SoltuberttraTsUle depuis plusieurs années à une histoire 
fort étendue de U Prusse et de U maison de HokensoUeru (mtsfuhriickt 
Ùetckiehie des ffauses Bohenzotlem vnd des preussischen Staates). Il est 



NOUTELLBS ET VARIÉTÉS» l83 

BOUS révéler Factivité des membres et leur empressement à 
partager les travaux de là sociétç. Nous pouvons presque 
assurer d avance que tous ceux ^^e les maios desquels tom-* 
berpnt ces mémoires ^ ne pourront lire sans plaisir on mor- 
ceau du D/ Rf Motherby sur le célèbre poète écossais Roberl 
Bums, si justement nommé k poète de la nature* L auteur 
de cet article ft su Raccompagner de remarques curieuses sur 
le dialecte écossaisy et y ajouter ainsi un intérêt de plus pour 
le philologue* Il a su aussi rendre en allemand ^ av^c un mer* 
veilleu:x succès, plusieurs des poésies de Bums, et permettre 
ainsi à ses nouveaux compatriotes une juste appréciation du 
talent de ce poète. 

Les membres étrangers ne furent pas non plus inactifs , et 
envoyèrent souvent des mémoires à la société. Parmi eux un 
seul a été imprimé, celui du D.' Mohnike, conseiller cousis- 
toriàl à Stralsund* €e morceau a spécialement pour but de 
détermiiier, à l'aide de preuves historiques : ijuds efforts 
furent tentes pour introduire la reforme à Ftnise au dir^ 
septième siècle. Deux moroeaux assez élendus de J. Diodati 
offrent à la curiosité un attrait d'autant plus vif qu'ils voient 
le jour pour la première fois. 

Depuis que, par la publication de ces mémoires, la société 
aUemande s'est donné un organe, elle a, comme on devait 
s'y attendre, gagné une nouvelle activité, et noiis ne doutons 
pas queBe ne poursuive désormais régulièrement ses travaux. 
Si les deux premières séries font attendre la troisième avec 
impatience , cette impatience ne tardera pas à être satisfaite ; 
car au moment où nous écrivons, ce troisième volume est 
sous presse et va être incessamment livré au public. 

Toutefois, nous devons l'avouer, c'est avec regret que 
nous avons en vain cherché dans ces mémoires le nom du 

Tivem^ot à Mmbaiter po«r tout «eux qui ^'pocof eut 4l'étttdet hhtorif mes 
que les occupaiioni nultipliéet de Tauteur lui penuetteiU d'en faire 
tôt paraître les premiers volumes. 



lS4 IfOXIVELLES ET VARIÉTÉS. 

professeur Lobeck et celui du professeur Voigt. Le premier 
est généralement regardé comme l'un des plus grands philo-* 
logues de FAllemagne^ et le second a depuis long -temps 
prouvé par son Histoire de Grégoire VII et par le beau tra- 
vail qu'il poursuit sur l'histoire de Prusse ^j des connaissances, 
un tact et une sagacité de critique qui le rendaient spédale- 
ment propre à la mission qu'il s'est donnée. Nous espérons 
qu'ils voudront bien ne point priver la collection de ces mé-« 
moires d'une collaboration qui sera si précieuse pour la science. 

L. N. 



r 

Epoques de la littérature allemande^ depuis 1750, 

d'après GOETHE. 

On sait que Goethe s'est beaucoup occupé de l'histoire 
littéraire de sa nation. Voici comment, dans une note qui se 
trouve dans le tome IX de ses Œuvres posthumes, il en ca- 
ractérise rapidement les époques depuis 1760. 

I. Depuis lySo jusqu'en 1770. 

Durant cette époque, la Uttérature allemande a été calme, 
— active, — pleine d'esprit et de sentiment, — digne, — 
bornée , — fixée, — pédantesque, — respectueuse, — culture 
gaploise {antik-gallische Cultur)^ — cherchant des formes. 

n. Depuis i y Jo jusqu'en 1790. 

Inquiète, — effrontée (Jrech) , — étendue^ — honnête et 
légère, — dédaignant et négligeant l'estime, — culture an- 
glaise, — brisant arbitrairement les formes et les rétablissant 
avec réflexion. 

« 

i yoigtj Gesehiekie JPreussens, vier BSnde. Kônigsberg, 1827 — 1830. 
n 7 a déjà plusieurs années que l'auteur s'ëuit fait connaître cemme 
bistorien par son ourrage intitulé : ffiidebrandt ois Gregor VU und sein 
Zeitaiterj 1815. 



HOiayELLES ET YÀlilÉTÉS. l85 

m. Dtf.1790 à 1810. 

Apaisée, — délicate, — se bornant, — grave et religieuse, 

— patriotique *j active, — intrigante, — culture espagnole, 

— s'écartant des formes. 

lY. De 1810 à 1820. 

Mécontente, — déterminée, — . capable e|. solide (piichtig)^ 
ambitieuse, — marchant en avant, -^ irrespectueuse, — ger- 
manique (abdeutsch) , — aspirant à se dépouiller de toutes 

formes* 

y. Dernière époque. 

Ce qui suit n est évidemment qu'une boutade* « Quelque 
diverses, dit l'auteur, que soient aujourd'hui les directions 
de tous les arts, et quoique cette diversité soit telle qu'on 
oserait à peine s'exprimer à cet égard avec un peu de détail 
et de précision, on remarque néanmoins une certaine ten*- 
dance, qui nous autorise à comparer l'époque actuelle .de 
notre poésie et de notre art à cette seconde période de la 
poésie persanne dans laquelle Enweri surtout se distingua, 
et qu'on peut appeler l'époque encomiaste ou des éloges. 

«On célèbre tant le mérite contemporain que celui du 
passé. Les amis s'empressent de venir vous saluer à votre 
jour de fête. L'État lui-même prend part aux jubilés de ser- 
vice. Les universités et les acuités se mettent en mouvement 
à chaque cinquantième anniversaire de quelque dignité aca- 
démique, et alors, après les vœux les plus vifs pour la santé 
et la gloire du héros de la journée, vient la conclusion si 
naturelle : Ergo bihamus ! * 



STATISTIQUE. 

BoHÈuE. Dans le royaume de Bohème le nombre des nais- 
sances a été en i833 de 167,749. Il est mort 119,19^ 
personnes. 4555 individus ont atteint un âge de 80 à 100 



1 



l86 IfOtJTXLLBS ET VARIÉTÉS. 

ans 9 1 3 1 sont morts centenaires. Il y a eu 3 o meurtres, tous 
dans les provinces ^ et i88 siMcides, dont 7 dans la capitale. 
1a surcroit de la pc^ulation a été de 19,862 individus. 

AnGLETEE&E. En 1 7 6o le rapport de la population agricole 
était à la population manufacturière comme 6 à 5 ; en 18 3o 
comme 1 à 2. En 1811 on comptait 6^7,353 familles da- 
gricùkeurs, et 928,588 familles livrées à l'industrie. En 
1 83 1 le nombre de ces dernières s était élevé à 1,18 1,401 ; 
celui des premières à 760,660 famiUes. L'&ge moyen auquel 
meurent les habitans est de 67 ans pour ceux des districts 
agricoles, de 53 pour ceux des districts manufacturiers. Da- 
près une enquête faite il y a peu de temps, sur 35 o enfans 
employés dans les faiforiques de Manchester, on ne trouva de 
parfaitement sains que 143, tandis qu'on en trouva 341 
sur un méine nombre d'enfans qui ne travaillaient pas dans 
les manu&etures. On a remarqué chez la popukdoii m^u- 
fiMsturière près de cinquante maux corporels différens) dont 
on ne rencontre aaciuie trace ailleurs. (Jfusland.) 



PUBUCATIONS NOUVBl.I^B$. 

On ttinonce comme devant paraître prochainement, par 
livraisons, un.reciieil intitulé : Curiosités de la bibliothèque 
pubUque de Gotha^ publiées par F. Jacobs et A. Ukert, chez 
Dyk à Leipzig. — Le célèbre Matthiœ publiera une Encyclo- 
pédie et Méthodologie de la philologie: la première livraison 
parait. — On attend avec impatience la Géographie phyrsiifue 
par Alexandre de Humboldt. Elle paraîtra à Stuttgart chez 
Gotu. 

— M. ]ç professeur Tliibaut vient de publier une huitième 
éditi<m revue et corrigée de son Système des Pandedes} 
deux volumes in-S."" léna, 1834. 



irOTTVELLES ET TA&IÉTÉS. 187 

— Le trente-septième volume du Commentaire sur les 
Pandectesj par C. F. de Gluck >^ continué par Muhlenbmch^ 
conseiller privé de justice, vient de paraître. Erlangue, 1834, 
in-8.* 

i Amsfuhrliékê ErlSutertmg der Pandekien tmeh Jffeilfeld. Yojes JYou* 
9elle Re9ue germaniéfue^ deoiième Sèrhf t. I.**, p. 3 19. 




niUtm (tBfto^ritf Çtijue* 



BIB1.IOORAPHIB. 

PUBLICATIONS KOUVtLLIS. 

Les livraisons du mois de Mai du Répertoire de la littérature 
allemande, annoncent 24o publications nouvelles ^.réparties ainsi 
qu'il suit : 

On annonce 3i ouvrages de Théologie, parmi lesquels il n'j 

a guère de remarquables que Tédition critique de la Paraphrase 
* __ 

in vers de rEçangile de S. Jean de Nonnus de Panopolis y par F. 

Passow; — le Nouveau commentaire de l'Epitre aux Romains , 
second volume , par le professeur Reiebe de Gœltingue {Versuch 
einer ausfuhrlUhen Erklàruug, eU.) ; — De prœclara Christi in 
Apostolis insiiiuendis sapientia aique prudeniia, par L. Ernesti, 
dissertation couronnée par la faculté de Gœttingue ; — le pre- 
mier volume d'une Dogmatique évangélique, par Gelpke, pro- 
fesseur à Bonn, selon lequel le cbristianisme n'est qu'un déve- 
loppement progressif et naturel du judaïsme , bien qu'il recon- 
naisse quelque cbose de providentiel dans son établissement. 

La Jurisprudence compte lo ouvrages nouveaux, parmi lesquels 
on remarque i* Dissensiones dominorwn, swe coniroçersiœ veterum 
Juris Romani interpretum, qui glossaiores vocaniur; éd. et armO' 
tat, illustr. G. Hœnel; — une huitième édition corrigée du Sys- 
tème des Pandectes, par Thibaut, deux volumes; — le troisième 
volume du Droit civil autrichien du D/ Winiwarter, professeur 
de Droit à Vienne. 

On annonce 16 ouvrages de Médecine, d^ÂNATOMiE et de Phy- 
siologie, et l'on recommande spécialement les suivans: Manuel 
de l'anatomie comparée par R. Wagner, professeur à Erlangue; 
première partie; — une troisième édition corrigée de la traduc- 
tion allemande de la Physiologie de M. Magendie, par le D/ 



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 189 

ïisffsser; -— une traduction des Leçons de clinique de M. Dn- 
pujtren; •— les Élëmens de pbjsiolog^e pathologique ^ parle D/ 
Naumann , professeur à Bonn j 80 pages seulement. In paroà. €^ 
jfia, s'écrie le critique;-— la Maison des morts à Weimar {das 
Làchathaus ) , par le D/ Sch wabe. C'est une description d'un de ces 
établissemens destinés a s'assiuer sans danger de la réalité de la mort. 

Parmi les la publications relatives à l'AuriQurn classique ^ nom 
remarquons le Répertoire de la science de l'antiquité classique, 
publié par C. F. Weber et G. L. Hanesse de Darmstadt^' tom« 
troisième, rendant compte de tout ce qui a paru en i8a8; — 
la Bibliographie de Démosthénes, seconde partie, jusqu'à la fia 
de i833, par le D/ Becker, pasteur à Quedlinbui]g ; — une tra- 
daction métrique allemande de TAntigone^e Sophocle, par €h. 
Wex; — une Carte de l'ancienne Sicile par le D.' Parthejr {Skilks 
antiqnœ tàbiUa enumlaia) 'j — le Lexûon QuiniiUaman , par Ed. 
'Bonnel, formant aussi le sixième volume de l'édition de Quintil.; 
par Spalding ; — - une édition grecque, avec commentaires pour les 
écoles , des Mémoires de Xénophon y par Sauppe. 

Parmi les 3 ouvrages qui se rapportent aux Scimoss naturulis, 
se' trouve, sous le titre de Geohgische Miuheilungeh aus Mâhren, 
nue Description géc^ostique des environs de Blansko en Moravie; 
par Ch. Reichenbach. 

Les ScicKCES MATHiMàTiQUKS ne comptent que 3 publications 
DouveUes, dont la plus remarquable parait celle du D/ Dove, 
professeur à Berlin, sur les Mesures {UherMaas und Messen). 

Il a paru 5 ouvrages de Géoghafhie, dont plusieurs offrent un 
grand intérêt. Sous le titre : le Globe terrestre dévoilé {die Ent^ 
hUllung des Erdkreises), A. Wimmer publie à Vienne une Histoire 
géi^rale des voyages de découvertes sur terre et sur mer pour 
toutes les classes. L'ouvrage parait par livraisons de six feuilles 
chacune. Il commeiice au déluge ^ par une description du vais- 
seau de Noé, et trace page 107 un parallèle d'Hérodote et de M. de 
Humboldt. — Les Pèlerinages (IVanderjahre) de H. SchefTer, en 
deux volumes y offrent une relation des vojajes faits pair l'auteur 
de 1827 — i83a dans différentes parties de TËurôpe, en Grèce ^ 
dans la Turquie, la Wallachie y la Moldavie et en France — Nous 
trouYons ensuite une De8cripti«Mi du Brésil (das Kaiserrekh Bra^ 



igO BVX«LBTIIi BXlLlOGRAPHIQUe. 

MUen) f Atstiow iiurtcMit au émigrans allemands^ par AAttmwHf 
-*- et le premier volume d'une Deacrîplion g^graphîque et his- 
torique de la Palestine) par le D/ J. 6. Crome. 

Parmi les 9 ouvragées oontacrés i FHistoub^ nous remar<)aoBs? 
lea Tables de Thistoire , ou Faits principaox des rapports poli- 
tiques extérieurs y et du dëreloppement moral et intellectuel des 
peuples et des États anciens et m€»dera^ , pAr ordre cbronolo- 
gique et ethnographique , par Ed. Vehse^ 13 liTraisons in^elîo: 
6 0mi paru; •*-<- Constitution politique del Israélites, par HfiU* 
mapii, ouvrage. digne de la haute réputation de Tautenr; -— • le 
Pféeis de Fhi^toire uoiveraelle pour les écoles bourgeoises^ par 
F. Ncesselt, seconde édition refondue. 

Il y a. 32 publications relatives aux Scibncu poutique6 propre* 
m<ait dites. Les plus remarquables sont : une broohvre de M. 
Welker deFribourg sur la constitution fédérale et particulièrement 
sqr celle delà Suisse; -^ une Histoire de la constitution des Etats 
provinciaux de la Hesse élcctondcy parle D/ B. W. Pfeiffery con* 
seilkr à la cour d'appel supérieure de Cassel ; — - Exposition his«- 
torique des finances de la Hollande depuis i83o |tsqtt'en 1833, 
par H* F. Osiander;-— Lettres d'un publiciste allemand à un 
diplomate^ sur les grandes questions disculéts au congrès de 
Vienne. L'auteur antiradical se prononce néanmoins pour la 
lib^té de la presse. 

On annonce 3 ouvrages de SaiHea NiuTAtniy dont ancnn n'est 
réellement nouveau. C'est une seconde édition de la Tactique 
supplémentaire de l'artillçrie de oannpagne, par Ch. de Decker , 
lieutenant-colonel ; et une édltiou à bon marché de la Théorie 
de la guerre du Ueutenanl<général de Valenlini. 

Les 5 ouvrages inscrits sous la rubrique de Phuosophib, scyit: 
le Système de la métaphysique par Braniss, professeur à Bres<^ 
lau; — Essai d'établir la théologie naturelle et chrétienne sur 
ses véritables bases {Vtrsuch einer FesisteUung dtr naturiichenynd 
chrUélichin TAêologû), par le baron de Kajser : le premier vo- 
lume seul a paru; il ^'occupe de la théologie naturelle. L'auteur 
a employé 657- pages a fonder la religion naturelle : c'est beau- 
coup trop; — la philosophie religieuse de Hegel comparée avec 
le principe chrétien , par le professeur Eschenmajer de Tubingue. 



BtrlLETIN IIBLIOCRÀPHIQUB* I9I 

Il exprime ainsi le résultat de cette comparaison : «La philosophie 
religieuse de H^el n'est antre chose ^u^ne logiqne qui s'exerce 
ànr les vérités chrétiennes. Elle nous oélre un Dieu sans sainteté, 
un Christ sans* amour ^ un Saint-Esprit sans inspiration^ un 
Érangile sans foi, une chute sans péché, une réconciliation sans 
pardon, une mort sans sacrifice, une Eglise sans culte, une 
liberté sans imputation-, une justice sans jagement, un dogme 
sans rérclation, une immortalité sans conscience et sans peiu 
sonnalitc, une religion chrétienne sans christianisme; en un root, 
une religion ^ns religion.^ «^ La logique expérimentale par le 
D/ Weinholz, qui par son obscurité a fait le désespoir du eri^ 
tique; — - trois Discours anthropologiques, par le«D/ L. Ghou*- 
lant. Le premier discours traite du développement progressif de 
l'humanité; le second, de l'histoire naturelle de l'homme, et le 
troisième, des sens de l'homme.' 

Les quatre productions sur les Beaux* Aars n'offrent rien de 
reoiarquahle. 

Parmi les 31 ourrages d'ÉDOoiAioii nous signalerons : llnstito- 
teur pratique {der prakiisehe Sbhuknûnn) ; ce sont les r^ultats de 
l'expérience d'un vieux instituteur primaire , publiés par Otto', 

# 

directeur de l'école normale de Dresde;»*- l'Ecole des petits en- 
fans ou les Salles d'asjle (die Verwahr- odcr KJeinkindirschuU) , 
par le D/ J. F. H. Schwabe , deuxième édition. 

Sous la rubrique Langue et BEUE-LnrÉRATuas allemandes sont 
annoncés 44 ouvrages.' Les plus intéressans sont : un Commen- 
taire du divan occidental -oriental de Gœthe, par Wurm; — 
Luther , poème de Louis Bechstein ;.— ^ Voix du temps {Siimmen 
der Ziit)f par Henri Stieglitz, deuxième édition; — les deux 
Frères, tragédie de Ch. Th. KûsCner; c'est le même sujet que 
celui des Frères ennemis d*Euripide, des Jumeaux de Klinger, 
de Jules de Tarente de Leiseifvitz. 11 a été fourni a l'auteur par 
la tradition qui se rattache aux ruines des deux châteaux de 
liebenstein et de Stemfels sur les bords du Rhin ; — Tableaux 
d'histoire et de fantaisie, par Wangenheim; — Contes et Fan- 
taisies de Ed. Duller, poète original sur lequel nous revien- 
drons ; — le Diplomate , nouvelle de Louis Storch ; — le Bré- 
viaire du laïque, par Léopold<Scbefer, premier semestre. L'auteur 



192 BVLLETI» BIllipOJlAPHIQDE. 

est contra par d'excellentes nouyelies. Ce qu'il donne ici ^ ce 
sont des niéditaUons'poéliqaes en rers iambiques non rimes;-* 
Lettres aUemandes*^ publiées par Caroline de Woltmann , tome 
premier. Ces lettres sont de plusieurs personnages célèbres de ce 
siècle^ de Gœthe, de Woltmann, de Thérèse Huber^ de Yaro- 
bagen , du grand-duc de Francfort ^ etc. ; -— Romeo ou Pildacatioii 
fit l'£sprit public, par Ch. Hoffmeister, trois volumes. C'est an 
roman philosophique sur l'éducation; — le septième et le hui«> 
tième rolume des Œuvres complètes de Hebel qui se publient à 
Carlsrouhe. — Le Château de Saint-Ange de M. Viennet a été 
traduit en allemand , et forme le second volume d'un recueil 
intitulé : Chronique scandaleuse du saint siège. 

Sous la rubrique Langue^ et LrrréiATuiES mAHoiais, nous troa« 
vous 11 ouvrages 9 entre autres les Satires de Boileau, avec un 
commentaire du D/ O. L. B. WolfT de léna , encore plusieurs 
grammaires françaises y une édition en im volume des Œu^es de 
Silvio Pellico, et une contrefaçon des Œuvres de Buiwer. On an* 
nonce trois ouvrages latins modernes : les Operm omma d'Antoine 
Muret 9 avec les notes de David Ruhnkenius^ et les Lettres de ce 
même Ruhnkenius à Daniel Wjttenbach. 

Les 9 écrits relatifs à l'économie rurale çt domestique n'offrent 
rien de remarquable. 

Parmi les 22 journaux annoncés, il j en a peu de nouveaux. 
£n parcourant cette liste, on est frappé du grand nombre de 
publications périodiques destinées à réplmdra parmi le peuple 
des connaissances utiles à bon uaarché , et imitées pour la plu- 
part des Pumy'magiuùus anglais et du Magasin pittoresque. 



LEYRAULT, éditeur -proffriéiaire. 



«. • . 



JUILLET 1834. 



TOME II. j'3 




xttifétiU. 



ÉTUDES SUR GCETHE. 



GOBTZ DB BBRlrlGHIIVC^Bll. — 

ixŒTz fut lun des premiers ouvrages de Gœâie. 11 le 
conçut en même temps que Faust et Werther^ il récrivit à 
Francfort après son retour de Strasboui^. On peut y recon* 
naître facilement et la riche et chaleureuse imagination du 
jeune homme, et lardeur avec laquelle il s'était jeté dans 
fbvestigatiott du sei2dème siècle, et le fruit de ses études sur 
le théâtre. Cinq ou six années plus tôt, lorsqu'il était encore 
à Leipzig, enchaîné à nos classiques, attaché à leurs fades 
imitateurs , il n eût sans doute pas disposé son drame sur un 
tel plan. Mais depuis il avait repris les bons auteurs drama- 
tises anglais, il avait lu et relu Shakespeare, ce maiti^e de 
tous les maîtres, et il en avait compris la vérité et la pro- 
fondeur. Gœtz fut donc comme son coup d'essai , comme son 
gantelet jeté .pour le combat; c'était de sa part non-seule- 
ment une belle œuvre poétique, mais une œuvre hardie et 
décisive. A l'époque où il le fit paraître, FAllemagne n'of- 
frait encore que les premières lueurs d'une littérature vrai- 
ment nationale. Klopstock et Lessing avaient, il est vrai, 
rallié à eux un grand nombre d'hommes éclairés ; mais la 

i Ce morceau est tiré d'un ensemble d'Etudes sur Goethe par notre 
collaborateur M. X. Marmier. Nous croyons faire plaisir k nos lecteurs en 
leur communiquant cet extrait, et en leur annonçant que l'ouvrage dont 
il fait partie paraîtra incessamment. L'étendue de ce chapitre nous oblige 
de le partager en deux, et de renvoyer au prochain numéro ce qui se 
npportie plot partic«Uteemeat au drame d*£gmoat, {NcU du Rèdact.) 



196 lÈTtJDES SUR GOETHE. 

masse de la nation et la plupart des écrivains prenaient pour 
modèles des livres que nous ne lisons guère aujourdliui que 
par curiosité. Le travail d'imitation mis à la place d'une libre 
et franche inspiration ; la nature rejetée derrière un amas de 
règles prétendues de bon goût , à travers lesquelles il ne lui 
était plus possible de se faire jour; le canevas raide et guindé 
d'une main craintive qui tremble en le dessinant; l'effort sans 
grâce de l'élève qui copie servilement son maître : voilà ce 
que l'on peut retrouver dans les auteurs allemands jusqu'au 
milieu du dix -huitième siècle. Chaque genre de littérature 
porte toujours avec lui quelque chose d'exotique. Rarement 
le poète puise ses sujets crans l'histoire de sa nation, et sa 
poésie dans son cœur. On a recours à la Grèce, à Rome, à 
la France, à tout, excepté aux mœurs et aux idées vraiment 
allemandes. La littérature n'est pas prise pour ce qu'elle peut 
être par elle-même, mais pour les noms classiques qu'elle 
rappelle. On veut avoir des satires dans le goût de Boilean, 
des odes ronflantes et des allégories mythologiques conmie ceDes 
de J. B. Rousseau, des comédies comme celles de Goldoni. Quant 
au drame, il était dans une situation encore plus désespérée^ 
car tous les efforts des critiques s'étaient réunis pour entourer 
d'une triple muraille aristotélique le héros des alexandrins^ 
et s'il se hasardait à faire quelquefois une sortie hors de ses 
retrançhemens et de ses circonvallations symétriques, c'était 
toujours avec une démarche grave et posée, avec le glaive 
d'Hippolyte au côté et la grande perruque de Gottsched sur 
la tête. La moindre de ses paroles était prononcée d'un ton 
de voix mâle et solennel, et pas un de ses gestes, pas un 
de ses mouvemens ne pouvait être abandonné au hasard. Il 
y avait des règles pour les gestes de la colère, pour les trans- 
ports de l'amour, pour les surprises, les reconnaissances; 
aussi des règles pour tomber avec grâce et mourir en faisant 
la statue. 

La dramaturgie hambourgeoise, les pièces de théâtre de 



GG6TZ DE BBRLICHIIIGEV. I97 

LessÎDg avaient, fl est vrai, porté un coup mortel à ce genre 
de drame faux et abâtardi ; mais Lessing était trop homme 
de génie pour pouvoir convaincre si tôt les petits hommes 
de talent. On jouait sa Minna de Barnhelm^ on jouait Emilia 
Galottij mais on continuait à jouer aussi toutes les fades 
et niaises imitations que le dix-huitième siècle avait jetées sur 
le théâtre allemand. 

Goethe avec son premier drame trancha la question. Il se 
mit en tête de la jeunesse allemande de son époque, et lui 
dit: Regardez ce que Lessing a tenté, voilà le chemin.— 
Il pouvait dire aussi : Regardez ce que j'ai fait, et suivez-moi, 
car Berlichingen était enfin une œuvre de théâtre dontrAlle- 
magne avait le droit d'être fière; une œuvre prise dans les 
archives nationales, construite sur un plan large, forte, va- 
riée, naturellement sentie, historiquement traitée, et surtout 
vraie. 

Elle décida la nouvelle ère littéraire indiquée par Lessing. 
Bile entraîna à sa suite tout un parti d'hommes de cœur, 
d'hommes dévoués sincèrement au travail de régénération 
poétique qui devait se faire en Allemagne. Ni les éloges 
enthousiastes , ni les critiques amères ne lui manquèrent. Elle 
eut un grand succès, et si l'on peut trouver dans ce succès 
un mauvais côté , c'est sans doute en énumérant cette quantité 
d'imitations maladroites auxquelles il donna lieu. On avait 
pris autrefois l'un après l'autre tous les héros de la Grèce ; 
on voulut prendre maintenant ceux du seizième siëde, et 
parce que Gœthe avait fait une si belle récolte dans le moyen 
âge, les poètes affamés d'un grain de blé ou de sénevé se 
jetèrent sur le même terrain pour y faire la même récolte« 
Mais le maître avait pris les meilleures gerbes, et les autres 
ne firent que glaner; le maître s'était firayé à lui-même sa 
route, et les autres s'en vinrent, en courbant le dos, se traîner 
après lui. C'est le privilège de l'homme de génie de franchir 
d'un seul bond les obstacles que d'autres tournent pénible- 



ment, «t de recueillir «ne wme d'or là où d autres ne ra- 
massent que des grafins de sable, ^ 

Quoi qu'il en soit de ces imitations, Gœtz de Berlichingen 
acheva de mettre à nu le défaut de construction et le repUr 
trage de lancien drame. Il apparut comme un fruit mari sous 
le soleil natal, et tout le monde s étonna de le trouver si 
beau. L'entreprise si bien commencée par Lessing était con- 
tinuée. La dramaturgie avaft reçu une admirable justification, 
et Minna de Bamhebn devait tendre avec jœe et humilité 
la main au nouveau venu. De cette admiration que Berli* 
chingen inspirait, naissait la conséquence toute naturelle, que 
TAUemagne pouvait aussi avoir ses poètes à elle, ses héros, 
ses chroniques, ses peintures à elle; qu'elle pouvait revenir 
sur elle-même, se réfléchir et s étudier, prendre la poésie 
dans son caractère et ses sensations, le drame dans son his- 
toire et son individualité. Ainsi tombaient les préventions 
routinières, ainsi le lourd rideau classique se levait pour 
laisser voir enfin la nature dans toute sa beauté et sa fraî- 
cheur; ainsi venait degrés par degrés le nouveau jour de la 
littérature allemande. 

GcBthe a fait deux épreuves différentes de Berlichingen: 
la première est la chronique prise dans ce qu elle a de {dus 

1 A cÀtë des nombreux témoignages d'admiration que Ton a prodigués 
de toutes parts à ce beau drame de Goetz de Berlichingen , il est curieux 
de placer le jugement de Frédericle-Grmnd , qui, comme on. le «ait, ne 
se souciait guère de la jeune et brillante littérature de sa nation , et ne 
craignait pas de placer bien au-dessous de MM. d'Amant, Palissot, etc., 
des bùttimes tels quje Lessing, Klopstock, Gesthe, Mendelssobn, etc. 

«Vous verres représenter, écrit-il, les abominable* pièces de Sbakespeare 
traduites en notre langue, et tout l'auditoire se pâmer d'aise en entendant 
te* farces ridicules et dignes des tauTages du Canada. Je les appelle telles, 
parce qu'elles pècbcnt toutes contre les règles du tbéâtre, etc. On peut 
pardonner À Sbakespeare ces écarts bicarrés , car la naissance des arts n'est 
famais le point de leur maturité. Mais Toilà encore un Gœtz de Berli- 
Tikingen qui parait sur la-eeène, imitation dévestsble d« ces mauvaises 
pièces anglaises, et le parterre applaudit, et demande avec entbousiasme 
la répétition de ces dégoûtantes platitudes.* 

(I^e la Littérature allemande. Berlin, i780.) 



GOBTZ I>B BBRLIGHIHGBN. 199 

saillant^ comme dans son ensemble harmonieux, dialoguée et 
dramatisée* C'est une délicieuse étude du moyen âge, une 
œuvre charmante à k lecture. La seconde, destinée au théâtre, 
a été mise dans des bornes plus étroites; elle est devenue 
plus ferme et plus compacte. Quelques jolies scènes, que Ton 
regrette beaucoup à la lecture, ont été enlevées, quelques 
développemens de caractères restreints ; mais le fond est resté 
le même. 

Une des choses que j'admire le plus dans cet ouvrage de 
Goethe, c'est l'art avec lequel il a su nous faire un drame 
aussi intéressant, tout en se tenant scrupuleusement attaché à 
ce que Thistoire nous raconte de Berlichingen, et à ce que 
le vieux chevalier raconte lui-même. Ce sont les mêmes per- 
sonnages, les mêmes caractères, les mêmes circonstances, 
parfois encore les mêmes paroles que Berlichingen a pro- 
noncées.. Il a ennobli son modèle, mais ne Fa pas dénaturé; 
il a représenté Gœtz et ceux qui lentourent avec une main 
plus ferme, un burin plus adroit, mais au fond il les a peints 
fidèlement. Enfin, je ne puis mieux comparer la chronique 
de Berlichingen qu'à l'arbre jeté en pleine terre, et portant 
de lui-même ses firuits tels que le sol où il s'élève peut les 
produire, et l'œuvre de Gœthe est ce même arbre transplanté 
sur un terrain de choix, exposé au soleil, cultivé avec soin, 
et dont les fruits deviennent plus savoureux et plus beaux. 

Nous ouvrons le drame, et voici que l'esprit guerrier de 
l'époque s'imprime en quelques traits sous nos yeux, et que 
la figure chevaleresque de Berlichingen nous apparaît avec 
le prestige qui l'environne. Des paysans sont réunis dans 
une auberge, causant des disputes de leurs seigneurs, pro- 
nonçant avec respect le nom de Gottfried (Gœtz), avec mépris 
celui de l'évéque de Bamberg, et laissant deviner dans leur 
entretien l'flffdeur belliqueuse qui les tourmente, le désir qu'ils 
auraient de la satisfaire. Un jeune homme vient auprès de 
Gottfried, et lui demande, conupe une insigné faveur, la 



9 00 ' ÉTUDES SUR GOETHE. 

permission de prendre les armes et de marcher à ses eotes. 
Un religieux s'approche aussi du chevalier, qu'il ne connaît 
pas, et alors s'établit entre eux cette conversation, où se 
dévoile la souffrance secrète de tant de milliers d hommes 
renfermés alors dans les doitres. 

GOTTFRIED. 

Vous êtes fatigué, frère Martin, et sans doute altéré; 
George , du vm ! 

MARTIN. 

Pour moi, un verre d'eau seulement. Je n'ose pas boire 
de vin. 

GOTTFRIED. 

Est-ce dans votre vœu ? 

MARTIN. 

Non, mon digne seigneur^ ce n'est pas contre mon vœu 
de boire du vin ; mais parce que le vin est contre mon vœu, 
je n'en bois pas. 

GOTTFRIED. 

Conmient entendez-vous cela? 

MARTIN. 

C'est bien pour vous que vous ne me compreniez pas. 
Boire et manger, voilà ce qui soutient, n'est-ce pas, la vie 
de l'homme? 

GOITFRIED. 

Oui. 

MARTIN. 

Quand vous avez bu et mangé, vous vous sentez comme 
rajeuni. Vous avez plus de force, d'adresse, de résolution. 
I^e vin réjouit le coeur de l'homme, et la joie est la mère de 
toutes les vertus. Après avoir bu du vin, vous vous sentez 
un double pouvoir ; vos pensées se succèdent plus vite, vous 
êtes plus actif, plus entreprenant. 



GOBTS 1»B BII&I.ICBIBGSH* SOI 



Cest TTai. 

MABTnr. 

Mais nous , quand nous avons bu et mangé ^ nous sommes 
tout autres que nous devrions être. Notre digestion difficile 
met la tête au niveau de Testomac, et dans la mollesse de 
notre repos il nous vient des désirs qui vont trop loin. 

GOTTFB.IED* 

Mais un verre, frère Martin, ne vous troublera pas dans 
votre sommeil. Vous avez beaucoup marché aujourd'hui. 

SCA&TIN. 

Au nom de Dieu! (Faisant sonner son verre contre céb4 
de Gottfried.) Je nis puis souffirir les gens paresseux, et ce- 
pendant je n'oserais pas dire que tous les moin^ soient pa- 
resseux \ ils font ce qu'ils peuvent. Je viens de Saint-Vit, 
où j'ai passé la nuit dernière. Le prie9r m'a conduit dansi 
le jardin; c'est une véritable ruche d'abeilles. Très-belle sa- 
lade! Des choux tant qu'on en veut! Surtout des choux-fleurs 
et des artichauts comme il n'y en a pas en Europe. 

GOTTFRIED* 

Ainsi ce n'est pas là votre aflkire. 

ÙRTm. 
Je voudrais que le Ciel m'eût fait jardinier ou laboureur, 
je pourrais être heureux. Mon couvent est à Erfrurt en Thu- 
ringe. Mon abbé m'aime, il sait que je ne peux pas rester 
en repos, et il m'envoie partout où il y a quelque chose à 
faire. Je vais maintenant auprès de l'évêque de Constance. 

601TFRIED. 

Encore un! Bon succès! 

^ICÀRTIlff. 

Je vous en souhaite autant. 

GOTTFEIED* 

Pourquoi me regarde^vous donc ainsi , frère ? 



Soi ÉÏVDBS StTR GOETHE* 

Je Sais amoureux de votre an&ure* 

GOTTFIIIED* 

Vous plairait-il d'en avoir une? Cela est lourd et difficile 
k porter^ 

KARTIN. 

Quy a-t-il donc dans ce monde qui ne soit pas lourd? 
Et pour moi rien ne Test plus que de ne pas oser être 
homme. Pauvreté^ chasteté^ obéissance. Ce sont là des vœux 
dont chacun, pris en particulier, semble être le plus insup- 
portable, tant ils sont insupportables tous les trois. Et traîner 
toote sa vie sous ce fardeau, on ramper sous le poids plus 
péniUe encore de la conscience! O, que sont donc les fa- 
tigues de votre vie contre les misères dW état qui condamne, 
par le désir mal entendu de nous rapprocher de Dieu, les, 
pensées avec lesquefles nous devrions grandir et nous élever. 

€K>7TFftXED« 

Si votre vœu n'était pas aussi sacré , je vous engagerais à 
prendre une armure, je vous donnerais un cheval, et nous 
voyagerions ensemble. 

MAKTIN. 

Si Dieu voulait seulement que mes épaules eussent la force 
de porter la cuirasse, et mon bras celles de désarçonner l'en- 
nemi. Mais ma pauvre faible main , toi qui es habituée depuis 
si long-temps à porter la croix ou à balancer rencensolr, 
comment pourrais-tu manier la lance et Tépée ? Ma voix, faite 
pour entonner F^^e et YHalleluia^ annoncerait ma faiblesse 
à l'ennemi, tandis que la vôtre peut le faire trembler. S'il 
en était autrement, aucun vœu ne pourrait m'empécher d'en- 
trer dans l'ordre que mon créateur m'aurait lui-même destiné. 

GOTTFRiED {hi veTsont à boire)» 
A votre heureux retour I 



GOCTE DE BBRLICHIHGKH. tOS 

Je bois ce Tcnrre pour toqs. Le retour àum ma cage est 
une mattLCHTease chose. Si TOas reveneE dans TOlre donjon, 
avec le sentment de votre Takur et de voire force, si vous 
pouvez, après un long espace de temps, être à l'abri d'une 
attaque ennemie , vous -oondier désarmé sur votre fit, et jcnaàt 
d'un sommeil plus doux que la boisson rafraîdiissante après 
une longue soif, alors vous avez le droit de parler de bon- 
heur. 

GOTTFRIED. 

Mais cela arrive rarement. * 

» 

MARTiK (aifecfeu). 

Et quand cela arrive, c'est un avant-|[oût du ciel. Vous 

revenez avec le butin enlevé à vos ennemis, et vous vous 

dites : celui-là je l'ai frappé à mort, celui-ci je l'ai £ût rouler 

sous son cheval, et vous rentrez dans votre château, et •••• 

GOITFaiEDs 

Pourquoi vous arrêter? 

Et votre femme! (// loit.) A la santé de votre femme! 
Je pense que vous en avez une ? 

GOITFRIED. 

Une noble, exceBente. 

MARTUf. 

Heureux celui qui a une femme vertueuse! H jouit par là 
d'une double vie. Pour moi, je n'en connais aucune, et ce- 
pendant la femme fut la couronne de la création. 

GOTTFRIED {à part). 

n me fait de la peine. Le sentiment de sa situation lui ronge 

le coeur. 

VTX DOMESTIQUE (ûccourant)» 

Maître! J'entenfls des chevaux au galop. Deux ou trois. 



204 . ÉTUDES sua GOETHE. 

GOTTFILIED. 

n faut que je monte à cheval! Que ton père et Jean se 
tiennent prêts! Ce peuvent être des ennemis aussi bien que 
..des amis! Cours au-devant d'eux, si ce sont des ennemis, 
siffle, et cache-toi dans le bosquet. Axlieu, cher frère, que 
Dieu vous conduise! Soyez courageux et patient, Dieu vous 
^donnera une place dans le ciel. 

MÂUTUf. 

Je vous prie de me dire votre nom. 

GOTTFRIED. 

Excusez-moi. Adieif. (// lui présente la main gauche.) 

MARTIN. 

Pourquoi me présentez-vous votre main gauche? Ne suis-je 
donc pas digne de recevoir la droite ? 

GOTTFRIED. 

Et quand vous seriez Tempereur lui-même, vous devriez 
pourtant avoir celle-ci ! Ma main droite, quoiqu'elle me serve 
encore à la guerre, n'est plus sensible à aucune douce pres- 
sion. Elle ne fait qu'un avec ce gant, et vous voyez qu'il 
est de fer. 

MiiRTIir. 

Ainsi vous êtes Gottfried de Berlichingen ! Je te remercie, 
mon Dieu, de ce que tu m'as laissé voir cet honune que les 
princes haïssent, et vers lequel les opprimés se tournent. (Lui 
prenant la main droite») Laissez-la moi, laisse&-la moi baiser. 

GOTTFRIED. 

Non, vous ne le devez pas. 

MÀRTIir. 

Laissez-moi. O main, plus précieuse à garder que celle 
qui répandit le sang divin. Instrument mort, animé. par la 
confiance d'un noble esprit en Dieu. 

(Gottfried pose son casfue sur sa tête et^ prend sa lance.) 



GOETZ.DE BERLICBINGXN. 1ko5 

MARTIN. 

U y avait, voilà quelcpies années, un moine pannLnous 
qni vous vit lorsque vous eûtes cette main coupée devant 
Nuremberg. Et il nous a si bien raconté ce que vdus avez 
souffert; quelle douleur c'était pour vous d'être estropié, et 
comment il vous souvint d'avoir entendu dire qu'un chevalier 
n'avait eu aussi qu'une main, et avait cependant servi encore 
long-temps. Non, jamais je ne l'oublierai. 

(Gottfried cause à Vécart a^ec ses ecuyers.) 

MÀRTm (seul). 
Jamais je ne l'oublierai. Avec quelle simplicité, quelle 
noble confiance il disait à Dieu : et quand bien même j'aurais 
douze mains, si tu me refusais ton secours, à quoi me servi- 
raient-elles? Je puis donc avec une seule ..•• 

GOTTFRIED. 

Ainsi dans la forêt de Wardorf? Adieu, révérend frère. 

MARTIN. 

: Ne m'oubliez pas. Je ne veux pas vous oublier. (Gottfried 
s'éloigne*) Combien j'ai été ému en le voyant. Il ne disait 
rien , et cependant mon esprit pouvait deviner le sien. C'est 
une volupté de voir un grand homme. 

De cette scène vraiment caractéristique nous passons aa 
château de Gœtz. Sa fenune est là, bonne femme, bien alle- 
mande, occupée des soins de son ménage, faisant la. cuisine, 
fière de son mari; puis sa sœur, autre nuance de femme non 
moins intéressante, douce, tendre, timide, pleine d'amouc 
pour son frère, mais ne pouvant pas se plaire à le voir sans 
cesse en campagne, à l'entendre toujours parler de nouvelles 
batailles. Puis vient encore son fils Charles, un bon et naïf 
petit enfant, auquel sa mère raconte les prouesses de Gœtz, 
tandis que sa tante lui donne des leçons de religion et de 
morale* 



306 ÉTUDES aUE GCETHE. 

Alors arrive Gœtz, qui ^ en quittant le frère Martin, s'en 
est allé, d après le rapport de ses gens , attendre Weislingen, 
un de ses ennemis, et le vamène prisonnier. Cest une scène 
bien beUe pav sa simplicité et Fidée qu'elle donne des mceors 
de cette époque. 

GOTTF&iED (posant son casque et son épée sur la table)* 

[Â ses écuyers,'] 

Déboucle2i-moi mon armure, et donnez«moi un autre 
yêtement. Le repos me semble très-bon à prendre. Ab, frère 
Martin , tu aurais bien couru. Trois nuits sans sommeil ! Vous 
nous avez tenus en baleine, Weislingen. (Adalbert va de 
long en large et ne répond rien.) Ne voulezrvous pas vous 
désarmer? Si vous n'avez point de vêtement avec, vous, je 
veux vous en donner un des miens. Où est ma femme ? 

l'éguyer. 
A la cuisine. 

Je yeux vous prêter un de mes babits, j'en ai encore un 
joli , de toile seulemeii(t, il n'est pas précieux , inais très-gentil. 
Je le portais au mariage de mon digne seigneur le margrave, 
dans le temps même où j'étais en guerre avec votre ami 
l'évéque. Ce petit bomme était si mauvais ! François de 
Sickingaoi ^ et moi nous étions logés à l'auberge du Cerf à 
Heilbronn. François monte les escaliers le premier, et ren- 
contre sur le palier l'évéque, qui lui donne la main, et me la 
donne ensuite à moi aussi. Alors je ris au dedans de moê 
même, et je dis au landgrave de Hanau, qui avait pour moi 
une grande bonté : l'évéque m'a donné la main , je parie qu'il 
ne m'a pas reconnu. L'évêcpie m'entendit , car je parlais à 
hante voix; il vint à nous, et dit, c'est bien parce que je ne 
vous connaissais pas que je vous ai donné la main. Et mainte^ 

1 Ce récit ett emprunté .presque littéralement à l'histoire écrite par 
Gttts, 



GOBXZ DK BERLICBIliaBlf. UOJ 

Dsnty lui dis-je, puisque tous me coimaisses, je tous bt 
rends. U devint rouge de colère comme nne ëcrwisse, eoumt 
dans la chambre du Palatin Louis et du prince de Nassau ^ 
et se plaignit de moi. Allons, Weislingen, ^ittez cette armure 
de fer , elle doit peser sur tos épaules. 

ADALBERT. 

Je ne la sens pas. 

GOTTFRIED. 

Oui, c'est bon, je crois (jue votre cœur ne doit pas se 
trouver à Taise; mais vous n'en serez pas plus mal servi pour 
cela. Avez-vous des habits? 

ADÂLBEaT. 

Mes écuyers les ont. 

GOTTFRIED {à SOU écujtr)* 

Allez les chercher. {A Weislingen.) Ayez donc bon cou- 
rage. J'ai été deux ans prisonnier à Heilbronn et très-mal- 
traité. Vous êtes en mon pouvoir, je ne vous maltraiterai pas. 

ADALBERT. 

Je le savais avant que vous me le dissiez. Vous avez tou- 
jours été aussi noble que brave. 

GOTTFRIED. 

0, si VOUS aviez toujours été aussi fidèle que sage, nous 
pourrions maintenant prescrire des lois à ceux.... Pourquoi 
dois-je m'arréter ? .... à ceux que vous servez, et avec lesquels 
je serai en guerre tout le temps de ma vie. 

ADALBERT. 

Point de reproche, Berlichingen. Je suis déjà tombé assez 

bas. 

GOTTFRIED. 

Eh bien! parlons du temps, ou de la cherté qui fait 
dépârir le pauvre paysan à la source du superflu. Et je l'at- 
teste au nom de Dieu y je ne disais pas cela pour vous affli- 



ao8 ton DBS. SUR GQGTHE. 

ger, mais seulement pour vous faire souveoir de ce que nous 
étions. Par malheur, le souvenir de nos anciennes relations 
est un reproche secret pour vous. (Les valets entrenU Add-' 
bert change xT.kabits.) 

CHARLES. 

Bonjour, papa. 

GOTTFRiED (Fembrassant). 
Bonjour, petit, comment as- tu passé ton temps. 

CHARLES. 

Très^bien. Ma tante, dit <{ue je suis bien instruit. 

GOTTFRIED. 

Tant pis. 

CHARLES. 

J*ai appris beaucoup. 

GOTTFRIED. 

Ah! 

r 

CHARLES. 

Veux-tu cpie je raconte l'histoire des enfans pieux? 

GOTTFRIED. 

Après dîner. 

CHARLES. 

Je sais encore quelcpie chose. 

GOTTFRIED. 

Quoi donc? 

CHARLES. 

Jaxthausen est un village avec un château sur .la Jaxt. Il 
appartient depuis deux cents ans aux seigneurs de Berlichingen. 

GOTTFRIED. 

Connais-tu les seigneurs de Berlichingen? (Charles le 
regarde embarrassé.) 

GOTTFRIED (à part)* 
A force de science, il ne connaîtra pas son père. A qw 
appartient Jaxthausen. 



GOBTZ DE BERLIGHIHGEir. 209 

È 

CHARLES. 

Jaxthausen est un village avec un château sur la Jaxt. 

Ç-OTTFRIED* 

Ce n'est pas ce que je te demande. Voilà pourtant comme 
les femmes élèvent les enfans. Je connaissais tous les sentiers, 
chemins, passages, avant que de savoir le nom d'un fleuve 
ou d'une rivière. Ta mère est-elle à la cuisine? 

CHARLES. , 

Oui, papa. Elle cuit des navets et un agneau. ^ 

GOTTFRIED. 

Sais-tu cela aussi, maître Jean cuisinier? 

CHARLES. 

Et pour mon dessert, ma tante me donnera une pomme 
cuite. 

GOTTFRIED* 

Ne peux-tu pas la manger crue? 

CHARLES. 

Autrement, elle est bien meilleure. 

GOTTFRIED. 

Il faut toujours que tu aies quelque chose à part. — Weis-* 
lingen, je reviens dans un instant auprès de vous. Je veux 
dire bonjour à ma femme. — Viens, Charles. 

CHARLES. 

Qui est cet homme? 

GOTTFRIED. 

Salue-le , et prie-le d'être plus joyeux. 

CHARLES. 

Voici ma main, réjouis-toi, le dîner est bientôt prêt. 

ADALBERT (Vembrassant), 
Heureux enfant, qui ne connaît encore point d'autre mal- 
heur que d'attendre long-temps la soupe I 

TOME II. 14 



210 ÉTUDES AVU GOËTH£« 

• 

Weîslingen est un caractère feible et irrésolu, étroit et 
ambitieux , qui fait un étrange contraste avec la droiture et 
la fermeté de Gottfried. Il y a pourtant encore du bon au 
fond de son cœur. La voix de Berlichingen, autrefois son 
ami 9 réveille en lui des remords et de nobles pensées. Sa 
loyauté le subjugue. Il le quitte en jurant de lui rester fidèle^ 
de ne plus rentrer à la cour de Tévêque de Bamberg. Mais le 
monde la déjà enlacé par trop de liens ; les flatteries d'un 
grand seigneur , la vanité, Tégoïsme, reprennent bientôt leur 
empire sur lui, et les séductions adroites d'une femme lui font 
oublier toutes ses promesses. En peu de temps il dévie de la 
route qu'il avait le projet de suivre, il tombe de degré en 
degré. Il devient lennemi le plus acharné de Gottfried, et 
meurt misérablement, trahi et empoisonné par sa fenune, mé- 
prisable à ses propres yeux , et méprisable aux yeux des autres. 
Gœthe a très-bien suivi ce caractère dans ses variations, ses 
développemens , et de tous les caractères, le plus difficile à 
bien peindre est sans doute celui qui se tient toujours dans 
une assiette aussi indécise, passant successivement du bien 
au mal, puis se relevant, puis retombant encore, par fai- 
blesse, par entraînement, sans pouvoir lui-même se rendre 
compte des ressorts secrets qui le font agir , des nuances 
presque imperceptibles qui le dessinent. 

C'est aussi un caractère tfacé avec beaucoup de hardiesse 
qui celui d'Adélaïde, la femme de Weislingen. Les passions 
la maîtrisent, le vice s'est emparé d'elle, le crime s'approche 
et ne 1 effraie plus. Il faut qu'à tout prix elle assouvisse ses 
désirs, et ces désirs changent si rapidement. Elle a aimé 
Weislingen, elle a aimé son page, elle aime encore Sickingen. 
Elle empoisonne les deux prenuers, pour garder avec plus 
de sûreté le troisième, quelle empoisonnerait probablement 
encore plus tard , si elle ne tombait sous le poids d'un juge- 
ment du tribunal secret. C'est un être horrible à voir à côté 
de celte chaste et modeste figure d'Elisabeth, la femme de 



GOÉTZ DE BE11I.IGHINGEN. 311 

Goetz, OU de la douceur angélique de sa sœur Maria. La vie 
d'Adélaïde a été afireuse, sa mort est plus afireuse encore. 

Elle est seule dans sa chambre à coucher, le soir, et de 
sombres pensées la poursuivent. 

«Si le jour venait au moins! dit-elle. Je ne sais quels 
étranges pressentimens m*agitent, et Forage chasse le som- 
meil, ce voyageur paisible. Je suis si lasse, que je pourrais 
pleurer, j'ai tant besoin de repos, je compte chaque minute 
de cette nuit éternelle, et elle devient encore plus longue. 
Tout est si obscur! Pas une étoile au ciel! Les ténèbres! 
La tempête! C'est par une telle nuit que je te rencontrai, 
Sickingen; par une telle nuit tu reposas dans mes bras. Ma 
lampe manque d'huile. C'est si triste de veiller dans l'ombre. 
(Elle sonne*) U faut qu'un valet renonce à son sonmieil. 
Je suis si seule! Les passions impétueuses me tenaient autre- 
fois si bien compagnie, que je n'aurais pas été seule dans la 
caverne la plus retirée. Et maintenant elles dorment, et moi, 
je reste debout comme un malfaiteur devant la justice. J'ai 
quitté ma petite-fille. — Weislingen est- il bien mort? (Elle 
sonne.) Personne n'entend. Le sommeil leur ferme les oreilles. — 
François est-il mort? — C'était un aimable garçon. (Elle s'ap- 
puie ^r la table.) Sickingen ! Sickingen ! » (Elle s'endort.) 

FRANÇOIS (apparaît). 
Adélaïde ! 

LE MEURTRIER (sortant de dessous le lit). 

Enfin elle dort, elle m'a rendu le temps long. 

l'esprit DB FRANÇOIS. 

Adélaïde! (// s' épanouit.) 

ADELAÏDE (s'e'^etllant). 
Je l'ai vu. Il luttait avec les angoisses de la mort. Il m'ap-, 
pelait. Il m'appelait. Ses yeux étaient creux et plein d'amour. 
— Ah, un meurtrier! 



aiâ ÉTUDES SUR GOETHE. 

LE MEURTRIER. 

N*appelle pas. Tu appelles la mort. L'esprit de la veDgeance 
ne permet pas qu'on vienne à ton secours. 

ADELAÏDE. 

Veux-tu mon or^ mes pierreries? Prends tout^ mais laisse- 
moi la vie. 

LE MEURTRIER. 

Je ne suis pas un voleur. L'obscurité ^ a jugé l'obscurité^ 
et tu dois mourir. 

ADELAÏDE. 

Malheur! Malheur! 

LE MEURTRIER. 

c 

Tais-toi. Et si tes actions ne viennent pas comme de hi- 
deux fantômes t'entrainer vers l'enfer, lève les yeux vers le 
vengeur qui est au ciel , et prie-le de se contenter du sacri- 
fice que je lui apporte. 

ADELAÏDE. 

Laisse-moi vivre. Que t*ai-je fait? — J'embrasse tes genoux. 

LE MEURTRIER (à part). 

Une femme royale! Quel regard! Quelle voix! Dans ses 
bras, je pourrais, moi misérable, être un dieu! Si je la trom- 
pais!-^ Elle est pourtant en ma puissance! 

ADELAÏDE. 

n semble ému. 

LE MEURTRIER. 

Adélaïde, tu m'as attendri. Veux-tu m'accorder?.... 

ADELAÏDE. 

Quoi? 

LE MEURTRIER. 

Ce qu'un homme peut demander d'une belle femme au 
milieu de la nuit 

1 Allusion à la tenteoce dei fnnct-jnget qui, comme on sait, tenaient 
toujourt leurs tëancet la nuit dans des lieux écartés. 



GOETZ DE BERLIGfillfOEN. 3X3 

ADELAÏDE (à part). 
La mesure est comblée. Le vice et la honte m'embrassent 
comme les flanmies de Tenfer avec leurs bras sataniques. 
J expie. J'expie. En vain puis-je chercher à effacer le crime 
par le crime, l'ignominie par Tignominie. Le déshonneur le 
plus eftayable, la mort la plus mfamante se montrent à mes 
yeux. 

LE MEURTRIER. 

Décide-toi. 

ADELAÏDE (at^cc précipitation). 

Un rayon de salut! (Elle va près de son lit; il la suit. 

Elle prend un poignard au chevet et le frappe^ 

LE MEURTRIER. 

Peifide^ jusqu'au bout ! (// V étrangle et lui donne un coup 
de poignard.) Serpent! Mon sang coule aussi, et je dois 
payer ainsi mon fatal désir. lAais je ne suis pas le premier. 
Dieu! tu la fis si belle, ne pouvais-tu la faire bonne! 

Avant cette catastrophe de l'indigne femme de Weislingen, 
Gœtz a et à subir quelques-uns des plus douloureux événe- 
mens de sa vie. Ses ennemis ont enfin obtenu un arrêt de 
l'empereur contre lui. Quatre cents hompes sont envoyés 
pour le prendre. H se fortifie dans son château, et fait avec 
ses braves compagnons une longue et courageuse résistance. 
C'est ui beau et pittoresque tableau que celui de ce siège, 
où avec une poignée d'hommes il se jette hardiment au-^levant 
de ses adversaires et les met en déroute. C'est de son coté 
une bravoure sans égale, et parmi ses compagnons une grande 
joie et de longs cris de victoire. Mais ensuite le besoin vient. 
Les provisions sont épuisées. Il faut qu'il fonde lui-même des 
balles, qu'il mesure la poudre. Il lui reste encore une bou- 
teille de \in , sa femme l'a mise à part pour lui. Mais il s'in- 
digne d'uie telle précaution. La bouteille est partagée entre 
tous , et dacun boit aux cris de vive l'empereur ! vive la liberté! 



J14 ÉTUDES SUR GOETHE. 

Puis il est forcé de capituler. Il cède. 11 se rend sur sa 
parole d'honneur de chevalier à Heilbronn. Mais ses ennemis 
ne sont pas encore satisfaits. Ils veulent lui faire signer un 
acte contraire à ses principes, et c'est alors qu'arrive cette 
scène racontée par lui-même, et si bien dramatisée par Goethe; 
cette scène dans laquelle se développe toute la franchise et 
l'énergie de son caractère. 

(L'hôlel-de-ville.) 

LES CONSEILLERS IMPÉRIAUX. LE CAPITAINE. LES CON- 
SEILLERS DE HEILBRONN. 

UN CONSEILLEE DE HEILBRONN. 

Nous ayons, d'après vos ordres, rassemblé les bourgeois 
les plus braves et les plus vigoureux. Ils sont là tout prêts 
à s'emparer de Berlichingen au moindre signe. 

UN CONSEILLER IMPÉRIAL. 

Nous saurons faire valoir comme il convient auprès de Sa 
Majesté Impériale votre docilité à suivre ses ordres. Sont-ce 
des ouvriers? 

LE CONSEILLER DE HEILBRONN. 

Des foirerons, charpentiers, tonneliers, tous gens doués 
d'un bon poignet et d'une bonne poitrine. 

LE CONSEILLER IMPÉRIAL. 

Bien! 

UN HUISSIER (arriue). 

Il attend devant la porte. 

LE CONSEILLER IMPÉRIAL. 

Faitesp-le entrer. 

GOTTFRIED. 

Que Dieu vous salue, seigneurs! Que me voulanvous? 

LE CONSËIXLSR. 

D'abord que vous songiez où vous êtes et devant qui. 



GQETZ D£ BERLICHINGEir. 31 5 

GOrrFftlJED. 

Par ma foi! Je ne vous mécoimais pas. 

LE COaSEXLLBK. 

Vous fiiDes votre devoir. 

GOTXFRIED» 

De tout cœnr. 

I4E COKSEILLER* 

Asseyez-vous. 

GOTTFRIED. 

Ici au-dessous? Je puis rester debout; la sellette porte 
encore uue odeur de pauvres pécheurs^ comme toute la salle 
au reste. 

LE CONSEILLER. 

Eh bien ! restez debout. 

GOTTFRIED. 

iu faitj s'il vous plaît. 

LE CONSEILLER. 

Nous procéderons avec ordre. 

GOTTFRIED. 

J'ei serai très-content. Je voudrais qu'il en eût été tou- 
jours îinsi. 

LE CONSEILLER. 

Vous savez comment vous vous êtes remis à discrétion 
entre nos mains. 

GOTTFRICDi. 

Que voulez-voùs me donner si je l'oublie? 

LE CONSEILLER. 

Si je pouvais vous donner la modestie^ votre affaire n'en 
serait qae meilleure. 

GOTTFRIED. 

En vérité, je -crois qu^elle est plutôt de nature à me faire 
absoude, qu'à me perdre. 

LE SECRÉTAIRE. 

Dois-je écrire tout cela? 



31 6 ÉTUDES SVR GOBTHC. 

LE CONSEILLER. 

N'écrivez rien que ce qui appartient au procès. 

G01TFRIED. 

Par égard pour moi^ vous devriez le fiedre imprimer. 

LE CONSEILLER. 

Vous êtes tombé au pouvoir de l'empereur , qui, au fieu 
d*agir envers vous avec rigueur, vous a dans sa clémence 
donné pour demeure Heilbronn, Tune de ses villes favorites. 
Vous vous êtes engagé par serment à vous conduire comme 
doit le faire un chevalier, et attendre ce qui arriverait. 

GOTTFRIED. 

Bien ! Et je suis ici et j attends. 

LE CONSEILLER. 

Et nous sommes réunis pour vous apprendre la grâce ie 
Sa Majesté. Elle vous pardonne vos .entreprises , elle vcus 
exempte des punitions que vous aviez méritées; vous saurez 
reconnaître, comme il le faut, une telle grâce, et vous ac- 
cepterez Facte qui va vous être lu. 

GOTTFRIED. 

Je suis comme toujours le fidèle serviteur >le Sa Mijesté. 
Mais encore un mot avant que d aller plus loin. Où soit mes 
gens? Que veut-on faire d'eux? 

LE CONSEILLER. 

Cela ne vous regarde pas< 

GOTTFRIED. 

Eh bien! que l'empereur s'éloigne aussi de vous, s vous 
tombez dans l'infortune! Us étaient mes compagnons, ils le 
sont encore. Où les avez-vous conduits ? 

LE CONSEILLER. 

Nous ne vous devons à cet égard aucun compte. 

GOTTFRIED. 

Ah ! je ne pensais pas que vous puissiez vous lier jour ne 
rien faire, rien de ce que vous aviez promis. 



GOETZ OE ttBRLlCHlNGBll. 317 

LECOIÏSEILLER. 

Notre commission est de vous lire cet acte. Soumettez-vous 
à Temperear, et vous trouverez moyen d'implorer aussi la 
liberté et la vie pour vos compagnons. 

GOTTFRIED. 

Voyons votre papier. 

LE CONSEILLER. 

Secrétaire, lisez. 

LE SECRÉTAIRE. 

Moi, Gottfried de Berlichingen, je reconnais ouvertement 
parla présente lettre, que m'étant révolté dernièrement contre 
1 empereur et contre FEmpire .... 

GOITFRIED. 

Cela n'est pas vrai. Je ne suis point un rebelle , je n'ai 
rien entrepris contre l'empereur, et quant à l'Empire, je n'ai 
rien à y voir. L'empereur et l'Empire! Je voudrais que Sa 
Majesté retirât son nom de votre mauvaise société. Vous êtes 
les véritables rebelles , vous qui avec votre orgueil et votre 
avarice rongez le pauvre peuple sans défense, et vous élevez 
chaque jour au-dessus de 3a Majesté même. Voilà ceux qui 
détruisent les liens établis , et il faut les laisser courir , car le 
gibet où on les pendrait coûterait trop cher. 

LE COUSEILLER. 

Modérez-vous et écoutez. 

GOTTFRIED. 

Je ne veux rien écouter de plus. Avancez-vous et rendez- 
moi témoignage. Ai-je jamais fait un seul pas contre l'em- 
pereur, contre la maison d'Autriche ? N'ai-je pas montré par 
toutes mes actions que je sens nueux que personne ce que 
l'Allemagne doit à ses maîtres, et surtout ce que les nobles, 
chevaliers, hommes libres, doivent à leur empereur? Je serais 
un misérable, si je me lai^ais jamais persuader de signer un 
tel acte. 



2il8 ETUDES SUA GOETHE. 

LE CQKSEILLEK^ 

Nous xvom des ordres poiv vous engager à le faire , ou 
pour vous jeter dans la tour* 

GOmUTED. 

Dans la tour, moi? 

LE COiNSEILLElU 

Là VOUS pourrez attendre votre sort de la justice impé- 
riale , si vous ne voulez pas le soumettre k sa démence* 

GOTTFRIED. 

Dans la tour? Vous dépassez les pouvoirs que vous avez 
reçus. Dans la tour? Ce ne peut pas être la volonté de lem- 
pereur. Quoi? Les traîtres me tendent un piège, ils m y 
attirent avec leur serment, avec leur parole de chevalier! Ils 
me promettent une prison de chevalier, et ensuite 3s manquent 
à leur promesse. 

LE COIISEILLBR. 

Nous ne devons aucune fidéUté à un voleur. 

GOTTFRIED. 

Si tu ne portais pas l'image de l'empereur , que je dois 
vénérer même dans la plus sale et la plus indigne copie, je 
te ferais voir qui doit être celui qui veut m appeler voleur. 
J'ai été engagé dans une guerre honorable. Tu pourrais rendre 
grâce à Dieu, et te faire grand aux yeux du monde, si ta 
avais jamais accompli une action aussi noble que celle qui 
me retient ici prisonnier. Enlever à ces coquins de Nurem- 
berg un homme dont ils ont enterré les plus belles années 
dans un misérable trou; délivrer mon écuyer, voilà pourquoi 
j'ai berné ces vauriens. Le pauvre homme ne fait-il pas aussi 
bioi partie de TEmpire que vos électeur^, et l'empereur et 
l'Empire n'auraient guère pensé à lui sur leur oreiller. J'ai 
étendu le bras pour le sauver, et j'ai bien fait. (Le conseiller 
impérial donne un signe à celui de HeUbronny qui tire h 
sonnette.) Vous m'appelez voleur. Puisse votre postérité de 



GOETZ DE BBRLICHIUGEN. 319 

coquins honorables, de filous aux belles manières, et de cou- 
peurs de bourses privilégiés , être détruite jusqu a son der^ 
nier rejeton. (Les bourgeois entrent at^ec des bétons à la 
main et des armes au côte,) 

GOTTFRIED. 

Que signifie cela? 

LE COBfSEILLBR. 

Ah ! TOUS ne voulez pas vou3 rendre ! Que Ton s'emparç 
de lui! 

GOTTFaiED. 

Est-ce là votre projet? Que celui de vous <jui n'est point 
un bœuf de Hongrie, ne se hasarde pas à m'approcher ! Il 
recevra de cette main de fer un soufflet qui pourra lui guérir 
radicalement les maux de tête, les maux de dents et tous les 
autres maux de la terre. {Les paysans s'approchent de lui. 
Il en jette un par terre y arrache les armes de l'autre. Ils 
se retirent.) Venez. Venez. Ce serait agréable pour moi de 
faire connaissance avec le plus brave d'entre vous. 

LE CONSEILLER. 

Rend€z->vous. 

GOXTFRIED. 

Avec Tépée à la main? Savez-vous qu'il ne tient mainte- 
nant qu'à moi de jeter bas tous ces lièvres et de courir en 
liberté. Mais je veux vous apprendre comment on tient sa 
parole. Promettez-moi de me donner une prison comme il 
en faut une à un chevalier, et je dépose l'épée, et je rede- 
viens captif comme je l'étais auparavant. 



LE CONSEILLER. 



Voulez-vous traiter avec l'empereur l'épée à la main ? 

GOTTFRIED. 

Dieu m'en garde! Mais avec vous et votre noble compa- 
gnie. Voyez comme ils se sont lavé le visage! Que leur don- 
nerez-vous pour la peine inutile qu'ils ont prise? Allez, amis, 



320 ÉTUDES suit GOETHE. 

c'est aujourd'liiù jour dœavre^ et il ny a riea de bon à ga- 
gner ici? 

LE COIÎSEILLER. 

Saisissez-le. Votre amour pour l'empereur ne vous donne- 
t-il donc pas plus de courage? 

GOTTFRIED. 

Pas plus que les emplâtres dont ils auraient besoin pour 
guérir les plaies que leur courage leur apporterait. 

UN HUISSIER. 

Le gardien de la tour appelle; une troupe de plus de deux 
cents hommes s'approche de la ville. Us se sont glissés sans 
qu'on les voie derrière les coteaux de vignes, et maintenant 
ils menacent nos murs. 

LES CONSEILLERS DE HEILBRONN. 

Malheur à nous! Qu'est-ce que cela peut être? 

LE GARDIEN (amW). 

François de Sickingen est à la porte, et vous fait dire, 
qu'il a appris comment vous aviez traité indignement son 
beau-frère, avec Faide des seigneurs de Heilbronn. Il demande 
réparation, et s'il ne l'obtient pas dans une heure, il incendie 
la ville et la livre au pillage. 

GOTTFRIED. 

Brave beau-frère I 

LE CONSEILLER IMPÉRIAL. 

Sortez, Gottfried. (// sort.) Qu'y a-t-il à faire? 

LES cdlNSEILLERS DE HEILBRONN. 

Oh ! ayez pitié de nous et de notre bourgeoisie. Sickingen 
est implacable dans sa colère, et ne reculera pas pour ac- 
complir ses menaces. 

Gottfried est délivré. Il retourne dans son château, mais 
sous la condition d'y rester tranquille. Cette inactivité l'afflige. 



GOETZ DE BERLIGHIirGElf. 3^1 

i ennui lui pèse. Goethe lui fait alors écrire ses mémoires^ 
bien qu'il ne les écrivit qu'après sa captivité d'Augsbourg; 
mais pour dramatiser son oeuvre^ il était forcé de rapprocher 
les év'énemens, et de faire mourir son héros quelques années 
plus tôt et autrement que l'histoire ne le raconte. 

La guen*e des paysans éclate, terrible, san^naire, im- 
placable. Gœtz y est entraîné de vive force. Il a honte de 
ses soldats. Il maudit leurs excès de vengeance, mais il est 
cependant obligé de les suivre. On le fait prisonnier, on le 
jette dans un cachot, et c'est là qu'il languit, s'affîusse, tombe 
malade, et que nous le retrouvons, non plus comme nous 
lavons connu, si brave, si jeune, si résolu; mais faible ^ 
souffrant, découragé et prêt à rendre le dernier soupir. 

(Un petit jardin dans Pintërieur de ]a prison.) 
GOTTFRIED. ELISABETH. MARIA. LERSEN. 

GOTTFRIED. 

Portez-moi sous cet arbre, afin que je puisse encore ries-^ 
pirer de tous mes poumons l'air de la liberté, et mourir. 

ELISABETH. 

Veux-tu que Lersen aille chercher ton fils dans le cloitre, 
afin que tu puisses le voir et le bénir encore une fois. 

GOTTFRIED. 

. Laisse-le. Il est meilleur que moi, il n'a pas besoin de 
ma bénédiction. Le jour de notre mariage , Elisabeth , je ne 
pensais pas que je dusse mourir ainsi. Mon vieux père nous 
bénit, et une postérité de braves et nobles fils semblait 
sortir de sa prière. Dieu ne l'a pas entendu, je suis le dernier. 
— Lersen, ton visage me réjouit plus à l'heure de la mort 
que dans le tumulte du combat. Alors mon esprit conduisait 
le tien, maintenant c'est toi qui ine sers d'appui. — Si du 
moins je pouvais voir encore une fois George et me rechauffer 
à son regard ! — Vous baissez les yeux et vous pleurez. — 



323 ÉTUDES SUR GOETHE. 

Il est mort ■*- George est mort. — Meurs aussi , Gottfrîed. Tu 
as survécu. aux cœurs nobles, tu as survécu à toi-même.— 
Comment donc est-il mort? — A-t-il été pris parmi les incen- 
diaires et condamné au supplice? 

ELISABETH. 

Non 5 il a été tué près de Miltenberg, il défendit sa liberté 
comme un lion. 

GOTTFRIED. 

Loué soit Dieu ! Sa mort fut une récompense. Il n'y avait 
pas sous le soleil un homme plus brave et meilleur. — A 
présent laisse mon ame s'en aller. — Pauvre femme. Je t a- 
bandonne dans un monde qui ne vaut rien. — Lersen , ne la 
délaissez pas. — Fermez vos cœurs avec plus de soin que vos 
portes. Voici venir en toute liberté les temps de trahison. 
Les faibles gouverneront par la ruse, les braves tomberont 
dans les filets que la lâcheté leur aura tendus. Maria, que 
Dieu te rende ton époux! Puisse-t-il ne pas tomber aussi 
bas qu'il est monté haut! Selbiz est mort, et le bon-empe- 
reur, et mon George. — Donnez-moi un verre d'eau. — Air 
céleste! — Liberté — Liberté! (// meurt.) 

ELISABETH. 

Ohl que je m'en aille là-haut, là-^haut auprès de toi. Le 
monde est ma prison. 

MARIA* 

Noblç, noble cœur! Malheur au siècle qui te repoussa. 

LERSEN. 

Malheur à la postérité qui ne saura pas te comprendre. 

J'ai fait cette analyse d'après le premier travail de Gœthe. 
Le second est, comme je l'ai dit, plus étroitement lié dans 
toutes ses parties, plus compacte. Le poète, pour se conformer 
aux exigences du théâtre, a dû en retrancher beaucoup de 
choses trèsr-bien placées dans sa première composition. Ccst 



GOETZ DE BEfiLICHlNGEN. 323 

ainsi qu'il a fallu supprimer le développement dé caractère 
d'Adélaïde et de Weislingen, pour mieux concentrer Fatten- 
tion sur celui de Gœtz. On ne retrouve pas non plus dans 
cette seconde œuvre ni la jolie scène où le fils de Gottfi:ied 
s'entretient si naïvement avec sa mère et sa tante, ni celle 
du dîner chez l'évêque de Bamberg, où apparaît le savant 
Olearius, ni Famour de Sickingen pour Adélaïde. La scène 
du tribunal secret est aussi changée, aussi ce qui a rapport 
au pacte de Gœtz avec les paysans. 

Le drame porte sans doute un caractère mieux arrêté. Les 
événemens y sont mieux rejoints et condensés ; les person- 
nages y sont placés plus en relief. Mais pour mon compte 
je relirai toujours de préférence le premier essai de Gœtz^ 
où il y a plus d'espace, de mouvement, de fraîcheur. 

(La fin an prochain numéro.) 




tsUm. 



RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSANS 

AU niOYBN AGE, 

PAR M. GUILLAUME 'WACHSHUTH. 



CHAPITRE VIL 

La Jacquerie. 

Un intervalle de plus de cent ans sépare le soulèvement 
des Pastoureaux de la révolte des paysans qui fait le sujet 
de ce chapitre et qui eut également lieu en France. La hié- 
rarchie était déchue de son faite; la fleur de la chevalerie 
s'était flétrie; un grand nombre de villes riches, armées , 
puissantes, s'étaient soustraites au réseau de la seigneurie 
féodale qui avait enlacé si long-temps le sol et ses habitans. 
Mais la condition des campagnards ne s était point améliorée; 
le joug s*était même appesanti à mesure que le nombre de 
ceux qui le subissaient avait diminué par l'obtention des pri- 
vilèges de bourgeoisie et de commune. 

Vers le milieu de cet intervalle, un des refiiges peu nom- 
breux de la liberté des campagnards fut menacé d'être envahi 
par l'usurpation des seigneurs. Les laboureurs et les pâtres 
qui habitaient autour du lac des Quatre -Cantons forestiers, 
jusque-là membres immédiats et libres de l'Empire , allaient 

1 Voyei ci-dessttt p. S2 et 128. 



RÉVOLTES ET GUERRES^ ETC. 23 5 

devenir les sujets de la maison d'Autriche. Les baillis autri- 
chiens empiétaient sans cesse sur leurs droits , et appelaient 
dédaifpieusement paysans et vilains les possesseurs de terres 
franches, quoique plusieurs fussent d'extraction noble i. Toute» 
fois Tinsurrection des hommes de Schwytz, dlJri et d'Unter- 
walden, et les guerres qui suivirent entre les confédérés et 
la maison d'Autriche, pour laquelle la noblesse féodale et le 
clergé avaient pris parti, ne réunissent point les caractères 
qui les feraient rentrer dans le tableau que nous esquissons : 
la question était beaucoup moins d^ordre à ordre, qu'entre 
l'inmiédiation et la subordination héréditaire à un prince 
d'Empire. Que l'insolente noblesse féodale ait voulu traiter 
comme des paysans, comme des vilains, les habitans des 
cantons forestiers, ce n'est là qu'une circonstance secondaire; 
et dès le principe, les confédérés se composèrent d'habitans 
des villes et d'habitans des campagnes, d'hommes de condi- 
tion franche ou d'extraction noble 2. Nous passons donc de 
suite à l'histoire de la Jacquerie, qui fut une véritable ré- 
volte de paysans contre les seigneurs. 

La naissance des bourgeoisies et leur affranchissement de 
la servitude qui pesait sur les cultivateurs et les artisans, ne 
furent pas moins féconds en résultats en France que dans les 
Etats voisins. Faire commune, tel était, à la fin du onzième 
siècle , le but et le cri de tous les endroits dont les habitans 

1 C'est ainsi qu'ils appelaient noblesse de paysans , noblesse de village 
(Bauernadei) les familles antiques et révérées des Attinghausen, etc. Voyez 
en général Jean de MiiUer, Histoire des confédérés suisses, I, 6o6. 

2 Ex génère militari, en allemand ritterhiirtig ^ c'est-à-dire habile par 
naissance à devenir chevalier. — Il n'en fut pas absolument ainsi de la 
révolte de ceux d'Appenzell contre l'abbé de Saint-Call et des habitans 
de la vallée d'£ngadin, etc., dans la Haute-Rhétie , contre leurs seigneurs: 
cette dernière donna naissance à la ligue de la Cadée ou de la maison 
de Dieu. Mais cette simple indication peut suffire. — Voyez J. Gaspard 
Zellwéger, Histoire du peuple d'Appenzell, 1 , 205 et suiv. , 295 et suiv. 
— ^H. Zschokké, Histoire des trois ligues perpétuelles de la Haute-Rhétie, 
(1798) 1817. 

TOME IX. l5 



2 26 RÉVOLTES ET GUERRES DES PÀYSAIiS 

possédaient quelque courage et quelque énergie* Deux siècles 
après (en 1 3 02 , le 1 G Avril) , Philippe-le-Bel convoqua les 
députés des villes à rassemblée des Etats généraux du ro^jf^nme. 
Mais, par là même, et en France comme ailleurs, Voppression 
des campagnards avait été aggravée. La distinction entre les 
vilains et les serfs s effaçait à beaucoup d'égards et au dé- 
triment des premiers. Louis K, malgré la douceur et Hu- 
manité de son caractère, n avait en rien amélioré le sort des 
habitans des campagnes, et ses successeurs n'y songèrent pas 
plus que lui. Le mépris pour la classe des paysans ou vilains 
s'exprimait de la manière la plus insultante; ces mots: vi- 
laine parole, vilain fait, vilenie, étaient employés pour tout 
ce qu'il y a de plus grossier, de plus laid et de plus ignoble.^ 
Lorsque, sous Philippe de Valois*, commencèrent les guerres 
entre l'Angleterre et la France^ de nouveaux maux vinrent 
fondre sur le plat pays. Les exactions des seigneurs, l'alté- 
ration des monnaies, la licence des compagnies mercenaires, 
dont l'usage devenait général, achevèrent de ruiner ce que 
les pillages et les dévastations de l'ennemi avaient épargne. 
Cependant la noblesse se livrait avec un faste effréné aux 
fêtes et aux plaisirs , tandis qu'on arrachait au laboureur son 
denier de réserve pour pourvoir aux charges de la guerre. 5 
La patience de ces malheureux semblait sans bornes. On parle, 
il est vrai, de nouveaux troubles de Pastoureaux 4 qui auraient 

1 Par exemple dans l'ordonnance de S. Louis contre les blaspliëmateurs 
(1268). Recueil des anciennes lois françaises, I, 342. 

2 Le texte allemand porte Pliilippe-le-Bel : ce ne peut être qu'un lapsus 
calami ou une faute d'impression. IVoie du Traduci. 

3 Contin. ait. Guil. de Nangis dans d'Achëry Spicil, III, II4: Amo 
igilur 1356 fastus et dissolutio in multis personis nobilibus et militarihus 
quant plurimum inolevit ; .... hoc anno .... magis se incœperunt sumpiuose 
deformare , perlas et margaritas in capuciis et zonis deauratis et urgenieis 
deportare , gemmis diçersis et lapidihus preiiosis se per totum curiosius 
adomare et in tantum se curiose omnes a magno usque ad parçum de 
talibus lasciviis cooperiehant , etc. Unde populus commuais multum lugere 
pùterat et lugehat pecunias ah eo pro facto guerrce leçatas in talibus ludis 
inutilibus et usibus positas et conçersas. 

4 Du Cange, Glossaire, v. Pastorelli. 



kV MOYEN AGE. 22 7 

édaté entre les deux époques que nous avons fixées au com- 
mencement de ce chapitre; mais on n'en a que des renseigne- 
mens vagues et contradictoires. La noblesse se raillait de la 
bonhomie et de la simplicité de l'habitant des campagnes, qu on 
appelait Jacques Bonhomme ^ • Mais la conscience de leur force 
s'était réveillée en eux au temps de leur détresse, parce qu'ils 
étaient le plus souvent réduits à leurs propres moyens, et qu'on 
avait eu occasion de reconnaître, pendant la guerre, ce que 
valaient de bons archers tirés des villes et des campagnes. En 
effet, la bataille de Crecy , en 1346, avait été principalement 
perdue parFinsultant dédain des chevaliers français pour leurs 
propres archers, et par la bonté des archers anglais. La bataille 
de Poitiers, où, dix ans plus tard, la noblesse française fut 
encore une fois défaite , découvrit au peuple des campagnes 
cette vérité, que ses oppresseurs étaient plus redoutables à 
leurs compatriotes qu'ils maltraitaient, qu'aux ennemis du 
royaume dans les combats. Le roi Jean et la plus grande 
partie de la noblesse avaient été faits prisonniers; les Etats 
généraux s'assemblèrent à Paris; les députés du tiers firent 
éclater leur haine et leur colère contre les états privilégiés, 
et demandèrent compte de l'emploi des aides qui avaient été 
levées ^. Un esprit révolutionnaire se déclara parmi les bour- 
geois de Paris, à la tête desquels se trouvait le prévôt des 
marchands , l'entreprenant et intrigant Etienne Marcel. Mais 

1 Contîn. Guil. Nangis^ l. l. — Cëtaît un proverbe du temps : Oignes 
vilain, il vous poindra; poignez vilain, il vous oindra. (Loisel, Insti tûtes 
coutumières « liv. I, t. 1 , règle 31.) Le gentilhomme disait : Jacques Bon- 
homme ne lâche point son argent, si on ne le roue de coups; mais Jacques 
Bonhqmme paiera, car il sera battu. Voici un couplet d'un autre genre, 
et qui au fond dit encore la même chose: 

Jacques Bonshommes, 
Cesses, cessez, jgens d'armes et piétons, 
De piller et manger le bonhomme. 
Qui de long-temps Jacques Bonhomme 
Se nomme. 
(Chateaubriand, Etudes historiques , t. IV, p. ^ÔB.) 

2 Froissart (Paris, 1573), I, p. 186. 



228 RÉVOLTES ET GUERftES DES PÀYSÀHS 

dans les châteaux c'était toujours la même arrogance : 09 
vexait les paysans pour leur extorquer la rançon des cheva- 
liers pris à Poitiers. Les compagnies parcouraient le pays et 
mettaient les villages à contribution. Alors l'indignation s em- 
para des Jacques, en voyant que leurs seigneurs, qui devaient 
les défendre, ne le pouvaient ni ne le voulaient faire, mais 
qu'ils étaient leurs pires oppresseurs. Les paysans des envi- 
rons de Paris s'enfuyaient dans la capitale pour y mettre leurs 
vies en sûreté ^ Le désordre s'accrut dans les campagnes, 
lorsque quelques gentilshommes eurent fait sortir le roi de 
Navarre, Qiarles-le-Mauvais, de la prison où l'avait fait 
mettre le roi Jean , et qu'Etienne Marcel l'eut bien accueilli 
dans Paris comme le chef de sa faction. 

Bientôt après, au mois de Mai i358, les paysans du 
Beauvoisis, où la servitude était en vigueur sous la forme la 
plus oppressive et la plus inhumaine ^, se soulevèrent. U n'y 
en eut d'abord qu'une centaine. Un siècle auparavant, c'était 
contre le clergé surtout qu'avaient été dirigés les grieÊ des 
Pastoureaux : cette fois les rebelles s'écriaient que les nobles 

1 Cont, Gttil. JVang., p. 116. 

2 M. WacKsmudi cite en preuve de ce fait, Beaumanoir, Coatumes 

de Beauvoisis, cbap. 45, p. 257 : Car li uns des sers sont si soaget à leur 

seigneur que leur sire puet penre quanques que il ont à mort et à vie, 

et les cors tenir en prison toutes les fois que il leur plest soit à tord 

soit il droit , que il n'en est tenus à respondre fors à Dieu. — Mais M. 

'Waclismutli se trompe, car Beaumanoir continue : Et li antres sont demene 

plus debonnairement, car tant comme il vivent les seigneurs si ne lear 

pueent riens demander se il ne meflont fors leurs cens et leurs rentes, et 

leurs redevancKes que il ont acoustumée k paier pour leurs servitudes, et 

quant il se muèrent ou quant ils se formarient en franches famés, quan. 

ques il jont escKiet k leur seigneur meubles et biretages, car cbil qui se 

formarient, il convient que il finent à le volenté du seigneur leur, et se 

il muert il n'a nul hoir fors que son seigneur, ne li enfans du serf n'en 

ont riens se il ne le rachatent au seigneur ainsînt comme feroit autre 

gent estrange, et cheste derraine Cousiume que nous avons dit queurt entre 

les sers de BUuQoisins des mortes mains et des formariages tout com- 

munemeus, et des autres conditions qui sont entre les antres sers des 

estranges terres nous nous en avons biau taire, pour cbe que nostre Livre 

est des Coustumes de Biauvoisins. JVote du Traduct 



AU MOYEN ÂGE. 3 39 

n'étaient bons à rien, et que le royaume était ruiné par leur 
lâcheté et leur mollesse. Plus on déclamait violemment contre 
eux, plus on obtenait les bruyans applaudissemens de la foule, 
qui affluait en poussant des -cris d'alégresse^ On chercherait 
vainement parmi elle quelque modération, une conduite ré- 
fléchie ou des plans d une liberté régulière et légale : pas une 
noble étincelle ne brille au milieu de ce débordement des 
passions les plus brutales. A son origine, dans ses progrès , 
cette révolte n ofire qu'une suite d'horribles transports d'une 
colère qui ne veut que détruire ce qui lui a fait obstacle, 
ce qui a pesé sur elle. ^ 

Dès le commencement du soulèvement, les paysans, armés 
de bâtops et de coutelas, pénétrèrent dans la demeure d'un 
gentilhomme, le tuèrent avec sa femme et ses enfans, et mirent 
le fea à la maison. Puis ils prirent de vive force un château, 
Uèrent le seigneur à un poteau , outragèrent sous ses yeux sa 
femme et ses filles, qu'ils firent ensuite mourir avec lui dans 
les tourmens, après quoi ils incendièrent le château. Le nombre 
des paysans s'éleva bientôt à 6000 ; la révolte gagna le 
Laonnais et le Soissonnais. A la tête d'une de leurs troupes 
était un homme de Meaux, Guillaume dit Karle^. Il parait, 
comme tous les autres chefs de bandes, n'avoir exercé au- 
cune influence sur ces furieux pour modérer leur atroce et 
aveugle cruauté, ou pour les faire agir dans quelque dessein 
de justice et de véritable liberté. Les incendies continuaient. 
Les nobles qui tombaient entre les mains des paysans étaient 
mis à mort; leurs femmes et leurs filles éprouvaient le même 
sort après avoir essuyé les plus horribles outrages ; les châ- 

i Leur cri itait : Honni soit celuy par qui il demoura que tous lea 
Gentilshommes ne soient destruits. Froissart, p. 190. 

2 Le Continuateur de Guillaume de Nangis , d'ailleurs farorable ii la 
cause populaire, s'exprime ainsi, p. Il9 : iVam ipsi 4/ui prius ut eis vide- 
batur , ifuodam selo justitia hoç inehoaçerant^ t/uia domini smî eos non 
defendebant , sed opprimebmni , eonptrlerunt se ad opéra vilia et nefanda. 

3 Guiii. Nang, L c. 



!l3o BÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSÀ19S 

teaux devenaient la proie des flammes. Les plus forcenés 
obtenaient le plus de crédit parmi leurs compagnons. Une 
de leurs troupes égorgea un gentilhomme ; puis ils hadièrent 
son corps et firent rôtir les morceaux en présence de sa 
femme et de ses filles, qu'ils obligèrent d'en manger, après 
avoir assouvi sur elles leurs passions brutales; enfin ils se 
délectèrent à leur donner la mort par mille tourmens. ^ 

Le soulèvement se propagea jusque dans TArtois et vers 
Paris. Cent soixante forts et châteaux environ étaient en 
ruines; on ne .voyait de toutes parts que de nobles daines 
et demoiselles qui cherchaient leur salut dans la fuite. II y 
avait bien 1 00,000 paysans qui couraient le pays, mais tou- 
jours sans direction commune, et étrangers à toute idée de 
droit comme à tout sentiment dliumanité. Un homme de 
Clermont en Beauvoisis, qui portait le nom collectif de Jacques 
Bonhomme, était un de leurs chefs : on ignore ce qui lui 
avait valu son autorité sur la foule. Lorsqu'on demandait ces 
paysans furieux, pourquoi ils se portaient à tous ces excès, 
ib répondaient le plus souvent, dit Froissart, ifuils ne sor- 
voient^ mais quilsfaisoient ainsi i/uilsveoient les attires faire* 

Les gentilshommes envoyaient de tous côtés demander du 
secours; leurs messagers allaient porter ces épouvantables 
nouvelles à la noblesse de Brabant, de Flandre, de Haînault 
Cependant de valeureux chevaliers marchèrent sur quelques 
points contre les paysans : ceux qu'ils purent prendre iiirent 
pendus. Mais les chevaliers se montrèrent non moins barbares: 
ils mirent le feu à des villages qui n'avaient pris aucune part 
à la révolte; ils massacrèrent des laboureurs qui conduisaient 
paisiblement la charrue, des vignerons travaillant dans les 
vignobles 3. Le roi Charles-le-Mauvais sortit de Paris, attira 
près de lui les chefs des partis qui rôdaient aux environs, et 
les fit mettre a mort, tandis que ses gendarmes tombaient 

1 Je n'oMraye etcrirc les horribles faits et inconvenables qu'ils faisaient 
aux daines , dit Froissart, p. l90. — 8 Cont, GuilL J^ang,, p. 11 9. 



ÂV MOYEN AGE. 2 3], 

à rimproviste sur les paysans, dont plus de 3ooo furent 
taillés en pièces. 

Le soulèvement des paysans eût pu prendre une tout autre 
importance, si la faction de Paris les avait appuyés en pra- 
tiquant des intelligences avec eux. Il était sans doute loin de 
la pensée de Marcel, l'allié de Gharles-le-Mauvais , comme 
de Maillard, son rival, d'associer les Jacques à leur cause. 
Mais plusieurs milliers de paysans s' étant dirigés vers Meaux, 
les habitans de la ville conçurent Fespérance de se soustraire 
entièrement à la dépendance où les retenait une noblesse 
abhorrée 1, et ils envoyèrent à Paris pour demander lassis- 
tance des bourgeois. Environ mille hommes sortirent donc 
de Paris sous la conduite de lepicier Pierre Gille et' de Fes- 
sayeur Jean Levaillant, et marchèrent sur Meaux. ^ 

Dans le château ou marché de Meaux, séparé de la ville 
par la Marne, se trouvaient environ 3oo nobles dames et 
les duchesses d'Orléans et de Normandie. Le duc d'Orléans 
y était aussi avec elles. Elles avaient tout à craindre, si les 
paysans réussissaient à se rendre maîtres de la ville et du 
château. Or, deux des plus braves chevaliers de la chrétienté 
en Occident, le comte de Foix et le captai de Buch, reve- 
nant alors même d'une croisade contre les Lithuaniens, furent 
conduits sur le théâtre de la rébelUon : la nouvelle du danger 
que couraient 3oo dames dans Meaux, les attira au château, 
où ils arrivèrent sans rencontrer d'obstacle. Bientôt après on 
vit approcher les paysans et la troupe des Parisiens. Les ha- 
bitans de Meaux les reçurent à bras ouverts : on but et chanta 
dans les rues; 9000 paysans et bourgeois allèrent ensuite 
donner l'assaut au château. Mais tout à coup le pont-levis 
s'abaisse , et le comte de Foix et le captai de Buch s'élancent 
au galop à la tête de leurs chevaUers, au nombre de 60 

1 Cont, GuilL Nang. , /. c Froissart ne soupçonne même pas cet esprit 
de commune parmi les habitans de Meaux. 

2 Capefigue, Histoire constitutionnelle de la France, II, p. 487 , attri- 
bue à Marcel renvoi de cette expédition, mais j'ignore sur quelle autorité. 



232 RÉVOLTES ET GXÎEIIRES DES PAYSANS 

environ. A cette attaque imprévue, les masses mal armées, 
mal disposées, lâchent pied, et se renversent les unes sur les 
autres dans le désordre d une déroute : parqués dans les rues 
de la ville, on en fit une horrible boucherie; plus de 7000 
tombèrent par la lance et Tépée des chevaliers ou sous les fers 
des chevaux. Le carnage fini , les chevaliers , dont le nombre 
s'était accru pendant le combat, mirent le feu à la ville de 
Meaux. Les habitans qui cherchaient à s'échapper des flammes, 
y furent refoulés, et toute la population périt misérablement. 
On tira de même vengeance des villages U Le jeune En- 
guerrand de Coucy parcourut le pays à la tête de ses gen- 
darmes, et tout paysan qui se trouvait sur sa route était 
massacré sans pitié. Nulle part on ne voit de troupe de re- 
belles résolus et bien dirigés : ils tombèrent tous sans mon- 
trer le courage de la liberté, qu'ils avaient aussi peu appris 
que le respect de la justice. La vengeance des seigneurs dé- 
passa de beaucoup la mesure d'un châtiment équitable, et 
Jacques Bonhomme devint une désignation plus humiliaDte 
encore de cette classe misérable que foulaient à l'envie les 
possesseurs des châteaux forts et les membres des couvens 
ou des chapitres. C'est pourtant de cette classe méprisée, 
dont les bandes grossières n'avaient pas même su, àMeaux, 
vendre chèrement leur vie, que s'éleva bientôt après unguer*' 
rier dont les exploits contre les Anglais ne méritent pas moins 
une glorieuse mémoire que ceux des plus preux chevaliers 
des deux armées. L'aristocratique Froissart n'aime à raconter 
que les prouesses chevaleresques ; mais un moine qui avait 
conservé quelque afiection pour la classe dont il était sorti, 
parle avec complaisance de la force prodigieuse d'un homme 
de la campagne, appelé le Grand •• Ferré, devant lequel les 
Anglais tombaient conune paille. ^ 

1 Froissart n'en dit rien : ces nobles horrenrs nous ont été eonsenrées 
par le Continuatear de Gnillaume de Nangis , p. 1 25. 

2 II j en a une description très-intëressante dans le Continuatenr de 
GaiUanme de Nangis, p. 1 2 3 et soir. ; mais ce n'est pas ici liea de la transcrirez 



AU MOTBIV AGE. 



CHAPITRE VIII. 



333 



Les paysans anglais en F année i38i. — Wat Tyler^ 

Bail et StraiV. 

La fin du quatorzième siècle s'annonce comme un temps 
de dissolution et de commotions violentes pour les États de 
l'Europe. La force brutale est déchaînée; les esprits, que 
n'enchaine plus lautorité du pape et de rÉglise, n ont pas 
encore atteint ce degré de pureté et de développement qui 
leur eÀt permis d'organiser la société sur les principes de 
l'Evangile et de la raison. On écoutait avidement la parole de 
Widef (ou plus exactement Wycliffe) ; mais il fallut encore 
un sîède et demi avant qu une réformation ne HlI mûre. De 
son temps, l'Europe était trop remplie de troubles, de tu- 
multe et de violences, pour que sa voix eût pu être entendue 
au loin ou pénétrer profondément dans les cœurs. Il est cer- 
tain que ses prédications antipapistes présentaient une analogie 
complète avec; les motifs et la tendance du mouvement re- 
marquable dont nous allons parler, et dont l'allure fut si 
violente, mais elles n'en furent nuUement la. cause. ^ 

Trois siècles s'étaient écoulés depuis la conquête, et l'op- 
position entre les Anglo-Saxons et les Normands s'était beau- 
coup afiaiblie par leurs guerres communes contre les Écossais, 
les Gallois, les Irlandais et les Français; par la résistance 
qu'ils avaient opposée de concert à de mauvais rois, tels 
que Jean-sans-Terre et Henri III; enfin par l'influence que 
les Anglo-Saxons avaient peu à peu reprise dans l'Église et 
dans les villes : à ce dernier égard, le commerce et la richesse 
de Londres étaient surtout de la plus haute importance. La 
nation anglaisé, née de la fusion de ces deux élémens, avait 

1 Le papiste Lingard lui-même {Hist. ofEngL^ÏV^ p. 236 , ddd , aei.) 
n'a pu donner 4{nelque consistance aux attaques contre Widef , pas plua 
que les ennemis de Luther n'ont pu faire de ses doctrines U cause de 
la guerre des pajsans de l'Allemagne. 



^34 RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSABS 

obtenu, pour ne plus la perdre , une représentation dans la 
chambre basse, depuis les parlemens de Simon de Montfort 
(Leicester) eni258eti265. Mais les habitans des campagnes 
n en étaient pas moins asservis , comme dans tout le reste de 
l*£ûrope occidentale, aux droits seigneuriaux, au viUanage^ 

9 

au boundage. Les ordonnances d'Edouard HI en faveur des 
serfs (1339 ^^ suiv.) n'avaient guère produit de résultats 
favorables à la liberté ^ La noblesse anglaise n affichait peut- 
être pas un orgueil aussi incisif et aussi blessant que celui 
qui était propre aux gentilshonmies français; mais le conten- 
tement et la résignation des serfs étaient chose d'autant plus 
rare, que Thomme du peuple, par la part qu'il prenait aux 
guerres, faisait plus souvent l'expérience de ses propres forces, 
et qu^il avait contribué efficacement, par le corps redoutable 
des archers, aux glorieux succès remportés sur la France. 
Par là l'esprit national n'avait pas grandi seulement parmi les 
nobles : le laboureur y prenait part, et chez lui ce sentiment 
se dirigeait aussi bien contre ses supérieurs que contre l'é- 
tranger. Il n'en resta pas au vague sentiment de* l'injustice 
dont il était la victime ; ses droits furent proclamés hautement 
par des hommes qui surent se faire écouter du peuple. 

Tandis que Wiclef (depuis i36o) attaquait l'impudence 
de la cour de Rome, la corruption du haut clergé, l'igno- 
rance et la bassesse des moines mendians ', ce qui ne touchait 
guère le menu peuple, un prêtre du comté de Kent, John 

1 Froissart, 11,122 : Un usage est en Angleterre que les nobles ont 
grandes franchises sur leurs hommes et les tiennent en servage, c'est-i- 
dire qu'ils doivent par droit et par cpustnme labourer les terres des 
gentilthomme , cueillir les grains , les amener à lliostel , les mettre 
en la grandie, les battre et les vaner, et par servage les foins fener et 
les mettre en l'hostel, et toutes telles choses et dojrvent toutes ces choses 
faire et aussi couper le bois et le mener à Thostel et dojvent iceui 
hommes tout ce faire par servage aux seigneurs, et trop plus grande foison 
a d«r telles gens en Angleterre qu'en d'autres pajs , etc. — Ne semble-t-il 
pas que Froissart ait voulu réjouir l'ame de quelque gentil seigneur en 
énumërant ainsi tout au long tous ces droits seigneuriaux P 

2 On disait alors : Hic est frater , ergo mendax. 



AU MOYEU ÂGE. 23d 

Bail, précurseur plutôt qu'adhérent de Wldef, avait coutume 
d'assembler après la messe le peuple autour de lui, et de 
lui dire: Bonnes gens, les afiaires n'iront pas bien en Angle- 
terre tant qu'il y aura des seigneurs et des ser& ; nous sommes 
tous nés d'Adam et d'Eve >, etc. L'archevêque de Cantorbéry 
le fit à plusieurs fois jeter dans un cachot, mais le zèle de 
J<^ Bail restait le même ; et son supérieur était trop indulgent 
pour lui infliger une peine plus grave. La semence ne tomba 
pas sur le rocher, car en 1379 on se plaignit au parlement 
de ce qu'une foule de gens de la campagne s'étaient procuré 
des copies du Doomsdaybook, et prétendaient en déduire 
leurs droits et leurs véritables obh'gations. 

Après la mort d'Edouard III (1 3 7 7), Jean de Gand exerça 
pendant quelques années la régence à cause de la minorité 
du roi Richard II, son neveu. La guerre contre la France se 
poursuivait, et il fallut lever des contributions extraordi^ 
naires. On établit donc en 1 3 80 une capitation.que devait 
payer dans tout le royaume toute personne âgée de plus de 
quinze ans. Cette taxe seule indisposa le peuple, et les moines, 
qu'on n'en avait point exemptés , partagèrent le méconten- 
tement ; mais ce qui fit un bien plus fâcheux effet, ce fut la 
dureté, l'injustice et les avanies qui en accompagnèrent la 
perception. Celle-ci fut confiée principalement à des Flamands, 
que le peuple anglais détestait ^ à cause de leur empresse- 
ment intéressé à servir d'instrumens au gouvernement toutes 
les fois qu'il s'agissait d'impôts et d'exactions. Le lundi avant 

i Ici le récit de Froissart, p. 122, est inimitable. — Thomas Wal» 
singham , moine de Tabbaie de Saint- Albans , qui eut tant à souffrir dans 
ce soulèvement, rapporte que c'était un mot favori de Jobn Bail: 

Jflien Adam dehed and Eve span, 
JfOio Y/as ihen ihe gentleman. 

(Voyez Walsingbam, dans Cambden u!^n^/. , p. 275.) 

2 Cette haine nationale est partagée par Walsingham , qui pourtant 
n'entend pas faire l'apologie de la révolte. Page 224 : Hominum yerfido* 
rum Fltmdrensium éfui more Samaritanorum y etc. 



a36 RÉVOLTES ST GUERRES DES PATSÀ9S 

k Fête-Dieu de Tannée 1 38 1 , le peuple d*Essex se souleva > 
contre les agens préposés à la levée des contributions ; à sa 
tête était Jack Straw* La nouvelle de la révolte pai'courot 
comme un éclair tout le comté ^ et partout elle trouva des 
imitateurs; les paysans s'attroupaient, parcouraient le pays 
les armes à la main, contraignaient par menaces ou par mau- 
vais traitemens ceux qui montraient de l'hésitation ou de la 
répugnance à s associer à leur entreprise; et ils exercèrent des 
vengeances contré tous ceux qui s étaient attiré leur haine. 
La révolte éclata presque en même temps dans le comté de 
Kent : ici ce fut à loccasion d'un de ces outrages à la pudeur 
qui ont toujours fait soulever un peuple non encore corrompu 
et dégradé* Un agent du fisc réclamait la capitation de la fille 
d'un couvreur (tyler) de Deptford, nommé Walter ou Wat: 
comme on lui objectait que la jeune fille n'avait pas quinze 
ans, il se permit .envers elle un sanglant outrage^; mais le 
père, qui avait suivi en France un chevaher en qualité de 
servant d'armes^ et contracté la fierté d*un soldat, accourut 
et lui firacassa le crâne d'un coup de son marteau. Le peuple 
entoura Wat Tyler pour le protéger, et parcourut le pays 
soiis sa conduite : bientôt tout le comté fiit insurgé. Les choses 
se passèrent à peu près de même dans le Sussex, le Sufiblk 
et le Norfolk ; l'insurrection s'étendait des côtes méridionales 
de l'Angleterre jusqu'aux rives du Humber : la terreur obligea 
quelques gentilshommes, comme plus tard Gœtz en Allemagne, 
de se joindre aux insultés 4. Les bandes de Wat Tyler mar-^ 

i Wftl|jingli«m : Rustici , qw>s natwos vei bondos vocamus ; Knygfaton 
(dans Twysden Scr, rer. ^ngL, p. 2633) les appeUe Communes; Frois* 
•art) p. 124, aille menu peuple ^ et quelquefois , ces méchantes gens. 

2 K.nygtKoii, p. 2635, raconte cette circonstance comme ayant eu lien 
plusieurs fois : pttelbtlas, quod dictu horribile est, esursum impudice eh" 
varunt. 

3 Froissart, p. 126. 

. 4 Froissart, p« 126. — * Robert Salle, le fils d'un maçon, qui a^ait Àé 
fait cheTalier k cause de sa valeur, et se trouvait alors commandant de 
la ville de Norwich, marcha hardiment contre les rebelles : ils le prièrent 



AU MOYES AOB. 337 

chèrent sur Londres. A Maidstone il y avait une prison de 
larchevécpie de Gantorbéry : elle fut forcée, et parmi les 
prisonniers qu'on délivra se trouvait le prédicateur John Bail: 
celui-ci devint avec Wat Tyler un des chefs des. insultés de 
Kent, et renouvela ses sermons sur la liberté et Tégalité, qui 
trois fois lavaient conduit en prison. 

Le soulèvement n'avait eu d'abord d'autre objet que la 
capitation; mais au refus delà payer, les rebelles joignirent 
d'autres prétentions, qui ne tendaient à rien moins qu'à leur 
complet affranchissement de toutes les charges et de l'opprobre 
de la servitude. Ceci suppose un long mécontentement et des 
réflexions qui ont dû précéder leur révolte. Il n'en est pas de 
même des autres résolutions qu'ils prirent dans l'ivresse et 
le désordre du soulèvement, et auxquelles les avaient poussés 
peut-être les sermons de John Bail : comme de ne plus 
souffirii; à l'avenir de roi du nom de Jean (à cause de l'odieux 
Jean de Gand)*, d'abolir tous les nobles, les juges, les pro- 
cureurs, le haut clergé; de ne laisser subsister que les moines 
mendians; d'élire John Bail archevêque de Cantorbéry; de 
détruire tous les titres des châteaux, chapitres et couvens, 
afin qu'on n'y pût plus jamais trouver des témoignages en 
faveur de la servitude des habitans des campagnes i, etc. Ce 
qui agitait ainsi la foule ne fut pas toujours formulé en plans 
bien nets, bien positifs > ; mais partout les actes répondirent 
aux prétentions les plus effrénées, et à la funeste idée qu'il 
fallait avant tout anéantir tout ce qui annonçait quelque su- 
périorité. Une fureur aveugle poussa les paysans au meurtre, 

d'être leàr cKef; mais il leur reproclia si durement leur conduite, qu'ils 
se jetèrent sur lui et le tuèrent. Froissart, qui raconte ce trait, p. 129^ 
semble ne pas s'apercevoir que ce chcTalier de bas lieu faisait bonté, par sa 
fidélité et son courage, à la bante noblesse, qui abandonna le roi et sV 
bandonna elle-même. 

i Walsingbam, p. 248, 252; Froissart, p. 122. 

2 Rapin Tbojras a jusqu'à un certain point raison de dire (m, 285), 
que Yraisemblablement ces projets n'avaient été faits qu'en général, et 
peut-être le verre k la main, pendant qu'ils étaient en marcbe vers Londres. 



a38 RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSASS 

à Imcendie. Les nobles, les juges, les agens du fisc et les 
employés de toute espèce, tombaient sous les coups de ces 
forcenés; les victimes étaient d'ordinaire attachées d abord 
au carcan 1. On ne fit grâce de la vie qu'aux nobles cpii, 
sur l'ordre des paysans, tombaient à genoux et s'humiliaient 
devant eux^, ou qui, ainsi que nous l'avons déjà observé, 
firent cause commune avec eux. 

Le régent, Jean de Gand, se trouvait à la frontière d'E- 
cosse; une troupe nombreuse de chevaliers et de gendarmes, 
rassemblés à Plymouth, était destinée à une expédition en 
Portugal: il n'y avait pour le trône et l'aristocratie aucun 
secours ni assez prochain, ni assez efficace. Dès l'arrivée des 
premières nouvelles du soulèvement, les chevaliers s'embar- 
quèrent et prirent le large 3. Les paysans marchaient sur la 
capitale : du côté du midi, ceux de Kent et de Sussex, sous 
Wat Tyler et John Bail; du côté du nord, ceux d'Essex, 
de Sufiblk et de Norfolk, commandés par Jack Straw etlit- 
tester. On en évaluait le nombre total à 100,000 honunes. 

Le roi Richard, alors âgé de quinine ans, sa trouvait à la 
Tour. Là vint le rejoindre sa mère, la princesse de Galles, 
qui, revenant d'un pèlerinage à Cantorbéry, était tombée 
au milieu des paysans révoltés, et n'avait échappé à de mau- 
vais traitemens que grâce à sa conduite adroite et bienveil- 
lante. La bande de Wat Tyler campa sur la lande de Green- 
"Wich et Blackfaeath : de là ils envoyèrent un chevalier qu'As 
avaient contraint de les suivre, et dont ils retenaient les 
enfans «n otage, Jean Mouton, vers le roi, pour inviter celui-ci 
à une conférence avec les paysans 4. Les conseillers du roi 
fiirent d'avis d'accéder à cette demande, et Richard descendit 
la Tamise pour débarquer sur la rive méridionale. Mais lors- 

1 Collisirigium dans Wâlsingham. 

2 WaUingham , p. 26l. 

3 Froissart, p. 125. 

4 Froissart, ihid. 



AU MOYEN AGE. 33^ 

qtie le bateau approcha, les paysans poussèrent des cris si 
épouvantables >, que ceux qui accompagnaient le jeune roi 
en forent intitnidés, lempéchèrent de descendre à terre, et 
l'engagèrent à s en retourner. Alors la troupe des paysans , 
transportée de colère, s élança veri Southwark, y dévasta 
plusieurs maisons et fit sortir de prison tous les détenus. Le 
bas peuple de la capitale leur était favorable; et le jour de 
la Fête-Dieu (le jeudi 1 4 Juin 1 3 8 1) ceux de Kent passèrent 
le pont de la Tamise, tandis que les bandes d'Essex^ qui 
s étaient de même rapprochées de la ville, y entrèrent par 
lautre côté. 

Après un festin tumultueux , pour lequel les caves des riches 
furent mises à contribution, on entendit bientôt des cris de 
mort et de destruction. Ils forcèrent d'abord la prison de 
Newgate et lâchèrent tous les prisonniers; puis ils détruisirent 
le palais de Jean de Gand, the Sapojr^ le plus bel édifice 
qu'il y eût alors en Angleterre^, le Temple où les jeunes gens 
faisaient leurs études en droit, l'hôtel du maître de l'ordre de 
S. Jean de Jérusalem, etc. La rapidité avec laquelle les re- 
beUes escaladaient et démolissaient les édifices, semblait tenir 
du prodige ^. Cette espèce de point d'honneur, dont il s'est 
vu de nos jours des exemples, que le peuple, tandis qu'il 
satisfait en masse sa passion par la destruction des biens de 
ceux qu'il regarde comme ses ennemis, ne soufire point que 
personne enlève rien individuellement, se retrouve- parmi les 
dévastateurs de Londres : un d'eux, dans le saccagement du 
palais de Savoie, avait volé un vase d'argent; on le jeta dans 
les flammes 4. D'un autre côté la foule se hvra sans mesure 
ni frein à la boisson; trente-deux hommes restèrent ivres 

1 Ils commencèrent tous k huer et de mener un si grand crj, qu'U 
semblait proprement que tous les diables d'enfer fussent descendus en 
leur compagnie, dit Froissart. 

2 Yojez les détails dans Knygbton, p. 2635, etWalsingbam, p. 249. 

3 Knyghton, p. 2636 : ac si essent ratones vel spiritu ali^uo vecti. 
A Knyghton, p. 2635. 



^40 RÉVOLTES £T GUERRES DES PiYSAMS 

morts dans les caves du palais de Savoie^ qui s écroula dans 
l'entretemps^ en sorte qu'ils furent ensevelis sous les décombres^ 
et que, plusieurs jours après, on entendait encore leurs cris 
lamentables 1. Nous sommes heureux de n avoir à rapporter, 
dans ces miomens de licence, aucun attentat aux mœurs; 
du moins les historiens nen parlent point-, mais leur fureur 
sanguinaire fit périr d'innombrables victimes, tant à Londres 
qu'aux environs. Dès que les paysans découvraient un homme 
qui paraissait n'être point un des leurs, ils poussaient des cris 
pour servir de signal à la foule, qui accourait, entourait le 
suspect, et lui demandait pour qui il était? S'il ne répondait 
point par leur mot de ralliement : Pour le roi Richard et le 
peuple (conunons)y ils le massacraient à l'instant. Un des 
auteurs où nous puisons cette histoire, rapporte qu'ils déca- 
pitaient simplement leurs victimes^, et nous ne trouvons 
aucune mention de tortures qu'ils leur auraient fait endurer, 
quoique tous les historiens aient pris vivement parti contre 
les paysans. Mais les Flamands étaient livrés au supplice avec 
un empressement particulier ; on les tirait de leurs retraites , 
des couvens, des églises; il en périt jusqu'à 260 dans ce 
seul jour. 

' Lorsque les rebelles eurent assouvi leur fureur par le car- 
nage et l'incendie , ils allèrent camper en masses serrées au- 
tour de la Tour, où se trouvaient le roi Richard, sa mère, 
l'archevêque de Cantorbéry, le trésorier et autres person- 
nages. Les gardes, au nombre de 1 5 o, ou de 1 a 00 suivant 
une autre indication^, perdirent courage; il fallut que le jeune 
roi payât de sa personne et jouât son va-tout. Il fit dire 
aux rebelles de se retirer à Mileend, où il viendrait conférer 
verbalement avec eux. Ceux d'Essex partirent presque tous 
aussitôt; les portes de la Tour s'ouvrirent, et le roi Richard 

i Knyghton , p. 2635. 

2 Nec aliter ^uos^uam interficiehant nisi solum eapifis ohtruneutione^ 
Knjghton, p. 2636. 

3 Walsingham y p. 25o. 



>9 HOYEH AGS* 341 

en soi^it à cheval, suivi dW petit nombre de serviteurs cou- 
rageux et dévoués. Il se trouva bientôt au milieu de la mul- 
titude tumultueuse, qui li|i exposa ses griefs. Elle voulait 
iju'il n*y eût plus à l'avenir de servage; qu'ils n'eussent pas 
à payer, annuellement plus de quatre deniers de cens par 
arpent ; que le laboureur fût libre d'acheter et . de vendre à 
tel marché qu'il lui plairait; enfin, ils demandaient une am- 
nistie générale ^ Richard y consentit, fit rédiger des titres en 
conséquence, et après les avoir remis à la multitude calmée, 
il la fit retourner chez elle sous la bannière royale 3. Elle 
obéit. 

Cependant, dès que Richard s'était éloigné de Londres, 
Wat Tyler avait pénétré dans la Tour avec environ 400 de 
ses plus hardis partisans ; larchevêque de Cantorbéry, le tré- 
sorier Robert Haies et cinq autres officiers du royaume avaient 
été massacrés par eux, et leurs têtes mises sur des piques. 
Cette troupe, pour qui rien n'était plus sacré, entra dans les 
appartemens de la reine-mère, se permit toute sorte d'inso- 
lences sous ses yeux, transperça son lit, et lui adressa des 
propos injurieux 3. Toutefois, comme ^n emporta la prin- 
cesse évanouie, ils respectèrent sa personne. 

Le jour suivant (le i5 Juin i38i), Wat Tyler, que sui- 
vaient encore à peu près a 0,000 paysans, se rendit à Smith- 
field pour y avoir une conférence avec Richard, qui Fy attenr- 
dait avec 60 cavaliers. Trois fois le roi expédia aux rebelles 
des lettres de franchise telles qu'ils les avaient demandées: 
mais Wat Tyler ne prenait point confiance dans des pro- 
messes arrachées au roi par la crainte et la nécessité, ou bien 
il voulait quelque chose de plus que la liberté du peuple. Il 
parait, en efiet, que la mort ou la captivité du roi, l'érec- 
tion d'un trône né de l'insurrection, l'extermination de toute 

i Rymer, VII, 3l7. 

2 FroisMrt, p. 128. 

3 Watsragbam, p. îSO- * 

TOME II* 16 



2^2 RÉTOLTES BT CUBHRES DES PÂYSAlfS 

la noblesse, Tabolition des lois existantes, entraient alors dans 
les plans de Wat Tyler et de ses pincipaat complices >• Ri- 
chard ayant à la fin envoyé un chevalier pour inviter Wat 
Tyler à une conférence, celui-ci is'irrita à tel point de ce que 
le chevalier restait à cheval et refusait de s'abaisser devant 
lui, qu'il le menaça de le tuer. Richard, désirant sauver la 
vie à spn envoyé, accourut en toute hâte au Keu de la que- 
relle. Wat Tyler ne témoigna au roi aucune déférence, et 
fit entendre des paroles hautaines 3. Toutefois, lorsque Richard 
s 'informa de ce que demandait le peuple , ils ajoutèrent à ce 
qu avaient déjà obtenu ceux d'Essex , la suppression de k 
banalité des eaux et forêts \ L'arrogance et la duplicité de 
Wat Tyler, ou peut-être le zèle trop prompt du maire de 
Londres, qui se trouvait k côté du roi , rompirent la négocia- 
^n. Suivant la version ordinaire qui paraît avoir pris nais- 
sance parmi les plus proches alentours du roi 4, Wat Tyler 
jouait pendant les pourparlers avec un poignard et saisit la 
bride du cheval du roi : le maire de Londres lui plongea son 
coutelas dans la gorge, et Standish, Técuyer du roi, lui porta 
un second coup mortel. Pas un de toute la multitude n ao 
courut pour sauver ou venger leur chef; ce n est qu'après 
quelques instans d'hésitation que les plus rapprochés tendirent 
leurs arcs contre le roi et sa suite. Mais Richard, s'adressant 
à eux avec sang froid et présence d esprit, leur cria de le 
suivre, qu'il serait leur chef; et comme il détourna son cheval 
pour s'en aller, tous le suivirent sans résistance ou même 

1 Walsingliaiii, p. 252. Il dit la même chose de Jokit Bail, p. 275, 
et rapporte , p. 265 , «n aven de Jack Straw. 

2 Det poUssonneriet , suivant Froissart. 

3 Knjghton, p) 2636: ut omnts ^arennœ iam in a^uis ^uam in parce 
et hoscis communes fièrent omnibus j itn ut libère possèt tam pauper ^uem 
dives ubicunque in regno in ofuis et stmgnis piscariis^ et hoscis eifares^ 

feras capere , in campis iepores fugare et sic hmc et hujusmodi alia multa sine 
eontradietione exercera. Cest ce qu'avaient dëjà demanda les pajsant de 
la Normandie. 

4 Walsingham , p. 253 , a'icarte considérablement du récit de Knjgh- 
ton et de Froissart. 



JlV XOTEflr AGB. ^43 

avec des cris de joie. Voilà un de ces grands exemples de 
là puissance extraordinaire qui est propre à la royauté ^ et 
qui a rarement fait faute au courage. Bientôt mille bourgeois 
de Londres, bien armés, arrivèrent pour protéger le roi; le 
vaillant capitaine KnoUes était venu cbemin faisant se mettre 
à leur tête. Le découragement s*empara des rebelles; ik jetèrent 
leurs armes et demandèrent grâce: KnoUes et les autres guer- 
riers insistaient pour que le roi les fît marcher contre eux, 
et pensaient que quelques centaines au moins devaient expier 
leur crime par la mort; mais Richard les retint, se contenta 
de se &ire livrer les étendards des révoltés, et laissa re-» 
tourner chez elle cette multitude abattue : le glaive de la 
justice devait l'y suivre. 

Dans le même temps, Tévêque de Norwich, Henri Spencer, 
était parvenu à se rendre maître du soulèvement du Norfolk. 
Hardi et familier avec les armes autant qu'avec le bréviaire, 
3 rassembla des hommes de guerre et les conduisit contre les 
bandes de Straw et deLittester, qu'il tailla en pièces. Le ministre 
de l'J^lise ne respecta ni éghses ni autels ; il poursuivit les 
fiiyards jusque dans le sanctuaire, et ne craignit point de 
verser le sang sur Fautel. ^ » 

Richard n'hésita pas davantage à révoquer les concessions 
qu'il avait Sûtes aux rebelles. Il requit les vassaux de la 
couronne de se rassembler promptement pour une expédition 
dans les comtés de Kent et d'Essex; et ceux qui pendant le 
soulèvement n'avaient pas pu ou pas osé se montrer, se pré- 
sentèrent sans délai dès que le roi eut rétabli son autorité. 
Plusieurs milliers de gendarmes (20,000?) accompagnèrent 
Richard pour remettre sous le joug les paysans de Kent, 
qui n'osèrent faire aucune résistance. Â sa demande les me- 
neurs fiirent livrés, l'ancien ordre de choses rétabli, et le 
reste réservé à l'instruction de la justice ordinaire. Lorsque 
des troupes royales furent envoyées dans le comté d'Essex, 

i KnjglitODy p. 2636. 



244 RÉVOlTES ET GUERRES DES PÀYSÀ5S 

les communes qui 'avaient obtenu des lettrés de frandiise 
firent représenter au roi, qu'il convenait de les laisser ea 
possession de leurs nouveaux droits i. La réponse du roi fut 
méprisante 3, elle irrita la colère des hommes d'Essex; mais 
après que ôoo d'entre eux eurent péri dans un combat, les 
autres courbèrent la tête sous le joug et restituèrent leurs 
lettres de franchise: il ne leur resta qu'à se confier à la misé^ 
ricorde royale. 

Richard préposa le cruel Tresilian aux tribunaux chargés 
de poursuivre les complices de la révolte; lés exécutions se 
succédaient rapidement, il s'en faisait par dizaines chaque jour.^ 
D'abord la peine de mort s'exécutait par la décapitation, 
puis, pour augmenter la terreur, par la strangulation; à la 
fin Richard ordonna de pendre les condamnés avec des chaînes 
pour servir d'étemelle mémoire de leur châtiment. Les tourmens 
les plus raffinés ne furent pas épargnés à quelques victimes.4 
Le nombre des suppliciés est porté à lôoo^ : parmi eux 
étaient Bail et Straw. 

Après que justice eut été rendue de la sorte, Richard 
demanda au parlement s'il était d'avis qu'on devait abolir le 
servage des habitai^s des campagnes : les lords et les communes 
répondirent négativement^. C'est le plus ancien exemple du 
veto opposé par la représentation nationale anglaise à l'éman^ 

1 Walsingliam, p. 268: ut essent in libertate pares dominis, et quod 
non.essenl cogenài ad curias nisi ianiummodo ad visum JFranciplegii bis 
in anno, 

2 Idem, ibid. : Bustiei ifuidem fuistis et estis, in bondagio permanebitiSf 
non ut hactenus , sed incomparabiliter viliori. 

3 Walsingham , p. 269. Un jour l9 condamnés furent pendus au même 
gibet. 

4 Kn jghton , p. 2643 : Prœcepit alios trahi per ciçitates et suspendi per 
quatuor partes ciçitafum , alios autem eçiscerari visceraque concremari co- 
ram ipsis viçentibus^ posteaque decollari et in quatuor partes dindi, etc. 
Non -seulement cela,, mais Tresilian condamnait aussi souvent par baine 
que par justice. 

5 Froissart,p. 134. 

6 Lingard, t. IV, p. 248, d'après les actes du parlement. 



AU MOYEN AGE. 2^S 

clpation du peuple. L année qui suivit la révolte^ en i38a , 
Wiclef fut déclaré coupable d-bérésie, et ses doctrines furent 
condamnées* La persécution de ses adhérens, les LoUards, 
sous le règne du successeur de Richard, Henri IV, fut mo- 
tivée en partie par le souvenir qu'il garda de la révolte des 
paysans, dirigée principalement contré son père. 
. La guerre des deux Roses fit de FAngleterre le théâtre de 
toutes les horreurs des discordes civiles : un nouveau soulè- 
vement de paysans vint s'y joindre; en 14^0 les paysans de 
Kent, sous la conduite dua aventurier irlandais, John Cade, 
marchèrent une seconde fois sur Blackheath. Mais ce ne fut 
point là une pure révolte de paysans ; ce n'était point pour leur 
propre cause qu'ils combattaient. Cade se faisait passer pour 
Mortimçr, un des rejetons de la maison royale : il s'agissait 
de ses prétentions au trône, et les paysans ne firent qu'ap- 
puyer un des compétiteurs dont la rivalité arma les Anglais 
les uns contre les autres l'espace d'un demi-siècle. 

. Nous n'avons point à parler de la longue série des troubles 
et des soulèvemens populaires qu'offre l'histoire des Pays-Bas ; 
nous n'y rencontrons presque toujours que la fierté des villes 
et leurs puissantes milices. Là où les Frisons y prennent part, 
nous retrouvons le caractère d'une lutte pour les droits et 
les coutumes des paysans; il suffira néanmoins de rappeler 
en passant l'expédition qu'entreprit contre eux le roi des Ro- 
i^ains, Guillaume, comte de Hollande, qui y trouva la mort; 
car il ne s'y rattache aucune idée d'une guerre d'un genre 
particulier. 

Le règne agité de Maximilien d'Autriche est marqué par 
un mouvement où le peuple des campagnes semble avoir 
donné le branle. En 1491 , lorsque les tailles, la stérilité et 
la guerre accablaient à la fois la Hollande, le peuple des 
campagnes s'ameuta dans la HoUande septentrionale, piDa la 
maison du receveur des contributions, et uiarcha sur Harlem 



346 RÉVOLTES ET 6ITBRRE8 DES PAYSANS 

avec un drapeau qui portait pour emblème du fromage et 
du pain. De là vient qu on les appelait Kâsebrodter ^ Harlem 
prit part à la sédition», qui durait encore en 149a : le duc 
Albert de Saxe, général de Maximilien, la réprima. Mais nous 
ne voyons pas qu'une idée autre que le désir, d'une existence 
plus facile, ait -présidé au soulèvement. D'un autre côté, le 
Roland saxon ne parvint pas à intimider l'esprit d'indépen- 
dance des Frisons occidentaux, voisins de la Hollande. En 
1499 et 1 5 00 ils combattirent non pour du pain, mais pour 
le maintien de leurs droits; et si la fortune les trahit quel- 
quefois, leur courage n'en fut point abattu. 

De la Frise nos- regards se portent sur la tribu de même 
race des Dithma]:siens. En 1 5 00 ils repoussèrent avec succès 
les troupes du Danemark et du Holstein, et assurèrent leur 
liberté pour plus d'un demi-siède. Mais la m«ne raison qui 
nous a fait exclure de ce tableau l'histoire des guerres de la 
G)nfédération suisse, nous défend de nous arrêter plus long- 
temps aux victoires des habitans du bas pays, qui faisaient 
respecter dans les combats ce nom de paysans qu'ils se don- 
naient eux-mêmes avec orgueil. 

CHAPITRE IX. 

La guerre des paysans de Hongrie sous George Dosa^ 

en 1614. 

Au terme de cette longue série d'événemens déplorables, 
nés de l'oppression et aboutissant au crime, que l'histoire 
de la sagneurie et de la servitude nous présente au moyen 
âge, il y a une scène de destruction et d'horreur, d'incendie 
et de carnage. La Hongrie en est le théâtre ; l'appel à la 
croisade devint le premier mobile de ce soulèvement, comme 
dix ans après le mot de liberté produisit la guerre des pay- 
sans d'Allemagne. Les écarts qui résultèrent de ces deux 
mouvemens sont également horribles. 

1 De Kmte (fromage) et Brod (pain). JVo/e du Draduet. 



▲U MOYEN AGE. 347 

On sait qae les Magyares , conduits par Arpad, franchirent 
les Carpathes en 889 , et se répandirent dans la plaine qui 
de là s'étend et s'abaisse vers le Danube. Les premiers ba- 
bi^HM) d'origine slave ou autre^ devinrent pour la plupart 
leurs serfs, au-dessus desquels ils formaient eux*mêmes comme 
un peuple de gentilshommes. La liberté ne resta pas abso*» 
lument étrangère au plat pays; plusieurs lois royales favori- 
sèrent le passage des habitans d'une seigneurie à l'autre; et 
parmi les s^rk habitaient aussi des hommes francs de corps ^ 
et astreints seulement à quelque redevance envers le seigneur 
foncier ou à des services envers le roi : mais partout où il 
y avait servitude, les exactions et les mauvais traitemens 
étaient chose commune. La misère du peuple des campagnes 
était souvent aggravée par les factions et les guerres civiles, 
ou par les incursions des peuples limitrophes , et sa colère 
contre ses maiti^es était entretenue par la vue des privilèges 
accordés aux colons allemands établis dans les villes. De tous 
les ennemis extérieurs de la Hongrie, les plus redoutables, 
depuis le ^commencement du quinzième siècle , étaient les 
Turcs ottomans : les Hongrois formèrent Vavant-garde de la 
chrétienté en Occident. Leur bravoure avait été plusieurs fois 
stimulée p^r les buUes du pape et les prédications de la croi- 
sade : il en était résulté une étroite union entre la papauté 
et le haut clergé, très-puissant en Hongrie. Depuis long- 
temps les appels du pape à servir sous l'étendard de la croix 
avaient cessé d'avoir du retentissement dans le reste de l'Eu- 
rope; mais en Hongrie, et contre les Ottomans, ils n'avaient 
rien perdu de leur puissance. 

Wladislas Y, prince faible et sans caractère, occupait de- 
puis 1490 le trône de Hongrie. L'État avait alors moins à 
craindre des Turcs , dont l'impétuosité s'était un moment ra-^ 
lentie après la mort de Mahomet H, pour se détourner en-* 
suite vers l'Orient. Mais un homme qui par ses talens s'était 
élevé delà conditio^^la plus basse jusqu'au cardinalat, Thomas 



fà^Q RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSAKS 

Bakàcs, archevêque de Gran^ roulait dans son esprit des 
projets ambitieux qui devaient le rendre le chef d'une grande 
entreprise nationale et lelever au premier rang dans l'Etat.' 
Il se trouvait à Rome à la mort de Jules II ^ et fut un des 
plus influens d'entre les cardinaux réunis en conclave pour 
l'élection d'un nouveau pape. Celui --ci (c'était Léon X) lui 
accorda la plus grande confiance, et Bakacs n'eut pas de 
peine à obtenir de lui ce qu'il regardait comme devant frayer 
les voies à son ambition, des pleins-pouvoirs pour la levée 
d'une armée de croisés contre les Turcs. On venait de con- 
clure un armistice avec le sultan Sélim; mais cette circons- 
tance n^arréta pas plus Bakacs, que la paix conclue en 1444 
entre Wladislas III et Amurat II n'avait arrêté autrefois le 
cardinal Julien : deux fois le manque de foi fut expié cruel- 
lement par la Hongrie. Bakacs proposa l'affaire au conseil du 
roi : les avis étaient partagés; le roi, selon sa coutume, re- 
gardait la terre en silence ^ ; les discours passionnés de l'arche- 
vêque et l'esprit guerrier des magnats firent taire les scrupules 
d'une minorité prudente et consciencieuse. La publication de 
la bulle fut résolue. 

Le jour de Pâques (16 Avril) de Tannée 1614, l'appel à 
la croisade, avec promesse d'indulgence, fut adressé au peuple; 
et aussitôt une agitation désordonnée se manifesta. Comme 
autrefois, la croisade venait à la traverse de toutes les insti- 
tutions existantes : il n'y avait point de levées régulières par 

1 Les principales sources pour l'hisloire de la guerre des paysans de 
Hongrie sont : i.° Stepluini Taurini Olomueensis Siauromachiéi stpe crueia- 
torum sercile hélium , libris V^ carminé heroico decantalum ad Geargium 
March. Brandeburg.' MDXIX fol. Le style est ampoulé , mais le poète 
assure n'avoir décrit que des éTënemens véritables. 2.° JVicoldi Itthuanfi 
Fannoni hist. de reb. Ungarie. lib. XXXIK Col. ^gr. MDCLXXXlK C'est 
un excellent livre, dont l'auteur vivait sous Maximilien II et Rodolphell. 
L'histoire de la guerre des paysans est contenue au cinquième livre. — 
Le jugement dlsthnanfi sur Bakacs (p. 62) est moins défavorable que 
celui que nous avons cm devoir porter sur cet homme. 

2 Adeo Rex tacitumus et in humum prospectant y ne verbutn ^uidem 
proloquutus est. Isth. l. ât. « 



AU XaYBK AGX* * 349 

comîtats, et les serfs n'étaient point nécessairement exdns; 
en sorte que Tappel à la croisade était en même temps un 
appel à la désertion de tout rapport de sujétion onéreux ou 
avilissant. Des milliers de paysans de condition servile affluèrent; 
des bataillons se formaient au hasard , âevaient leur bannière y 
élisaient leurs dids , choisissaient leurs lieux de campement. 
Cet esprit d'une force déréglée s'annonçait assez dairenent. 
Aucun grand du royaume ne se mettait à la tête du mou- 
Tement, aucun appel ne fut fait à la noblesse, le roi gar- 
dait le silence connue avant dans son conseil. Alors Bakacs se 
présenta : il avait provoqué Forage, il voulut lui imprimer une 
direction. Il nomma chef des croisés ou Kuruczes ^ un soldat 
d'entre les Szeklers de la Transylvanie, qui sëtait signalé 
récemment au siège de Be^rade, et avait obtenu en récoin-* 
pense le grade de capitaine* et la noblesse : il s'appelait George 
Dosa. L'affluenoe des gens de la campagne redoubla à la nou- 
velle du commandement de cet homme intrépide ; mais il n y 
eut pas que les paysans qui vinrent se ranger sous l'étendard 
de la croix; il y eut- des gens sans aveu, coupables de. crimes 
ou prêts à en commettre, des aventuriers, des bourgeois 
mécontens, des membres du bas clergé opprimé: assemblage 
d'autant plus bizarre et plus disparate , que les élémens de la 
population hongroise étaient plus mélangés, uni seulement 
pour vivre dans la licence et dans l'impunité. Eu, moins de 
quatre semaines après la publication de la croisade , près de 
40,000 hommes se trouvèrent rassemblés dans un même 
camp, à la plaine de Rakos, près de Pesth; il y avait encore 
d'autres points de rassemblement, à Grosswardein, Koloscza, 
Albe royale (Stuklweissenburg) y etc., qui tous ensemble 
pouvaient contenir jusqu'à 6q,ooo Kuruczes. Les chefs, outre 
George Dosa, et sous lui, étaient son frère Grégoire, homme 
doux et honnête; Laurence et Barnabe, tous deux prêtres de 
campagne; Ambroise Szaleres, bourgeois de Pesth, et quel- 

1 De Crux^ la croix. 



^5o RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSANS 

qnes antres. George Dosa se mit avec ardeur à organiser et à 
exercer ses troupes ; mais nulle part la tenue des croisés ne 
promettait rien de bon. On s'était engagé trop avant dans Vexé- 
cntion du pernicieux dessein proposé par Bakacs et conseDti 
par le conseil du roi^ pour que de promptes mesures eussent 
pu faire rentrer encore ce torrent débordé dans son lit : mais 
le gouvernement n^en avait méme^pas la volonté. "Quelques 
nobles isolés y au contraire , se mirait en devoir de poursuivre 
leurs serfs qui s'étaient éloignés ; ils portaient avec eux des 
cordes et des fers, et malheur à cehii qui retombait au pouvoir 
de son seigneur ' ! 

Lorsque la nouvelle se fut répandue que plusieurs seigneurs 
avaient arrêté leurs ser& qui se rendaient au camp des croisés, 
et les avaient indignement malU'aités, l'affluence n'en deyint 
que plus grande. Cette nouvelle fit éclater dans le camp de 
George Dosa un esprit pervers. Le prêtre Laurence s'efforçait 
d'augmenter encore la colère déjà assez vive contre les sei- 
gneurs ^^ et d'exciter aussi la multitude contre le haut clergé. 
Oii ignore si Laurence connaissait les doctrines de Widef et 
de Huss; mais il ne allait pas beaucoup degpénétration pour 
reconnaître et pour prouver que, dans l*Eglise, la peine et 

É 

la pauvreté étaient pour les airés de campagne, tandis que 
les prélats vivaient dans le faste et la mollesse, en Hongrie 
surtout, où ils jouissaient d'énormes bénéfices. George Dosa 
inclina aux desseins violens, malgré son frère Grégoire, qui 
tâcha en vain de le retenir. La tempête éclata* Tout à coup 

1 CrudeUter stavire capît (nohilîtas). Isth., p. 66. 

2 On Ut ces mots dans le discours qulsthuanfi, p. 66, lui fait tenir: 
.•'. AbSi'litalent, perditissimum hominmm gemu, vint et contumeiias miseerey 
nihil eupidini ^ nihil immanilati eorum invium aut exemptum^ antea in 
corpora tantum exercitam erudelissimi dominatus Hhidinent esse , nune 
étiam saluii et feiieitati animarum post htme vitam W9are et erudeiiter 
itwiderif ne videUûet summi in terris pastoris et eommunis omnium parentis 
indulgeiUia uti frui permittnntur. -•- Le commencement rtppeUe les dis- 
cours des tribuns du peuple dans Tite-Live ; les derniers mots sont bien 
significatifs. 



AU MOTEK AGE. 



a5i 



des hordes avides de rapines et de vengeances sortirent du 
camp de George Dosa, en poussant d'affirenx cris de joie, 
pénétrèrent dans les faubourgs de Pesth et de Bude, s'atta- 
quèrent aux principales maisons, faisant mourir dans les tour- 
mens les nobles qui tombaioit entre leurs mains, et démo- 
lissant' leurs habitations. Alors enfin (le 1 5 Mai) le roi et le 
cardinal-légat publièrent une déclaration qui défendait de se 
rendre à l'avenir à l'armée des croisés, et menaça celle-d 
de la mettre au ban du royaume , si elle ne cessait pas de 
se livrer à des violences. C'étaient là d'impuissantes paroles: 
George Dosa déchaîna la révolte avec toutes ses terreurs. D 
partagea toute la multitude en cinq grandes divisions , dont 
lune, sous le commandement du bourgeois de Pesai Ambroise 
Szaleres , devait rester près de cette ville, dans la plaine de 
Rakos , sur la rive gauche du Danube ; la seconde et la trobième 
durent partir sous les ordres des prêtres Laurence et Bar- 
nabe ; les deux dernières furent conduites par George Dosa 
lui-même vers Szegedin. A Gsegléd il publia une proclama- 
tion adressée au peuple des campagnes, et dans laquelle il 
annonçait la déchéance de la noblesse, appelait tout le peuple 
à concourir à son entreprise, et menaçait ceux qui resteraient 
chez eux d'une mort cruelle ^ L'effet répondit à ces paroles: 
on ne voyait à la ronde que châteaux nobles livrés aux 
flammes; plus de 400 nobles furent mis à mort, leurs femmes 
et leurs filles violées, des familles entières anéanties. 

Dans ces conjonctures, le roi tenait conseil à Bude. Plu- 
sieurs magnats rassemblés auprès de lui, et qui avaient perdu 
tout courage, toute confiance, proposèrent de demander des 
secours aux États voisins; mais l'intrépide Jean Bbmemiszsza 
s'éleva contre cette proposition, montra la nécessité d'em- 
ployer les forces nationales, et indiqua les ressources dispo- 
nibles et le succès probable. D'après son conseil, le waiwode 

1 Kfttona, Hitt. crit., XYIII, 720, cite par Mailatli, Histoire des 
Magyares, t. III, p. l52, et p. 234, note. 



303 RÉVOLTES JBT GUEaiUBS DES PÀYSÀHS 

de la Transylvanie, Jean de Zapolya, fut requis d'entrer 
promptement en armes en Hongrie; Bomemiszsza et plusieurs 
magnats des plus résolus partirent aussitôt pour réiinir leur 
cavalerie et attaquer le camp des Ei^ruczes près de Pesth. 
Les milices bourgeoises de Pesth et de Bude se joignir^t à 
eux. Les Kuruczes étaient rang^ sur la plaine de Rakos, prêts 
i recevoir la bataille; mais comme on leur ofirit une amnistie, 
à condition de déposer leurs armes et de rentrer chez eux, 
leur chef, Âmbroise Szaleres i, et plusieurs autres les aban- 
donnèrent. Le reste soutint le combat, et par leur nombre 
et leur audacieuse intrépidité ils prolongèrent la résistance 
pendant plusieurs heures : à la fin ils durent succomber à 
leurs adversaires mieux armés et mieux dirigés. Mais ceux-ci, 
aussi incapables de prudence que de pitié et de réconciliation, 
livrèrent au dernier suppUce une partie des prisonniers, et 
ne laissèrent rentrer les autres chez eux qu'après leur avoir 
coupé le nez et les oreilles. Lorsqu'ils revinrent ainsi mutilés 
auprès des leurs, le soulèvement prit un caractère plus me- 
naçant que jamais; cette barbarie excita de nouveau la colère 
du peuple, et le pillage, le meurtre et l'incendie remplirent 
alors aussi les comitats septentrionaux ; plusieurs villes étaient 
réduites en cendres. Ce qui rendait la situation encore plus 
critique, c'est qu'une partie de la noblesse inférieure, soit par 
force, soit par mécontentement et par esprit de parti, faisait 
cause commune avec les rebelles. Cependant une levée gé- 
nérale de la noblesse fut ordonnée, et dans plusieurs combats 
sanglans, livrés en Juin à Erlau, etc., Tinsurrection fut vaincue 
dans cette partie du royaume. 

Cependant George Dosa était allé camper devant Szegedin; 
mais la vaillante bourgeoisie ^ repoussa avec constance et succès 
tous ses assauts. Alors il passa la Theiss pour assiéger Csanad. 
Pour sauver cet endroit, son évéque Nicolas (ou Jean) Gsaky 

1 Vir haud amlitiosut aut turhulentus. Itth. , p. 69. 

3 Lei teulf pécheurs j éuient aa nombre de 3000. Isth. , p. 60. 



AU M0TS9-À6E. a5^ 

et le comte de Temeswar, Etienne Batkoryy s opposèreilt à 
lui avec iine troupe de soldats. On se battit deux jours: à la 
fin la noblesse fut mise en fuite, principalement par les hommes 
armés de faux de Dosa * • Etienne Batfaory échappa à ce désastre; 
mais Tévéque Csaky tomba peu après le combat au pouvoir 
de Dosa, et ce monstre le fit torturer longuement et puis em- 
paler; Le brave trésorier Telegdy, qui, dans le conseil du roi^ 
avait dissuadé la croisade, fut hissé d'une manière horrible et 
douloureuse 3 au haut d'un gibet, et là on tira sûr lui jusqu'à ce 
qu'il expira dans les tourmens. Des horreurs semblables furent 
exercés sur les autres prisonniers*, le prêtre Laurence était 
plus ardent que tous les autres à les provoquer ou à les com- 
mettre. . 

Le plan die Dosa était un bouleversement total de l'Etat 
et de l'Eglise en Hongrie : il annonça à ses bandes qu'il n'y 
aurait plus ni roi, ni magnats, ni seigneurs, ni aucune iné- 
galité de rangs et de propriétés; au lieu de quatorze évécfaés, 
il ne devait plus y en avoir qu'un seul ; il ne voulait être 
lui-inéme que le camarade, le compagnon, l'ami du peuple, 
et tout ordonner selon sa volonté 3. Ses espérances n'étaient pas 
encore destituées de tout fondement. Une nouvelle troupe', 
composée en grande partie de cavalerie, lui avait été atnenée 
par Antoine Hoszsza. Mais il négh'gea ce qui peut-être eût été 
décisif dans ce moment, de marcher promptement sur Bude 
et Pesth , et ne se porta même qu'après quelque hésitation 
contre Temeswar, afin de se procurer, par la prise de cette 
ville, une place d'armes et un point d'appui sur la frontière 
turque. Mais à Temeswar se trouvait l'héroïque Etienne Ba- 
thory : Dosa perdit deux mois en vains efforts devant cette 
place. Il était pourtant près d'achever une forte digue, par 

1 Ce n'est pas Isthuanfi qui rapporte ce coml>at, mais senlement Etienne 
Taurinius. ' 

2 Funibus per testes et membrum génitale in prœalta furca suspensus^ 
etc. Istb., p. 70. 

3 Steph. Taurin., IH, 87 et èui?. 



^54 RÉVOLTES ET GUERRES DES PAYSAHS 

laquelle il espçrait détounier les eaux de la rivière Bega et 
laettre à sec les fossési de la ville, et les vivres commençaient 
à manquer à Bathory, dont les troupes étaient diminuées en 
nombre et épuisées par de fréquentes sorties, lorsqu'enfin 
Jean de Zapolya s'approcha pour faire lever le siège. 

Dosa était à un festin lorsqu'il fut instruit de l'approche 
de l'armée de Transylvanie, qui avait marché le long de. la 
Temes, et avait passé cette rivière sans éprouver de résistance. 
U se leva et rangea ses troupes en bataille. EHes combattirent 
avec courage et persévérance, mais la fortune passa à l'armée 
opposée. Lorsqu'ils commencèrent à prendre la fuite. Dosa 
s'élança à cheval au plus épais d'un bataillMi ememi, et 
y fit un grand carnage jusqu'à ce que son sabre se brisa: 
il n'eut pas le bonheur de périr les armes à la main, il fut 
fait prisonnier. Il demanda la grâce de son frère Grégoire, 
qui était innocent, non la sienne. Zapolya £t décapiter Gré- 
goire; et 14 prisonniers qui avaient été au service particulier 
de Dosa furent renfermés sans nourriture dans une prison, 
où ils restèrent quinze jours, tandis qu'on fabriquait un trône^ 
une couronne et un sceptre de fer. Alors on fit avancer Dosa 
et ceux de ses compagnons qui survivaient : il y en avait 
neuf. On chaufia le trône de fer; Dosa fut contraint de s'y 
asseoir; on lui mit sur la tétè la couronne, de fer rouge et le 
sceptre ardent à la main ; puis oa amena les neuf prisonniers 
aflamés, et on leur ordonna de s'aller repaître de la chair 
de leur général. Trois s'y refusèrent, et furent massacrés; 
ks six autres obéirent. Dosa les appela des chiens, et quoique, 
pour augmenter le tourment de son supplice , on le déchirât 
encore avec des pinces ardentes, il mourut sans pousser un 
seul gémissement. Dans cette terrible histoire, où tant d'hor- 
reurs et de crimes se trouvent réunis, on ne sait ce qu'on 
doit regarder comme le dernier excès de la barbarie. 

Les dâ)ris des paysans, conduits par Hoszsza et Laurence, 
furent bientôt après défaits et dispersés. ](Aurence disparut : 



AU MOTB» À6B. 355 

on n a jamais appris ce «ju'il est deyenu. H y avait ^atre 
mois que le soulèvement avait commencé ; près de 60,000 
personnes y avaient trouvé la mort; les dommages causés 
par le pillage et la dévastation étaient incalculables. Après 
la soumission des rebelles, il n'y eut rien qui ressemblât à 
upe réconciliation. On les avait pendus ou empalés par cen* 
tames dans la poursuite > ; les fonctions de la justice criminelle 
ne commencèrent qu'après. lihis on alla plus loin : des dé* 
crets furent rendus concernant Tordre des paysans tout en- 
tier, qu'on replongea dans un asservissement plus dur et plus 
absolu. La servitude de corps et de poursuite fiit rendue gé- 
nérale et perpétuelle. La descendance de ceux qui avaient 
commis des violences contre des femmes ou des jeunes filles , 
fut déclarée infâme. Aucun prêtre né paysan ne put être 
pourvu d'une prâ>ende ou d'une dignité ecclésiastique supé- 
rieure. Les corvées et les tailles devinrent plus nombreuses 
et plus accablantes. Tout cela fut adopté, en Novembre 1614, 
à la diète de Bude, comme loi fondamentale de TÉtat.. 

1 Isth., p. 71. 




oweiïts et ^i^mitis. 



TABIiBAU COMPARATIF 

Du commerce prussien ai^ec le commerce français 

et anglais. 

Dans un des bals donnés cet hiver aux Tuileries^ Louis- 
Philippe demanda à Tun des députés du midi de la France, 
ce qu'il pensait du nouveau projet de douanes que M. Thiei-s 
avait présenté à la chambre. Je pense ^ lui répondit ce dé- 
puté, ijue le ministre ne pommait rendre un plus mau^^ais 
service h la France, Ce député avait raison ; tous les projets 
de' douanes que Ton présentera seront de mauvais services 
rendus au psiys,' tant que Ton n'osera pas abandonner le 
système prohibitif, qui fut toute la science économiste de la 
restauration, et qui paraît devoir être encore celle du régime 
actuel. 

Notre plan, en écrivant cet article, n'est pas de faire la 
critique du projet présenté , «t^encore moins celle des in- 
nombrables lois fiscales qui grèvent en France le commerce 
et arrêtent l'essor de l'industrie; nous voulons seulement 
prouver, dune part, combien l'absence de traités de com- 
merce avec ses voisins, suite nécessaire du système suivi par 
le gouvernement français, de l'autre, combien le maintien 
des prohibitions ont été préjudiciables aux intérêts du pays.^ 

1 Nons aTons emprunté les documens et les chiffres qui nous ont fourDÎ 
la matière de cet article , à l'ouvrage allemand , intitulé : Beitrâge sur 
Xenntniss des gewerb/ichen und commercielien Zustandes der preussischn 
Monarchie y aus amtlichen Nachrichten^ erster Band; von C. ff^. Ferber, 
kônigl. preusfischen geheimen Oher-Finangrathe. Berlin, chesT. Trantwein, 
1829. 



NOtJVBLLES ET VARIÉTÉS. tiSj 

Il n'existe aucun traité de commerce entre la France et la 
Prusse, sans contredît le plus commerçant des États d^Âlle- 
magne, et celui où les provenances françaises, notamment 
les vins, trouveraient le débit le plus facile et le plus consi- 
dérable; on soumet, au contraire, à d'énormes droits d'entrée 
ses bestiaux, ses blés, ses fers, etc. Vis-à-vis dun pareil 
système, la Prusse, en même temps qu'elle posait en prin- 
cipe la liberté du commerce , fut obligée d'user de repré- 
sailles. Elle déclara, par l4 loi du a 6 Mai 1818,^ Que tous 
les produits étraiigers de la nature et de l'art pèuvaient être 
introduits, consoBamés', expédiéi» eii transit dans toute 1 eteiidue 
de là monardiie, et que tous les produits indigènes de la 
nature et de l'art pouvaient être aussi librement exportés; 
qu'il ne serait apporté d'autres restrictions à la liberté absolue 
des transactions commerciales que celles qigii sei'aient foi'cé- 
rnent jugées nécessaires pour se mettre sur le pied d'égalité 
vis^à-vis desàfûtres puissances; que le principe dé la liberté 
du commerce devait à l'avenir servir de base aux rapports 
que Ion aurait avec les autres Etats,- que l'on accorderait aux 
étrangers les mêmes avantages commerciaux dont j'ouissaient 
ou joiimûent les Prussrens dans leur pays, qu'on soumettrait 
leur cMnmeree aux mêmes droits, et aux mêmes > mesures 
restrictives, etc.* 

Ainsi, par sa déclaration, la Prusse, en aftanchissant le 
commerce des entraves auxquelles il avait été précédemment 
soumis j invitait en même temps les autres nations à imiter 
son ^exemple. Cette politique, qui, du reste, fut toujours 
suivie par cette puissance, était* très-libérale, et l'on devait 
saitendce qu aussitôt les Etats vmsins abaisseraient leurs bar- 
rières et reconnaîtraient les vices du système de prohibitions 
qu'ils avaient adopté; mais, au contraire, on le rendit en- 
core plus pesant, plus général en France , notamment les 
ordonnances du 3 1 Octobre 1 8î2 1 5 cellps dés x 6 Juillet 1819 
et 7 Juillet 1820, élevèrent les droits perçus sur les fers et 
TOME II. 17 



358 NOUVELLES ET VARIÉTÉfl* 

les céréales : dVutre& oirdooaaQceS) des di Octobre 1821 et 
3 4 Avril 1822, imposèrefit la laine h^^^iX^ <)am des propor- 
tions plus élevées; les droits sur les toiles et les rubans sac* 
crurent encore, et enfin, par une deraiève ordonaance dtt 34 
Avril 1822^ rentrée des bestiaiox fut soumise à .des droits 
cousidérables* 

Les effets d'un système .aussi dépourvu, de^ bou sens ne 
pouvaient tarder à réagir contre la France. AU83Î la^ Bavière 
(loi du 1 ) Janvier. 1 822), le Wurtenuberg (loi du 24 Janvier 
iB%2)j le grand-duché de Bade (ordonnanoes des 17 Ma et 
1 8 Juillet 1822), s unirent ^tôemble par w tratté, flirent à 
la Fraoce un^ guerre de repsrésaiUesi, et imposèr^t ses pro- 
venances, surtout ses vins, daDs des. piroportions analogues.^ 
La Prusse fut égal^ement obligée de n^odi^ son système, de 
se départir delà poUticpie lib^ralerqueUe avait suivie fusiqua- 
lors , et de prélever des droits trè&^cousidécablea sur. les aatar- 
diandises françaises. Les vignicoles fure^ e&s» aox^els ces 
mesures portèrent les coups les plus terriUes ; car ks vins 
français étaient ceux qui ^ en Allemagne et swtout en Prusse, 
obtenaient partout la préférence* 

Jusqu'en 1 8 1 9 , les vins étrangers oe payèrent quw droit 
d'entrée presque insenable; on percevait seulement h» impôt 
de consommation {Ferbrauchssieuer) de 3 g«is.3 pfeniiag 
(34 c.) par quart (un litre). Les vins allemanda ne payaient 

1 Chaque Zentner (que Ton peut évaluer Ji une quantité de cent bou- 
teilles) de vins français dut parjer à l'entrée de chacun de ces n'ois pays 
20 florins (43 fr. lOc.)) ce qui doune une mojeone dfuA peu plus de 43,c. par 
bouteille. Il faudrait au moins ajouter la moitié de cette somme , si Ton 
voulait faire entrer en compte les frais de transport, de magasinage, le 
déchet, les pertes de VMte eqièce, <Btc. D'après< cette év^hiatio», qné 
nous n'atons pas lieu de croive trop élevée, chaque bouteiUe> paierait 
66 c. C'est souvent plus que le prix de sa valeur brute en France. Au- 
jourd'hui le Wurtemberg et la' Bavière ont adhéré an traité de douanes 
prussien , en vigueur depvisiU.i.*' Jimvier tOâ^. Par «!«ttflV|ufii( kespro« 
duiti français sont, dans ces deut pays, soumis aux mêmes droits qa'eu 
Prusse même. — le grand-dttcHé de Bade a jusqu'à' présent refusé son 
adhésion. .,..'•* 



lfOVVEI.LES ET VAmÉTÉS. 269 

pour la même quantité que i gros 3 pfenning (i 9 c«). Mais 
comme la France persista dans son système, le gouvernement 
prussien diU aussi songer de son c6té à élever les droits sur 
les vins. Le tarif du 1 5 Octobre 1 8a 1 ordonna de prélever 8 
ihaler (3 o fr.) par Zentner ou quintal de tous les vins étrangers 
qui entreraient dans les provinces orientales^ et 6 thaler (2 2 fr. 
5 oc.) de tous ceux qui entreraient dans les provinces occiden- 
tales* 

Ces nkesures- ne tardèrent pas à influer en France d une 
manière sensible sur l'industrie vignicole; on en pourra juger 
par les deux tableaux suivans, qui indiquent la quantité des 
importations qui eurent lieu auant et après la mise en vigueur 
du nouveau tarif. 

A, Importations a^ant le tarif, 

1819 = 185^100 Zentner. ' 

1820 == 226,805 — 

182 1 = 498,385 — 

Total pour les 3 années : 910,2190 — 

B. Importations après le tarif. 

1822 = 100,424 Zentner. 

1823 = 82,797 — 

1824 = io3,3o4. — 

1825 = 126,551 — 

1826 = 1 36,579 — 

1827 = »39,439 — 

1828 = i5o,o55 — \ 

Total pour les 7 années : 837,929 — 

Ainsi, tandis que les trois premières années nous pré- 
sentent une moyenne de 3o3,43o Zentner ^ les sept autres 
qui se sont écoulées depuis la promulgation du tarif ^ ne nous 
donnent pour résultat que k moyenne annuelle de 119^704 
Zentner* 

Après avoir proclamé la liberté du commerce ^ il devenait 

i Le Zentner est un peu moins de 5o kilogrammes. 



26o NOUVELLES ET VARIÉTÉS. 

facile à la Prusse de conclure des traités de commerce et de 
navigation qui devaient infailliblement donner à son indastrie 
un plus grand essor, et assurer un débouché plus considé- 
rable aux produits des ses fabriques. C'est dans cet esprit 
que Ton fit successivement des traités de réciprocité avec le 
Danemark (17 Juin 1818), avec FAngleterre et ses colonies 
(a Avril 1824), le grand-duché de Mecklembourg-Scfa^erin 
(9 Janvier 1 8 2 7 ), la Suède et la Norwège (14 Mars 1827), 
les villes libres de Hambourg , Brème et Lubeck (4 Octobre 
1 8a 8). D*autres traités iîirent aussi conclus- hors de TEurope, 
et toujours, d'après les mêmes principes^ avec le Brésil (s 
Juillet 1827) et les États-Unis de TAmérique du nord (1/' 
lM[aii828). 

Nous nous occuperons seulement du traité conclu avec 
r Angleterre, et essaierons de mentionner les heureux effets 
qu il a produits pour les deux pays. 

L'absence d'un traité de commerce sur le pied de la ré- 
ciprocité ferme les ports français aux vaisseaux prussiens^ et 
empêche également tout commerce que seraient tentés de 
faire les navires français dans les ports de la Prusse. Et pour- 
rait-il en être autrement ? Un navire prussien du port de 1 00 
cliarges (Lasten)^ ou de 200 tonneaux mesure française, 
doit payer à son entrée dans un port de France des droits 
qui s'élèvent à i5o4 fr. 85 c. De la mer Baltique jusqu'à 
son arrivée au Havre, par exemple, il doit compter au moins 
5 000 fr. de fret. Si à ces frais l'on ajoute, l'équipement, le 
paiement de lequipage, le passage du Sund, que resle-t-il 
au propriétaire du navire? 

Si, comme on doit facilement le penser, les armateurs et 
les ncgocians prussiens évitent les ports français comme trop 
coûteux, les Français peuvent aussi difficilement fréquenter 
les ports prussiens , où l'on exerce contre eux des droits de 
représailles. Cet état de choses préjudiciable aux deux na- 
tions durera malheureusement jusqu'à ce qu'il soit intervenu 



90VTELLES ET VARIÉTÉS. 



261 



ni) trahé de réciprocité. En effet ^ un navire français, à son 
entrée dans un port prussien , ne doit pas seulement acquitter 
au double tous les droits de port et de navigation auxquels 
est soumis un navire prussien ou anglais, il doit encore, 
s*il est du port de 3 oo- tonneaux, par exemple, payer extra- 
ordinairement 3 00 thaler (11 25 fr.) de droit de pat^tllon 
(Flaggenabgabe^). Qu'en est-il résulté? Des i4,53o vais- 
seaux marchands que, d*après le relevé d'A. Balbi, possédait 
la France avant 1 8 3 o , combien se sont dirigés vers la Prusse ? 



ANNEES. 



1826 
1827 
1828 



NOMBRE 

DES NATIBES. 



1 

4 

2 



Totaux... 



JAUGEANT : 



i4o tonneaux. 
462 . — 
334 — 



936 tonneaux. 



A ce maigre tableau, opposons le nombre des vaisseaux 
anglais qui ont abordé pendant le même espace de temps. 
Sot i8,63i navires marchands que possédait FAngleterre, 
la Prusse en a vu entrer dans ses ports : 



ANNÉES. 


NOMBRE 

OES KAVI&ES. 


JAUCÎEANT : 


1826 
1827 
1828 


663 
871 
823 


159,852 tonneaux. 
210,702 — 
186,996 — 


Totaux. 


. . 2357 


557,550 tonneaux. 



Nous devons encore ajouter que cette même année 1828 
il fut importé sur vaisseaux prussiens et pour le compte du 
gouvernement ',116 chargemens de sel que Von tira direc- 
tement deLiverpool, bien qu'il fût meilleur marché à Noir- 
moutier; mais malgré la vileté de son prix, les navires prus- 

i Ce droit est par tonneau de 1 thaler et demi, c'est-à-dire 5 fr. 62 y, c. 
2 Le sel et les cartes à jouer sont les deux seuls objets pour lesquels 
il eiiste en Prusse une régie. 



363 



SJOUVELLES ET VARIÉTÉS. 



siens 3ont, comme nous Favoiis vu, assujettis à des droits si 
considérables, qu'il est encore préférable de l'aller chercher 
en Angleterre. 1 

En 182 8 y les Anglais expédièrent, entre autres, vers les 
ports prussiens de la Baltique, 214 navires chargés ainsi qu'il 



suit : 



lîOMBILE 
pES havirzs. 


NATURE DES CHARGEMSNS. 

* 


2 

34 

4 
i58 


Bois de Campéche. 

Harengs. 

Bois d'acajou. 

Denrées coloniales , vins^ rhrnn^ salpêtre > bois de 




teinture^ etc. 


3 


Produits manufacturés. 


1 


Tabac. 


a 


Sucre. 


10 


Fers. 


3i4 





Pendant la même année la France expédia par la même 
voie de mer; 



NOMBRE 
DES KAVIRES. 



18 

5 



NATURE DJSS CHARGEMENS. 



Vins. 
Sirop. 



et encore la plus grande partie de ces produits ne Ait-eUe 
pas importée par navires français. 

1 Ceit erdiiMiiremeat à Dansig qu'abordent les navires chargés de tel 
anglais, et de cette ville on le porte sur de petits chariots dans VïnXé- 
rieur de la Prusse. Ces chariots sont, dans certains temps de l'année, à 
peu près ies seules ToitnriSf dé oo'mmercd que l'oa rettconire sur la ronts 
de Berlin à Dansig. — Le sel de Setuval est i plut bas prix que le sel. 
anglais, et a de plus VaTantage de pouvoir beaucoup mieux être emplojé 
pour les salaisons. C'est ce qui a été parfaitement démontré dans unnié" 
moire rédigé par M. de Lapoutraie, consul-général de France à Danzig* 
Malgré cela, les négocians allemands s'obstinent k préférer le sel de 
Liverpool , bien que la régie livre le sel portugais à un prii; inférieur. 



X 



liOlTYELLES ET VÀIltÉTÉS. 



263 



l4a différence dfviendra plus sensible , et montrera d une 
manière encore, plus évidente combien souffre notre naviga- 
tion marchande dans ces parages, et quel peu d activité et 
d'essor il lui est permis de prendre, si nous donnons la liste 
comparative des navires prussiens, anglais et français qui 
ont p/issé le Sund dei8i5à:iB37, inclusivement. 







ITAVIRES 


AIWÉES. 








piussiEirs. 


ANGLAIS. 


i8i5 


h^h 


2,598 


1816 


97C 


1,888 


1817 


>>7«7 


4,17^ 


1818 


1,658 


5,01 4 


1819 


1^35 1 


5,708 


1820 


1,587 


5,586 


1821 


1,087 


2,819 


1822 


1,092 


• 3,099 


1825 


1,547 


5,016 


1824 


2,o85 


5,540 


48^5 


2,582 


5,196 


1826 


2,021 


5,55o 


1827 
Sommes 


2,059 


5,096 


; 20,829 


47,062 



niAlIÇAIS. 



6 

16 

44 
48 

52 

65 

62 
58 

52 

5i 

72 
81 

io5 



688 

Dans le. même espace de temps, 904 navires brémois et 
1073 navires lubeckois ont passé le Sund. Ainsi chacune de 
ces deux villes a expédié dans ces mers plus de navires que 
toute la maritte marchande française. 

On peut ainsi voir facilement combien le système suivi 
par la France avec tant de persévérance est préjudiciable à 
son commerce et à sa navigation. Nous ajouterons encore, 
pour corroborer les assertions que nous avons émises, quen 
1824, io5 navires français entrèrent dans le port de Ham- 
bourg. En 1 8 3 7 , ce nombre n'est plus que de 9 4 , bien que 
les exportations de Hambourg vers la France se soient ac- 
crues dans la proportion de 24 à 53. 



364 NOUVELLES ET VARIÉTÉS. 

Nous terminerons par une dernière renArque. L'Angleterre, 
dont Içs ports et les colonies sont ouverts aux Prussiens comme 
jaux Anglais eux-mêmes, vend annuellement à la Prusse, terme 
moyen, pour 1 1 2,5 00,000 francs de marchandises de toute 
espèce, tandis que la France n'exporte, pendant le même 
espace de temps, vers les Et^its prussiens que pour 6,1 60,787 
francs. Nous avons toute confiance dans ce dernier chiffire^ et 
ne craignons pas qu'il soit trop bas ; car il est tiré de docu- 
mens officiels, publiés par le gouvernement français lui-même. 

La Prusse borde nos frontières le long d'une assez grande 
étendue de pays ; la France pourrait donc facilement exporter 
ses marchandises sur les marchés prussiens, concurrenmieDt 
avec les produits des manufactures anglaises. Il y a même une 
foule de provenances françaises et d'objets de commerce qui 
seraient bientôt préférés en Prusse à ceux que livrent les Anglais. 

On a depuis quelques années parlé d'un traité de com- 
merce entre la France et l'Angleterre. Quelque désirable que 
soit sa réalisation, et -si l'annonce de ce traité n'est pas encore 
un de ces leurres dont les ministres ont été trop prodigues 
envers la France, une de ces promesses que Ion fait si facile- 
ment, et que l'on oublie aussitôt pour se porter à d'impru- 
dentes réactions, il ne portera que des fruits incomplets , tant 
que Ion n'aura pas aboli les barrières commerciales qui sé- 
parent la France de l'Allemagne, et surtout de la Prusse ; car 
alors la marine marchande anglaise continuera, comme par 
le passé, à faire la conunission vers les ports prussiens, et à 
les approvisionner au préjudice des. navires français. 

Le système prohibitif a fait son temps; les nations. ne 
veulent plus d'un état de choses aussi nuisible, aussi coû- 
teux , aussi absurde : puissent les honunes qui sont au pou- 
voir avoir assez de force ou de limiières pour ne plus vouloir 
défendre plus long^temps pied à pied des doctrines usées 
et si notoirement préjudiciables aux intérêts de tous! 

P. A. DE Li NoXIRAISt 



ZfOUVBLLES ET VARIÉTÉS. 3 65 

Accroissement de la population des divers Etats de 

r Europe en quinze ans. 

Nous empruntons les deux tableaux suivans aux travaux 
de M. le capitaine de cavalerie bavarois Bîckes^ sur ce sujet, 
insérés dans les Annales de Vhistoire et de la polUique de 
M. PœlitZj de Leipzig (Juin 1834). 



ETATS. 



£m)»ire russe, y œoip. laPoIogne. 

Monarchie anlridiienne . . . • 

France 

Royaume uni de la Grande-Bre- 
tagne et de rirlande. • • • • 

Espagne 

Prusse 

Deux-Siciies 

Sardaigne 

Bariëre 

Suéde et Morwège. 

Belgique et Luxembourg. . . . 

Portugal 

Eut de rÉglîse . . 

Pays-Bas (Hollande) 

Danemark 

Wurtemberg •.....••• 

HanoTre 

Saxe ... 

Hesse électorale 

Toscane 

Grand-duché de Bade 

Grand-duché de Hesse . . • . 

Mecklenhourg-Schwerin . . . • 

Nassau 

Vingt-six petits Étau de la Con- 
fédération germanique . . . 

Suisse ' 

Quatre petits États italiens. . . 

Total. . 



POPULATION 



xHi8i5.ov 
1816. 



39,370,658 

i8,685,a89 
a9,7o5,a47 

19,438,604 
13,046,708 
10,586^071 
6^663,419 
3,974,376 
3,539,496 
3,35i,536 

3,377,617 
a,9>'>47o 
3,333,856 
3,o46,885 
1,707,016 
1,397477 

1,178,803 

538,5o5 

1,178,535 

i,ooi,6o3 

6»9»79o 
347,903 

3oi,4ii 

«,^î,ï9' 
i,783,33i 

9*7,469 



WK i83o ov 
i83i. 



50,393,410 
33,973,018 
33,560,934 

33,838, 3o3 
14,173,598 
i3,o38,9|6o 
7,684,897 
4,377,3o5 
4,134,897 
3,997,870 

3,944,44t 
3,140,575 
3,657,198 
3,437,306 

3,008,354 

i,575,o5i 

1,556,356 

i,4o3,ô66 

648,914 

1,334,688 

1,301,081 

733,539 

448,668 

36o,o33 

3,334,387 
3,100,480 
1,003,664 



315,935,593 



AUGMENTATION 



TOTALE. 



11,131,753 
4,386,739 
3,885,687 

4,399,599 
3,135,890 
0,453,889 
1,033,478 
403,039 

6o5,4oi 
646,334 
566,834 
319,105 
334,343 
38o^33i 
3oi,338 
177,574 
363,398 
333,364 
. "0,409 
i46,i63 

199*478 

"3,749 

100,765 

58,633 

343,096 

317,349 

75,195 



33,84o,58o 



•nr «est 
mille 11. 




33,634 

17,64? 
33,171 
i5,348 
io,i4i 
i7,i5a 

19,384 
16,487 

7,499 
i3,9o3 

1*590 

17,647 

13,706 

30,371 

18,939 
3o,5o3 

13,903 

19*9^6 
18,353 

38,963 
<9»449 

18,144 

17,793 

8,108 



i8,584 



. 183,095,013 

NB. Ne sont pas compris dans ce tableau : la Grèce, les 
îles Ioniennes, Cracovie et TEmpire ottoman. 

La Pologne avait en i8i5, 3,138,728, et en i83o, 
4,139,232 habitans. Augmentation: 1,000,494 habitans. 



266 



N01JTELLES ET VÀHIÉTÉS. 



ETATS. 



Empire rosse ......... 

(Y oomjffîs 11 Pologne.). . • 
Monarchie autrichiennne. • . ^ 

M l'dJQCC ............ 

Grande-^BreU^e et de Tlrlandi^ 

Espagne 

Jt nuse .•«*.•••*... 

Deax-Sicifes . 

Sandaîfne. ....;,.,.... 
BrrlèK. ........... 

SMe et Norwige 

Belgi^^ue et Luxembourg. . . • 
Portugal ........... 

£ut de l'Église . 

Pdys^Bas (Hollande) ..... 

DanemarJ[ 

Woitemberg •.*...•.< 

Hanovre . • 

5axe 

H«Mc électorale 

Toscane. • • . 

Grand-dncbë de Bade .... * 
Gnmd-duché de Heste . ; . . 
Medlenbonfg^Schwcrin .... 

Nassau 

Vingt^six petits États de la Con«- 
' fédération gennanic|ue . . . 

Suisse 

Quatre petits États italiens. . . 




75,100,18 

(a,»i,i8) 
11,393,80 

5, 716^50 

5,c63,54 

1,986,80 

i4^6o 

1,381,59 

iV34,i5 

633,97 

J,7a3,i8 

8ti,8o 

543,74 

1,019,76 

357,84 
695,53 
371,67 
«08,90 
395,36 

i79f54 

l5i,5o 

i33,5o 

81,70 

601^93 
875,00 
aa4,i3 



POPULATION 
par mille carré. 



SR i8i5 
ov 1816. 



3334 
3063 
3395 
1436 
1091 
3354 

i&«6 
i553 

i44 
5411 
1696 
1873 
3770 
1673 

3^4 
1860 

4339 

a577 
2981 

3577 
4o59 

i554 
3645 

37)84 
io38 

4i4o 



XX i83o 
ou i83i. 



1664 
3357 

4i63 
1678 
3576 
3869 
3iii 

a»" 

391 

6331 
i8i3 
3173 
4473 
1969 

4399 
3i39 

S161 

3io5 

335i 

4189 
48o4 
1004 

43S4 

3371 
3401 

4476 



AïKiDa- 
talion. 



33o 

2(j5 

768 
iSi 
485 
5i5 

438 

<7 

117 
4oo 

7o3 

ag6 

495 
379 
Su 
538 
370 
719 

745 
45o 

709 

487 
363 
338 



SUR L'ÉTUDE DCS t.ANGUES SA]VSCRITB £T ]liON€M>UQI}B 

£N RUSSIE* 

Les progrès rapides qne fait là Riissic dans toutes les branches 
du développement scientifique et littéraire, sont au dedans de 
ses vastes limites sentis avec uueainanime reconnaissance, au 
dehors de Tempire ib sont admirés et applaudis. T^ous ne 
nous proposons point ici de parler de tous les trésors litté- 
raires et archéologiques dont nos ^ kistitutions savantes ont 

1 C'est un Russe qui parle 



IfOUVELLE^ ET TAIIIÉTÉS. ^6% 

été enrichies. Nous ne pensons non plus &ire ressortir tous 
hs points par lesquels la Russie de nos jours se distingtus si 
éminemment de celle d'autrefois. Nous voulons seulement 
aj^eler lattention sur les soins et le zèle qu'on apporte au- 
jourd'hui aux études orientales. 

On le sait^ l'étude du sanscrit en Europe est presque d'hier : 
ce n'est que dans les temps tout modernes que le génie euro- 
péen est parvenu à pénétrer tout au fond de cette langue, à 
en avoir vraiment la science et à connaître toute l'étendue de 
cette brillante littérature. Il est donc bien naturel que la Russie 
aussi ne pouvait que de nos jours songer à cultiver avec firuit 
cette branche importante de la science. Notre gouvernement^' 
toujours attentif aux intérêts de la nation , a aisément comprit 
quels immenses avantages l'empire, déjà en veitu de sa situa- 
tion géographique, retirerait de la culture scientifique des 
études orientales. 

A l'heure qu'il est, la Russie va rivaliser avec l'Angleterre 
au profit de l'Europe, en lui apportant les trésors littériaires 
de l'Inde. Et en s'imposant cette noble tâche, la Russie ne se^a 
pas exclusivement dominée par des vues de commerce,, mais 
agira encore dans l'intérêt de la science. H est clair toutefois^ 
qu elle ne pourra guère étendre cette sphère d'activité que 
sur les pays avec lesquels la situation géographique ou les 
rapports politiques la mettent en contact. 

Notre gouvernement accorde sa protection, prodigue même 
ses faveurs à l'étude d'une langue que nous ne pouvons con- 
naître dans sa construction grammaticale, coimiine dans ses 
productions littéraires, que par l'entremise de l'Angleterre, 
et laquelle encore n'est d'aucun avantage pour nos relations 
diplomatiques et commerciales. Déjà feu l'empereur Alexandre, 
auteur de tant de bienfaits, a jeté les premiers fondemens des 
études orientales en Russie. Et à présent, au milieu des inquié- 
tudes politiques d'une époque bien orageuse, c'est encore à 
la haute protection accordée par l'empereur aux études orien- 



^68 NOUVELLES ET^VARIÉTÉS. 

taies que nous devons Fespérance j que bientôt la langue et 
la Uuérature sanscrites ^ cultivées çlepuis quelque temps avec 
des succès si brillans en Angleterre, en France et en Alle- 
magne, viendront se naturaliser chez nous. 

Encore la Russie ne sera-t-elle pas obligée d'appeler à cet 
effet un professeur étranger; un de ses fils, encore jeune 
homme, Robert, Lenz, qui a fait ses études sous la direction 
du savant professeur Bopp à Berlin, viendra, après quelques 
préparations , transplanter dans sa patrie letude scientifique 
de la langue sacrée de llnde ancienne. Mais ce ne sera pas 
seulement une étude spéciale : en cultivant cette science im- 
portante, le jeune savant rendra en même temps un service 
éminent à la langue et à la littérature nationales^ et ouvrira 
peut-être pour elle une ère nouvelle. Car depuis qu'une 
connaissance de plus en plus profonde et large du sanscrit 
nous a révélé le secret de la parenté qui existe entre toutes 
les langues des peuples civilisés de l'Occident; depuis qu'il 
a. été démontré jusqu'à la dernière évidence que ce n'est 
qu en partant du sanscrit qu'on pourra désormais s'élever i 
la conception scientifique des règles fondamentales , tant des 
langues vivantes de l'Europe ^ que des langues mortes, des 
langues classiques; depuis, enfin, qu'on a prouvé que les 
dialectes slaves appartiennent principalement à cette catégorie, 
personne ne voudra plus révoquer en doute les grands avan- 
tages qui résulteront nécessairement de la comparaison des 
règles fondamentales de ces dialectes avec celles du sanscrit. 

X<enz vient de donner une preuve éclatante de sa connais- 
sance du sanscrit et de son zèle littéraire, en publismt YUn^asky 
drame sanscrit de Tillustre poète Kâlidâsa, auteur de la célèbre 
Sakountalas drame qui a paru Tannée passée à Berlin dans 
le texte original, avec une traduction latine et un grand 
nombre de notes critiques. 

Afin de rendre ses ccmnaissances encore plus vastes et 
plus profondisS) en profitant des trésors littéraires de l'Inde 



HOUVELLES £T VARIÉTÉS. 269 

conservés en Angleterre, il a obtenu de la part de l'empereur 
les secours les plus généreux pour iaire uii séjour de deux 
ans dans ce pays. Nous devons espérer pou* lavenir les plus 
beaux fruits de ce vojage scienlifiopie. 

On peut dire, que le gouvemepient a fait le premier pas 
pour introduire chez nous Tétude du sanscrit, en £usânt 
acheter à Londres une collection de manuscrits indous, les- 
quels ont ensuite été déposés au musée asiatique de laça** 
demie des sciences, pour servir un jour aux études ssmscrites 
en Russie. Cette collection contient 95 numéros, parmi les*- 
queb se h'ouvent 3o à 40 manuscrits assez volumineux- pour 
donner à l'acquisition une valeur bien supérieure au prix 
d'achat. Ces manuscrits, comme fHresque tous ceux que nous 
possédons, ne datent point d'une époque bien reculée; la 
plupart appartiennent à la seconde moitié du siède passé. 
Ils sont' en général nettement écrits, consciencieusement cor- 
rigés, en partie des chefs-d'œuvre de calligraphie, en carac- 
tères Dewanagari, une très-faible partie ej^ceptée, qui est écrite 
en caractères Bengali. Ils proviennent, comme les titres le 
montrent, de différentes contrées de llnde. Quelques-unà 
sont reliés, recouverts d'étoffe, en petit format et ornés de 
peintures ; d'autres, à la manière de FAsie, sont sur des feuilles 
détachées et oblongues, mise$ entre des planches de bois; 
tous à peu près, enfin, pa^aiss^t être écrits sur du papier 
européen. Us s'étendent sur presque toutes les branches prin- 
cipalea de la littérature sanscrite , à l'exception de la littéra- 
ture drainatique et de celle des.Védas psbprement ditsy dont, 
en gaaéral, il n'a encore été apporté en Europe qu'un trèsr 
petit nombre de manuscrits. 

Ainsiv, sous les auspices des hommes qui sont à. la tété de 
notre gouvernement, la Russie est dans la voie du progrès, 
et son développement scientifique et littéraire devient de plus 
en plus large et rapide. -^Saint-Pétersbourg possède encore 
depuis quelque temps une belle collection d'antiquités^ faite 



2^0 NOUVELLES ET VARIÉTÉS* 

avec goût et une profonde connaissance de cause. Elle ap^ 
partient au docteur Pîzzali^ qui^ pour satisfaire sa curiosité, 
n a épargné ni travaux ni dépenses. Elle contient près de 
:iooo objets, parmi lesquels il y a 900 vasies étrusques. 
N.Et quant aux jeunes gens de la*Russîe, nous n'avons pas 
seulement à nous applaudir de leur goût et de knr zèle pour 
cette science utile, mais nous venons déjà les fruits de leurs 
travaux dans les chaires de la langue mongoiùfue récemment 
établies à Casan. Il y a déjà, six ans, le chef d'instructioB 
du district de Casan avait présenté au ministère de rinstmetion 
publique un avis sur les avantages que l-étude de la langue 
mppgoL'que porterait tant à nos rdations politiques et com-* 
merciales avec les peuples qui parlent cette langue, quaux 
sciences en général, et particulièrement à Thistoire de la 
Haute-Asie, pendant le moyen âgcli^dessusluniversité reçut 
la permission d'envoyer deux de ses élèves à Irkutsk, pour 
«'y fonner à l'enseignement de la langue mongolique. Ces deux 
feiines gens ayant séjourné pendant quelque temps à Irkutzk^ 
à Kiachta et dans-le pays des Buriites, l'un d'eux accompagna 
la dernière mission russe à Péking, tandis que l'autre fut envoyé 
à Urga, capitale de la Mongolie chinoise. 

Tous les deux ont apporté un sèle persévérant à l'étude 
de la langue mongolique, et y ont fait les progrès les plus 
distingués. De retour à Saint-Pétersbourg, ils ont été exanûiiés 
jpar l'académicien Scbmidt, célèbre par sa profonde conoais*- 
sance de cette langue. Ayant passé cet examen d'une manière 
Iwillante, ces deux }eunes philologues ont été placés comme 
professeurs de la langue mongolique à l'université de Casan. 
Cette université est donc la première en Europe qui ait une 
diairepour cette langue. {Morgenbhut,) 



n est queslioo d'établir à Leipzig une faculté de théologie 
catholique, coocurremmeut avec odle de théologie protes- 



HOUVELLES ET VARIÉTÉS. 37 1 

tante. La même chose a eu lieu dans les universités prus- 
siennes de Breslau et de Bonn. Il devait en être de même à 
Marbourg (Hesse-Cassel) ; mais ce projej n'a point reçu son 
exécution. 

— L'ouvrage de M. Henrira de Pansey , sur la Compétefice 
des Juges de paix^ vient d'être traduit en allemand et en- 
richi de notes par M. Louis Hofiinann, conseiller à la cour 
d'appel de la Bavière rhénane; un fort volume in-8.* Deux- 
Ponts, 1834. 



0S> 



^>^f^ 



XiïUtk (i(rtojraf§ii|ne. 



BIBIilOGRAPHIB* 

Le Répertoire de Leipzig annonce , dans ses livraisons de Joio, 
271 articles nouveaux^ ce qui en porte le nombre pour l'année 
courante à 1275. 

La Théologib seule en compte 53, parmi lesquels on remarque: 
Essai critique sur l'origine du premier Evangile canonique IfJehtr 
den Ursprung des ersien canonischen Evangeliums) , par le D/ 
Schneckenburger, aujourd'hui professeur de théologie à Berne. 
Cet ouvrage doit servir de complément aux recherches sur le 
même sujet de Schleiermacher , de Klener et de Sieffert; — De 
senteniia atque ratione verhorum Pauli quœ in 1. ad Thessaioni' 
censés epistola , cap, V, vers. 19 — 22, kguniur, etc., par Lasch; — 
le troisième volume de la troisième édition du Commentaire latin 
^e Rosenmûller sur Isaïe ; — un Compendium de l'histoire de 
l'Eglise f par le professeur Gh. Hase de Leipzig ; — Jean Scot 
Erigène et la science de son temps, par Staudenmaier, professeor 
à la faculté catholique de Giessen , tome premier; — une tra- 
duction des Sermons de M. de Boulogne, par MM. Rscss et Weiss. 

On annonce 12 ouvrages de Jvrispbudemce , parmi lesquels se 
font remarquer: une seconde édition de l'Histoire du Droit ro- 
main au mojen âge, par M. de Savigny, 3 vol.; -^ de l'ancien 
Droit romain sur les dettes {Ueher das altromische Schuldrechi), 
dissertation lue à l'académie rojale de Berlin, par M. deSavignj. 

D j a 2 1 publications relatives à la Médecike et à la PhtsiologiCi 
et l'on recommande surtout les suivantes : l'Exploration d'ac- 
couchement (Die geburishiilftiche Exploration), par le D/ HohI, 
professeur à Halle ; seconde partie ; — de la Fièvre puerpérale, 
par le D/ Eisenmann; — une Dissertation sur la gastromalacie^ 
par Gh. F. G. Win ter , ouvrage couronné par la Société rojale 



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 2j3 

de GœttÎQgue ; — Observations pour serrir à ]a doctrine des en-» 
veloppes du fœtus humain {Beiirâge zur Lehre von den EyhUUen 
des menschlichen FHius), par W. BiscbofT; — De alimeniorum con- 
cociione expérimenta nova , edidit C. H, Schulz. 

Parmi les 17 ouvrages portés sous la rubique de TAimQOiTK 
CLASSIQUE^ se font remarquer : le cinquième volume des Œuvres 
mêlées de F. Jacobs^ ou le quatrième du recueil intitulé: De la 
vie et de fart des anciens y et portant ]e titre particulier : Disser- 
tations sur divers auteurs et sujets de l'antiquité classique (I. Lee-* 
iione's VenusincBy questions relatives à Horace; II. Sur la statue 
d'Ariane endormie; III. Sur une médaille deZanclé; lY. Que 
laut-il entendre par fl-xoAiee ifyet dans Strabon? Y. Sur rOljm- 
pium de Pline ; YI. Sur TArgonautique d'Orphée ; Yll. Les Perses 
d'Ëschjrle; YIII. Sur le Prologue de Danaë; IX. Sur les Dii^œ de 
Yalérius Giton); — De Joçe Homeri scripsii Ed. Mœizner; — le 
troisième volume de l'édition d'Hérodote y publiée à Leipzig par 

F. Bœhr; — le quatrième volume de la traduction allemande de 
Strabon 9 par Groskurd; — C» CornelU Taciti Opéra ad ept* Ubr. 
fidem . recognoçit et annoiatione perpétua triplicique indice insiruxit 

G. A, Ruperii, volume premier; Hannovre; — les volumes YI 
et YU de la Collection des rhéteurs grecs ^ publiée par le pro- 
fesseur Walz de Tubingue y — la seconde livraison de la Science 
de l'antiquité (die AUerthumswissenschafi) pour les étudians, par 
S. F. W. Hoffmann. 

On n'annonce que deux publications relatives à la Philosophik 
proprement dite : les tomes lY et Y des Œuvres complètes de 
Hegel y et un écrit de M. Salât , ancien professeur de la philo- 
sophie à Landshut^ intitulé : Défauts capitaux de la philosophie 
allemande {^Die Hauptgehrechtn der deuischen Philosophie , als 
Wissenschaft). 

Douze ouvrages sont consacrés aux Sciences physiques. Les plus 
marquans sont : la douzième et la treizième livraison des Plantes 
médicinales de l'Allemagne ^ par £d. Winkler; «^ une seconde 
livraison du Recueil publié par la Société d'histoire naturelle de 
Francfort y sous le titre de Muséum Senckenbergianum y dans la- 
quelle se trouve une lettre du vojageur Rûppel au D.' Sœmme- 
Tbg^ sur le dugon de la mer Ronge;— le Monde des' eaux {Die 
TOHE ij. - 18 



274 SLLLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 

JVassenvih\ ou la mer et la na-vîgatton dans tonte leur étendue, 
par Richter^ première liyraisoo; — Dictionnaire de phjsique, 
de Gobler^ nouvelle édition , tome VII^ deuxième partie. 

Parmi les 19 ouvrages de Géografbie se trouvent : la seconde 
édition d'une Description statistique et géographique du rojaume 
de Hongrie ^ de la Croatie 9 de TEsclavonie et des frontières mili- 
taires [Neuesfe statistisck-giographische Besfhreibung , etc»); — 
un Tableau {Neuestes Gemëlde) des roj^aumes des Pajs-Bdê et de 
la Belgique y par le D/ Neigebauer; — la seconde édition da 
Journal de voyage du D/ Schubert , professeur à Munich {TFan- 
derhuchlein nach Salzturg, Tirol und der Lombardei) ; — le 
Manuel du vojragcur pour l'archiduché d'Autriche ^ le pajs de 
Salzboorg , la Stjrie supérieure et le "firol , par Schmidl ; — 
Description de la ville de Rome^ par £rn. Platlner^ Ed. Gerhard 
et Wilh. Rœstell ^ tome second ^ renfermant la description du 
Vatican. Le premier volume de cette importante publication a 
j)aru en i85o^ chez Gotta; — «les Curiosités de Vienne, avec des 
indications historiques , par J. B. Weiss ; — - Instmctiôns pour les 
visiteurs du Musée historique de Dresde {jindêutungen , rif.), par 
Qaandt; — la Collection de porcelaines royale-saxonne, avec des 
notices historiques sur l'art de la poterie et de la fabrication de 
porcelaines, par Klemm. 

On annonce 16 écrits relatifs aux Sgiencbs PoLrriQVES, et entre 
autres : la Constitution de la Hesse électorale, exposée et com- 
mentée par le libéral et savant publiciste Murhard ; -* «n Pam- 
phlet sur les diverses aristoeraties de la naissance, de Tirent, de 
Tcspritet de lemploi, et sur la responsabilité des ministres dans les 
monarchies pures, pav un anonyme ( absolutiste ) ; — Tableaux 
de Torganisme de Tadministration autrichienne {Versush iiner 
iaheUariscken Darstellung , etc. ) , par le D/ Kudler , professeur 
à l'université de Vienne; — Statistique de }a France (çn français], 
par Leivis Goldsmith , traduite par Eugène d'Hamecourt (mani- 
feste carliste) ; — seconde Lettre d'un publiciste allemand à un 
diplomate allemand, sur les universités et les écoles secondaires- 

Il a paru ai ouvrages d'HfsroiRB et de Biocraibie; les plus in- 
tcressans sont : la seconde édition d'im- Manuel de l'histoire, pour 
l'usage des classes supérieures dcs'céllégcs, par le D/ Etlendt, 



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 2jS 

professeur à Kœnîgsberg. C'est un des meilleurs livres de ce 
genre; — la Belgique (Beigûn und was daran hangl), par F. M. 
Arndt;-^ Mémoires d'un Autrichien émigré^ parHans Normaun^ 
tome premier (c'est une apologie de l'Autriche et de son gou- 
vernement) ; — Histoire impartiale de la contre-révolution de Var- 
sovie, le i5 Août i85i3 par le baron M urzynowski , lieutenant- 
colonel. , 

Les titres Tecvmologie; Commeegs et Beaux-Abts offrent 25 écrits 
nouveaux ; on recommande principalement : r£nsembie de l'éco- 
nomie rurale, par une société d'économistes, publié par Kîrch- 
hof, première livraison;-— l'Histoire de la musique de l'Europe 
occidentale, depuis le premier siècle de notre ère jusqu'à nos 
jours, par Kiesewetter. 

Les EcBiTS KDACOGiQUEs sont au nombre de 1 3 ; nous remar- 
quons : les Etablissemens d'instruction et d'éducation publiques 
dans la province de Saxe (prussienne) , par Burckardt [Beiiràge 
xu einer vergîekkenden Darsiellung^ eic). 

Sous le titre un peu vague de Langue et LrrrÉRATD&E allemandes, 
sont annoncés 45 ouvrages, dont le plus petit nombre offre un 
véritable intérêt, tels que : une partie du Heldenbuchf intitulée : 
Hiig Dieterichs Brautfahrt und Hockzeity imprimée pour lapr&* 
miére fois d'après le manuscrit d'Œhringen, par F. GSchsIe; — 
Finnische Runen , poésies populaires en langage finnique et en 
allemand, par G. R. de Schrœter; — Hemnann^ roman de S. 
Wiese (ouvrage original) ; — les Voyageurs sur les bords du Rhin, 
traduit de l'anglais, de Bulwer. A l'occasion de cette traduction, 
le critique proteste contre le caractère que l'écrivain anglais prête 
dans ce livre aux Allemands ;—> l'Ecole de la politesse, par F. de 
Rumohr (ouvrage plus satirique que didactique); — Lettres sur 
le FausÈ de Gœthe, par Enk;-— les Nouvelles de voyage, par 
H. Laube , 2 yoL 

Les lo ouvrages portés sous le titre de Langue et LiTrsAATinut 
snÀNGÈkEfl^ sont tous insignifians. 



276 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE* 

liITTÉRATURB. 

Die ausgezeichneten IsraeUten aller Jahrhunderte\ ihre 
Portraits und Biographien , herausgegehen von Eugeri 
Breza ; erste Reihe , erste lAeferung : Illustrations Israé- 
lites, recueil des portraits des Juifs de tous les siècles, 
accompagnés de leurs biographies, publiés par Eugène 
Breza; première série, première livraison. Paris, à la 
direction de l'ouvrage, rue des vieux Augustins, n.' 24. 

De bons esprits 9 des hommes trés-éclairës ont mis en donte^ 
dans ces derniers temps ^ la nécessité d'une distinction quelconqoe 
entre les membres de la société quant au culte professé par des 
fractions de cette société. Le philosophe, disent-ils, considère les 
hommes en général y et non les crojances qu'ils professent. Aassi 
parlez à ces hommes de la publication d'un journal israélite ou 
de tout autre écrit spécialement destiné à ce culte ^ ils diront 
que c'est chose inutile; quand on nous attaquera^ ajoutent-ils ^ 
le Constitutionnel et le National sont là pour nous défendre. Peu 
de mots suffiront pour replacer la question sur son vrai terrain. 
Sans doute en France^ où il j a de la liberté pour tout le monde, 
les Israélites n'ont nullement besoin d!un journal pour se dé- 
fendre , parce que personne ne songe à les attaquer. Mais de même 
qae le vrai patriotisme n'est pas exclusif et étroit ^ rhumaoité 
aussi doit s'étendre à d'autres qu'à nos coreligionnaires conci- 
tojens f et comme, à l'exception de la France , de la Belgique et 
de la Hollande, presque partout ailleurs les Israélites luttent encore 
arec plus ou moins de bonheur pour obtenir une véritable égalité 
politique 9 un organe israélite dans le pajs classique de la liberté 
rendrait des sen'ices importans aux Israélites , qu'il aiderait à 
affranchir, et aux divers pajs qu'ils habitent; car ces pajrs obtien- 
draient, par le triomphe de la raison, des citojens zélés de plus, 
également dévoués à leur patrie : car rien ne civilise comme la 
liberté , rien ne relève l'homme comme son égalité politique et 
civile. 

Ce n'est pas tout. La société est travaillée d'un esprit de ré- 



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 377 

forme^ et, comme Fa dit récemment un éloquent orateur^ il n'y 
a pas dans ce siècle, comme on affecte de le dire, indifférence 
religieuse; mais le culte étant l'enTeloppe, ou plutôt la repré- 
sentation de la religion, si je puis m'exprimer ainsi, le culte k 
formes surannées doit faire place à un culte plas rationnel et plus 
en rapport avec une civilisation aTancée. Si aucun culte n'est, 
comme le culte israélite, susceptible de réformes, parce qu'il 
est éminemment progressif, aucun culte comme lui non plus 
n*est aussi asiatique et demande plus de changemens. £t ici c'est 
moins la croyance que l'état des crojans jusqu'il y a à peu prés 
quarante ans qui a rendu ce culte stationnaire, et l'a maintenu 
dans les langes de l'enfance. Mais une réforme quelconque n'est 
jamais Faffaire d'un jour. Pour qu'une réforme prospère, il 
faut qu'elle soit préparée par la discussion ; la violence en tout 
est un mauvais moyen de progrès ; la persuasion , pour atteindre 
le but plus lentement, y arrive aussi plus sûrement. Une tribune 
ouverte à cet effet appellerait sur cette question la lumière que 
produit toujours une discussion consciencieuse. 

Mais les Israélites avaient et ont encore des bommes dignes 
d'être signalés à leurs contemporains et à la postérité. Si tous 
n'ont pas occupé les cent voix de la renommée , plusieurs , dans 
une carrière plus modeste, ont fait bonueur à la religion qu'ils 
ont professée. Et, certes, présenter à des bommes leurs frères 
qui se sont distingués, c'est exciter leur émulation , c'est, et ceci 
est important, les engager à se montrer dignes de la liberté. 

Quelqu'un disait que tout bomme devrait, pour l'usage de 
ses enfans, écrire l'bistoire de sa vie. A plus forte raison mérite 
d'être accueillie la bic^prapbie de ceux d'entre nous qui souvent 
ont rendu aux gouvernemens plus qu'ils n'en avaient reçu, de 
l'illustration. 

Quel sujet de réflexion enfin pour le pbilosopbeque ces bommes 
qui, dans les entraves de l'intolérance, ont su faire un bon usage 
de ce qui est à couvert contre toute entrave, de leur esprit! Et 
ceux que la liberté est venue surprendre au milieu de l'abjection, 
ont-ils abusé de cette liberté? nullement; ils se sont élancés dans 
la carrière, et ont prouvé au pays qu'il avait acquis des citoyens 
de plus. 



278 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 

t 

Réunir dans un même travail toutes les illustrations israélites, 
c est donc offrir aux Israélites mêmes un sujet constant d'émula- 
tion , et au penseur un important sujet de méditation. 

Déjà le Seder hadoroth ou Ordre des générations , offre des 
secours qu'ont exploités les Wolf, les Bartholoni^ les Bossi; mais 
ces travaux ne sont et ne peuvent être au courant de l'époque^ 
et ne sont paf non plus d'un accès facile à tout le monde. 

M. Garmolj^ dans son Toldoih gdolé Israël^ y avait essajé de 
remplir cette lacune; mais la langue dans laquelle il a écrit ne 
pouvait pas populariser son ouvrage. L'entreprise de M, Breza^ 
qui a^pour objet de publier^ en (lançais et en allemand, les 
Illustrations israéUtes y est digne de l'encouragement 4e tous les 
hommes de bien, et la première livraison qui vient d'en paraître 
nous confirme dans cette opinion. Cette première livraison con- 
tient la biographie de Moïse, de Mendelssohn, de Furtado et 
d'Abraham Stem. Quand nous disons biographie ^ ceci ne regarde 
que les trois derniers; quant à Moïse, dont il aurait d'ailleurs 
été difficile de livrer une biographie qui ne fût point idéale, 
'c'est plutôt une constante opposition de la loi ancienne à la 
loi nouvelle ; de Moïse à Jésus -Christ. L'auteur, M. Spazier, 
établit d'abord que les Israélites avaient pour objet <« la réalisa- 
tion des promesses qui leur avaient été faites, de les rendre dans 
Tavenir, auquel ils ont immolé un long présent, les plus heureux 
d'entre tous les peuples , pour les récompenser de leur constance 
à maintenir, dans le monde , la crojance en un seul Dieu in- 
visible y ne pouvant être représenté par des signes sensibles , n'a- 
gissant que spirituellement, en contact immédiat et perpétuel 
avec les hommes par des révélations, qui devait devenir, par 
eux y l'unique Dieu de tout le genre humain, s'ils obéissaient à 
ses commandemens, les méditaient sans cesse, et faisaient de ce 
devoir Tunique occupation de leur vie.^ (Page 2.) 

Cette idée 5 ajoute l'auteur, s'est maintenue parmi les Hébreux, 
et Moïse avait pour mission de la mettre à exécution. «Tant il 
est vrai, ajoute-t-il, que, dans tous les temps , un homme ne 
crée ou ne produit rien qui soit entièrement neuf, rien qu'il dé- 

I Biographie des Israélites , en hébreu ; il n'en a paru qa'nne Hrrtison , k Met» , 
1828, et elle ne comprend qn'nne partie de la lettre Aleph. 



.BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. ^79 

couvre lai-méme, ou qui lui ait été reTelé par un Être supérieur ; 
il ne fait que rassembler la somme des forces et des pensées pro- 
duites peu a peu et recueillies par les généralioîis passées ^ ainsi 
que par ses contemporains ; il les concentre en lui y les rend évi- 
dentes, et met à exécution le grand résultat.^ (Page 40 

«La croyance en un Dieu universel 5 unique et invisible , ajoute 
l'auteur, fat enseignée pour la première fois d'une manière po- 
sitive par Jésus -Chrbt^ (p. 6). Partant de cette idée, l'auteur 
oppose continuellement Afoïse à JésusXhrist, et malgré son désir 
visible d'être simple historien, et même de l'être en philosophe, 
il donne, comme on s'jr attend bien, la préférence au christia- 
nisme , on plutôt il voit en lui l'auteur du perfectionnement de 
la loi de. Moïse. 

Sans examiner ici jusqu'à quel point ce rapprochement est 
exact, et s'il n'était pas plus naturel d'attribuer à la marche de 
la civilisation le. développement plus philosophique des lois sou- 
vent mesquines du législateur d'un petit peuple ; tout en accor- 
dant même la supériorité du nouveau Testament sur le Penta- 
teuque, en ce que le premier fait sentir le peu d'importance des 
lois cérémonielles , et qu'il insiste sur la loi morale, ne pour- 
rait-on pas dire que les prophètes aussi ont insisté sur la morale 
et lui ont subordonné Jes lois cérémonie! les ^ que c'était même 
là leur principale fonction, dont ils se sont acquittés d'une ma- 
nière d'autant plus énergique et plus poétique, qu'ils avaient 
l'avantage de vivre à une époque où le judaïsme n'était pas, comme 
au temps de Jésus, altéré par une foule de doctrines puériles et de 
crojances superstitieuses que les Juifs ont puisées dans l'exil de Ba- 
bylone^ doctrines et crojrances qui ensuite se sont amalgamées avec 
la loi nouvelle; ne pourrail-on pas dire, enfin, que les crojances 
fondamentales de la nouvelle loi sont totalement étrangères à l'an- 
cienne religion, et prennent leur source dans une philosophie 
païenne ? Mais à quoi l'auteur a-t-il pensé de faire de telles con- 
sidérations dans un ouvrage qui avant tout s'adresse aux Israélites. 
Quel cas doivent-ils faire maintenant d'un code qui a été développé, 
dépassé? L'auteur lui-même a senti qu'on pouvait lui faire cette 
objection. «On voit clairement, dit-il, par l'allure, le cours de 
nos réflexions, que nous devons être à l'abri du soupçon de 



28o BULLETIN BIBLIOGB APHIQTf E. 

traYailler d'une manière détournée à faire des prosélytes; si nous 
avons donné la préférence au christianisme, sous le rapport de 
son influence sûr l'humanité entière, cela a été en partant d'an 
principe sur lequel est d'accord avec nous chaque Israélite sensé, 
et tous les partisans de la doctrine mosaïque développée. C'est 
pour les personnes faibles d'esprit que nous prolestons formelle- 
ment contre une telle supposition.» (Page i^,) 

Malheureusement ces faibles d'esprit sont nombreux, et se 
rencontrent même parmi ceux des Israélites sensés qui, pour 
voir dans le christianisme une législation généreuse et univei-sclle, 
n'en sont pas pour cela injustes envers l'ancien Testament; cl, 
certes, la morale des prophètes n'a rien à redouter d'être com- 
parée à celle des évangélistes. 

Nous aurions voulu aussi que l'auteur caractérisât autrement 
ks effrayons massacres du moyen âge et les tortures sans exemple que 
souffrirent les Juifs à cette époque que comme une nécessité historique 
{page 12); puisque Jésus annonça même aux péjfeheurs, et les 
Israélites n'étaient pas pour lui des pécheurs, non la mort cor- 
porelle ^ comme Moïse, mais une torture morak. (Page *»•) 

Si nous écoutions plus l'amour-propre comme Israélite que 
l'amour de la vérité, nous pourrions faire dériver de la loi de 
Moïse les idées modernes des trois pouvoirs politiques; savoir: le 
pouvoir exécutif, le pouvoir législatif ei le pouvoir judiciaire (p. 7). 
Mais tel n'est pas l'efFet que produit sur nous la lecture des lois 
de Moïse; nous procédons avec" sang-froid, sans enthousiasme po- 
litique ou religieux, et nous pensons que la législation de Moïse 
élait purement sacerdotale , et que tout j a pour objet rintérél 
dn sacerdoce. 

Cependant on se méprendrait sur nos paroles , si l'on en con- 
cluait que la production de M. Breza ne soit pas digne de l'encou- 
ragement des Israélites surtout, ainsi que de tout philanthrope. 
Cette publication y a, au contraire, des titres nombreux; noas 
avons voulu faire ressortir en quoi l'article Moïse de M. Spazier 
nous parait manquer de justesse, mais nous n'accusons les inten- 
tions de personne ; et hanc veniam petimusque damusque vicissim. 

On . est d'accord que Tim mortalité de Tame n'est pas men- 
lionnée dans le Pentateuque. Mais on a été jusqu'à dire cpie 



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 28Ï 

rËvangile a pour la première fois fait connaître cedc^mé consola- 
teur. Ce qui n'est pas. Cette crojance^ pour ne pas être explici- 
tement mentionnée dans le Penlateuque, peut toujours avoir 
existé, et il faut que les Israélites en aient eu connaissance avant 
la prédication de l'Évangile. «Il (Jésus) trouva y dit M. Spazier, 
cette crojance (de l'immortalité de Famé) déjà établie; car^sans 
cela il n'aurait pu exister de secte saijiucéenne qui la niifit.^ 
(Page 11.) 

L'influence du célèbre Mendelssohn sur la civilisation de ses 
corél^onnaires est parfaitement caractérisée dans l'article qui est 
consacré à ce sage des temps modernes, et que la jeunesse israélite 
ne saurait a$sez estimer. £lle a été importante pour les Israélites 
de tous les pajs, cette assemblée de docteurs israélites, réunis à 
Paris en 1806, où brilla Furtado» Elle a un caractère tle gran- 
deur^ comme tout ce qu'à provoqué Napoléon , et elle a le mé- 
rite d'avoir fixé sur l'esprit de la doctrine israélite les gouverne- 
mens européens, et d'avoir brisé cette influence rabbinique, sou- 
vent funeste , et qui arrêtait la marcbe de la r^énération de 
leurs coreligionnaires. Cette assemblée a mis au jour des hommes 
tels que Furtado, et ces hommes sont encore rares aujourd'hui. 
La vie de cet homme de bien est écrite avec une simplicité at- 
trajante. Mais notre admiration est surtout excitée par cet Âbra^ 
ham Sternj qui de l'obscurité d'un Juif polonais s'élance, sans 
secours, sans encouragemens, au rang des premiers mathémati- 
ciens de l'époque. Et que ne peut- on attendre d'un pajs où 
germent de si hautes vertus, des qualités si éminentes, quand 
iin'e main bienfaisante saura les vivifier. 

Nous ne dirons rien du luxe vraiment grandiose qui distingue 
la première livraison des Illustrations israélites. Nous faisons des 
vœux pour qu'un ouvrage aussi remarquable sous tant de rap- 
ports puisse s'achever, et notre époque comptera un monument 
de plus. J< CiiHEif. 



28a 



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 



Paris ^ Fragmente j etc. : Paris, Fragmens de sa vie théâtrale, 
par Ed. Jerrmann. Munich , chez George Jaquet , i833. 

Les journaux français ont célébré ^ dans le temps , les saccés 
dramatiques de l'acteur allemand , Edouard Jerrmann^ qui avait 
conçu et réalisé Faudacieux projet de jouer au théâtre français 
les chefs-d'œuvre de Corneille 9 Voltaire et Racine , non pas arec 
un accent tant soit peu germanique ^ mais avec un atticîsme de 
prononciation digne des salons de la capitale. Ce même Éd. 
Jerrmann y de retour en Allemagne , vient d'^ publier les obser* 
rations qu'il a faites en France. Son ouvrage, où se peint l'ame 
TÎve et passionnée d'un artiste, doit intéresser à juste titre tons 
les lecteurs français. Est-il en effet un de nos compatriotes qui 
ne soit curieux de connaître l'opinion d'un étranger spirituel sur 
notre belle patrie j sur les mœurs , les opinions et même les 
travers de ses habitans? A ce premier motif d'intérêt s'en joint 
un autre non moins puissant. Il est telle de nos célébrités qui 
reste voilée, comme la statue d'Isis, à ses compatriotes, iaisant à 
Paris un vojage de science ou d*agrémens , tandis que, grâce à 
l'hospitalité généreuse de nos grands personnages pour tout ce qui 
est étranger , les Français. apprennent à les connaître individuelle- 
ment, intimement, par des ouvrages italiens,. anglais, allemands, 
etc. Je parierais même que les Cbarruas ont vu plus de hauts 
personnages^ sous tous les rapports, que n'en verrait à son 
vojage dans la capitale telle ou telle sommité provinciale. Mais 
je m'aperçois que je m'éloigne trop du héros de mon article. 
Pour revenir à lui aussi vite que possible, je ne vois pas de 
meilleur mojen que de le laisser parler: ^ Enfin je te foule de 
nouveau, sol natal, patrie que je n*ai jamais aimée plus inti- 
mement, Allemagne, fiére comme tes chênes, inébranlable comme 
tes montagnes, aussi long-temps que, comme elles, tu formeras 
des chaînons indissolubles! Je respire plus libremeut, plus vi- 
goureusement dans l'atmosphère allemande, et pourtant j'ai passé 
de beaux, d'heureux jours dans lepajs des Francs {Frankenland) ; 
j'y ai trouvé des hommes nobles, magnanimes, un vif esprit de pro- 
grés, une ame active et saisissante; mais il ne m'a point fait 



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. ^83 

oublier mon Alleinagney arec ses cercles si lencieiu et 4oiP€Stiqtie$, 
avec son esprit rude ^ mais franc et droit. ^ 

Cette introduction est suivie d'une rapide esquisse de la TÎe 
antérieure de l'artiste, que, dès ses plus tendres ongles j comme 
disaient les Latins, un penchant irrésistible poussait à la vie théâ- 
trale. Après avoir été éconduit d'une trentaine de théâtres , parce 
qu'il ne voulait ^ en débutant , jouer que les premiers râles , 
Jerrmann parut, pour la première fois, sur la scène de Wurzr 
bourg, dans une pièce de Caldéron, traduite par West, et in- 
titulée : la Vie esi un Songe, On lui confia le rôle de Rodrigue. 
«Je m'avançai, dil-il, tout étourdi sur la scène* Je repris cou- 
rage dans le cours de mon monologue, et j'en déclamai la fin 
avec assez de vivacité. Quelle fut mon émotion ^ quand, pour la 
première fois de ma vie, je m'entendis applaudir I Mais ma joie 
fut de courte durée. Mes gestes grandioses, qui touchaient d'une 
coiilisse à l'autre, ma démarche colossale (en trois ou quatre pas 
j'avais traversé toute la scène qui tremblait sous moi) , eurent 
bientôt détruit la bonne opinion que l'on avait d'abord conçue 
de moi ; toutefois on ne fut pas injuste : difTérens monologues 
que j'eus encore à déclamer furent suivjs des mêmes applaudisse- 
rnens que le premier, tandis que les mêmes éclats de rire récom- 
pensèrent mes gestes malencontreux.^ < 

L'acteur Cornélius, qui avait pris Jerrmann en amitié, lui 
conseilla de se rendre à Munich pour y étudier les bons modèles, 
et notre débutant s'empressa de mettre ce conseil à exécution. 
Arrivé dans la capitale de la Bavière, il y joua plusieurs rôles, 
«et fut traité par le public avec indulgence et bonté, ^ ce qui ne 
l'empêcha pas de se rendre à Leipzig. <<Là, dit- il (c'était à peu 
près en 182a), le parterre n'avait pas de sièges; la jeunesse stu- 
dieuse y régnait avec toute l'exaltation qu'on lui connaît. Le ton 
étudiant [burschikose Ton) y était au plus haut degré: frapper, 
crier, siffler, remplissait les entr'actes et interrompait souvent la 
représentation sans motif particulier, uniquement par caprice et 
outrecuidance. Dans les fortes chaleurs, la jeunesse dû parterre ôtait 
vestes et gilets pour ne garder que la chemise. Alors elle accompa- 
gnait avec de grands coups de pied le piteux orchestre , dont les 
accords déchiraient les nerfs les moins sensibles.^ L'aiTivée de M. 



3^4 BULLETIN BrBLIOGRÀPHIQUE* 

Itû9tner mit fin à cet état de barbarie tbéàtrale ^ et les étadians 
s'humanisèrent. Jemnann passa quatre ans à Leipzig, puis contracta 
un engagement au théâtre de Kœnigsberg. Il 6*y fit remarquer 
en jouant à la fois, dans les Brigands de Schiller, les rôles de 
François et de Charles Moor. Cette innovation fut, comme de 
raison, élevée jusqu'aux nues par les uns et persifflée par \t^ 
autres. Mais l'approbation de M. Devrient et de M."^ Schrœder 
consolèrent Jerrmann de toutes les critiques. £n 1823 il écrivit 
à Talma, pour lui demander, s'il crojait réalisable l'essai, fait 
par un Allemand , de débuter au théâtre français. Le grand tra- 
gique répondit verbalement au correspondant de Jerrmann, qu'âne 
pareille idée ne pouvait naitre que dans le cerveau d'un fou. Ce 
décret suprême n'arrêta point l'acteur allemand : il se rendit à 
Paris au commencement de 1 83o, et fut admis a débuter sur la scène 
française. Mais Talma était mort, et le théâtre français se mourait 

Jerrmann assista aux derniers momens de la dynastie déchne 
et â l'avènement de la nouvelle. J'extrais de Bts réflexions po- 
litiques le passage suivant, qui m'a paru digne d'être cité : «C'est 
un singulier peuple que les Français. Je passe le Pont- neuf , je 
me rends au théâtre pour j jouer le Cid. Quand on répète un 
r61e dans sa tête, une belle tirade s'échappe aisément delà bouche. 
Je déclame à haute voix : on est toujours prêt quand on a du 
courage. Soudain un étudiant du pays latin me frappe avec 
enthousiasme sur l'épaule, et s'écrie : n'est-ce pas, on aurait pu 
sauver la Pologne; mais notre gouvernement n'est jamais prêt 
Le mot de Pologne, intimeniënt joint à celui de gouvernement, 
est un talisman sufiisant pour. attirer dix personnes; dix antr» 
â'j adjoignent encore, et l'émeute est là. Six heures sonnent à 
Notre-Dame; je cours au théâtre. A neuf heures je repasse sur 
le Pont-neuf, et j'j trouve 4 morts ,17 blessés , 1 5oo hommes de 
la ligne et de la garde nationale, avec deux canons : tout cela parce 
qu'il m'était échappé un vers pour lequel j*espérais être applaudi.* 

Jerrmann était donc entré au théâtre français , qui s'éteignait 
insensiblement par les progrès toujours croissans du romantisme, 
dont Victor Hugo était le chef. Amené naturellement i faire men- 
tion de cet écrivain, l'artiste allemand s'exprime en ces termes: 
^Yiotor Hugo , toi que j'aime comme la prunelle de mes jeuxj 



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE* 285 

toi qui y dans ma virilité , fais naître ma jeunesse à laquelle se 
rattachent tant d'images à demi effacées de temps heureux; Hugo! 
nohle et digne homme ^ qui avouas tes erreurs avec la candeur 
d'un enfant^ toi qui les rétractas avec un conrage viril j Hugo^ 
tout ame, tout esprit , tout saint enthousiasme pour l'art! |e te 
révère comme je révère la vertu, le beauj l'idéal; car on en 
trouve chez toi la fidèle copie. ^ Il ajoute : «Victor Hugo est un 
des plus grands écrivains de sa nation. Gomme prosaïste, pour 
ce qui regarde le style ^ après Chateaubriand, c'est l'auteur que je 
préfère; comme poète, je le mets au-dessus de tous. Il est la jeu- 
nesse personnifiée. Victor Hugo, si je ne me trompe, n'est pas né 
poète dramatique. U est romancier dans ses drames et poète 
dramatique dans ses romans.^ 

Après avoir reçu de l'acteur Michelot des leçons de prononciation 
et de déclamation française, Jerrmann étudia les rôles d'Auguste 
dans Ginna, de DonDiègue dans le Gid, du vieil Horace dans 
lesHoraces, de Burrhus dans Britannicus, de Thésée datas Phèdre, 
d'Agamemnon dans Iphjgénie en Aulide^ de Joad dans Athalie, 
etc. Après une éjM'euve de son talent, wi débuts forent filés au 
19 Juin i83a, jour d'une représentation à bénéfice. Malgré les 
nombreux talens qui brillèrent dans; cette soirée d'apparat (M."' 
Mars, M^. Michelot, Baptiste; aine, Baptiste cadet, Armand, 
etc.), le public ne se montra pas indifférent pour l'artiste étranger. 
«Un regard d'amicale appréciation tomba sur moi, dit Jerrmann, 
et quand je ne le devrais qu'à l'indulgence, je n'en serais pas 
moins fier; car la main de la claque ne le déshonora point.* 

L'indication des derniers chapitres de l'ouvrage suffira pour in- 
diquer rintérét que la lecture de ces J^ra^m^iu doit exciter; poésie 
roman tico-dramatique; fabriques de drames; Gœthe et le théâtre 
du Panthéon*; opinions politiques; une émeute*; essai d'élo- 
quence populaire; Sparlacus^; la caricature; Sainte - Pélagie ; 
soirées; maisons de jeu; mes études mathématiques à Paris 4; 
esquisses nocturnes ; la Gourtille ; les funérailles de Lamarque. 

I On Kvait donné tnr c« thMlre une imitation du comté E^nota de Ocethe. 
a Celle qni smvit la ncnvelle de la prise de Yarsoviet 

3 Statue aux Toileries. 

4 Profes&énr aUemand , ruiné pour aroir cru à la possibilité de &ire sauter une banque 
de jen à Taide de calculs approfondi «.. 



286 BIBLLETIIf BIBLIOGRAPHIQUE. 

JURISPRUDENCE. 

Die Lehre vom Beweise^ etc. ; La Théorie de la preuve 
dans la procédure criminelle allemande^ eu égard à la 
jurisprudence des tribunaux et aux nouveaux codes alle- 
mands^ ainsi qu'aux principes comparés des législations 
anglaise et û'ançaisCj par M. le conseiller intime Mitter- 
maierj professeur à luniversité de Heidelberg. Darmst^dt, 
1834. 

M. Mittermaîer avait publié dès 1809 un ouvrage sur la preuve 
en matière criminelle, et Ton en attendait depuis long-temps 
une seconde édition. Or , il s'est trouvé , qu'en le remettant en 
œuvre, l'auteur en a fait un tout nouveau livre, qui mérite à 
un haut degré Tattention de ceux qui s'occupent des questions tant 
pbilosopTiiques que positives, tant théoriques que pratiques, que 
renferme l'Instruction criminelle. ïl traite successivement et en 
détail des divers genres de preuves , savoir : la vue du juge ou 
descente sur les lieux, les rapports d'experts > Faveu de l'accusé, 
les dépositions des témoins, les écrits et pièces de conviction, la 
concordance des indices; puis de la preuve composée,- qui résulte 
de l'emploi simultané de plusieurs genres de preuves; enfin, de 
la preuve incomplète et des effets qui y sont attachés en Alle- 
magne. Ces effets sont, suivant les cas, l'absolution d'instance, 
l'obligation de prêter le serment purgatoire, et les peines extra- 
ordinaires. 

Mais ce qui nous a paru plus important et plus remarquable 
encore que tous ces utiles et ihtéressans détails, c'est le chapitre 
premier qui sert d'introduction , cl où M. Mittcrmaier s'est ap- 
pliqué à résoudre cette grave question : d^ la j^reuçe en matière 
crhnineUe, considérét en général ^ et de son caraùière différent swr 
^ani que le jugement est rendu par des légistes ou par des juHs^ 
Il montre l'influence qu'exerce sur l'emploi des preuves la pré- 
férence donnée , dans l'organisation judiciaire, à l'une ou à l'autre 
des deux formes principales de la procédure criminelle : l'inqui- 
sition , la poursuite d'oflice par le juge , ou l'accusation , la pour- 
suite, par un accusateur privé. La procédure allemande repose^ 



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 387 

comme on sait^ sar ]e principe de Finquisition $ l'ancienne pro-f 
cédure romaine^ et la précédure anglaise sar celai de l'accusa-* 
tion ; rinstfuction criminelle française et quelques antres l<%is^ 
la tiens modernes sont mêlées de Fan et de l'autre principe. 

M. Mittermaier fait voir qu'au principe de l'inquisition cor- 
respond le jugement par légistes ^ et par conséquent aussi ^ comme 
garantie contre la légèreté et l'arbitraire des juges ^ une théorie 
légale des preuves; tandis qu'à la forme accusatoire répond le 
jugement par jurés ^ et la condamnation ou l'absolution sur la 
conviction que ceux*ci ont acquise en leur ame et conscience^ 
sans recourir à une théorie légale pour l'appréciation des preuves. 

En même temps que M. Mittermaier fait preuve d'une éru- 
dition européenne^ si je puis ainsi dire^ en développant avec 
sagacité les principes du Droit français et anglais aussi bien que 
ceux du Droit commun et des nouvelles l^slations de l'Aile-^ 
mague^ il se montre^ par le fait^ partisan déclaré des véritables 
principes historiques. M. Mittermaier n'est pas homme a se com- 
plaire en de pures recherches sur la raison d'exister d'un sjrstéme 
vieilli de législation pénale; il est^ au contraire^ un des hommes 
qui s'occupent avec le plus d'ardeur et de succès d'élever le Droit 
criminel positif de l'Allemagne à la hauteur de la science mo- 
derne. Mais ce n'est pas à dire qu'il se trouve sous le charme des 
prétendues panacées universelles. U semble penser avec Goethe^ 
qu'une même chose ne conçient pas à tous^ ; et en conclure que 
dans tel état social , avec tel caractère national et telle organi- 
sation politique j l'introduction du jurj ^ par exemple , et le rejet 
de la théorie légale des preuves, pourraient bien n'être qu'une 
grossière méprise, et non une conquête de la raison et de la 
liberté. 

N'oublions pas d'ailleurs que le jury n'est pas organisé en 
France comme en Angleterre; qu'il est sans doute susceptible 
de plus d'une amélioration , et que la monstrueuse théorie de 
Vomnipotence et du pieux parjure n'est pas encore si loin dov 
nous. Sous ce rapport, nous regrettons que l'espace dont nous 
disposons ne nous permette pas d'extraire les paragraphes où M. 
Mittermaier détermine les rapports de l'institution du jury avec 

I Eines schickt sich moht fur jillf. {BeherMigun^J) 



288 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 

une théorie des preuves. Nous rappellerons seulement qu'ancnoe 
législation pénale ne peut se passer au moins de certaines dispo- 
sitions sur Tadmissibilité des preuTes, comme, par exemple, de 
régler les cas dans lesquels la déposition d'un témoin peut être 
reçues quand elle peut être écartée pour cause de suspicion légi- 
time ^ ou n'être admise qu'à titre de simple renseignement, ^oxu 
rappellerons aussi qu'il existe en Angleterre des Instructions pour 
les jurés y qui, sans faire Tiolence à leur conscience , tendent à 
l'éclairer y en leur faisant connaître les principes sanctionnés par 
la raison et l'expérience des siècles , suivant lesquels on peut, avec 
le plus de certitude possible ^ acquérir la preuve morale de 
l'existence d'un fait. Ce sont ,^ ces principes , mais rendus obliga- 
toires pour le juge 9 même dans le cas où sa conviction leur por- 
terait un démenti y qui constituent la théorie légale des preuves 
en Allemagne: théorie trop décriée^ parce qu'elle a été mal com- 
prise , et qu'elle a été considérée à tort comme inséparable d'an 
système de torture qui s'j est trouvé réuni long -temps dans la 
plus grande partie de l'Europe ^ mais dont il reste bien peu de 
traces aujourd'hui. H. K. 



LEYBAULT , éditeur 'propriétaire. 



AOUT 1834. 



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15 




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xtUrdwc 



ÉTUDES SlJft OCETHB. 



GCBTZ DB BERIilGHIlKOEN* — EaUfONT»' 

JLi'ÉTtJDE du quinzième siècle avait amené Gœthe à écrire 
Berlichingen^ cdle du swième l'amena à écrire Egmofit. Les 
deux drames peuvent être mis pour pendans lun auprès de 
l'autre; les deux héros peuvent se rapprocher sans se nuire* 
L'km est {dus mâle, plus hardi, plus naïvement dépeint; 
l'autre, qui a véeu dans une position plus élevée, a déjà 
respiré l'air de la cour , et porte avec son attitude guerrière 
les manières du beau monde. Là est l'intérieur de famille, 
simple et rustique, la femme qui descend à la cave et prépare 
elle-même le repas de son mari ; l'homme , qui est plutôt le 
compagnon que le chef de ses soldats, qui s'élance, son épée 
à la main, et s'en va partout où l'appelle l'intérêt d'un ami, 
la défense d'un de ses servjteurs, une réparation à faire, une 
vengeance à exercer. Ici est le château pompeux aux réunions 
cérémonieuses, le grand seigneur chef d'armée, l'homme qui 
marche presque immédiatement après son roi, et trouve au- 
tour de lui beaucoup de subalternes et peu d'égaux. Gœtz 
est le représentant d'un siècle encore grossier, qui s'éteint 
avec son ignorance, ses préjugés, ses vertus franches et sa 
mâle bravoure. Egmwt est le représentant du nouveau siècle 
qui lui succède, de la nouvelle génération qui s'élève avec 
d'autres rayons de lumière, avec le raisonnement mis à la 

i' Tojes ci-dessus page 195< 



2g2 ÉTUDES SUR GOETHE. 

place de la foi aveugle , les tentatives de lesprit surmontant 
celles de la force physique, et les conquêtes de la civilisation 
^ui se développe, grandit, et aplanit sous son niveau les 
aspérités des autres siècles, aus$i bien les dehors farouches 
du crime que l'empreinte énergique de la vertu, afin que rien 
ne gêne plus Tharmonieuse symétrie de la société^ que légalité 
des hommes s opère par l'uniformité des caractères, et que 
les guerres religieuses se terminent par l'assoupissement et 
rindifférence. 

La même distance et le même rapport qui existent entre 
Gœtz de Berlichingen et Egmont, existent aussi entre les 
guerres de rébellion auxquelles- tous deux ont pris part 

^En Allemagne, au conunencement du seizième siècle, voici 
la révolte des paysans^ brutale, crujelle, aveugle, juste dans 
son indignation, déplorable dans ses excès; la révolte qui se 
lève pour apaiser sa soif de vengeance, qui promène dans 
toute la contrée l'incendie et la désolation ; k révolte qui 
saccage les châteaux pour, acquitter le prix de quelques cor* 
vées, égOTge ses maîtres ppur laver une injure, s'avsmce aux 
cris de religion et de liberté, et ne-connait ni la religion, 
ni la hberté. Un théologien fanatique, un aubergiste ignorant 
et quelques autres hommes du même genre, devaient en être 
les maîtres volontaires , et le brave et généreux Gœtz de 
Berlichingen , la victime. 

En Hollande, quarante ans plus tard, la révolte lève aussi 
la tête, et s'avance les armes à la main. Mais quelle révohe! 
Des hommes blessés dans leurs droits 1^ plus diers, une 
bourgeoisie qui réclame ses privilèges , des villes qui veulent 
faire respecter leurs franchises, un peuple qui se soulève 
pour garder sa croyance, pour se défendre contré les mains 
sanglantes sous lesquelles il est tombé, pour.veager sa na* 
tionalite d un joug despotique et étranger. Cette révolu est 
grande, noble; l'histoire en retrace avec majesté les efforts, 
et la civilisation nKiderne doit l'applaudir. Aussi voyez comme 



egmont; 2g% 

die est. calme et reposée^ comme elle garde long-temps sa 
patience, et puis comme elle s avance degrés par degrés, 
Qon point pour escalader follCTient les. obstacles quelle ren- 
contre, mais pour les renverser lun après l'autre, et par«- 
venir ainsi avec plus de lenteur^ mais plus de pureté, à son 
but. C'est la rébellion de Vesprit contre les honteux préjugés 
qui Font tenu long-temps enchaîné. C'est le premier effort 
de la nouvelle ère sociale qui se débarrasse de ses langes: 
c'est le triomphe long-temps disputé, mais non moins éda- 
tant, de la liberté de conscience , sur l'intolérance farouche ; 
la victoire de. quelques millions d'hommes sur les ^ii£o-tfie»;/i^ 
du diic d'AIbe, le fanatisme de Philippe II et les bulles de 
la papauté. 

L^ révolution des Pays-Bas a de puîssans adversaires, mais 
elle se rattache aussi à de grands chefs *. le courageux Hom, 
le brave Egmont, le sage et clairvoyant Guillaume de Nassau. 
'Aucun desi troiç n'encourage pourtant et ne fomente la 
révolte^ ils tâchent, au contraire, de la réprimer; ils veulent 
que Ton sévisse contre tous les agitateurs j n'importe qu!ils 
soient bel^s, flamands ou espagnols. Mais en défendant les 
intérêts de leur nation au conseil de la régente, ils attaquaient 
par là même le gouvernement cruel et arbitraire de Philippe II. 
Us. agissaient, d'après leur cœur et leur conscience; quoique 
placés dans une haute position, ils s^itaient les misères du 
peuple; quoique catholiques, ils ne pouvaient approuver 
l'intolérance odieuse de l'Espagne envers les protestans. Us 
étaient d'abord les fidèles conseillers du roi, et sans doute 
les plus fermes appuis de son pouvoir dans les Pays-Bas. La 
grande faute du roi Ait de s'irriter de leurs sages observations, 
et de prendi*e pour un acte de rébellion des avis peu flatteurs 
sans doute pour l'oreille d'un monarque, mais des avis néces- 
saires et complètement appropriés aux circonstances. Le peuple 
gagna cet appui que le souverain perdait. Sans réclamer de 
ces trois hommes^une intervention immédiate, il savait cepen^ 



Tg4 ÉTUDESL SUR G^STHE. 

dant qu'il pouvait compter sur leur sympathie , et au besoin 
sur leur dévouement^ et il agissait avec plus de fermeté et 
de hardiesse. Les corporations d'ôuvriecs se li<g«afelit entre 
elles* Les nobles^ qu'un courtisan espa^ol avait traités de 
gueux j se liguaient aussi, et prenaient pour mot de rafiie- 
ment Tinsuke ridicnle de l'Espagnol, et pour emMémce : une 
besace avec dehtx mains entrelacées, hirm mài^Ghaît pas à 
pas eel^e révolution, dans kqueUe Philippe, trompé par de 
perfides conseik, égaré par son ânatisme, em Y«n de jeter 
tout €6 ({ut pouvait lui donner plus de cènsistance, sans 
}>rendre aucune mesure capable de la réprimer. La dernière 
faute et là plus grande de toutes, fat de remplafcer dans le 
gouvernement des Pays-Bas Farçhiduchesse de Partne, qui 
avait du moins de bonnes intentions , par lé duo d'Albe, qui 
ne voiulait obéir qu'à sa colère et a son fenatiswe. Le dtic d'Albe 
traversa 1^ Pays-^Bas comme un fléau. Dans coûtes les villes 
et sur tontes les places les gibets furent dressés, les bûchers 
aUumés; fes tétés les plus nobles comme les plus obscures 
tombèrent sur l'écbafaud. On tuait et l'on br^it à<i nom du 
roi et de la religion, deux grandes raisons pour se montrer 
CTuel à plaisir. Par la première, on gagnait la fatéur du 
monarque^ par la seconde, les éloges des moiites et les ré- 
compenses du ciel,: sans compter que les bîen^ des e'ofidamnés 
étaient confisqués au profit du roi et de se^ fidèles i^rviteiirs. 
Le duc d'Albe pro|nena ainsi sur toute lai contrée sa faux 
sanglamte. Il ne songeait pas tant à apaiser k rétotte qu'à 
écraser les révoltés , et quand on loi représentait les cfônsé* 
quences qiaie do telles mesin*es pouvaient avoir, il répondait 
avec sa croyance stupide d'inquisiteur : Il vaut miéul que le 
roi d^pagne perde les Pays-'Ba»^ que d!e t^ner sur un 
peuple dTbérétiques.. Au dire de quelques historiens, i 8,000 
boioiiies tombèrent victimes de des atroces fugettféné, et les 
massacres en Flandre et le pillage d'Anvers 5 éft partout les 
exactions , les violences et l'arbitraire marquer éôl d'un sceau 



EGMOIfT. 295 

<i*igDoinmie ineffaçable lé gouvernement du sé|de. Apr^s quoî^ 
ayant réduit par: la misère, la doideur et la consternation 
ces belles provinces au silence, il crut n'avoir plus rien à 
faire qu à' reétiéiUir le fruit de sa noble. InissiOn, ef il se fit 
ériger une statue pofer laquelle il se tronvaf entcore vtùe tête 
qui osa concevoir, et une main qui osa écrire cette* inscrip- 
tion : • ' 

« Albc , le' jflus fidèle serviteur du meilleur des rbis , » 
réduit au néant là téVolte, ééra^é lés rebteBés, rétabli la reK-»- 
giôn, exercé la j*ttstiiîé et sififenài la paii dans le pays.* 

Mais cette paix' tt'éidt qnun moment 'de stupeiir, pendant 
fequd mêmief k' révidltifîon comincteéée né cessa pas de jeter 
.plus avètnt ses r^e^esu Lés conjurations n avaieaft pas encore 
été dissoutes 5 le !réiï secret qui unissait tous les' esprits dans 
tin iaèine besoin de libertc, existait plus fort que famaîs. Et 
quand Ifcs nobles têtes de Hom et d'E^bfatfiifent' tombées 
sous la hache du boûfréàii, fl resiàît aui Pays-Bas Crttillatirae 
de Nassau,* dont' les eflorts persévérans stffiîetièrent'au Secours 
de èa Bdafteureuse nation les. forces d une pufssjrâce étran- 
gère, Vnc fclis rbeure dé la consternation passée,' la révolte 
se .rdéva JatitaW pltis hardie, qu'eHe n avait rtdi'dié plus' 
efitayant à érâindTe que ce qudife avait dé|à éptduvé, 'd'au- 
tant plus terrible qu'elle avait beaucoup à venger. Afce lui- 
même Ttrt forcêde ployet'la tête devant elle, et Juani d^Au- 
tricté, et Sfaxîbiilîerij'etné dùê'd'Aàîoti; adversaire^ etpâr-^ 
tisans, elle lèaltrisatotit, jusqu'à ce quelle eût* fait de la 
Hollande im-État libre, du pHncè d'Orange un Siàdthouderj 
et que le rdi d'Espagne" dût renoncer à jamais à cette belle 
portion d'feéritage que lui avait légtfée^ àfoW pè^c. 

Dans son dran^é 'SEgmonty"Q<tiht est resté fidële aux 
principaux faîls dé ITiistorrè. Marguerite dé Patriïe,'!e ducf 
d'Albcy le prince d*Oi*ange, s<rtrt ttès-bîén caractérisés^ et 
les conversations des bourgeois de firuiélles, auxquelles le 
poète nous: fait assister, retracent d une manière vraie et 



ti^S ÉTUDEÇ S^R GOBTHÈ. 

pîttQresque les principaux événemens, et Fétat de trouble et 
d agitatioa dans lequel se tr0uV9.it alors le pays. , 

Mais je 9e. sais pourqyoi il ne- prononcé pas une seule fois 
le nom ^ç Horn, qui prit cependant une, p§i]*t importante 
aux conseils de la régente y et qui paya aussi de sa tête sa 
loyauté; et sa franchise. Et je trouve aussi que le poète a 
peint Egmont autrement que Thistoire nous ne le représente* 
J^lgraont ne fut pas le héros de la révolution des Pays-Bas, 
mais le martyr, ce qui, en tenais de révolution , nest pas 
U même chose, ;Pe tous les nobles appelés à donner leur 
avis dans le maniement des affaires publique 9 Egmont était 
peut^êtpe Fun des plus dévoués au roi. d'Espagne» E^ |565 
il fit un voyage à Madrid, chargé de repré^nter à Philippe H 
les griefs de la noblesse des Pays-Ba^, et. lorsqu'il en revint^ 
on Faccusa de s être laissé séduire par un prient de 5 0,000 
florins, jet; par la promesse; que k roi lui avait faite «n outre 
de s'occuper de Fétablissepnent de ^s filles. 

En 1 5 66, après les premiers (roubte^ d'Anvers, les nobles 
se. réunissent àDendremondè, pour délibérer sur la situatioa 
fôeheuse du pays. Montigny apporte des. lettres qui prouvent 
que toutes les promesses de Pbâippe II sont fausses, et que 
Fon ne peut mdlemept se fier à se3 intentions.. Louis de Nassau, 
le irèrç de Guillaume, .yeut que Fon arbore ouvertement 
FétendiM^d de. la révolte ; mais Egnjiont se lève aussitôt , et 
déclarp, que le roi a raison d'être* mécontent, et que Fon 
doit cherche^* pa^ tou^ les moyens possibles, à, se réconcilier 
avi^ lui et .f pia^teiiir la pai3^; Pour moi, djt*3, je veux lui 
rester fidèle, gagïier sa &ve^r par 1^ répression de la révolte, 
et me fier à sa reçojnnaissance, à sa justice, à sa bonté* ^ 

Enfin., en 1 567, lorsque }e prince d'Orange se réunit avec 
EgmojBt dans le village de WiUj^roc, et l'engagea à fuir, à 
ne pas attendre Farrivée.du duc d'Albe, B^mont lui répondit: 
Nous n'avons pas seulement rendu au roi de grands services, 

t F;^ de RsHmer^ Hiatoir« d'£iirop«, troisième partie ^ p. 55, 



^ . BGKONT. 297' 

dans les temps passés^ mais nous arons encore iairrété ré- 
meute, puni les pèrtuièateurs, et acquis par là de grands 
droits à sa reconnaissance. Et pourquoi donc^ moi, qui n'ai 
rien à ïne reprocher, abandonnerâis--je ma femme et mes 
enfans, et men irais^je enrer en ûigitif, à la merci de la* 
coBunismtion? 

Les instances du prince d'Orange forent inutiles, et Tun et 
rentre se aérèrent en pleurant, pour ne plus se revoir. 
Egmont alla ïm des premiers au-rdevant du duc d'Allée, et 
Ion slait comment il fut répon^ensé de sa fidélité. 

Gœthe a fait disparaîtra aussi de son drame tout ce qui 
a rapport au procès dlElgmônt et de Hom, et la défense de 
ces dexDC hommes pouvait produire cependant une scène in- 
téressante. Tous^ les deux furent amenés de Gand à Bruxelles". 
Le premier' avait à répondre à 88 points d'accusation, le 
second à 86^ Ils demandèrent, en leur qualité de chevalierSs 
de la toison d'or, à être jugés par leurs pairs , et l'empereur 
Maximilien intercéda lui-^même pour que ce droif ne leur 
lât pas enlevé; mais ni les prières de l'empereur, ni celles 
dé là' n'oblesse ne purent surmonter le sentiment de cruauté 
aveugle de Philippe II et du duc d'Albe. 

Le 4 Juin i568 ils furent condamnés à mort comme hé- 
rétiques et coupables de rébellTon. Ce que je reprocherais le 
plus à Gœthe, c'^st d'avoir altéré les circonstances de cette 
mort, raôontée avec tant de noblesse et de simplicité parlés 
historiens ; c'est d'avoir enlevé k Egmont sa femme et ses onze, 
enfans, les plus grands liens qui le rattachent à la vie, pour 
les remplacer par Tamour d'une jeune fille. ^ 

1 A l''«ppui 4e ce que je dU sur Egmont, envisagé sous le point de 
vue historique, je puis citer un article que SchiUer publia en 178Q dans 
le jaurnal d^ létia : 

«X/histffire ràipporte, écrit Schiller, qu'Egmont avait, lorsqu'il mourjit, 
neuf enfans, dautres disent on^e. Le poète pouvait connaître cette cir- 
constance ou Tignorer, s'il ne songeait qu'à l'intérêt particulier qui s'y 
rattachait; mais il ne devait pas la négliger d^ qu'il admettait dans son 



^^ft ÉTVDES. SUR GGETHF. 

« Quand l'épouse d'Egmont (dit un historien que nous 
ayons déjà plusieurs fois dxéy M. de Baumer)^ la^noUe 
Sabina^ la sœur -de Télecteuv d« Paladoat^ Frédvric III, eut 
appris la ceodanmatioB de son mari, die vint se jeter aux 
genoux du duc d'AIbe, en implorant sa grâce-^ -r* <« Allés, 
lui répondit celui-ci, avec une atroce équivofjuè, deimâtt rotre 
mari softica de prison* ^ 

. Puis Jl fit appder VéTqquB d'Ypres ^ et loi ordonm de pré- 
parer .EgÉiont et Hom à BMiurifi Et alors 1 cvéque, âaisi de 
compassion^ ie jeta encove k ses pieds>, et le sapplia de loi 

drame les laits- 41» en étaient H mite. Le Tëritiible Egmont arait par son 
genre de vie splendide mis le désordre dans sa fortune. Il avait besoin 
du secouirs du roi, et voilà ce qui apportait 'de grandes entraves à ses 
défnarclMfl. Oa Ait sa lamrUc qui, par malheur, le retiat k Bnizettes, 
lorsque toui^ ses amis prirent la fuite. Son éloigacment du pa^f ne lai 
eût pas seulement coûté la perte de deux belles places^ mais encore celle 
de ie9 bièn^ si'rué» ènrii les États du roi , et qiri fussent t«rttfb<3l au peu* 
▼ftîr du fisc. Ni lui, ni talemn^e, dnebetse de Bavi^^ve, ^^'«ftâîept habi-, 
tués k supporter le bgsoin , et leurs enfans ne relaient pas davantage. Tels 
furent tés ihotifs qu*il représenta plusieurs fois au prince d'Ora'n^e, quand 
0el«t<<i fVngâigealt à «'évader ^ et teb ftirent le» mtftift quî 1^ Y«tt«riffr«ul 
à la plus faible des espérances, et le retinrent dans (e^artk d^ rpi. Et 
par là, voyez comme sa conduite est conséquente, humaine et naturelle! 
Il ne tombe plus victime d'une aveugle eotitance, mats victime "d'une 
tendresse excessive p»u^ les si«M* Parce qu'il agit txop noblement «nvers 
une famille qu'il aime par-dessus tout, il se précipite dans rabime.'*'- 
Maintéuant prenez VEgmont du drame. Le poète ^ en lui enlevant sa 
femme et ses* enf^s , détrui^t par là tout ce qu'il y a de grave et de ré- 
fléchi dans sa conduite. Il le fait demeurer à Bruxelles par une folle pré- 
somption, et diminue par là noire estime pour le héros, sans compenser 
cette perte par l'éitiotion ifu tctnr. Au contraire ,- il- nous enlève l'image 
d'un père tendre , d'un bon ^oux*, pour nous montrer celle d'un amant 
qui détruità jamais le repos d'une jeune fille qu'il n'épousera pas, lui enlève 
l'amour qui eût pu là rendre heureuse , cl cause ainsi, avec les meilleures 
intentions du monde, il est vrai, le malheur de deux personnes, tout 
cela pouf eliaMer les rides d^e son front. Et cet événement se passe aux 
dépens de larérité historique que le poète pèilt bien ahérer p««r aoeréître 
l'intérêt de son drame, mais non point pour l'aSaiblii^. Combien Goethe 
nous fait donc payer chèrement cet épisode, qui jCdwkAééité eti lui<<œéaie, 
est sans dout^ l'une de se^ pèrnfiures tes plus belles, et qui, éans une 
autre compoérfiôn , où il eût été mieux eit rapport avec lés événemeas , 
aurait pu produire le plus grand .effet! 



SGMONT* 399 

accorder la grâce des deux nobles condamnés, ou tout au 
moins de surseoir à leur exécution. Mais le duc lui commanda 
en colère d'aller remplir ses fonctions. A minuit Févécpie 
entra dans la prison où étaient renfermés Hom et Egmont, 
et leur lut le jugement qui les condamnait à la peine capkale* 
Egmont parut d'abord étrangement surpris d'une telle issue 
de son procès; mais quand il apprit qu'il n'y avait plus d'espé- 
rance à concevoir, il tourna ses pensées vers Dieu, se con- 
fessa et communia. Ce qui l'occupait beaucoup, c'était le 
soureiHr de sa femme et de ses enfans (il arvait trois fils et 
huit fiUes), et il voulait employer le peu de temps qui lui 
restait 4 écrire au roi« «J'ai reçu cette nuit, lui dit4l, le fugt- 
ment que Votre Majesté a prononcé sur moi^ et j;e l'accepte 
avec la résigna tî(»i que Dieu me donne dans sa bonté. Il 
est vrai cependant que je n'ai jamais rien pensé et rien fait 
qui pût être opposé à Votre Majesté ou à mon devoir. Si, 
au milieu de nos temps de trenble, mes actions of^ pu vous 
apparaître sous un autre jour , c'est Vefiet de ces fâciueuses; 
circonstances, non point de mon infidélité ou de mon mau^ 
vais, vouloir. Si pourtant j'ai ofiensé de qndque manière Votre 
Majesté, je la prie de me pardomaet, et d'avoir, par égard 
pour mes antres services, pitié de ma malheureuse femme ^ 
de mes enfan» innocens et de mes pauvres serviteurs. Comme 
c'est là ma dernière prière, j'ose espérer qu'elle ne sera pas. 
sans ùiaàty et dans cette confiance je me recommande à la 
grâce de Dieu. Bruxelles, ô Juin 1 5 68. De Votre Majesté le 
très-humble et- dévoué serviteur et sujet préparé à mourir, 
Lamoral dEgmonU^ 

«Le lendemain à onze heures, après que les portes de la 
ville eurent été fermées, et défense faite aux bourgeois de 
sortir de kursl maisons,, les soldats espagnols vinrent prendre 
Egmont pour le conduire au supplice. Il demanda encore si 
sa grâce ne lui était pas accordée , et quand on lui eut ré- 
pondu que non, îl s'agenouilla pour prier. Après ces mots: 



300 ÉTUDES SUn GOETHE» 

Seigneur, je remets mon ame entre tes mains, sa tête tomba 
et ensuite celle de Horn. La douleur des citoyens fut sans 
bornes, et les soldats espagnols mêmes ne purent s'empêcher 
dé pleurer. On regarda comme des reliques des mouchoirs 
trempés dans le sang des deux victimes, et Ion alla en pé- 
lerinaige visiter leur tombeau, comme on le fait poiir de saints 
martyrs. * 

Je crois donc , après avoir étudié à plusieurs sources la 
vie d'Egmont, que Ton pouvait /tirer de son caractère, de 
ses relations de famiUe, de son jugement et de sa mort, tels 
que rhistoire nous les rapporte, le* sujet d'un drame plus 
simple, plus vrai, et non moins majestueux et pathétique 
que tout ce que l'imagination du poète peut inventer. Cest, 
du reste ^ une observation que Fou pourrait appliquer à la 
plupart. des sujets historiques transportés jusqu'à présent sur 
la scène. L'histoire est toujours grande* Les hommes tels 
qu'ils ont été, les événemens tels qu'ils se sont passés, offrent 
toujours plus de vie, de variété, d'intérêt véritable que des 
eréations imaginaires. Le poète veut restreindre les faits pour 
les rendre plus saillans, et il les rapetisse; il songe à les em- 
bdlir, et il les farde; il veut créer des caractères, et il ne 
s'aperçoit pas que les caractères, vrais et énergiques sont là 
dépeints par les faits beaucoup mieux qu'il ne pourrait ja- 
mais se les figurer. Et il ne faut pas croire.que ce serait pour 
le poète une oeuvre de si peu de valeur de se tenir aussi 
scrupuleusement attaché à Thistoire; ce serait, au contraire, 
l'œuvre la plus diflBcile, la plus digne d'occuper l'homme de 
gcnie, et de là vient sans doute que beaucoup d'écrivains 
trouvent plus commode d arranger l'histoire d'après leur fan- 
taisie , de même que certains peintres aiment mieux se faire 
une nature idéale que de peindre fidèlement la belle et simple 
nature. * 

1 Un AlUniand a dit: L'histoire est le grand arbre sur lequel mûrissent 
les fruits de Tliunianitë. Chaque feuille de cet arbre est un fait, chaqne 
branche une tribu , chaque rameau une nation. 



SGXOVT. 3oi 

Gœthe a compris Egmont autrement qne Thistoire ne k ' 
représente, il la agrandi et élevé; il en a fait, en quelque 
sorte, comme l'a dit un criisque, Tidéal de la/vie humailûe» 
Egmont nest plus Thomme marié, le père de onze enfans^ 
qui songé à. la carrière de ses fils et à rétablissement de ses 
filles ; le grand seigneur qui a une part d'équité trop grande 
pour mal juger de la cause du peu]^e, mais qui en même temps 
se laisse éblotdrpar quelques paroles de son. roi. Cest le jeune 
homme beau et hardi , également prêt à se battre et à courir 
au bal, passant à travers la vie avec légèreté et insouciance^ 
étonnant le grand monde par son luxe , et subjuguant les 
pauvres bourgeois par son affabilité. Cest le héros de Gra- 
velines, dont le peuple raconte avec enthousiasme les hauts 
faits, et que les jeunes filles ne regardent pas sans admirer sa 
bonne grâce et son air martial. La naissance lui a tlonné* ses 
distinctions, la fortune lui a livré ses trésors, la gloire la 
couronné de ses lauriers; tous les prestiges Tenvironnent, 
tout ce dont la vanité et rambition peuvent se repaître, il 
le possède. «Et quand il a tout le jour porté son nom brillant 
de par le monde, appliqué son esprit aux affaires dont le 
charge la régente, ou promené sa gaieté de fêté en fête, il 
va se reposer le soir dans une humble demeure , auprès d*une 
jeune fille qu'il aime. Oh ! c'est un délicieux tableau que ce 
rapprochement du grand seigneur et dune pauvre ouvrière, 
cet homme qui s'en vient, comme fatigué de toutes ses féli- 
cités, pencher sa tête sur des genoux qui la soutiennent; cette 
vie de cour qui se repose dans une modeste chambre bour- 
geoise ; cet Egmont, ce favori de la régente, ce bel Egmont 
de toutes parts recherché, vanté, admiré, qui sécbappe de 
spn palais, se glisse dans une allée obscure, entre, à la lueur 
d'une lampe, dans la chambre où Clara Fattend, et là jette 
à plaisir toute la gêne qui le fatigue, tous ses titres, tout son 
rang, pour n'être rien qu'un bon et franc jeune homme, 
pour trouver un regard qui lui sourit, une main qui serre 



303 JÊTUDES $0E OGCTHE. 

sa main. Et cette Qara^ quelle douce et naïve a'éatioii] 
Comme elle aime son Egmont , comme elle est fière d en-^ 
tendre parler de luî^ de le voir passer,, et de se dire : c'est 
cet E^ont qui est le mien. Pour elle, Egmont est le monde 
entier, il n'y a rien au-delà. C'est l'amour de la jeune fifle 
dans toute sa fraîcheur, c'est l'abandon d'une ame neuve et 
candide avec tout son dévouement. Bien de recherché, rien 
de contraint; ce qu'elle dit, on sent qu'elle doit le dire, on 
le sent dans ses mouvemens de joie, dans ses craintes et 
ses transports d'ivresse, et chacun de ces mouvemens porte 
en soi une grâce infinie ; car il vient du cœur, il est vrai. On 
sourit de la voir sourire, on s'amuse de sa naïveté, pauvre 
Gara! on jdeure aussi des pleurs qu'elle répand , et du déses- 
poir qui s'empare d'elle. 

Je ne puis résister au plaisir de citer, au moins en partie^ 
cette charmante scène où elle s'entretient avec sa mère, en 
attendant Egmont. 

CLAEi. 

Âh! quel homme! Toutes les provinces Fadôrent, et ne 
devrais-je pas être dans ses bras la créature la plus heureuse 
du monde ? 

LA MERE. 

Et que sera-ce pour l'avenir? 

CLAEA. 

Oh! je demande seulement s'il m'aime! S'il m'aime? 
Est-ce une question? 

LA MkEE. 

On n'a que des angoisses à attendre de ses enfans. Cela 
n'ira pas bien ; tu as fait ton malheur et le mien aussi. 

CLARA. 

Vous me laissiez pourtant plus libre au commencement? 

LA MÈRE. 

Malheureusement j'étais trop bonne^ toujours trop bonne. 



EGMOST* 3o3 

CLIAA. 

Lorsque Egmont passait et que }e courais à la fenêtre^ m^a- 
dressie^vous aucun reproche? Vous-même voujs vmez vous 
mettre à la fenêtre à coté de moi. Et s'il -levait les yeux^ me 
souriait^ me saluait, le trouviez- vous mauvais? Né vous 
regardiez-vous pas comme honorée dans votre fille ? 

LA MEUS. 

Fais-moi encore des reproches. 

CLARA (at^ec émotion). 
Et quand il revint plus souvent dans la me, nous savions 
que c'était à cause de moi, et alors ne le remarquiez-vous 
pas avec une secrète joiç? Ne m appeliez-voujs pas alors quand 
je l'attendais cachée derrière les carreaux? 

LA MERE. 

Pouvais-je penser que cela irait si loin ? 

CLARA. 

Et lorsqu'un soir il vint ici nous surprendre, enveloppé 
dans son manteau, qui s'occupa de le recevoir, tandis que 
je restais sur ma chaise pétrifiée d'étonnemept? 

LA MÈRE. 

Devais-je croire que ce malheureux amour entraînerait si 
promptement la sage Qara? Et maintenant il faut que je sup^ 
porte de voir ma fille .... 

CLARA (at^ec des sanglots). 
Ma mère, vous le voulez donc! Vous vous faites un 
plaisir de me tourmenter. 

LA MISIE. 

Pleure encore, rends-moi plus malheureuse encore par ta 
tristesse. N'est-ce pas déjà un assez grand diagrin pour moi 
de voir ma fille déshonorée? 

CLARA (se levant Jroidement). 
Déshonorée. Labien-aimée d'Egmont, déshonorée! Quelle 
fille de roi n'envierait pas à la pauvre Clara une place dans 



3o4 ÉTUDES SUR GOETHE. 

ce cœur-là? O, ma mère, ma mère! autrefois vous ne par- 
liez pas ainsi. Ma mère, soyez bomie — quoi que le peuple 
pense, quoi que les voisines murmurent — cette chambre, cette 
petite maison est un paradis depuis que l'ainour d'Egmont 
lliabite* 

LÀ ME&E. 

On doit le voir avec joie, c'est vrai. Il est toujours si 
amical, si ouvert! 

CLARA. 

Il n'y a pas une veine fausse en lui. Voyez, ma mère, 
-et c'est le grand Egmont! Et quand il vient auprès de moi, 
il est si simple et si prévenant! Il voudrait tant me cacher 
son rang et sa bravoure! Il est si occupe de moi! je ne puis 
voir en lui que Thomme, Tami, Tamant! 

LA MERE. 

Vient-il aujourdlui? 

CLARA. 

Ne m'avez-vous pas vu courir souvent à la fenêtre? N'avez- 
toùs pas remarqué comme j écoute lorsqu'on fait du bruit 
à la porte ? Quand mêipe je sais qu'il ne vient pas avs^t la 
nuit, je l'attends pourtant dès le matin à cbaque minute. Ah! 
si seulement j'étais un écuyer, et que je pusse le suivre à la 
cour et partout. Je pourrais porter son étendard à la bataille. 

LA MERE. 

Tu as toujours été une drôle d'enfant, tantôt folle, tantôt 
pensive. Mais ne vas-tu pas t'habiller un peu mieux ? 

CLARA. 

Peut-être, ma mère, quand j'aurai de l'ennui. — Mais 
sopge, hier ses gens passaient et chantaient une chanson 
d'éloges sur lui. Du moins son nom était dans cette chanson, 
le reste je n'ai pas pu le comprendre. Le cœur me battait si 
fort!.... Je les aurais volontiers appelés, si je n'avais pas eu 
honte. 



EGM051?. 3o5 

LA MÈKE. 

Prends donc garde. Ta vivacité perd tout. Tu te trahis 
ouvertement devant le monde. L'autre jour, chez ton cousin, 
quand tu aperçus la gravure sur bois avec l'explication qui 
l'accompagne, tu te mis à crier si haut : le comte Egmont! — 
Moi, je devins rouge comme le feu. 

CLARA. 

Ne devais-'je pas crier? C'était la bataille de Gravelines, 
je trouve au-dessus de l'image J&, et dans le texte on lit: 
«le com^e Egmont eut son cheval tué sous lui.^ Je fus d'a- 
bord toute saisie, et ensuite il me fallut rire de cette grar 
vure, où Egmont s'élève aussi haut que la tour de Grave-r 
lines, à côté des vaisseaux anglais. 

C'est aussi une jolie scène que celle où Egmont arrive 
chez la jeune fille avec son costume de grand d'Espagne, son 
collier de la toison d'or et ses armes brillantes. Clara s'arrête 
devant lui, et le questionne sur ce qui lui est arrivé, et s'ap- 
proche pour toucher ses riches vêtemens, et le regarde avec 
une curiosité d'enfant : 

«Laisse-moi t'embrasser, s'écrie-t-elle, laisse-moi voir dans 
tes yeux; tout est là pour moi : la consolation et l'espérance, 
la }oie et le chagrin. Dis-moi, dis-moi, car je ne puis le 
comprendre, es-tu Egmont? Le comte Egmont? Ce grand 
Egmont, qui fait tant de bruit, dont les journaux parlent 
et auquel les provinces s'attachent. * 

EGMOirr. 
Non , Clara , je ne le suis pas. 

CLARA. 

Comment? 

EGMonr. 

Vois-tu, Clara — laisse-moi m'asseoir. — (Il s'assied y elle 

s'agenouille dei^ant luiy croise ses bras sur sa poitrine et 

TOME II» 20 



3o6 ÉTUDES SUR GGETflE. 

le regarde^ Cet Egmont dont tu parles est un homme cta^ 
grin, cérémonieux^ froid, qui doit avoir tantôt cette figure, 
tantôt celle-là. Il est tourmenté, méconnu, embarrassé, tandis 
qu'on le croit satisfait et heureux. Il est aimé d*un peuple 
qui ne sait ce qu'il veut ; adulé par une foule avec laquelle 
il ne faut rien entreprendre; environné damis auxquels il 
n ose s'épancher -, observé par des hommes qui voudraient par 
tous les moyens possibles se mettre à son niveau ; travaillant 
avec peine, souvent sans but, presque toujours sans récom- 
pense — ô, laisse-moi taire ce qu'il éprouve, et comment se 
soutient son courage. Mais cet homme, Clara, qui est tran- 
quille, ouvert, heureux, aimé et connu de cet excellent cœur 
qu'il connaît aussi, qu'il presse avec confiance et amour contre 
le sien : cet homme-là, c'est ton Egmont. 

CLARA» 

Oh 1 laisse-moi mourir. Le monde n'a pomt de |oie après 
celle-là. 

A côté de cet amour si frais et si entier de Clara , il faut 
voir comment se place l'amour timide, soujBQrant et résigné 
de Brackenburg , ce pauvre ouvrier qui la suit avec une sorte 
d'adoration, et dont elle ne peut payer l'ardent dévouement 
que par une tendre amitié. 

Egmont, après l'arrivée du duc d'Àlbe, a continué à vivre 
comme par le passé. N'ayant rien à se reprocher, il ne 
ressent aucune crainte, et ne prend aucune précaution. C'est 
toujours la même existence généreuse, noble, mais insou- 
cieuse et étourdie. Le duc d'Albe le fait arrêter, et seul dans 
la prison où on le jette, l'heureux Egmont emporte avec lui 
le souvenir du destin riant qui l'a protégé jusque-là, et rêve 
encore ou que le roi ne voudra jamais le condamner, ou 
que le peuple se soulèvera pour le délivrer. Son entretien 
avec le duc d'Albe est admirable par les idées franches et 
élevées qu'il exprime sur la liberté et le .droit des peuples, 



BGMOITT. 307 

par sa contenanoe fenûe en face de son juge et de son bonr* 
rean, par la grandeor d*ame qu'A déreloppe. Son entretien 
arec Ferdinand, le fils naturel du duc d'Albe, n*est pas 
moins remarcpiable. Car il fait très-bien ressortir la position 
misérable de l'homme qui gagne par une lâche soumission le 
rang qu'il occupe dans la société, à coté de celui qui tombe 
dignement pour ne pas mentir à sa conscience; l'esdavage 
honteux du courtisan qui doit obéir aux passions des autres ^ 
à côté de cette mâle liberté que l'homme de cœur emporte 
jusque dans les fers. 

Cependant Clara apprend par la rumeur publique l'arresta- 
tion d'Egmont, et alors voilà cette jeune fille, jusque-là si 
timide, jusque-là renfennée dans Imtérieur de sa maison ^ 
qui devient forte et héroïque, s'élance, malgré les dangers, 
au miheu de la foule, brave les satellites du duc d'Albe, in- 
sulte à l'apathie du peuple, lui reproche sa lâcheté, le pro* 
voque à la révolte. Puis ne pouvant remuer comme elle le 
voudrait dans son désespoir ces hommes que la crainte pa- 
ralyse, ne pouvant plus sauver elle-même son bien-aimé, 
et apprenant que rien ne le sauvera de la vengeance de ses 
ennemis , elle rentre chez elle avec son fidèle Brackenburg, 
qui tente en vain de la détourner de sa funeste résolution. 
Bien ne la retient plus dans ce monde. Elle s'empoisonne. 
Egmont, qui songe à elle dans sa prison, la recommande 
encore à Ferdinand lorsqu'elle est déjà allée l'attendre dans 
une autre vie. 

Pour lui, il meurt en héros. Là liberté lui apparaît dans 
son sommeil. Son dernier rêve lui présage le bonheur de 
sa patrie, et le tambour qui vient le réveiller à l'heure de 
l'exécution, lui rappelle seulement celui qu'il entendait sur 
le champ de bataille, où il remportait la victoire. 

X. Marmier. 



LE TRÉSOR DES NIBELUNGEN 

(DER NIBELUNGEN'HORT)^ 
TRAGÉDIE EN CINQ ACTES, 

DE RAUPACH.l 
1834. 



PERSONNAGES : 



GÛNTHER j roi des Bourguignons. 
ChriemhilD; sa sœur. 
SiEGFRiD , fils du roi des Pajs-Bas. 
Brunhild y reine d'Isenland. 
Hagem de Tronegk, 

Damk^art, son frère, ( ^ , *. i. r * r» •• »i- 
_ ' „ ' > Guerriers attaches a G unther. 

Le margraye Eckaat^ 

Ortwjn^ de Metz 9 

Volker^ d'Alzej, ménestrel au service de Gûnther. 

Attila 9 roi des Huns. 

Blœdel, son frère. 

Le roi Thie&rt (Dietrich) de Berne ^ 

Le margrave Rûdiger ou Roger, f „ . . .i * . i,â.*-i 
n . „ ' > Princes tributaires d'Attila. 

Prince Hawart^ 

Prince Irirg^ 

Le maréchal dèBiinihild. 

SiRiTH, sa conâdente. 

HiLDico, confidente de Ghriemhild. 

Deux hérauts d'armes. 

Eugel^ roi des Nibelungen. 

Nobles^ cavaliers 9 femmes^ nains ^ serviteurs , peuple. 

1 M. Ràdpagh, de Berlin, est aujoardlmi de tons les poètes dramatiqnes 
de rAlIemagne celai dont les pièces ont le plus de succès au théâtre. Celle 
que nous traduisons^ nous a^surtout paru propre à faire connaître son genre 
de talçnt , en .même temps'quîelle nous offre une excellente occasion de 
remettre sous les yeux de'^iios lectean la snbsUnce de la fable cëlèbrs 
qui en est le sujet. 



».\, V t » 






LE TRÉSOR DBS NIBELVHGEN. 309 

PROLOGUE. 

(La scène représente une contrée montagneuse et sanyage j au fond des 
rochers éleyés, une forêt des deux côtés.) 

PREMIÈRE SCÈNE. 

{Au moment où la toile se lèt^ey on entend un mugissement 

semblable au tonnerre ^ et F on voilà gauche des flammes 

s'élei^er parrdessus les rochers» Mais le bruit y ainsi que 

réclat des flammes ^ va en décroissant. Le roi Eugel. et 

plusieurs nains se tiennent à droite ^ attentifs à ce spec^ 

tacle. Lt ouverture exprime un combat qui tire à safln») 

Dans les intervalles le roi Eugel dit : 

. Le mugissement du dragon retentit plus sourdement; la 

colonne de feu qui s'échappe de sa gueule, vive et bruyante 

comme celle qui sort de la fournaise de rilécla, brille avec 

moins d'éclat... • 

Le combat va finir, et les astres ont donné la victoire 
au jeune et preux chevalier sur le monstre horrible.. •• 

Elle est sauvée la vierge éplorée que le dragon tenait 
captive au haut des rochers, et nous, enfans de la terre sombre, 
nous sommes délivrés d'un joug odieux. (La musique re- 
prend» Eugel y montrant la gauche:) Il a vaincu; — le 
voilà qui descend des rochers, portant dans ses bras la douce 
fille des rois. Venez ; cachons-nous dans les précipices jusqu'à 
ce qu'il nous rappelle, lui dont nous sommes maintenant les 
serviteurs. {La musique finit tandis qu Eugel et les siens 
se retirent par la droite.) 

SECONDE SCÈNE. 

siEGFHiD (vient de la gauche ^ portant dans ses bras 

Chriemhild éi^anouie). 

Quoi? morte, la belle jeune fille? la plus belle de celles 
qu'ont jamais vues mes yeux, que jamais a baisées ma bouche; 
elle est si belle et si douce que je la porterais bien, sans 



3lO LE TaÉSOR 

fatigue, par toute la terre. (// la dépose sur le gazon.) 
Quand je la vis , je Taimai aussitôt. Sou œil était si dair, et 
le voilà maintenant sombre et voilé; sa bouche, (jui disait 
des paroles si gracieuses, la voilà muette. (// s'éloigne,) Que 
n ai-je, au lieu du dragon, tué la mort elle-même , <jui, en- 
vieuse, m'enlève ce qui lui est inutile. Je voudrais rencontrer 
des géans et des monstres pour me venger sur eux de sa 
mort. (// retient à elle.) Abl peu de jeunes filles sont aussi 
belles vivantes (jue celle-ci morte. Je vais de ses lèvres firoides 
cueillir ma récompense. (// s'agenouille et imprime un 
baiser sur les lèi^res de Ckriemkild.) Par ma fidèle épée! 
elle respire; sa bouche est chaude, chaude sa main. Elle 
vit, elle vivra, car sans cela la mort serait si belle que la 
vie aurait honte auprès délie. Elle dort. Réveille-toi, jeune 
beauté, réveille-toi 1 Ah, tu ne m'entends pas! Eh bien, je 
te réveillerai à force de baisers. 

CHRiEMHiLD (retenant à elle et le repoussant). 
Ah, monstre! moi, dans tes bras! Laisse-moi. Je te hais, 
même sous la figure humaine. 

SIEGFRID. 

Tu rêves encore, jeune fille. Suis -je le dragon, moi? 
Pour celui-là, je viens de lui chanter un air tel qu'il s'est 
endormi pour toujours. 

CBaiEHHlLD. 

Oh, oui, je te reconnais. Tu es le noble guerrier qui a 
engagé la lutte avec le monstre. Pardonne-moi, seigneur, 
de t'avoir vu de mes yeux, sans que mon ame t'ait reconna. 

siEGFRiD (relevant Chrienihild). 
Eh, ne parle pas ainsi, douce jeune fille. En dormant on 
oublie tout. Seulement je m'étonne que tu te sois endormie. 
Le combat avec ton dragon n'était-il pas amusant ? 

CHRIEMHILD. 

U éuit terrible! Tandis que toi tu combattab le dragon ^ 



DES ^^IBELUIr6EIC. 3ll 

j'avais à combattre Tangoiâse de mon cœur. Quelcpie espé- 
rance que me donnât ton courage, la force du dragon m'inspi- 
rait une frayeur plus grande* Et quand, dans sa fureur, le 
monstre t'étreignit du double anneau de sa queue , je te crus 
perdu, et mon cœur, vaincu par Thorreur, oublia de battre* 

SIEGFEID. 

Ainsi tu mourus réellement, et maintenant tu es. revenue 
à la vie? 

GBRIEMHILD. 

Je ne mourus point, seignem*. 

SIEGFRID. 

Tu t endormis donc de frayeur; voilà une chose inouie! 

CHRIEMHILD. 

Je ne m'endormis point; je tombai en défaillance. 

SIEGFRtD. 

En défaillance? Qu est-ce que cela? 

CBRIEMHILB. 

Un milieu entre la mort et le somineil. 

SIEGFRID. 

Et c'est à cette mort- sommeil que la frayeur te livra? 
Comment, jeune fille, as-tu pu être si craintive, et pourtant, 
si le nain ne m'a pas trompé, en me donnant la première 
connaissance de ton sort, tu es fille d'un roi! 

GHRIEBIHILD. 

Cela est vrai. Le roi des Bourguignons, Giînther, qui ré- 
side à Wprms sur le Rhin , est mon frère. Je in'appelle 
Chriemhild. Mon père Dancbrat et ma mère Uté sont morts 
tous les deux. Mon firère a soin de moi. 

SIEGFRID. 

Mais il prend mal soin de toi ; car comment sans cela 
aurais-tu pu devenir la proie du dragon? 



3ia LE TRÉSOR 

CHRIEMHILD* 

Un soir^ attirée parla douce clarté de la lune, je me tenais 
fort tard sur le balcon du château, lorscpie le monstre vint 
à moi, et me saisissant de ses bras de lion, me ravit à tra- 
vers les airs. Depuis, le roc fut ma demeure; là j'ai demeuré 
une année, peut-être plus; je Tignore; car là-haut ilny eut 
ni printemps, ni automne. Je n'ai point compté les jours; je 
les voyais venir avec effiroi ; car le dragon devait redevenir 
homme, et puis me prendre pour épouse. 

SIEGFRID. 

Je suis donc venu fort à propos? 

GHRIEMHILD. 

Tu es venu pour moi un envoyé du ciel, noble guerrier, 
celui que du Seigneur avaient imploré mes prières et mes 
larmes. Me voici libre ; me voici redescendue du rocher aride 
sur cette belle terre où nous sourientla verdure et les fleurs, 
où les oiseaux, en chœur, soir et matin, célèbrent la bonté 
du Gréateur, et où le soleil se baigne dans le ruisseau lim- 
pide, en dorant son cristal. Je vais revoir le sol natal, et 
tout ce qui me rend amour pour amour, et tout ce que 
j*aime, parce que je l'ai connu, alors même qu'il n'a pas la 
faculté d'aimer! Je me mirerai encore dans le Rhin verdoyant; 
je cueillerai encore en automne les fruits dorés de nos jardins, 
et au printemps j'irai avec mes compagnes cueillir les fleurs 
de la prairie et écouter le cri prophétique du coucou. 
Dieu, mon cœur pleure de joie dans ma poitrine. Et tout 
cela, c'est à toi que je le dois. Comment te témoignerai-jc 
ma reconnaissance? Elle me pousse à me jeter à tes pieds, à 
embrasser tes genoux. 

SIEGFRID. 

Voilà qui est singulier! comment mes genoux auraient-ils 
mérité cela ? Si tu veux embrasser quelque chose, jeune 
fille, embrasse-moi plutôt moi-même. 



DBS NIBELVHOSir» 3l3 

CHRIEMHILD. 

Tu demandes avec trop de hardiesse. 

SIEGFRID. 

Eh bien , permets que je t'embrasse. 

CHEIBICHILD. 

Gela n est permis <pi'à mon frère. 

' SIEGFaiD. 

Et lepoux, ne le peut-il pas aussi? 

CHRIEICHILD. 

On le dit 

SIEGFRID. 

Eh bien, jeune fille, écoute. Mes yeux nont pas été plus 
prompts (jue mon cœur. Celui-ci t'aima tout aussitôt que 
ceux-là te virent. Veux-tu devenir ma femme? Je suis, 
comme toi, de race royale. 

GHllIEMHILD. 

Gomment peux-tu parler ainsi à une jeune fille? 

SIEGFRID. 

Si je te parlais d'armes, de chevaux, de combats, alors 
tu pourrais demander ainsi. Mais parler de mariage à une 
vierge.... 

CHRTKMHILD. 

Je ne veux pas me marier. 

SIEGFRID. 

Alors pourquoi es-tu si belle et si charmante? « 

CHRIEMHILD. 

Si je suiis belle en vérité, je veux rester ainsi. L'amour 
de l'homme est de la nieïle pour la fleur de la beauté. 

SIEGFRID. 

La vieillesse aussi la flétrit, et sans compensation. Pour 
qui donc es- tu beQe? Pour le soleil ou pour la lune? 



5i4 LE thésor 

Pour les animaux et les oiseaux^ pour tes compagnes? Tu 
les pour un époux : c'est pourquoi il te faut te marier. 

CHMEXHILI). 

Le mariage m'est interdit. 

SIEGFRID* 

Par qui? 

CHRIEMHILD. 

Un songe ma avertie de le fuir. 

SIEGFRID. 

Quel songe? 

CHRIEBIHILD. 

J'avais élevé un noble faucon; il était fort, beau et blanc 
comme la fleur du prunellier. Je l'aimais beaucoup, je le 
baisais tous les matins et tous les soirs , et lui donnais sa 
nourriture. Voici qu'un jour arrivèrent deux aigles, noirs 
conune la nuit, l'enlevèrent de mon sein et l'étoufierent dans 
les airs, en m'inondant du sang et des plumes de l'obeau 
bien-aimé. Je cbnsultai ma mère sur lé sens de ce songe, 
et elle me dit : le faucon est un noble chevalier, qui t'aimera 
un jour, et si tu l'épouses, il sera pour toi un sujet de 
larmes et de deuil par sa mort prématurée. 

SIEGFRID. 

Ta mère a dit vrai, et c'est de moi qu elle a parlé. A moi 
aussi il a été prédit que je mourrai jeune, mais ^rès avoir 
auparavant combattu avec honneur dans maint combat, dont 
les poètes conserveront la mémoire à la postérité la plus 
reculée. Cela s'accorde merveilleusement. Crois-moi, je suis 
ton faucon, et ainsi que jadis tu m'as embrassé en songe, tu 
devrais bien m'embrasser aujourd'hui en réalité. 

CHRIEMHILD. 

Alors même que je croirais que tu es mon faucon, et alors 
même que je voudrais te présenter ta pâture, oserais-je me 
préparer la douleur de te pleurer jusqu'à la mort? 



DES 1IIBBI.171IGEN. Si 5 



Douce ChriemliOd, ne t'incpiiète pas des destins à venir. 
Cueillons avec joie ce que nous offie de bon le présent. 
Mon père est chargé d'années; quel firuit en retire-t-il? Pour 
lui plus de combats y plus d'amours. Songe seulement: si nous 
nous aimons douze mois, ce sont des milliers d'heures, et 
chaque heure combien de fois je puis t'embrasser. Cest 
pourquoi, dis-moi si je te plais, moitié seulement comme tu 
me plais à moi. 

CHEŒMHIIJ). 

Quelque tendresse qu'un chevalier puisse lui inspirer, ja- 
mais bouche de jeune fiUe ne doit en £ure l'aveu. 

SIEGFRID. 

Alors, dis-moi seulement si tu veux devenir ma femme. 

CH&IEMHILD. 

Je l'ignore. Il faut le demander à mon frère. 

SIEGFSID. 

Comment un autre maccordera-t-il lé prix que tu me dois? 

CHRIEBIHILD. 

Je le paierai, si tu ne demandes pas un trop grand salaire. 

SIEGFAID. 

Je demande un mot. 

CHEIEUHDLD. 

Que je ne puis dire. Mais ce que je puis t'avouer, c'est 
que, lorsque tu combattais le dragon pour moi, je fis voeu 
à la sainte Vierge de te servir toute ma vie, si tu sortais 
vainqueur du combat. Tu as vaincu, et .... 

SIEGFRID. 

Et tu m'appartiens. 

CHRIEBiHILD. 

Je suis prête à obéir à mon seigneur. 

SIEGFRID. 

Or, si je disais : viens plus près de moi? 



^l6 LE TRÉSOR 

GQRIEMHILD. 

Il me Êtudrait obéir. (Elle s'approche.) 

SIEGFRID. 

Et si je disais : embrasse-moi? 

CHRIEMHILD. 

Il faudrait obéir. 

SIEGFRID. 

Et si j ordomiais : donne-moi un baiser? 

CHRIEMHILD. 

Il faudrait encore obéir, alors même que la honte teindrait 
de pourpre le blanc miroir de Toeil de la pauvre jeune fille. 
(Elle Jait un effort pour obéir ^ mais elle recule.) Je ne 
puis, noble seigneur. Il serait plus Ëicile de le souffrir que 
de le faire. 

SIEGFRID (l'embrassant). 

Oh, douce jeune fille! Tu ne seras pas mon esclave, mais 
ma maîtresse, ma reine, mon joyau le plus cher; je te gar- 
do'ai comme la prunelle de mes yeux, et je t ornerai d'or et 
de pierres précieuses , de sorte que le soleil te prendra pour 
sa sœur plus belle. Partons maintenant pour Worms : là je 
te demanderai en mariage à ton frère. S'il le permet, consen* 
tiras-tu à être ma femme? 

CHRIEMHILD. 

Ton bras ne m'a-t-il pas gagnée? 

SIEGFRID. 

Viennent mille dragons, que dans ma joie je les immole! 
Mais non, partons pour Worms! Là m'attend une plus douce* 
proie. Comment cependant sortirons-nous de cette forêt? Où 
est-il le nain qui m'a conduit ici? Eh, roi Eugell — Eugel, 
apparais! (Eugel arrit^e de la droite avec une nombreuse 
suite de nains : tous s'agenouillent défiant Siegjrid. ) 



DES NIBELUnCEN* 3l7 

TROISIÈME SCÈNE. 

EUGEL. 

Gloire à toi, noble chevalier, vainqueur du dragon ^ qui 
nous as délivrés du joug de la servitude! Reçois nos hom* 
mages ; nous sommes tes sujets. A toi appartient tout ce que 
nous possédons^ à toi tous les trésors que recèle lé vaste 
sein de ces rochers. 

SIEGFRID. 

Levez-vous! Levez-vous! Vous êtes assez petits déjà. Je 
ne songeais pas à vous délivrer; mais puisqu'il en est ainsi, 
j'en suis fort aise. Seulement ne me parlez pas dliommages 
et de sujets. Je ne veux encore gouverner que mon cheval 
et mon épée. Mais que parles-tu de trésors cachés ici? 

EUGEL. 

Un riche trésor d'or et de pierres précieuses est caché 
dans ces précipices. Si cent rois, plus prodigues que ne le 
fut jamais roi, donnaient cent ans à pleines mains, ils n*é- 
puiseraient point ce trésor. 

SIEGFRID. 

Et il m'appartient? 

EUGEL. 

Il est à toi, si tu veux l'accepter. 

SIEGFRID. 

Certes, je le veux. 

EUGEL. 

Ce qu'il y a de plus précieux dans le trésor, c'est le cha- 
peron. 

SIEGFRID. 

Et qu'est-ce que ce chaperon? 

EUGEL. 

C'est un bonnet tissu d'or. Il rend invisible à tous les yeux 
mortels celui qui en couvre sa tête. 



3l8 Z.E TRÉSOR 

SIE6FRID. 

Je le prends^ avec l'or^ les pierres précieuses^ tout le trésor. 

EUGEL* 

Songe à ce que tu vas faire. Le pouvoir enfante lorgueil, 
et le son de For et l'éclat des diamans évefllent dans l'homme 
les n^auvais esprits, et vous n'êtes bons ([ne tant qu'ils dorment. 
Qu'un exemple te serve d'avertissement. Déjà ce trésor a 
donné naissance à plus d'un crime. 

SII^ÇFRID. 

Conte-moi ces crimes. 

I 

EUGEL* 

On nous appelle les Nibelungen ; depuis les premiers temps 
nous habitons au sein de ces rochers; toujours nous avons 
pris plaisir à porter ici, dans la nuit, tout ce qui brille, métal 
ou pierrerie, et à en façonner des ouvrages précieux. C'est 
ainsi que fut amassé ce trésor. Le géant Hréidmar en eut 
connaissance; il passa la mer et vint ici se rendre maître de 
nos richesses et nous réduire nous-mêmes en servitude. Dès- 
lors esclaves, nous filles obligés de faire avec effort ce qui 
jusque-là avait été un plaisir, et jour et nuit, souvent cruel- 
lement maltraités, il nous força d'augmenter incessamment 
le funeste trésor. Les dieux l'en ont puni. Ses fils , Faiîier 
et Reigen, altérés de la' soif des richesses, tuèrent leur père 
dans le sommeil , et quand vint le moment du partage, Fafiier, 
le plus fort des deux, voulant garder seul le trésor, dressa 
des embûches à son frère ; mais Reigen s'enfuit ; on ne l'a 
plus revu. Les grands dieux, pour punir Fafiier, le chan- 
gèrent en dragon : c'est lui qu'aujourd'hui tu as vaincu. 

CHRIEMHILD. 

O noble chevalier, mon maître, laisse-là cet or et toutes 
ces richesses. Déjà une fois ib ont enfanté le parricide, et 
pourraient l'enfanter encore. 



DES KIBELU96EN. 3l9 

SJEGFlin). 

Camment, étant si belle, peux-tu parler avec si peu de 
sens? Que me font à moi les fqi'faits d autrui? Alors mQm<^ 
que d une même épée dix fils eussent frappé leurs pères, je 
m'en saisirais encore, pourvu qu'elle fût de bonne trempe; 
ne sais-je pas que je ne tuerai pas mon père ? 

•EUGEL* 

Je sais y est parole téméraire lorsqu'il s*agit des choses 
futures* 

CHUIEMHILD, 

Il y a autre chose encore ici : ce trésor est une oeuvre 
païenne, une œuvre de magie et de ténèbres; or,, nous sommes 
chrétiens. Tu l'es ? 

SIEGFRID. 

Je suis chrétien; mais je ne renoncerai pas à ce que j'ai 
loyalement conquis. 

CHEIEMHXLD. 

n me semble voir la mort endormie sur le trésor; vou- 
drais-tu l'éveiller ? 

SIEGFRID. 

Je le veux, et fât-ce le diable lui-même, je le rév^erals. 

CHRIEMHI1.D. 

Oh^ songe au noble faucon. 

SIEGFRID. 

J'y songe aussi : un noble oiseau ne connaît pas la peur. 
Qu'aurais-je à craindre? Avant de gravir le rocher, une dou- 
zaine de dragons ..•• 

EUGEL. 

C'étaient les serviteurs de Fafiier. 

SIEGFRID. 

Que m'importe! J'ai mis le feu à leur aire, et je les ai 
brûlés ; puis frottant mon corps avec la corne fondue de leur 
peau, je l'ai rendu invulnérable. 



3ao LE TRÉSOR 

EUGBL. 

Mais nn endroit est demeuré accessible au fer, parce que 
ta main n'a pu y atteindre : tu le reconnaîtras à sa couleur. 

SIBGFRID. 

Où est-il? 

EUGEL* 

Sur le dos. 

SIEGFRID. 

Soit : là du moins jamais ennemi ne me frappera. 

CHRIEMHILD. 

Crains la trahison ! 

SIEGFRID. 

Sois tranquille, jeune fille! Je veux avoir le trésor : toi^ 
ma reine , tu effaceras toutes les reines qui ont jamais brillé 
sur un balcon. 

CHRTEBIHILD. 

Que tu es bon, seigneur. 

SIEGFRID. 

Or çà, Eugel, à l'œuvre! Pour transporter le trésor à 
Worms, me faut-il des mules ou des chevaux? 

EUGEL. 

n t'en faudra bien cent, nd>le guerrier! Ta parole id est 
toute -puissante, (^u moment ou Eugel se dispose à se 
retirer y on entend à droite des voix.) 

PREUIÈRB VOIX. 

Cette forêt ne finira donc jamais I 

SECONDE VOIX. 

J'aperçois des hommes. 

GHRIEMHILD. 

Ah, c'est la voix de mon frère! mon frère, mon frère! 



DES NIBBLUNGEXr* 33 X 

QUATRIÈME SCÈNE. 

{uirriîfent Gùnther^ Hagen et Volker ai^ec leur suite* 
Chriemhild se précipite dans les bras àe Gùnther.) 

GUKTHER. 

Ah, douce OiriembSld , ma chère sœur! Enfin je t'ai 
trouvée, toi que, depub des années, j'ai cherchée avec ces 
nobles chevaliers, à travers les forêts et les montagnes, et 
je te retrpuve sans peine et sans combat. 

GHEIEMHILB. 

Oh non, cher frère, ce n'est pas sans combat {montrant 
SHegfrid) : c'est ce vaillant guerrier qui m'a reconquise sur 
le dragon. 

ciiSTHER. 

Merci, jeune guerrier! Apprends-moi comment on te 
liomme et de .qui tu es fils. 

SIEGFRin. . 

Je m'appelle Siegfrid ; le roi Sigismond des Pays-Bas est 

mon père. 

ciisTHER {lui prenant la main)* 

Merci encore une fois, seigneur Siegfrid des Pays-Bas! 

Si tu savais combien j'aime ma sœur unique, tu sentirais 

combien est grande ma reconnaissance. 

VOLKER (donnant la main à Siegfrid). 
Reçois aussi mes remercimens, seigneur Siegfrid. 

HÀGEM. 

Et les miens. 

SIECFRID. 

C'en est assez, seigneurs. Il ny a pas grand mérite à ce 
que j'ai fait. N'est-ce pas pour chercher des exploits que je 
cours de pays en pays? Près du foyer domestique tout est 
paisible, et l'ennui m'a gagné. Je vins à passer par ici, je 
trouvai géant et dragon, et n'ayant rien à faire, je les tuai. 

TOME II* ai 



Sa a LE TRÉSOK 

Toutefois, ô roi, si tu veux sérieusement me prouver ta 
reconnaissance, donne-moi pour épousé ta sœur que jai 
délivrée du dragon. 

BÀGEN. 

Ah, une fille de roi de Bourgogne, c'est un beau prix! 

SIBGFRID. 

Ne lai^je pas gagné? Que n es-tu vctu toi**méme tuer le 
monstre ? 

HA6E9. 

Je l'eusse fait, si la fortune ne t'avait le premier conduit ici. 

SIEGFi^lD^ 

Je le crois voloatiers* Tu me parais une bonne lame; mais, 
tu es trop fier pour moi. Que le roi prononce 1 

VOLKER. 

Le prix est grand ; mais grand aussi est le service. D'ail- 
leurs le seigneur Siegfrid est issu de sang toyal, et déjà 
plus d'un pays connaît son nom. 

GÎurrHER. 
Ce n'est ici ni le lieu, ni le moment de' conclure une 
affaire. Nous y songerons à Worms, dans notre château fort, 
si auparavant tu veux me rendre un ser>'ice. 

SIEGFRID. 

Je le veux bien ; dis-moi comment. 

GÎbîTHER. 

Maintenant que ma sœur est rendue à là liberté, je veux 
exécuter un dessein que depuis long-temps j'ai médité : je 
veux diriger ma course vers Isenland. Là réside uue reine 
opidente, nommée Brunhild, aussi belle que courageuse: 
c'est elle que je veux épouser. Accompagne -moi : il faut 
traverser la mer, et ceux des Pays-Bas passent pour là con- 
naître. 

SIEGFRID. 

Je te suivrai volontiers, et j'ai quelque connaissance de la meu 



DES XliBELXINGEK. 3a3 

« ■ 

'SUG'El* 

Quoî'j tu veui époUser Bmnhild, roî Giinther? Sais-tu 
aussi à quel prix il te faudca la gagner? 

GÎbïTHER. • 

Je dois la vaincre en trois colnbats : au jet de la lance ^ 
au jet dcf Ik pierre et au tir de là flèche. ' 

ETJGEL* 

Et si tu es vaincu, fl faudra rnoiinr. 

Mais si la victoire me favoriâej'ïà notle vierge et son 
royaume seront à moi. « . ^ i 

,.1^1. iest le» derttn Vjiik^niimrioé sue elle sa mère, par la 
fotce .ritnique et de» paiolcsidnagiques, de peur que son or«- 
gueil et 9d;fièi*e indépeodanjBe., ^eUe a hérités jde son pète, 
et que seconde une force prpdigiç\ise, ne livrent sa beauté 
à une vieillesse stjérile. Toi, Giinth^, tu ne la vaipcr^s point. 

Que sais-tu, toi? 

E0CEL. 

Je sais bien des choses qui vous sotit cachées. Le charme 
ne peut être vaincu que par le charme. 

ssEQFKiD* (parlant bas à Gûntker)» 
. Si tu. feux suivre m&a conseil, tu épouseras Brunhild, 
et tu me danneras ta sœur. 

GiufTHER (lui tendant ta main)» 
Je te raccorde. 

EOOEL (aux deux princes). 
Rois, songez bien à ce que vous allez faire. Le trompeur 
se trompe ordinairement lui-même. 

siEGFRiD (à Gûntker)» 
La chose est convenue». Maintenant partons sans retard» 
Renvoie ta sœur à Wonps. 



324 LE TEÉBOK 

Gu»TBEii (à Folker). 
Je te charge de ce soin^ noble ménestrel. 

yOLKER. 

Je l'accepte avec joie. 

SIEGFRIB. 

* * * 

Cependant, Eugel, dépêchertoî! Prépare ie lârésot, afin 
çfxoTL puisse en même temps le transporter à Worms. {A 
Gùnther.) Tai acquis ici de gran^e^, richesseSé 

EUGEL* 

Et mon avertissemesit • • • • 

SIEGFRin. . 

A une autre fois. Apporte^moî vite le chaperon magi^e. 
Allons, partons pour Isenland! {Â f^olker.) 'Toi^ brave 
.chevalier, je te Recommande k trésot et la jenne fille, {a 
Çbriembild^) Toi, ch^e amie, pdiserafs^-luà^moi? * ^ 

CBRTEMHILD. 

Mon corps sera ici, mon amè auprès de toi. 
(Tous partent^ excepté JSugel et les nains,) 



CINQUIÈME SCÈNE. 

iBCGtà. (à un' nain). 

Toi, tu vas lui apporter le diaperon, comme il la or- 
dopné. (^ d'autres.) Yotis, tous renfermerez bien YÎtfe notre 
trésor dans des sacs et des coffres. (Jl d'autres^ Et vous, 
vous mettrez le frein d'or aux sauvages coursiers de ces fo- 
rêts : ils obéiront à votre volonté. (^Les noms se retirent 
chacun à son oui^rage.) 

Pour la joie de l'homme les dieux font croître, dans le 
sein ténébreux de la terre, la racine magique, l'or briUant; 
et pour la joie de l'homme les dieux font fleurir , à la vue 
du soleil, la beauté de la femme, cette fleur vivante. Mais 
l'homme, n'aimant cjue soi, esclave de ses passions, confond 



DES KIBELUHGEir. 335 

et rend valniïs la boDté et la sagesse des dieur; et dé la ra- 
cine brillante et de la plus belle des fleurs naissent la trahi* 
son^ la désolation, le meurtre sanglant. {Les nains sont oc» 
cupés au fond à porter des paquets,) 
* Ils ont choisi, ces rois si fiers. Est-ce pour leur salut ou 
pour lear ruine? C'est ce cpie leur fera voir le temps, qui 
dévoile tout. Pour moi^ il ne m était pas permis de lever 
le voile de leur destin. Les dieux veulent cpie la volonté de 
lliomme soit libre ^ il ne doit recueillir que ce qu'il a semé, 
ne porter d autre fardeau que celui qu'il s'impose lui-même, 
afin que jamais il ne puisse avec justice accuser les dieux, 
et qu'il ne succombe que sous le poids de ses propres actions. 

(// se retire.) 

"ï '■■■ ■■ 

PREMIER ACTE. - 

(Ia •cènç est h côte.dltenUnd; au fond la m«r.) 

PREMIÈRE SCÈNE. 

{Au moment où la toile se lève y on voit aborder un natdre. 
Les voiles sont couleur de pourpre; un patàllon blanc 
flotte sur le vaisseau. Siegfrid est placé au gouvernail; 
rétjiuipage occupe le pont.) 

SIEGFRID. 

». I 
Halloh, halloh! Déjà le sable du rivage baise la carène du 

vaisseau; voici Isenlandl 

. LiQUIPAGE* 

Halloh, haUoh! 

SIEGFRID {sautant à terre). 
Compagnons, à l'œuvre! Les échelles deho^, afin que 
nous délivrions de leur dur berceau le roi et ses chevaliers. 
{Guntkery Hagen^ Dankwartj Ortwin et leur suite sortent 
successivement du navire.) Oui, c'est un berceau bien dur et 
bien incommode, surtout lorsque c'est la tempîète qui chante 



3a8 LE TRiSOR 

SECONDÉ SCÈNE. 
(^Les précedens» Le maréchal de Brunfuld at^ec sa suite.) 

LE MARÉCHAL. 

Étrangers, ma maîtresse, Bnmhild, la puissante reine de 
ce pays, m'enroie auprès de vous; du haut de la tour eUe a 
vu votre navire, et vous demande qui vous êtes, d'où vous 
venez, et ce qui vous amène. La voile de pourpre annonce 
un roi, le pavillon blanc, des vues pacifiques. 

GÎilfTHER. 

Je mappeUe Gijnther, roi des Bourguignons établis sur 
les bords du Rhin, et ces hommes sont mes serviteurs.^ Ce 
qui m'amène ici est d'une nature si douce et si amicale, que 
le printemps lui-même n'a pas de meilleure intention lors- 
qu'il vient descendre sur la terre; mais je ne puis m'en 
expliquer qu'avec la reine elle-même , et c'est pour cela que 
je désire de recevoir d'elle l'hospitalité. 

LE MARÉCHAL 

Il suffit pour cela de venir à elle avec des vues pacifiques. 
Je te prie donc, noble roi, de me suivre. 

SIEGFRID. 

Moi, je reste ici pour garder les vaisseaux. (// prend 
(jùnther à part et lui dit) : Va, je te suis invisible. On ne 
doit pas me voir au château avant le combat; mais lorsque, 
au moment de la lutte, une main amie pressera la tienne, 
tu sauras que c'est celle de Siegfirid. Aie bon courage! Le 
prix t'appartiendra : je suis fort et invulnérable, et je 3erai à 
tes côtés pour te donner la victoire. 

GÎiiiTHER (au n^réchal)n 
Montre-moi le chemin, je te suis. 

siEGFRp (demeure seulj et tirant le chaperon magique 

de son sein)^ 
Viens, chaperon merveilleux ,' toi qui me soustrais à tous 
les regards , je t'éprouverai aujourd'hui pour la première fois 



et pour un service important. On pourrait t*empioytr à de 
mauvais usages, se glisser, grâce à toi, dans maint trésor, 
et nuitamment dans mainte cbambrette, épier par toi les 
secrètes entreprises des hommes et leurs rêves à haute voix, 
et en les révélant dianger Tamitié en inimitié, Tamour en 
haine; mais tu n auras jamais à tmdigner des services que 
tu me rendras» Aujourd'hui il s agit d*aUer en aide à mon ami, 
et de dompter une femme qui se refuse à aimer. Car ditea* 
moi, à quoi sert au monde une femme qui naime pasP Ar- 
rachez cette mauvaise herbe! Telle nest pas Chriemhild. 
Telle qu'une fleur s'ouvre aux rayons du soleil, ainsi s'ouvrit 
son cœur, alors que je l'eus conquise sur le dragon, et que 
je lui dis du fond de mon cceur : je t'aime. A l'heure qu'il 
est elle se tient solitaire sur le balcon , en proie à la plus 
vive peine, et portant ses regards vers le nord, elle dit : là 
sous ces nuages il songe à moi, et cet oiseau peut-être, dirige 
son vol vers lui. Puis elle regarde la girouette, et examine de 
quel côté souffle le vent, s'il est favorable, et elle aimerait 
mieux entendre rugir im lion que le cri de la girouette tour- 
mentée par le vent. Oh, quel être délicieux qu'une femme 
pareille! — Maintenant approchons du château, afin de ne 
pas manquer à l'heure du combat. — (S'adressant à l'é^/ui^ 
page.) Quant à vous, faites bonne garde, sans quoi cette nuit 
même vous pourriez bien servir de souper à quelque baleine* 
(// s'en va^) 

TROISIÈME SCÈNE. 

(Changement de d^oration. La scène repr^ente une taUe du chlteam de 
Bnuiliild ; on voit un tr6ne but la droite , det (tnètteê tar la faaclie.) 

{SirUh^ accompagnée de plusieurs femmes ^ et le maréchal 

viennent de la droite») 

aniTB. 
Je dm reoevoir ki les guerriers étrangers; ainsi rofdoDoe 
ma nudtieHe; die ne veut pas voir le roi avant d'être asiurét 



330 I.E TRÉSOR 

qu'il vient en effet avec des ^ntimens doux et inoffensifs 
comme le printemps. Fais-les donc entrer^ inarédial^ afin que 
nous sondions leurs intentions. {Le maréchal sort.) Notre maî- 
tresse soupçonne que ce prince vient ici, comme tant d*autres 
avant lui, pour élever sur elle d'odieuses prétentions. 

UKE FEMME. 

t II ignore sans doute les conditions de son entreprise; dès 
qu'il les c(mnaitra , il reculera devant le danger. 

SIAFTH. 

Je n'ose l'espérer; tant d'autres s'en sont-ils laissés effrayer? 

L>A FEBiCME* 

Eh bien, qu'il porte sa tête au-devant de la mort. 

QUATRIÈME SCÈNE. 

(Les précédens. Siriîh se place sur le dernier degré du 

trône; le maréchal rodent y et at^ec lui entrent Gûnther^ 

Hagen^ Dankwart^ Ortwin et plusieurs nobles dUsen- 

land.) 

siRrrer. 

Je vous sakte au nom de ma mattrefôe, l'auguste reine 

dlsenland, la dominatrice des mers. 

cibiTHER. 

Je te remercie de ton salut, femme; mais j'espère le re- 
cevoir de ta maîtresse elle-même. 

SIRITH. 

Elle vous demande par ma bouche, dans quel but vous 
avez abordé dans cet empire. 

ciiSTHER. 

Le bruit de sa beauté, de sa puissance et de sa bravoure 
est venu jusqu'à nous à travers les mers, et plus d'un grand 
roi, digne d'elle, a dit en son cœur : que n est-elle à moil 
Tel est aussi mon vœu, et suivant sa renommée, coouneunç 



DES VIBBLUHGEir* 33l 

ysvaie fille suit le chant du rossignol, j'ai enfin ai>ordé ici^ 
dans Imtention de la mériter et d'en fiiire mon épouse. 

StUITH. 

Voilà donc ce que tu désires? Mais sais-tu aussi •••• 

ciiirrHEit. 
Je le sais ; je dois la vaincre dans trois combats. ' 

SIRITH, 

Et si tu es vaincu toi-même ? 

GÎbiTHER. 

Alors ma tête tombe. 

SIRITH. 

Tu dis vrai : ainsi le veut la loi que ses parens lui ont 
imposée 9 que garantissent les sermens de tous les grands de 
son empire, et quelle a jurée elle-même par Odîn, le père 
de toutes choses , et par le nombre sacré des Ases. Te sou- 
mettras-tu à cette loi , et promets-tu d'engager la foi de tous 
les tiens à ne rien entreprendre pour te sauver si tu succombes ? 

GÎiin^HER. 

Dis-lui que je veux tout ce que veut la loi. 

SIRITH. 

Je p'accepte ta promesse qu après que tu auras vu les 
têtes pâles qui sont tombées pour ayoir osé la même chose 
que toi. 

GiilITHER. 

Quelque soit leur nombre, ma volonté ne sera pas ébranlée* 

SIRITH (à une femme de la suite )• 
Va dire à notre maîtresse ce que tu viens dentendre. (jélux 
nobles.) Et vous, allez tout préparer pour le combat. La 
reine ordonne que la décision soit promptement amenée* (^ 
Gunther.) Tu ne seras point son hôte; car prétendre à sa 
main, c'est vouloir lui ravii* le trône et la liberté; tu lui es 
plus hostSe que ses plus grands ennemis* Si ta succombes, 



^32 LE tRÉSOU 

tu cesseras de vivre; si tu remportes la victoire, tu seras le 
maître du bhâteau , et non plus un hôte. C'est pourquoi , prince, 
prépare-toi au combat; prépare-toi à la mort que tu cherches. 

HAGEir (bas à G'ùnther)* 
Mon roi, écoute-moi! J'espérais qu'au défaut de la vic- 
toire, nos épées pourraient te sauver. Si un serment doit les 
enchaîner, je te supplie, seigneur^ de renoncer à ton entreprise. 

GUNT&ER. 

Je ne le puis^ suivez- moi dans la lice. (Il sort at^ec sa suite.) 

CINQUIÈME SCÈNE. 

(Sirith et ses compagnes.) 

smiTH. 
Venez: du haut de ce balcon nous contemplerons le com- 
bat, comme nous avons fait souvent, et nous serons témoins 
encore de la victoire de notre reine. 

UNE FEMME. 

Puissent les grands dieux la lui' donner! 

SIErCH. 

Espérons en eux. Malheur à nous, s'il en arrivait autre- 
ment! Si cet homme l'emportait, nous serions obligées de 
suivre la reine dans de lointains pays,* et quand même ces 
pays seraient dix fois plus beaux que le nôtre, ils ne nous 
tiendraient jamais lieu de la patrie ; c'est ce que disent tous 
ceux qui sont revenus de l'étranger. (Elles se placent à une 
fenêtre sur la gauche.) 

UNE FEMME (après une pause). 
Voyez donc : notre maîtresse pèse le roc puissant. 

SIRITH. 

Elle le lance. Comme il siffle à travers les airs! le void 
qui tombe: ah, quel jet! 

UNE FEMME. 

C'est au roi maintenant. 



i>ES siBSLVKaEir. 333 

SIUITH. 

Malbeurl La pierre qu'il lance vole avec plu3 de vitesse^ 
et plus loin aussi, beaucoup plus loin« O dieux! Abandon-» 
neriez-YOus la reine aujourdliui? 

VUE FEMME. 

' Elle smsit Tare, 

SIIOTB. 

Ah! A elle la victoire cette fois; car cet ex^ercice ne de- 
mande pas de la force seulement, mais encore de l'adresse; 
et nul dans cet art ne l'égale. Elle a frappé le but. 

wz femAe (après un instani). 
Le roi aussi. 

SXRITH. 

Qui l'a atteint de plus près? Peux-tu le voir? 

LA femme. 
Je ne le puis ; la reine paraît irritée. 

SIAITH. 

Oh, si elle est. fâchée, elle. est vaincue. Ah, la plus vivç 
inquiétude s'empare de mon cœur : maintenant va se livrer 
le combat le plus périlleux; le sang peut couler. 

tnNE FEMME. 

La reine lait vibrer la lance. 

siAiTB (atfec joie). 
Le roi chancelle! Son bouclier partit brisé par la lance. 

LÀ FEMME. 

Oui, mais sa lance est partie. 

siRiTH {jetant un cri). 
La reine tombé ! ÇElle quitte la fenêtre.) Elle est blessée 
mortellement; courons à elle. 

LA FEMME. 

Non ! elle se relève. — Elle quitte la licç. 



334 ^^ TRÉSOR 

amiTH'. 
EUe est vaincue ; horrible pensée! Il ne nous reste pluà 
qu'un seul espoir. ' 

SIXIÈME SCÈNE. 
{Brunhild en armes entre violemment agitée* Les ptécédens.) 

BRtJNBILD. 

Ârrachez*ihoi les armes! je suis Vaincue. De si honorables 
omemens ne doivent plus couvrir la honte d'un corps à qui 
la force a manqué pour la victoire. Le guerrier vaincu désho- 
nore les armes quil porte. Ârrachez-moi les armes! Je me 
suis laissée vaincre. (Les femmes se mettent à la désarmer^ 
Vaincue! Et avec la gloire des armes ^ j'ai perdu la pure 
gloire de la virginité, la grandeur d'une leiQe libre et l'amour 
de la vie. Car ne faut-il pas maintenant que je devienne, la 
femme d'un homme ? Je ne monterai plus sur le coursier de 
mer ; je ne combattrai plus sur les champs d'azur. Mère cruelle! 
Pour l'expiation de quel crime m'as-tu tissu cette sombre 
destinée? Où cadier ma'hontè? Où est le lieu impénétrable 
à l'air, à la lumière, au moindte son? (Elle est désarmée^ 
et paraît vêtue de blanc ^ sous la poitrine une ceinture de 
pourpre avec . des caractères runUfues en argent.) 

sniiTB. 
Tu n es pas vaincue encore : ta poitrine n'est-elle pas ceinte 
encore de la ceinture magique. 



fiRUSIBILD. 



Oui, ce seul bien m'est resté; c'est un don que me laiç^a 
mon père, et dont la vertu a résisté à l'art funeste de ma 
mère. Je suis encore Brunhild. Faites entrer les étrangers. 
Je veux parler au roi du Rhin. Ce que j'ai à lui dire, le fêta 
peut-être renoncer à un dessein qui n'est exécuté qu'à demi* 
(Elle monte sur son trône.) 



DES NIBBLUlîaEN. â3& 

SEPTIÈME SCÈNE. 
(^Les précédens. Gûnther^ Siegfrid^ ffagen.) 

GUlITBfiR. 

Tu nous a maudés ici y reine» 

BRtifHiLD (montrant Siegfrid). 
Quel est ce noble guerrier que je n*ai pas vu encore? 

SIEGFRID. 

4 

J'étdiis resté au bord de la mer pour garder les vaisseaux* 

GÙUTHER. 

C'est le fils du roi des Pays-Bas ) il épousera ma sœur 
Cbriemhild. 

BRUNHILD* 

Roi du Rhin, écoute-moi! Tu m'as vaincue dans trois 
combats : ma lance n'a fait que percer ton bouclier ; la tienne 
m'a renversée; ta pierre a dépassé la mienne de dix toises; 
ta flèche a frappé au but à travers la mienne. Après cela mon 
destin veut, si tu l'exiges, que je sois ton épouse; mais si tu 
m'en crpijs, tu ne l'exigeras point* Cette renonciation nous 
sera utile à tous deux. 

GÎmTHER. 

C'est pour te conquérir que j'ai traversé de vastes contrées 
et que j'ai bravé les fureurs de la mer; comment, près du 
but, renoncerais-je à jnon entreprise? 

BRUNHILD* 

Tu y renonceras, si tu es sage. Les dieux m'ont donné 
les formes d'une femme; mais un cœur d'honune bat dans ma 
poitrine, ma tête ne conçoit que de mâles pensées. J'ai en 
horreur tous les travaux que la force brutale a imposés aux 
femmes. Je ne veux pas tisser , semblable à la hideuse araignée \ 
je ne veux pas amasser des provisions, pareille au bourdon 
grossier ; ni maintenir l'ordre parmi des servantes, comme le 



336 LE Tai^soR 

• 

chien le fait dans le vil troupeau confié à sa garde. Je n'ai 
pas appris à obéir ; je ne sais que commander. Tout ce que 
je connais de l'amour, c'est qu'il fait de l'épouse l'esdave 
d'un maître. Je ne pourrais nourrir et garder des enfans; des 
êtres si frêles se briseraient.entre mes mains habituées àl'épée 
et à la lance. Quel bonheur peux-*tu attendre d'une pareille 
femme? Vas en chercher une autre qui, libre par sa faiblesse, 
te suive librement. Tu as vaincu dais une lutte qui a été 
funeste à maints nobles guerriers ; contente-foi de cette gloire 
et n'aspire pas au prix du combat. 

GiÎNTHER. 

Tu as dit des paroles bien dures, noble vierge; mais ta 
les as prononcées d'une bouche bien gracieuse , et la beauté 
de ta bouche attire Tesprit si fort dans les yeux, que l'oreille, 
abandonnée par lui, n'entend que des sons et point de pa- 
roles. C'est ainsi que ton discours ne m'a pas persuadé. L'hon- 
neur peut nous suffire dans les tournois; mais lorsqu'il y va 
de la vie dans le combat, alors le prix en est le but, et Fin- 
sensé seul y renonce. 

SlECrFïtlD. 

Et si l'on cherchait de la gloire, ce serait chose étrange que 
de croire l'avoir trouvée dans un combat avec nùe jeune fille. 

ciuiTBER. 

Bien que l'état d'épouse, noble reine, te soit odieux main- 
tenant, il ne le sera pas toujours. Amante passionnée de la 
liberté, tu as horreur d'un lien qu'un jour, quand tu le con- 
naîtras, tu porteras avec plaisir. Ainsi que le jardinier ente 
un noble rameau sur un tronc sauvage , ainsi la main de l'a- 
mour mêle à la nature la sociabilité et la bienveillance, et 
ainsi que le sauvage arbrisseau porte ensuite un firuit doux, 
ainsi la nature heureusement changée produit la grâce et la 
vertu. 

BRITNHILD. 

Ke l'espère point, et renonce à ton désir. 



DES HIBELtJirGEir. S37 

GUirrilER. 

» • * * 

Je ne le puis. Le prix est si beau^ que la folie seule pour- 
rait y renoncer. 

BKUNfitLD. 

J y consens donc. Mais il te reste à me vainpre dans un 
dernier combat. Aussitôt que la nuit aura dérobé à la terre 
la lumière du ciel, la chambre nuptiale sera prête. Mais je ne 
te suivrai pas volontairemenf. Il faudra que tu m'y. portes 
d'un bras fort, et dun bras fort je te résisterai* Et tous tes 
efforts seront vains tant que tu ne m'auras point ravi cette 
ceinture^ où réside toute ma force. Si tu ne réussis point avant 
que minuit ait enfanté le jour nouveau, ta tête écboit à la 
mort. (Pause. Gûnther regarde Siegfrid avec hésitation») 

SIEGF]ltD« 

Le seigneur Giinther accepte ce dernier combat* 

GiÎKTBEIl. ' 

Une dernière victoire, je Vespère, consommera mon œutre« 

BEUlfHILD« 

Alors ma force s'évanouira; privée de cette ceinture, je ne 
stds pas plus forte qu'une autre femme; alors ma destinée 
sera accomplie; je t'appartiendrai avec ma couronné, avec 
tous mes biens« {Elle se lève.) Mais le destin ne pourra te 
livrer que mes richesses, mon trône et mon corps; moi, je 
me reste. Ainsi que le roc n est pas ébranlé, parce que des 
mouches se jouent autour de sa tête^ ainsi le cours dés astres 
même ne saurait accabler et faire ployer un libre esprit. Là 
terre peut périr, le soleil pâlir, maiç une ame grande et 
forte ne peut s'abandonner elle-même. {Elle sort avec sa suite.) 

HUITIÈME SCÈNE. 

GÛNTHER, SIEGFRID, HAGEN« 

stEGFAiD {riant)é 
Ce combat-^ sera amusante 



33& . t£ TRÉson 

Toi seul tu peux lui ravir U ceinture \ car la seule force 
humaine ne saurait la vaincre. 

SIEGFRID. 

Grâce à ce chaperon, je te suivrai invisible, et ainsi cpie 
pour toi j'ai lancé la pierre, tiré de Tare 



•• • • 



Quoi, c'est lui? 

ciurrHEB. 
Oui, sans doute : rendu invisible par ce chaperon, il se 
tenait ^ ipes côtés. 

SIEGFRID. 

De la même manière je ravirai la ceinture pour toi, si tu 
ne réussis pas à te rendre maître de ta sauvage fiancée. T 
consens-tu? 

U le faut bien , et tu sais quelle sera ta récompensée 

SIEGFRID. 

Cette récoàipense est l'objet de tous mes vœux ; mais je 
te rendrais ce service même sans cela, pour le seul passe- 
temps qu il me promet. Cependant la journée sera longue 
encore jusqu'au soir; je sors pour chercher à m'occuper en 
attendant. 

GUNTHER. 

N'oublie pas que tu m'as promis de garder le secret. 

SIEGFRID. 

Je te le promets uiie seconde fois. 

GlllfTHER. 

Mais tu viens de manquer à ta promesse. 

SIEGFRID. 

je n'y ai point manqué. Cet hoiiunj& n'est-il pas à toi ? (Il 
sorU) 



DESHIBBLUKGEIT. 3^9 

GÛiiTBEa («t Hagen*) 
Toiï regard est sombre. Tout cela te déplaît? 

Je la vouerai'^ ce que |e viens d'entendre est loin d'avoir 
mon approbation. Qu'il ait eombattu pour toi^ on peut le 
souffrir : c'est un champion que tu as pris et que tu paieSb 
Mais qu'il doive maintenant t'à(icompagner jusque dans le 
sanctuaire de là éhambifè nuptiale, où la cbasteté trôuVe trop 
claire la tiuit la plttâ obâeure, et la rend plus obscure elicore^ 
afin de se dérober aux regards de son vainqueur; qu'il doive 
toucher le corps de la femme que tu as choisie pour là cdm-^ 
pagne de ton lit et die ton trône ^ pour la mère des roiè 
futurs de la Bourgogne, cela me parait malséant^ un crime 
énorme. 

cû^nmER. 

L'oeuvre restera-t-elle inachevée ? Répudierai-^je ce beau 
royaume, maintenant qu'il m'est à moitié acquis? N'est-ce 
pas le devoir d'un roi d'ajouter à sa puissance, afin de de* 
meurer plus ferme àu milieu des orages de la guerre? 

" ■ HAé-BK. 

Tel est en «fièt le devt)îr d'un roi; mais qui paie trop 
cher un bien nouveau, loin d'ajouter à sa fortune, y porte 
atteinte. O mon roi, je ne puis nfe défendre d'un pressenti- 
ment funeste : je crains que ce né soit pas pour le bonheur 
des Bourguignons que tu introduis cette femme païenne dans 
ton château. 

ciJNTHER. 

Est-ce parce quelle est encore païenne que tu la crains? 
Je la convertirai à notre foi* , . 

C'est dès le pritHempj qu'il faut soigner la vigne, 'si elle 
doit vous donner des fruits en cratonlne. Le cœur de Isi reine 
^t un sol pierreu&i et sans culture : ce n'est pas là une terre 



340 LE TRÉSOR 

pour la douce semence de notre foi. Ce royaume serait dix 
fois plus puissant, que je n'en voudrais pas avec cette reine. 

GlilITHER» 

Tu t'es laissé efiSrayer par ses discours ; ce n'étaient que 
de vaines paroles imaginées pour nous détourner de notre 
dessein. 

HÀGEIf. 

Je ne le pense pas. Elle n a dit que la vérité : tant d'or- 
gueil ne descend jamais à la feinte. Si janiais elle apprenait 
comment on l'a trompée, si jamais cette funeste lumière venait 
frapper son esprit et exciter tout ce que son cœur farouche 
enferme d'orgueil et de passion.... O roi, songe; à la paix de 
ta maison 1 Une armée ennemie assiégeant ta demeure royale, 
lui apporterait moins de dangers que la haine dans ses murs. 
La porte de chêne brave la fureur de la tempête, maiâ fin- 
cessante morsure du ver la détruit. 

GÎilfTflBR. 

Siegfrid a promis d'être discret. 

HAGElî. 

O seigneur, compte, si tu veux, sur la constance du vent 
et sur le calme de l'océan, mais jamais sur la discrétion des 
hommes. 

GllNTHER. 

Pourquoi parler ainsi, ma fidèle épée! Je ne pourrais donc 
pas non plus me reposer sur la tienne? 

HAGEZI. 

Je veux parler de la discrétion de celui qui aime encore 
autre chose que toi sur la terre. Moi, seigneur, je suis tout à 
toi : ma fidélité est mon seul amour dans ce monde; llien- 
neur même, qui est ordinairement le souverain du guerrier, 
n'est en moi que le serviteur de la fidâité. Tu le sais , et 
c'est pour cela que je te conjure d'éooutetJe conseil de ma 
fidélité, et de renoncer à cette ceuvre de péril et d'imposture. 



DES HIBELUHGEir. ^41 

GÎÎBTHER. 

Je ne puis détourner mon cœur de ce dessein. Brunhild 
est belle et sa couronne riche. 

HÀGEN* 

Choisis avec liberté; tel est ton droit. Le devoir du ser- 
viteur fidèle est de voir et de conseiller ce qui peut être 
utile à son maître; et ensuite, quoi qu'il arrive, de le servir 
fidèlement. 

GUBTBER. . 

Je sais que je puis compter sur *toi. Ta foi est inébranlable 
comme le roc. 

HAGEH. 

Si le sort nous appelle au combat, je ne céderai qu'à la 
mort 

(La snite an procliain numéro.) 




hi9<t$\{is ajîitmm'^is. 



n. 

(^Premier article,) 



LES FONDATIONS DE BIENFAISANCE 
DAUG1JST£-BERMAI«N FRANKE. 

Halle estuneriUe de la Saxe prussienne j dune population 
de 3o à 2 5jOc^ amesj bien sale, bien noire, mal pavée, 
très-peu régulière, une de ces vieilles villes, enfin, comme 
il y en plusieurs encore en Allemagne ; seulement avec cet 
aspect de vieillesse, elle' est loin de présenter ce caractère 
d'antiquité qui charme le voyageur en Fenkvant un moment 
au présent pour le reporter dans le passé. Lorsque vous y 
entrez, vous êtes désagréablement surpris à la vue de, ces 
maisons noires qui vous apparaissent comme de longs crêpes 
suspendus dans les airs. La place publique, située au miL'eu 
de la ville, ressemble à ces aires où dans les grandes forets 
on a fait du charbon. L'atmosphère y est nébuleuse, chargée 
àé vapeurs, de brouillards mêlés de fumée; car comme le 
pays manque de bois, ce combustible y est remplacé par la 
tourbe, qui exhale une odeur quelquefois incommode. Toute- 
fois ce serait avoir grand tort que de s'arrêter à ces premières 
impressions, que de condamner cette ville en y entrant, et 
de passer outre sans vouloir y séjourner au moins quelques 
jours; car Halle possède dans ses inurs un établissement qui 



mérite Fattendon^ je dirai plus, les respects 4la voyageuré Si 
l'on est à Halle ^ que Ton n'oublie pas de le visiter; si Tan ny 
est pas, qu'on y accoure tout exprès pour voir le monn-^ 
ment élevé pat lactive et inépuisable bienfaisance dun sent 
honune: car ce quelle a de plus remarquable, ce nest ni 
son université^ ni ses salines, ni sa soôiété archéologique et 
son musée danti(|uités saxodnes et thtiringiennes 1, ce sont les 
institutions charitables créées par Âuguste^Hermann Franke, 
qui y fut autrefois prédicateur et professeur de théologie. ^ 

Sous le nom général dejbndations de Frànke (Frankesche 
Stijiungen) , <m comprend ks divers établissemens qui lui 
doivent leur existence, et dont nous alklns faite une descrip- 
tion rapide* 

Pour exécuter le plan que le fondateur s'était proposé, il 
fallait non-seulement de grandes ressources, mais encore un 
terrain assez considérable. La bienfaisance pubUque, à laqndle 
Franke fit plusieurs appels, et plus encore son infatigable ac- 
tivité, proctirèrent l'un et Fautive, et bientôt on vit. s'élever 
successivement les bâtimens qui composent cet admirable 
ensemble, et trente ans après il était à peu près tel qu on peut 
le voir aujourd'hui. 

Le grand édifice qui regarde laplace à laqudle Franke a 
donné son nom {Frankenr*Platz)j contient au rez-de-chaussée 
Fimprimerie ; au premier étage on trouve à gauche la phar- 
macie^- à. droite la librairie; le second et le troisième sont 
occupés par les classes de Y école principale latine {die lor- 

1 Cette sociétë, dont le but spécial est de réunir et d'étudier les an- 
tiquités de la Saxe et de la THuringe, possède un musée qui renferme 
ua aMes grand mombre de morceaux curieax trouvés d4ns d'anciens tom< 
beaux et dans des fouilles entreprises par des sociétaires ou des amis de 
4a science archéologique. Parmi ses membres nous citerons un de nos 
compatriotes , M» Ph. de Golbéty , conseiller k la cottr réyale de Colmar. 
-— Le secrétaire 4e cette soeiété, c*est>à*dire celui à qui est confiée l'ins' 
pection du musée et de sa collection de médailles , est anijoard'hui le D/ 
Fœrstemann. 

2 II naquit U iZ Mars l663 ^ et luottriit le 8 Juin 1727. 



344 HALL^ 

teiniscke Hauptsehule), En entrant dans la Cour, vous avez 
à droite le réfectoire commun, au*-dessus duquel est un grand 
auditoire destiné aux exercices religieux ; à côté sont les loge- 
mens des administrateurs , puis l'institut biblique fondé par 
Gmstein , la bibliothèque et enfin la comptabilité, la caisse 
et les archives. A gauche se trouve la maison des orphelins 
avec les classes de la Bûrgerschule et de X école libre ^ puis 
la maison des orphelines et Vécole des filles. Vient ensuite un 
long bâtiment qui se divise en six parties, occupées : la pre- 
mière par la ReaU^chuh^ la seconde par des maîtres et des 
employés, les troisième, quatrième et cinquième par des pen- 
sionnaires, et la sixième encore par des professeurs. Au fond 
est le Pœdagogium royal i, auquel se réunit entre* deux cours 
le bâtiment principal destiné aux élèves ^ et qui en 1 804 fiit 
agrandi d'uii nouveau local d'école. Au midi de la grande 
cour se trouve un6 rue dans laquelle sont tous les. bâtimens 
destinés aux besoins de la maison : la brasserie, la boulan- 
gerie, une petite ferme et les constructions nécessaires à l'ex- 
ploitation de quelques terres voisines, les magasins de la 
librairie et de la société pour la propagation de la Bible, ainsi 
qu'une infirmerie. A côté sont des jardins «t des prairies, où 
les orphelins et les élèves du p<Bdagogium preifnent leurs 
récréations , et dont Tune est consacrée aux exercices gym- 
nastiques. H faut encore y comprendre un verger, ainsi qu'un 
assez grand potager. On désigne le- premier sous le nom de 
Plantage* C'est là que, sous Frédéric II, oh avidt vpulu. faire 
venir des mûriers et élever des vers à soie ; mais ces tenta- 
tives furent si peu avantageuses, que l'on fut bientôt obligé 
de les abandonner. Aujourd'hui une partie de ce terrain est 

i C'est vift-à-vis qu« te trouve la statue en pied de Franke, coulée en 
bronze par Raqch. Cest une heureuse idëe d'avoir reprës^itd le fonda* 
teur de cet asyle ayant à ses cdtës un jeune garçon et une jeune fille. 
Quant à rexécution, si parfaite, si expressive pour ainsi dire qu'elle 
puisse être, elle ne saurait rien ajouter k la renommée que s'est déjà 
acquise M. Raucli^ l'an des plus habiles sculpteurs de rAUemagiie,. 



consacrée, à b culture de plantes médiebales, dont la veutis 
ou même rechange procure à.la maison un asaciz grand reVenu« 

Lorsqu'on réfléchit h ce que *dut coûter un aussi ^^ca^d 
établissement, quelles dépenses il fallut £âuj:e non-seulemeni 
pour sa construction, mais encore pour son entretien; siloQt 
pense qu'il fallut subvenir à tous les frais nécessaires pour le 
soutenir Jusqu'au moment où il pût se passer de secours ^ 
vivre de ses propres ressources, on 4loit croire au premier 
abord que son fondateur possédait d'immenses richesses. Bien 
au contraire, Franke était totalement sans fortune. Ayant un 
jour reçu sept florins ^ pour avoir instruit des enfans de. paih« 
vres, il n'en fallut pas davantage pour lui donner l'assijirançe 
qu'il ne manquerait jamais de rien; et en effet, aussitôt quie 
l'on put: reconnaître la pureté de son zèle et Tinfiitigable a&-* 
limité de sa bienfaisance, les dons affluèient tellement, que 
bientôt il put se livrer à de nouvelles entreprises. Il .était 
même dès ce moment certain de pouvoir réaliser les généreux 
pn^ets qu'il avait conçus. Les premières sommes qu'il reçut 
ne se composaient que de dons volontaires; muis bientôt la 
vente des remèdes secrets (arcana)^ plus connus sous, le nom 
de remèdes de Halle ^ de la maison des orphelins y de.Ricltr^ 
ter^y lui procura d'importans revenus, car le débit surpassa 
toutes les espérances. Les bénéfices que donnait la pharmacie 
par la vente des médicamens ordinaijres entraient aussi dans 
la caisse centrale» 

I^ b'brairie eut des commencemens bien modestes. Le 
premier ouvrage qu'elle fit paraître, lut une petite prédication 
de Franke, sur les dei^oirs yue .nous a$*ons à remplii\ear-' 

i Le mot florin, dont nous nous sommes servi , est impropre, car ii s'ap- 
plique uniquemeiU à l'argent des provinces du midi de l'AUemagne^ maia 
si là on le traduit par Guideti, qui en en la traduction, dans le nord le 
mot sert à exprimer une somme de 16 bons gros (2 fr. 50 c. de notre 
monnaie), ce ^ui en argent saxon est k peu près la valeur du florin de 
YieiiAe (iv^anzig Gulden-Fuss), c'est-à-dire 2 fr. 58 C. yfj. 

2 On leur donna aussi ce nom , parce que le D/ G. F. Richter fut le. 
premier employé à leur préparation. 



34* tf ALLis; 

pefs les ipautr^S) mais elle ne tarda pas à « accroître j et 
bientôt elle devûit avec rhnprimerie un^ source abondante 
àe profits. Non^-senletnent aie édita les œuvres de plusieurs 
écrivains alors renommés^ mais* encore elle publia un nombre 
éonsidérable de livres d'écoles, qui furent avidement redier* 
obés. Cette branche de reveiraé aurait été bien plus impor* 
tâfnte encore^ si les vues philanthropiques qui animèrent tou- 
fowps l^s directeurs, ne leur avaî^t fait une loi de les livrer 
à des priK e^tcessivement modiques. 

Quelques*ttns de ces établi^semens pouvaient, soit en to- 
talité, 4oit en partie, se soutenir par leurs propres ressources* 
Tek étaient lé Padagogium et la pension (die Pensions-- 
jànstali). La rétribution payée par les pensionnaires suffisait 
pour couvrir les dépenses. Les somnfies qui entraient dans la 
caisse, servaieit à subvenir aux frais généraux d'entretien et 
tfadtninistration^ ainsi qtt aux *paiemens des professeurs. Avec 
l'excédant on* acquérait des Inens-fonds. Du temps même 
de 1» Vie du f<Ê«Klatenr, les jardihs qui entourent letablisse- 
tB&ùl faisaient déjà partie de œs acquisitions* En 1733 on 
acheta 1 % Hufen ^ avec la métairie et les bàtimens d'exploi- 
tation; en 1 7 29, le petit bien de Canena, de 1 1 Bufen-, en 
1 737 , ceux de Reidebourg et deBoui^wahl, de 19 Hufen ^ 
é% enfin m 1749, celui de Berga dans la principauté de 
Schwartzbourg, également de 1 ^^ Hufen. En 1827 ils étaient 
affermés pour 8000 tlialer; cette somme n'est plus aujour- 
d-hui que de 7805 tbaler. 

Le& projets que le génie bienfaisant de Franke avait con- , 
ÇU&, rayaient été dès le principe sur le vaste plan qu'il réalisa 
par la suite. Mais comme les ressources et 1^ donn ne vinrent 
que" peu à peu, il crut devoir employer les premiers fonds à 
recueillir des orphelins, et à donner une instruction gratuite 

1 \ie Hufè fait 30 Morgen^ niêsnrë de Magdebûurg , trn Morgen a 180 
HutJien carrés. Le ffuje a donc 5400 Ruthen carrés. Si l'on comptait d'a- 
près la tuesure du Rhin, le Hufe donnerait environ 75 ares, mesure dé- 
cimale française 9 mais il est un pea plus petit. 



HAI.LI* 347 

aux cnfans des pauvres. C est .pourquoi, dans le eommenice* 
mentj et même long-^tempsr après.^ on donnait eneore à ces 
fondations les noms de maison des orphelins (fFai^enhaus) 
et.de Pœdagogiumy bien que ces deux établissemens ne 
&s6ent que deux parties d'un grand tout. 

Le succès qui- avait couroiiné ses premiers efforts redoubla 
BOB ardeur, et peu d'années apràs il avait adievé son ouvrage* 
L'â»t dans lequel se trouvait alors Imstruction publique à 
Halle, était si déplon^le, que méioe des personnes dune 
condition élevée se trouvaient privées de tout moyen de 
s'instruire ; Tabsenoe d'écoles , le peu d'habileté et d'exercice 
du petit nvNaibre de maîtres auxquels était confiée leducation 
de la jeunesse, et par-dessus tout l'affreuse misère à laquelle 
étaient en proie les classes ipféri)3ures : teHes furent Les causes 
qius r«ngagèreQt à fonder un établissement destiné à satbfaii'e 
aux nombreux besoins de l'enseignement, à côté de celui où 
sa bienâtisaitaèe donnait un père aux orphelins çt une ins- 
truction gratuite ^âux enfans des pauvres. Alors l'univeruté 
de Halle était ibndée ; dé son éém sortaient déjà tme foule 
de jeunes docteurs plans de rëlecftde connaissances-, et qui 
étaient pour lui d'utiles aa&iKaires. Mais c'était «peu pour 
Franke; sa prévoyante sollicitude s'étendait aussi sur lave-^ 
nir. C'est pourquoi il voulut que pendant le temps de leur 
noviciat, ceux cfêi se destinaient à Téducation àe la jeunesse 
trouvassent les moyens de s'exercer dans le professorat, et 
que ceux dont les ressources étaient bornées ou insuffisantes 
pussent ou prolonger leur séjour au sein de l'établissement, 
ou le faite servir à leur perfectionnement. C'est par suite de 
ces vues que souvrirent- successivement plusieurs classes, ou 
tous les âges, tous les états même pouvai^t recevoir une ins- 
truction convenable à leur position sociale, et que s'élevèrent 
des séminaires ^ destinés à fornier des maîtres. Avec les dons 

1 On appelle en Allemagne séminairet, Semînarien, SchulleJtrer-Sernîn 
narieti , ce qiiè nous eoteDdx^nr en France par école normale primaire. 



I 

348 HALLE. 

ipn suivirent, on fonda unegrande table grataite, où prenaient 
place non-seulement les professeurs, mais encore ceux iqui se 
rouaient, aux nobles fonctions de renseignement primaire. 
Ensuite vint la librairie, qui, pour répandre et populariser 
l'instruction primaire , publia à de$ prix extrêmement modiques 
un nombre immense de livrés élémentaires. Une pharmacie 
et une infismerie complétèrent œ vaste système, et dès^-lors 
on put dire que le fondateur, n avait rien oublié, rien laissé 
en souffirance; qu il avait pourvu aux besoins. matériels comme 
aux besoins intellectuels. 

Il est donc maintenant bien prouvé que le plan de Franke 
n avait pas été seulement d'ouvrir un asyle pour quelques 
oiphelins et un Pœdagogium; car aux époques les plus flo* 
rissantes, le. premier ne compta jamais plus de i5o garçons 
et 5o filles. S'il n'avait élevé cette maison, uniquement que 
pour y recevoir les infortunés que la mort de leurs pareas 
laissait sans appui, leur nomlnre se serait bientôt .triplé, qua- 
druplé même. Au moment où jl en posait la première pierre, 
il avait déjà l'idée de créer un institut, dont les diverses par- 
ties pussent se réunir pour ne former qu'un seul tout, et avait 
déjà l'espérance de continuer son ceuvre. à proportion de ses 
ressources. S'il a commencé par ouvrir un asyle aux orpli&* 
lins, c'est qu'il regardait comme uu devoir de songer d'abord 
à ceux qui étaient sur la terre sans protection et sans secours. 

On a vuxde quoi se cewposaient ces fondations, npus 
voulons maintenant présenter rapid^Eaentleur bistoire depuis 
leur coaamencement jusqu'à l'époque actuelle. . . 

Aussitôt que la générosité publique eut permis à Franke 
d'achever son œuvre', ,1e zèle avec leqjael une foule de per- 
sonnes subvinrept à ses besoins, et le désintéressement de 
ceUeé qui y étaient employées, l'amenèrent bientôt à un haut 
degré de prospérité; U est du reste vrai de dire que dans 
ces temps-là il était bien plus facile qu'aujourd'hui de faire 
de grandes choses avec de faiblçs ressources. Non-seulement 



BALLE. 349 

tout coûtait la moitié du prix actuel; mais il était possible 
de trouver des professeurs comme Efalers^ qui, bien queTim 
des plus instruits et des plus capables, répondait au roi Fré^ 
deric-Guillaume I/' : Si nous aidons la nourriture et fhahiUe^ 
mentj nous sommes contens. Lon pourrait compter encore 
un certain nombre de personnes ipii se souvienoent du temps 
où les professeurs ne recevaient que 1 2 gros (1 fr. 87 J( c.) 
pour vingt-quatre heures de leçons. Aussi pendant un siècle 
entier put*on se dispenser de demander des secours à l'Etat; 
mais cette époque florissante fut de courte durée, et. dans 
la seconde partie du dernier siècle ^ déjà de grands besoins 
se faisaient sentir. Depuis long^temps ks dons charitables 
avaient presque entièrement cessé, et «n 1 769 ceé établisse- 
mens, comme toutes les fondations pieuses, furent régis par 
la chambre royale des comptes ; ce qui ne contribua pas peu 
à propager l'opinion, erronée du reste, quib étaient soutenus 
par le trésor public, et qu'ils pouvaient dès*lors se passer de 
l'appui des particuliers. 

La construction de bâtimens nouveaux, des réparations 
urgentes, des épizooties, des^ incendies, et surtout la cherté 
des vivres pendant les années 1771 et 1772, épuisèrent tous 
les fonds disponibles. Les comptes annuels, loin de présenter 
comme autrefois un excédant des recettes sur les dépenses^ 
offrirent au contraire un déficit assez considérable. Pour le 
combler, on fut obligé d'aliéner les capitaux en réserve les 
uns après les autres, de mettre des bornes à la bienfaisance . 
de diminuer le nombre des orphelins, et d'adopter pour toutes 
les dépenses le plus rigoureux système d'économie. 

On devait espérer, et même avec assez de vraisemblance, 
que l'Etat, qui avait souvent accordé de riches subventions à 
des fabriques, à des écoles militaires et à une foule d'entré* 
prisés particulières, viendrait au secours d'un pareil établi»^ 
sèment. Sous Frédéric II, les privilèges que son père lui 
avait conférés furent renouvdés et confirmés de la. main même 



^5 a: mii.E4' 

du roi j mais il ne put leiur donner auciin secours, car la 
gueiTe contre la France venait d'époiser toutes les ressources. 
Tout ce qu'il put faire quelque temps après , fut d'accorder 
au PadagQgiunij sur le rapport de son mitlistre des finances, 
M* de Stroensée, né à Halle, une allocation annuelle de 600 
thaler» Mais avec le règne de Frédéric-Guillaume III commença 
une Nouvelle ère» Ce prince en fut le constant protecteur et 
pour ainsi dire le secotid fondateur; car sans les fonds qu'il 
accorda à cet établissement, sans Imtérét dont il l'entoura, il 
est douteux qu'il eût pu se ' maintenir. C est surtout de Tan 
1 799 que l'on peut dater lé commencement de cette nouvelle 
période. La présence dans les conseils du roi du conseiller 
intime de Bejmé , un des andens élèves de Técole latine de la 
maison, ne contribua pas peu à lui faire connaître dune ma-^ 
nière plus spéciale le but, les attributions bienfaisantes et 
l'importance des fondations de Franke, et à attirer sur elles 
toute sa sollicitude et toute sa bienveillance. 

Le 4 Juillet de cette même année le roi vint à Halle et 
examina tout dans le plus grand détail. La visite royale eut 
les plus benreux résultats. Par son ordre, le jour anniver-^ 
saire de sa naissance on donna' une fête splendide aux élèves^ 
et en même temps lés directeurs reçurent un message qui leur 
annonçait que par un décret daté de Charlottenbourg, le 27 
Juillet 1799, le directoire général avait reçu les instructions 
nécessaires pour leur payer!, à. partir du 1.^ Janvier de l'année 
suivante, une allocation annueHe de 4 000 tbaler (1 5,ooo fr.), 
dont un quart devait être employé aux frais du Pœdagogium. 

Ce secours servit à saiisbire pendant quelque temps aux 
dépenses les plu& pressées ; mais comme d'autre part d autres 
ressources vinrent à manquer, que Tune des branches les 
plus impcHTtantes du tevenu habituel, les médicamens secrets, 
trouvaient alors peu de débit, et que plusieurs vieux bâti- 
diens demandaient d'urgentes réparations, on fut obligé de 
s'adresser encore à la générosité du roi. 



Ce prince ne fut pas long^temps à répondre à cet appel» 
Sur le rapport du chancdkr prince de Hardari)ei^, on lui 
accorda presque aussitôt une sonune suffisante pour réparer 
ks anciennes constructions et agrandir le Pmdmgogium. On 
put même avec ce cpii restait adiever de bâtir une maison 
située. à Berlin^ rue dk la Poste, et que son précédent pos* 
sesseur , le baron de Canstein, avait léguée par son testament 
aux fondations de Halle. En inéme temps on fit espérer qu on 
leur appliquerait les fonds qui allaieiit derenir disponibles pair 
la. suppression de Finstitut de Klosterberg près Magdebourg'. 
Ces promesses ne pouvaient venir plus à propos; car avec des 
ressources extrêmement faibles, et souvent tout-à-fait nulles, 
il fallait faire face à des besoins qui croissaient chaque jour* 
Les moyens de subsistance devenaient plus chers, et il était 
impossible de rétr3}uer les maîtres et les employés sur Fan» 
cien pied. Toutes ces causes réunies engagèrent les directeurs 
à porter au roi, eniSoG^ une nouvelle demande de fonds; 

Elle fiit favorablement accueillie, et bientôt après le roi 
écrivit à ses mim'stres, MIML de Massow et d'Angem : « Que les 
fondations de Frapke, qui pendant un siècle entier n'avaient 
reçu de FEtat aucune espèce de subvention, et qui, pendant 
cet espace de temps, lui avaient donné des milliers de bons 
et habiles serviteurs, avaient nourri une multitude dorphe* 
lins, et en avaient fait dutQes et laborieux citoyens, avaient 
les droits les plus incontestables à la bienveillance du gou- 
vernement.^ Et par un ordre émané de son eainnet, et daté 
de Potsdam, le 36 Avril 1806, leur enjoignit de veiller: 
«A ce que non-seulement on satisfit aux besoins présens^ 
Biais encore que pour Favenir on mit les fondations de Halle 
en état de ne plus dépendre des circonstances*^ Aussitôt on 
fit une enquête; les condusions furent, que pour soutenir 
cet établissement dans toutes les parties et couvrir les défi- 
cits existans, fl lalbit tripler FaHocation qui avait été accordée 
jusqu'alors. Ce rajqport fut envoyé an roi et i son 



353 BÀLLEé 

le 5 Aoftt 1806; mais alors commençaient déjà les prépa^ 
ratifs d une nouvelle guerre, et tout ce <{ue put faire le roi, 
lors de sa visite à Halle, fut de promettre aux directeurs de 
leur allouer lés sommes qu ils avaient demandées aussitôt que 
que ks événémens le permettraient. Ce prince ne put rem- 
plir cette promesse qu'après son retodr, le 8 Février 181 6. 
La bataille de léna fit tomber toute cette province sous 
la domination française, et à la paix de Tilsit (la Juillet 
.1807) elle fiit séparée de la Prusse et incorporée au nou^ 
veau royaume de WestphaL'e K Pendant l'occupation , les nou- 
velles autorités respectèrent ces établissemens ; rien ne fut 
diangé à Tancien ordre des choses, seulement on ne put leur 
accorder aucun secours. 

« Pendant le séjour que Inn des directeurs fit à Paris, où il 
avait été amené par ordre de Napoléon , il trouva moyen de 
connaître et d'intéresser, au soutien de Toeuvre de Franke, 
les-minîstres du nouveau royaume. A son retour il reprit 
auprès d'eux à Cassel les négodatiôns qu'il avait entamées à 
Paris* Elles eurent le plus heureux succès; car l'université iîit 

1 D*après l'éilit constitutionnel du l5 Norembre 1807 , article premier ^ 
le nouyeau royaume se composait :, 

1.^ D^s États possédés par la branclie de Brnuswick-Wolfenbûttel ; 
2." De la partie delà Vieille-Marche située sur la rive gauche de l'Elbe} 
3,^ 'De la partie de la province de Magdebourg également située 

sûr la rive gauche de l'Elbe; 
4.^ Du territoire de Halle ; 

5.* Dû pays de Hildesheim, y compris la ville de Coslarj 
6.^ Du pays de Ualbersudt; 
7.** De celui de Hohenstèio; 
8." Du territoire de Quediinbourg ; 
9.^ Db comté de Mansfeld ; 
10.** Du pays de Licbtfeld , y compris Treffurt, Mublbansen et Nord' 

hausen ; 
11.^ Du comté de Stolberg-Wernigerode ; 

19.** Des États de Helsne-Cassel , avec Scbmalkelden et Scbauenboorg ; 
mais avec Texcept^Qn des territoires de Hanau et de Katxenelleu' 
bogen sur-le-Rhin ; 
13.* Des territoires de Gôrvei, Ccettingue et Crûbeabagen, avec les 
2 dépendances de Hohensteia et de Miogerode; 



HALLE. 353 

rétablie y et Ton promit de soutenir et de protéger rétablisse- 
ment à la tête duquel il était placé. On devait faire entrer 
dans le Ludget de Tannée suivante les sommes qu'avait pro- 
mises le gouvernement prussien*. Les allocations furent même 
assez considérables pour combler les déficits et permettre de 
commencer le remboursement des anciennes dettes. Dun 
autre côté l'enseignement ne fut ni limité^ ni restreint^ et 
sous la donunation française^ comme. par le passé , les direc- 
teurs eurent la liberté la plus entière^ et purent administrer 
l'établissement d'après leurs plans et leurs vues^ sans devoir 
rendre aucun compte aux nouvelles autorités. . 

En 1812^ vu les circonstances difficiles où se trouvait le 
nouvel Etat, les paiemens cessèrent. L'appel aux armes des 
gouvememens allemands enleva aux écoles beaucoup de maî- 
tres et d'élèves; pendant l'armistice, l'université fut supprimée 
pour la seconde fois. Sur ces entrefaites fut livrée la bataille 
de Leipzig, et au mois de Novembre cette province était de 
nouveau gouvernée par les autorités prussiennes. 

Pendant l'année suivante , où il fut converti en un lazareth 

14.° De rëvêclié d'Osnalirùck j 

1 5.° De celui de Paderborn ; 

16.^ De Minden et Kaveusberg; 

17.° Du comté de Rittberg-Kaunitz. 
Il faut encore y ajouter les villes hanovriennes de Clœtze, Grohude, , 
etc., qui ne sont point nominativement citées dans l'édit constitutionnel^ 
ainsi que ce qu'on avait promis à la Saxe en dédpmmagement du cercle 
de Kotbus qu'elle avait cédé, notamment Barbj, Gommern et la partie 
saxonne du comté de Mansfeld. Il formait huit départemens; savoir: 

1 .** Département de la Fulda ; 

2,° Département de la Werra ; 

3."* Département du Wés-cr; 

4.^ Département du Harz; 

5.° Département de la Leine ; 

6.° Déparlement de l'Oker; 

7.° Département de la Saale^ 

S."" Département de l'Elbe. 
Sa superficie était de 692 77 milles carrés, et sa population, d'après 
le relevé officiel de 1807 , de 1,946,343 habitans, ou 2812 indiridus par 
mille carré. 

TOME II. 2 3 



354 HALLE. 

destiné à recevoir 3000 blessés,^ et où les ctrconstances où 
Ton se trouvait placé interrompirent jusqu*à la marche ordi- 
naire des études, il fut impossible de venir à son secours; 
mais de riches dons envoyés d'Angleterre suppléèrent à ce 
que ne pouvait faire le gouvernement. 

Le roi se souvint aussi de ses promesses, et adressa de 
Chaumont (2 Mai 1814) aux directeurs un rescrit dans le- 
quel il leur disait que. ne voulant point laisser tomber en 
ruine un institut fondé dans des vues aussi bienfaisantes, il 
donnait au gouvernement militaire de Halberstadt des ordres 
pour lui délivrer de temps en temps les sommes nécessaires 
à ses besoins. Le 8 Février 1 8 1 6 , le roi renouvela la pro- 
messe quil avait faite en 1 806, et lui fit provisoirement sur 
sa cassette un présent de 1 000 ducats. Le 3 1 Mai de Tannée 
suivante on accorda les sommes demandées dans le rapport 
présenté onze ans auparavant. 

Aussitôt que les pays qui avaient fait partie du royaume 
de Westphalie furent rentrés sous la domination prussienne, 
les fondations de Halle ftirent placées sous la directimi du 
gouvernement civil établi pour les provinces entre le Weser 
et FElbe, et à la tête duquel était M. de Klewitz, depuis 
ministre des finances. A sa dissolution il fut remplacé par le 
gouvernement provincial de Mersebourg. Mais comme ces 
étabVssemens, en vertu des privilèges dont ils jouissaient, 
avaient toujours été considérés comme ui^e annexe de Funl- 
versité et comme un institut national, ils devaient ressortir 
immédiatement du ministère de Tinstruction publique et des 
cultes. C'est aussi sous sa direction qu'ils furent placés par 
un décret du 3o Avril 1818.1 

1 Pendant douze ans les fondations de Halle furent placées sons Taii- 
torité immédiate de ce ministre. Depuis trois ans seulement on a établi 
une autorité intermédiaire dont elles ressortent. C'est le conseil proçin- 
cial des écoles {ProçincialSchulcollegium). Ce changement toutefois n'a 
porté aucune atteinte aux privilèges dont jouissaient auparavant les direc- 
teurs. Ils furent même expressément confirmés. Voici en quoi ils con- 
sistent spécialement : 



HALLE 355 

Telle est, en abrégé, l'histoire dés fondations de Franke; 
pour rendre cette esquisse plus complète, nous croyons de- 
voir ajouter quelques mots sur chacune de ses parties en 
particulier. 

I. Là Maison des orphelins. 

Dans des temps plus heureux, et où les revenus étaient 
plus du double de ce qu'ils sont actuellement, elle a eu jusqu a 
200 élèves; lorsque les moyens de subsistance devinrent plus 
chers, il fallut en réduire le nombre. En 1 82 7 elle renfermait 
1 10 enfans, la plupart du sexe masculin. Toutefois aujour- 
d'hui que les anciennes dettes sont payées, les déficits com- 
blés, et que FétabUssement est soutenu par les fonds du trésor 
public, on espère pouvoir l'augmenter et lelever aussi haut 
que par le passé. La maison a un inspecteur général et quatre 
inspecteurs secondaires pour chacune des quatre classes entre 
lesquelles elle se divise. Ceux des élèves qui sont reconnus 
comme les plus capables et montrent le plus de dispositions 
pour l'étude , sont admis^ à continuer les cours ; les autres, 
après avoir reçu une instruction élémentaire, doivent suivre 
une autre vocation; ils passent ordinairement de là dans la 
Real^Schule, Non-seulement tous ceux qui y sont admis y 
sont gratuitement logés, nourris et instruits, mais ils sont 
encore complètement habillés. Lorsque les orphelins qm'ttent 
cette maison pour apprendre un métier ou aller à l'université, 
ils reçoivent encore à leur départ un vêtement neuf : on leur 
donne une redingote, un gilet, un pantalon, deux chemises, 
deux paires de bas, deux mouchoirs. Les élèves les plus dis- 
tingués peuvent en outre obtenir des subventions en argent. 

1.° Lç8 autorités ne peuvent rien changeir à ce qui etiue, soit sous 
le rapport administratif, soit sons celui de renseignement, sans la coopé* 
ration et l'assentiment du directeur. 

2.** Celui-ci a le droit de nommer tous les mattres et employés de 
rétablissement. 

3.^ Lui seul a encore le droit de donner les bourses, les bénéficet^ 
les places gratuites , etc. 



356 HALLE. 

II. Le Padagogium royal. 

Fondé en 1694, cVst'^à-dire en même temps que la maison 
des orphelins ^ il a depuis cette époque donné Tlnstruction à 
plusieurs milliers de jeunes gens^. Aussi autrefois fl se sou- 
tenait par ses propres moyens^ et pouvait eilcore payer les 
intérêts du capital qui avait servi à des constructions nou- 
velles. Mais plus tard, un grand nombre des élèves qui y 
venaient étudier se portant vers d'autres étaUissemens, il 
dut réserver pour lui-même la totalité de ses ressources. 
Alors non-seulement elles s'épuisèrent, nuds l'argent payé par 
les pensionnaires devint insuffisant pour couvrir les dépaises 
générales d'entretien , et allouer aux professeurs des traite- 
mens en harmonie avec leurs fonctions. Ce fut alors que le 
roi y considérant que plusieurs des personnes qui occupaient 
dans l'État des postes élevés y avaient fait leur éducation, 
lui accorda une subvention semblable à celle que recevaient 
plusieurs instituts du royaume, notamment l'académie noble 
(Ritter^Akadenùe) de Brandebourg, le gymnase de Frédéric- 
Guillaume à Berlin et plusieurs écoles militaires. 

Sous le royaume de Westphalie on y fonda, avec les reve- 
nus dont jouissait précédemment l'institut de Klosterbergj 
douze bourses, qui étaient accordées à des jeunes gens dont 
les pères étaient sans fortune. D'après une ordonnance rendue 
il y a quelques années, elles doivent être supprimées. Pour 
les remplacer , le directeur actuel fonda l'année dernière dix 
bourses, les boursiers reçoivent annuellement sur la caisse 
de la pension une somme de 80 thaler. 

Le Pœdagogium avait en 1837 : un inspecteur général^ 

1 Jusqu'à prë«ent 3360 jeunes gens ont été ëicrés au Pœdùgogium. Cet 
établissement n'a jamais eu une grande extension , et il a dû sa reuommée 
moins au nombre de ceux qui y ont étudié, qu'au rang que quelques-uns 
d'entre eux ont occupé pat la ^di te. Parmi ses anciens élèves nous cite- 
rons surlottt le président de Vincke , MM. de Bassewitz, de Hagen , Delins, 
les ministres d'Eut de Breun et de Rerentlow, le* lieutenant- général 
Mùffling, etc. 



HALLE. 357 

neuf professeurs ordinaires et un inspecteur particulier^ un 
maître de français et quelques autres maîtres auxiliaires ; un 
administrateur et un chef de comptabilité; d'autres maîtres 
donnent des leçons particulières de dessin, de musique, etc. 

lEn 1837 le nombre des élèves, y compris les boursiers, 
était de 11a, dont 7 2 étaient logés dans la maison même. 

Cette école a cinq classes , on pourrait même en compter 
sept; car la première et la seconde se partagent chacune 
en deux divisions. On y enseigne aux élèves : le catéchisme, 
l'histoire sainte, l'hébreu, le latin, le grec, la prosodie latine, 
l'histoire ancienne, l'histoire d'Allemagne, l'histoire du moyen 
âge, rhistoire générale, la géographie et spécialement celle 
d'Europe, la géographie physique, l'aQemand, le français, 
l'arithmétique, la géométrie, la physique, la zoologie, le 
dessin^ la stéréométrie^ etc. 

in. La pension RKUNIK ▲ L'icOLS UTINE et ▲ la MEAZ'SCHULB. 

C'est une espèce de Pœdagogium; son but est à peu près 
le même que celui de ce dernier étabh'ssement ; mais les frais 
sont bien moins considérables» Un grand nombre de pension- 
naires y sont gratuitement logés, nourris ou instruits. 

Elle avait en 1827 : trois inspecteurs chargés de la sur- 
veillance générale, neuf coflaborateurs, dont chacun avait 
sons son inspection un certain nombre d'élèves. 

Les pensionnaires, à la fin de l'année 1826, s'élevaient 
à 286. Sur ce nombre, 100 étaient gratuitement nourris, 
40 ne payaient pour leur nourriture qu'une demi-pension, 
ôo étaient gratuitement logés, un tiers recevaient une édu- 
cation gratuite. Aujourd'hui elle peut donner 60 bourse 
entières et 3o demi-bourses. Les boursiers scmt admis sans 
rétribution, et gratuitement logés et nourris; les demi-bour- 
siers n'ont droit qu au dîner. 

Autrefois elle a compté jusqu'à ôoo élèves dont la moitié 
était reçue sans payer. U est vrai qu a cette époque les re*^ 



358 HALLE. 

veirns étaient plus abondans et les prix de toutes dioses bien 
inférieurs aux prix actuels. Aujourdliui, avec les ressources 
quelle possède, û lui serait totalement impossible d'avoir un 
aussi grand nombre de pensionnaires. 

ly. Ecoles feopsement dites. 

Les institutions dont nous avons parlé jusqu'ici, le Pœdor- 
gogium excepté , sont moins des établissemens d'instruction 
que des fondations de charité, de bienfaisance; car tout ou 
presque tout y est gratuit. Cette seconde division sera, con- 
sacrée à parler des écoles proprement dites, et des immenses 
ressources que l'œuvre de FranLe a sous ce rapport créées 
pour l'éducation de la jeunesse. 

A. École peiitcipalb latius {otm UTMimucBjf BAupTScantLs,)^ 

L'école principale, que l'on appelle aussi école latine^ et 
dans laquelle se confond la Real-Schulej ftit fondée en 1696, 
et s'augmenta d'année en année. Des étrangers qui habitaient 
dans la pension en composaient la pins grande partie. Pendant 
le royaume de Westphalie on réunit avec elle les deux gymr- 
nases de la ville, qui manquaient de fonds suffisans pour se 
soutenir. U n'y eut rien de changé quant à l'enseignement, 
seulement, comme les classes de l'école latine contenaient un 
très-grand nombre d'élèves, on faisait des cours à part à ceux 
de la RealSeAulej qui, pour le but qu'ils voulaient atteindre, 
n'avaient pas besoin d'une instruction aussi complète et aussi 
avancée. U y avait donc deux divisions. 

Le personnel s'y composait, pour la première : de huit 
professeurs , des neuf collaborateurs de la pension et de huit 
ou dix maîtres auxiliaires; pour la Reah-Sckule : de deux 
professeurs ordinaires et de huit à dix maîtres auxiliaires. 

Un recteur était placé à la tête des deux divisions, qui, en 
1827, contenaient 416 élèves. Aujourd'hui , sur 396, i33 
y reçoivent une instruction gratuite. 



HALLE. K 359 

B. Ecoles ALLiuAjrses (dis oeutscben scbvlsn). 

Autrefois elles étaieût au nombre de quatre^ plus tard elles 
ont été réunies en deux ; mais en même temps on y ajouta 
une école gratuite pour les pauvres. Les enfans du peuple et 
ceux des classes moyennes peuvent y recevoir une éducation 
préparatoire, qui leur permet de passer ensuite dans une 
école d'un degré supérieur. 

Dans la première, qui porte aussi le nom de Bûrgerschule ^ 
sont reçus les fils dont les parens peuvent payer une pension 
mensuelle de 8 gros (i fr. 2 5 c.);-elle a de neuf à dix classes. 
Trois professeurs ordinaires et 2 2 maîtres auxiliaires, pris parmi 
les jeimes théologiens de l'université de Halle , suffisent aux 
besoins de l'enseignement. En 1 827 elle comptait 408 élèves. 

Une autre (die Tôchtersckule) reçoit les filles dont les pa- 
rens peuvent payer la pension mensuelle dont nous avons parlé. 
Elle a neuf classes , et le personnel s y compose de 3 professeurs 
ordinaires, de 2 3 maîtres auxiliaires , et de 5 maîtresses pour les 
ouvrages de femme. En 1 8 2 7 le nombre des enfans était de 3 5 1 • 

Dans une troisième, qui porte le nom d* école libre {die Frei- 
Sckule)y sont admis et instruits gratuitement 641 enfans, dont 
2 5 1 garçons et 290 filles. Elle a 2 professeurs ordinaires, 1 3 
maîtres auxiliaires et 2 maîtresses. Chacune de ces trois divi- 
sions est placée sous la surveillance d un inspecteur particulier. . 

Amsi, en résumant, cette maison âevait et instruisait en 
1827, ou gratuitement, ou pour une subvention très-modique, 
2223 enfans, qui se répartissaient ainsi qu'il suit; savoir: 

Maison des orphelins 110 

Pœdagogium royal 112 

Pension 286 

L'école latine et la Real-Schule 4^5 

* «.. > « ( école des garçons . . . ^oS\ ^ 

La BUrgeruhuk |^^i,d^|„; .... 35J 759 

_,, ... j école des garçons . . . aSi 1 -. 

* l école des filles .... 290) 

Somme totale. . . 2225 



36o HALLE* 

Dans le semestre d'hiver de i833à 1834, les fondations 
de Halle reçoivent a5i3 enfans^ qm se répartissent de la 
manière suivante; savoir: 

Biaison des orphelins^ garçons ii4) -r^ 

_ _ _ filles 16} '^ 

Pœdagogium 93 

Pension 1^5 

Ecole latine • 3o4 

RealAhule 92 

Biirgerschule 5o5 

École des filles 607 

École libre ^ garçons . » 354 ( 

— — filles 357 1 7** 

' Somme totale. . .25x3 

Comme on le voit^ la bien&isante fondation de Franke a 
pourvu aux besoins de l'enseignement de la manière la plus 
large et la plus libérale. Mais ce n'est pas tout encore, des 
bibliothè(jues et des collections, devenues peu à peu la pro- 
priété de la no^ison, servent aux besoins des maîtres et à ceux 
des élèves. Il y en a plusieurs : 

1.° La bibliothèque publique, 

a."* Les bibliothèques pour les écoles. 
La première, qui, dans le conmiencement, n'était qu'une 
toute petite collection de livres, s'accrut peu à peu jusqu'à 
30,000 volumes. Des dons qu'elle reçut et qui contribuèrent 
à son agrandissement successif, le plus considérable est celui 
de la bibliothèque du baron de Canstein. En 1 8 a 7 il fallut 
mçme lui construire un bâtiment spécial. Elle est tout entière 
dans la salle du premier étage, et est renfermée dans 18 
grandes armoires et a 1 petites. Plus récemment elle a reçu 
un grand nombre d'ouvrages précieux, et notamment une 
partie de la bibliothèque de Klosterberg. La majeure partie 
se compose d'anciens livres sur la théologie, l'histoire et l'an- 
tiquité* Comme les fonds qui lui sont alloués sont extrême- 



HALLE* 56 1 

ment modicpes, «m ne peut mallieuieasaneiit presque point 
acheter d'ouvrages noayeaiix* 

Quant aux bibliodièques pour les écoles, le Pœdagogium 
en a deux, dont l'une est spécialement destinée aux maîtres* 
Dqà riche en philosophie et en histoire, elle s'augmenta en 
1811 des doubles de la bibliothèque de Klosterberg. Une 
plus petite, qui porte le nom de bilfiiotkè^ue orestorienney 
possède une coUection très-complète d'ouvrages élémentaires, 
de voyages et de classiques allemands. 

L'école latine a aussi une bibliothèque qui s'accrut en 1808 
des collections qui se trouvaient dans le gymnase luthérien 
et le gymnase réformé. 

La Burgerschule peut se passer de ces bibUothèques, car 
elle a la sienne propi:^, dont l'usage est {Permis aux élèves 
sous la surveillance des maîtres. 

Nous ne voulons point terminer cette revue sans parler 
d une collection d'objets d'art et d'histoire naturelle qui oc- 
cupe un étage entier. On y voit un assez grand nombre de 
morceaux curieux venus des Indes orientales, et qui ont été 
donnés à ces établissemens par des missionnaires. 

On ne peut parler des fondations de Franke sans men- 
tionner en même temps un institut qui, bien que distinct, a 
cependant avec elles une liaison tellement intime, que ce 
serait être incomplet que de le passer sous silence. Nous vou- 
lons parler de l'établissement fondé pour la propagation des 
Bibles, par le baron de Ganstein. 

Ce philanthrope, né en Silésie en 1667 , et moit à Berlin 
en 1719, avait été toute sa vie Tami intime de Franke. Pour 
pouvoir répandre dans le peuple la connaissance de la Bible, 
il fallait pouvoir la Uvrer au plus bas prix possible. Pour cela 
il fit l'achat de caractères mobiles. Dans Tenceinte même de 
l'établissement de Franke, il fit bâtir une maison destinée à 
l'administration, à la vente, et plus tard à l'impression de» 
Bibles. Elle est gratuitement administrée par le directeur de 



36a HALLE. 

la maison principale^ seulement sa comptab^ité est distincte, 
et ses revenus lui sont totalement personnels. 

Depuis sa fondation jusqu'en 1827 elle a imprimé et mis en 
circulation: 2^125,686 Bibles de différens formats; 977,714 
nouveaux Testamens avec les Psaumes; 69,105 Jésus Si- 
rach. 

Si depuis 1808 surtout on en a vendu un moins grand 
nombre que par le passé, il faut Fattribuer à lexistence de la 
Société anglaise et de la Société étrangère pour la propa-' 
gation de la Bihle^ créées toutes deux postérieurement et 
dans le même but que celle de Halle. Toutefois à certaines 
époques les demandes furent si nombreuses , que quoiqu'on 
eût doublé le nombre des presses, qui auparavant n était 
que de six, on eut souvent bien de la peine à les satisfaire 
toutes ; et malgré l'élévation croissante des salaires et du prix 
du papier, les prix de vente ont toujours été les mêmes. 

Aussitôt après la fondation de la société anglaise, un de 
ses premiers devoirs fut de témoigner sa reconnaissance à 
son ainée pour tout ce quelle avait fait, et de se mettre en 
correspondance avec elle. Après le voyage que fit en Angle- 
terre A. H. Niemeyer, la société envoya à Halle deux excel- 
lentes presses en fer de l'invention de lord Stanhope, des 
planches stéréotypes pour une édition complète de la Bible, 
et im grand nombre de Bibles en langues étrangères. 

A cet institut se rattache la maison des veuves, également 
fondée par le baron de Canstein. Quatre veuves y sont gra- 
tuitement logées, et reçoivent mensuellement sur les fonds 
de l'imprimerie des secours pécuniaires. 

Nous ne parlerons pas ici d'une manière plus étendue de 
cette sodété biblique et de son fondateur. Dans un de ses 
prochains numéros , la Noui^elle Retme germanique publiera 
les développemens que nous auripns placés ici, et qui, à 
cause de leur longueur, auraient pu difficilement entrer dans 
cet article. 



HALLE. 363 

Le directeur des fondations de Halle est aujourd'hui le 
D/ H. A. Niemeyer, professeur extraordinaire à l'université. * 
Si les services que rendit son père à cet établissement n Sa- 
vaient été pour le fils des titres suffisans pour lui succéder j 
la Voix publique l'aurait désigné à celte haute fonction; et 
elle n'aurait pu être plus juste, car par les soins constans 
qu'ils ont prodigués h l'établissement dont la direction leur 
était confiée, les membres de cette faucille ont placé leur 
nona à côté de celui du fondateur lui-même. Après la mort 
de Knapp, il avait étéjlirigé par Ch. Nîemeyer, qui choisit 
pour son collègue l'inspecteur du PœdagogiunijJehn-Augnste 
Jacobs , dont le choix fut confirmé par le roi. A la mort de 
A. H. Niemeyei* (i 8a8), Jacobs nomma au codirectorat le fils 
de son ancien collègue, le D.' H. Ai Niemeyer, alors pro- 
fesseur de théologie à léna. Il entra en fonctions au mois 
d'Août 1829, et au mois de Décembre il remplaça, en qualité 
de premier directeur, le D.' Jacobs, qui mourut à cette époque. 
Toutefois ce ne fut pas sans quelques difficultés de la part 
du gouvernement, qui cependant dut bientôt céder; car les 
privilèges royaux accordent expressément aux directeurs des 
fondations de Franke le droit de choisir le codirecteur, et 
celui de nommer leur successeur. H. A. Niemeyer fit du reste 
deux fois usage de ce droit sans opposition, s'adjoignit d'abord 
le professeur Thilo, qui bientôt se retira, et ensuite le D.' 
Maximilien Schmidt , recteur de l'école latine. 

Telles sont les fondations de Franke à Halle ; incroyable 
monument de bienfaisance, élevé par un seul homme et avec 
de si faible ressources; car si l'on en excepte les 600 thaler 
donnés par Frédéric H au Pœdagoglum^ ce n'est que depuis 
l'avènement au trône de Frédéric-Guillaume HI qu elles furent 

1 Le professeur Niemeyer fait dans le semestre d'hiver deux cours à 
TuniTersitë. Dans le premier, qui a lieu deux fois par semaine, il traite 
de Vhistoire des écoles en jillemagne; dans le second, il expose trois 
fois par semaine la pédagogique et la didactique. II fait en outre plusieurs 
cours au Padagogium. 



364 HALLE. 

soutenues par le trésor public ^. Toutefois ce n'est pas sans 
étonnement que nous avons appris que tandis que les orphe- 
lins et les pauvres étaient reçus sans distinction de pays, la 
difiërence des religions était un obstacle à leur admission. 
Les membres des deux communions protestantes ont seuls le 
droit de participer aux bienfaits de la fondation de Franke. 
£n admettant les orphelins et les pauvres sans distinction de 
pays, pourquoi élever des barrières entre les diverses reli- 
gions ? car la religion est aussi une patrie. Alors s est expliqué 
jpour nous ce constant intérêt , cette sollicitude presque pa- 
ternelle dont le roi actuel de Prusse a toujours entouré l'éta- 
blissement de Halle. Ce prince est le meilleur protestant, 
lliomme le plus orthodoxe de son royaume. La tendance de 
ses opinions reb'gieuses £sdsait donc de lui le protecteur na- 
turel d'un institut qui, dans les intentions de son fondateur, 
était un asyle pour les orphelins et les pauvres de sa rdigion, 
et dont le but était, par la réunion et les efforts de la sodété 
biblique de Ganstein, la propagation du protestantisme. ^ 

P. A. DE Li Nouiuis. 

1 Depuis sept ans eUes ont reçn des dons assez considérables 9 qnî ont 
encore agrandi leur ressources. Un ancien ëlère de la maison des orphe- 
lins , Deige, qui arait acquis en Angleterre, comme médecin, un. petit 
patrimoine, leur légua par son testament mille livres sterlings. Le pro- 
fesseur Salchow de Halle leur laissa toute sa fortune, qui s'éleTait à -8000 
thaler j et après la mort du comte de Sack, elles héritèrent de 40,000 thaler. 
Tous ces fonds furent placés à l'instant , et les intérêts servent à soutenir 
et aider les orpheUns après qu'ils ont quitté rétablissement. 

S Note de la Rédaction, Nous n'admettons pas l'eipUcation que l'auteur 
de cette notice donne du vif intérêt que le roi de Prusse a toujours porté 
aux fondations Franke. Quant à l'exclusion des enfans non-protestans , elle 
était fort naturelle dans un pays tout protestant, et dans un temps où les 
protestaus étaient exclus de tous les établissemens catholiques semblables. 
Comment, d'ailleurs, admettre des catholiques, sans détruire l'unité d'esprit 
et de direction d'une maison où tout se fonde sur la religion, ou sans blesser 
la conscience religieuse des enfans catholiques P ' 




0xmïU$ d ^^mitis. 



PRAGUB. 

J MON JMI Je DE L. ir. 

Tandis que vous partez de Munich pour aller voir les grands 
hommes des petites universités d'Erlangen, de Halle et dléna^ 
moi, je monte dans une Schnellpost de Vienne pour traverser 
la Bohème. Ces voitures sont très-légères et fort commodes: 
il n'y a que deux places dans l'intérieur pour les voyageurs 
et une sur le devant; et Ton ne doit pas y emporter avec soi 
plus de vingt livres de bagages ; mais pour peu que vous 
vouliez bien mettre vingt kreuzer dans la main de celui qui 
pèse les malles, vous pourriez surpasser dix fois la taxe con* 
venue, tant il est vrai que Vienne est une ville de sauoir- 
faire. On n'y entre qu'avec de l'argent, et on n'en sort qu'a- 
vec de l'argent. Le premier homme de Vienne est bien cer- 
tainement le banquier Rothschild ; tous les cochers de fiacre 
vous ôtent leur chapeau quand vous demandez son adresse, 
et celui qui devrait se mettre ici tout au bas de l'échelle, c'est 
l'étranger qui ne pourrait donner de Trinkgeld ni aux por- 
tiers, ni aux commissionnaires, ni aux employés, de la douane» 
Il y a encore une petite formalité à remplir avant de quitter 
Vienne : c'est de présenter à la poste un certificat de la police, 
qui constate que vous^ n'avez tué, ni volé personne, que vous 
n'avez blasphémé ni contre l'empereur, ni contre M. de Met- 
temich, ni contre les prêtres, ni contre tout lef régime au- 
trichien , et que par conséquent vous n êtes pas encore tenu 
de prendre le chemin d'Olmiitz ou de Spielberg. 



366 NOUVELLES ET VARIÉTÉS. 

Cela fait^ vous pouvez^ pendant qu on attelle les chevaux^ 
commencer une conversation avec l'employé de la poste, qui 
est u(i jeune homme très-aimable et très-instruit, fort au 
courant des drames de Y. Hugo et d'Alexandre Dumas, des 
critiques de Sainte-Beuve et de beaucoup d'autres belles 
choseç de notre littérature moderne. 

Maintenant vous voilà parti, et je pense que vous n'en- 
tendrez pas le galop des chevaux, le roulement de la voiture, 
sans applaudir intérieurement à votre esprit de sagesse et de 
prudence, qui vous a fait échapper à tout mauvais piège, à 
toute inquisition, aux grifîes de la police et aux réseaux de 
ses petits agens , pour vous conduire enfin, après trois semaines 
ou un mois de séjour, là où il vous plaît d'aller. Pendant 
ce temps, votre surveillant, votre portier ou votre brosseur, 
je ne sais qui, celui enfin que la police avait mis auprès de 
vous pour lui rendre un compte fidèle de vos actions, vous 
regarde partir d*un air triste; car c'est une proie qui lui échappe, 
une "espérance de gain qui s'en va dans cette rapide voiture. 
Dieu veuille qu'il lui arrive bientôt une personne moins avisée 
jpour vous remplacer! Car les temps sont durs, et il a besoin 
de vivre, le pauvre homme! 

Le lendemain on achève de traverser le territoire de Farchi- 
duché d'Autriche^ le surlendemain on se réveille en Bohème. 
Une terre nue et aride, un sol plat, maigre ou marécageux; 
çà et là quelque mauvaise cabane bâtie avec des branches 
d'arbres entrelacées, couverte en paille, sale et malsaine; çà 
et là quelque femme en haillons, quelque figure pâle. C'est 
ici la partie ingrate, pautre et malheureuse de la Bohème, 
qui présente ailleurs de si beaux points de vue et de si riches 
contrées, et l'on conçoit, en la parcourant, l'émigration de ces 
familles déshéritées par la nature, et qui s'en vont chercher 
au loin un abri qu'elles ne trouvent pas sur leur terre na^ 
taie. La noblesse de .Bohème est encore l'une des plus riches 
et des plus puissantes noblesses de l'Europe. Les Wallenstein, 



I 

SrOtJVËLLES ET VARIÉTÉS* 867 

les Lobkowitz ont étalé long-temps à Prague un faste de roi ; 
et les négocîans sont riches aussi par les produits de leurs 
fabriques dç verre, d'étoffes, qui sont ici très -nombreuses. 
Mais le peuple est pauvre, et le^Srayante ob'garchie qui pèse 
encore sur lui, ne lui laisse point voir de bornes à sa misère. 

Nous sommes entrés pour déjeuner dans une maison dé- 
corée pompeusement du titre de café. Non , je ne me rappelle 
pas avoir rencontré dans ma vie une demeure plus sale et 
plus hideuse. Je ne sais si vous avez remarqué à Munich un 
tableau de Miéris, qui représente une famille ambulante de 
charlatans : la mère placée sur le piiemier plan fait à son fils 
certaine opération de propreté que Ton peut bien se dispenser 
de voir; c'était ici la même chose, après quoi elle vint tran- 
quillement remplir les tasses, et son mari jura ses grands 
dieux que de notre vie nous n'avions pu boire de meilleur 
café. En même temps la servante, grosse femme, épaisse, 
malpropre et joufflue, comme Téniers en représente, s'en alla 
prendre au fond d'une hutte deux ou trois pains qui étaient 
entrés, je ne sais par quel accident, en contact avec les chan- 
delles, et n'avaient pu revenir intacts de cette fatale rencontre. 
Et à peine notre conducteur avait-il d'un air intrépide en- 
tamé cet étrange repas, que le chat sauta sur la table et vint 
mettre ses deux pattes dans la tasse; une chèvre vint nous 
caresser avec ses cornes, un chien se mit à japer, l'enfant 
prit un petit pain , sa mère lui releva sa robe pour le fouetter; 
l'hôte se tenait le ventre en éclatant de rire , et la grosse 
servante s'arrêta d'un air hébété au nûlieu de la chambre, le 
balai à la main, pour contempler ce singulier spectacle. Pour 
nous, nous nous hâtâmes de prendre nos chapeaux et de 
partir. 

Nous passâmes de cette comédie bouffonne à un spectacle 
grandiose et imposant. G*était Prague, qui se dérotdait à nos 
yeux; Prague avec ses sept collines couvertes de châteaux ou 
de couvens, avec ses vieilles tours et ses hauts clochers. 



368 NOUVELLES ET vahiétés. 

La situation de Vienne est très-renommée ; les environs 
de Dresde sont admirables à voir ; mais Prague surpasse tout 
ce que Ion peut voir en Allemagne. Non , il n'y a rien de 
comparable à cette ville partagée en deux par cette large 
Moldau. Ici l'ancienne cité avec ses édifices grisâtres, ses 
restes de fortifications; là le Hradsdbin qui s'étend majes- 
tueusement sur la montagne, puis entre ces deux nobles cités 
les bords frais et rians du fleuve, les deux iles où s'en vont 
aborder p^r un beau soleil de printemps les nacelles chargées 
de convives joyeux, puis ce magnifique pont qui rejoint la 
ville andenne à la nouille, puis de là les beaux lointains, 
les montagnes azurées, et sur tout ce qui vous entoure, un 
caractère de gravité et de repos inexprimable. On croirait 
voir l'antique Bohème sortant majestueuse de son cercle de 
traditions pour reparaître au milieu des siècles modernes avec 
sa gloire des siècles passés. On croirait voir l'ombre de ses 
vieux rois planer encore sur ces vastes édifices, et pleurer de 
ce que leur noble capitale n'est plus qu'une ville de province» 
Là revivent toutes les anciennes chroniques, tous les contes 
ronianesques et populaires, toutes les pieuses histoires re- 
cueillies avec soin dans le cœur des fidèles catholiques. Le 
pont de la Moldau est couvert de statues d'apôtres et de 
saints. Les gens du peuple passent là respectueusement, et 
ne manquent pas de se découvrir la tête; celui devant lequel 
ils font une plus profonde inclination , est S. Népomucène, le 
patron de la Bohème, celui que l'Église canonisa conmie un 
martyr de son devoir de confesseur , et l'endroit où la statue 
repose, est l'endroit même où il fut jeté dans le fleuve par 
les ordres du roi. Dans la chapelle du Hradschin vous re- 
voyez les reliques de ce saint, couvertes d'une magnifique 
châsse en argent, et tout auprès, à la porte de l'église,, la 
pauvre petite chaire en bois de Jean Huss, un autre majrtyr 
de sa foi, qu'on n'a pas encore canonisé. Là aussi se trouve 
l'anneau en cuivre auquel le roi Venceslas se tenait attaché 



NOUVELLES ET VAHIÉTÉS* 869 

loisque son firère vint le tuer. Les vieOles femmes et les dévots 
s'en vont pieusement baiser cet anneau^ ce qui ne coûte rien^ 
et rapporte, je croje^ beaucoup d*indulgences ; aussi commence- 
t-il déjà passablement à s'user , et pour peu que cela dure, 
on sera obligé de le remplacer. On va s'agenouiller dans la 
chapelle, dont toutes les murailles sont incrustées de pierres 
de Bohème ; on va faire des vœux auprès d'un des trois grands 
patrons du pays ; mais la chaire de Jean Huss est là comme 
un trophée de l'Eglise ; on ne la regarde qu'avec crainte ou 
dérision, et personne, si ce n'est un étranger, ne s'arrêtera 
avec respect et pitié devant cette tribune où résonna le pre- 
mier cri de liberté reUgieuse , le premier mot de ralliement 
contre l'orgueil des pontifes, et d'où* le malheureux prédi- 
cateur fut arraché pour tomber victime de la vengeance des 
prêtres et de la complaisance d'un concile. 

Le Hradschin est le quartier de la noblesse ; c'est là que 
les grands-officiers ont leurs palais, l'évèque catholique son 
palais, le gouverneur son palais. Le château, qui domine tout 
le reste, est une belle et splendide habitation. De grandes 
cours , des promenades et des jardins l'environnent ; une 
égUse gothique d'un très-joli style est. renfermée dans son 
enceinte, et du haut de ses remparts. on jouit d'un des points 
de vue les plus larges et les plus pittoresques qu'il soit 
possible d'imaginer. Le premier étage est réservé pour l'em- 
pereur; le reste appartient à Charles X. La famille royale 
4emeare là très-silencieuse et très-retirée* On n'entend 
parler ni de son faste , ni de ses équipages* Le duc d'Angou- 
lème et le duc de Bordeaux vont quelquefois se promener au 
Rossmarktj qui est la promenade publique, et les habitans 
de Prague vantent beaucoup la grâce et l'air de douceur de 
la jeune princesse* Tons les jours à onze heures ils se rendent 
à la chapelle du château pour entendre la messe; .c'est là que 
j'ai été les voir, et fl y avait quelque chose de triste et de 
Umcfaant à contempler cette famille tombée de si haut, et se 

TOUR Um 34 



%yO NOUVELLES %t VÀRfÉTÉS. 

consolant avec sa foi , âv€C ses prières de rhiisiUe fortune 
à laqueQe elle est descdidue* 

Prague est lune des plus agrépbks, co^une Tune des plus 
belles villes de TAllemagiie; quand l'étranger ny aurait pas 
d'autre distraction, ce serait pour lui assez de voir ces grandes 
et magnifiques rues, de visiter ces vieux édifices, de rêver 
eu face de ces délicieux paysages qui l'environneut dé toutes 
parts, et de se repattre des vieilles et poétiques traditions 
qui s'attachent à chaque palais, à chaque égUse, à chaque 
monument de la majestueuse cité des rois de Bohème. 

La noblesse est ici fière et vaniteuse de ses longues nomen- 
clatures d'aïeux, de sa fortune, de son pouvoir* Elle se tient 
à fécart, trône sur ses privilèges, et dédaigne asaea souvent 
la noblesse des autres pays, surtout celle de France, qui lui 
semble être tout*à<-fait tombée en roture. Le peuple a con- 
servé son ancien caractère bohème, sa langue, ses moeurs, sa 
religion. L'Allemagne lenvironne de toutes parts; TAutridie 
lé gouverne; mais au milieu de rAllanagne, et sous le sceptre 
de r Autriche, il est resté le peuple bohémien, le peuple qui 
Se souvient encore que jadis sa belle patrie formait un royaume 
îudépendant, que Prague avait sa cour et ses souverains, et 
qui ne voit pas sans une certaine tristesse cette grande con- 
trée de quatre miUious d'habitàns réduite à grossir de toute 
sa largeur Tempire autrichien. On lui a pourtant laisse quel- 
ques privilèges. Ainsi le gouverneur civil doit être Bohémien 
de naissance; le gouverneur militaire est aussi Bohémien, et 
kl plupart des anciennes coutumes dii pays ont été religieuse- 
ment maintenues. Le peuple est resté ferme à ses souvenirs 
nationaux* Il a son. histoire à lui, ses héros et ses saints, ses 
jours de gloire à lui; aussi Des jours de deuil. Où lui parle 
dans sa langue, on le prédie dans sa langue, on lui fait des 
contes, des poésies et des pièces de théâtre dans sa langue. 
A quatre heures il a sou spectacle, et à six il laisse la place 
aux Allemands. Les deux nations se rencontrent dans la rue, 





•KOUVBLLES ET VARIÉ1%5. ^7^ 

mais ne se réunissent pas. SI le bourgeois de Vienne vient 
à Prague^ il doit apprendre la langue bohémienne^ mais le 
Bohéimen^ boinmeJu peuple, n'apprend paê l'allemand. €est 
^encore là un de ces élémens hétérogènes, comme 1* Autriche 
en porte tant dans son manteau impérial, tout entier composé 
de pièces de diverses couleurs et de différentes étoffes, dont 
«lie ne peut cadier, même avec toute son adresse, les grossières 
jointures. 

La classe intermédiaire est ici comme partout la classe vé- 
ritablement vivante et éclairée; elle a bien comme le peuple 
ses préjugés nationaux, mais elle sait aussi se plier aux cir-* 
constances. Elle apprend avec soin l'allemand, et s occupe 
avec succès de littérature. 

Il y a ici un làéâtre qui jouit d'une assez grande réputa- 
tion ; des librairies où l'on trouve \m assortiment tout aussi 
riche qu à V^nne pu à Berlin; des sociétés littéraireâ^, des 
Jbumaux, et |e crois à présent un Pfennig^Magazirij ce qui 
prouve évidemment que Prague né veut rester sur aucun point 
en arrière de k civilisation. TLa censure est cependant ici très- 
rigoureuse, plus rigoureuse encore qu'à Vienne, précisément 
parce quelle est éloi^ée du gouvernail, et qu'elle craint 
toujours, la pauvre esclave, de mal conduire là galère. 

Par exemple, vous connaissez la Gazette de Prague^ Un 
grand et beau journal, qui, pour le format et l'impression, 
s'est presque élevé à la hauteur des nôtres; chose que Ton ne 
rencontre pas encore souvent en Allemagne. Ce journal parait 
trois fois par semaine, et doit être la feuille officielle, le Mo-^ 
niteiir de la Bohème, embrasser dans son cadre toutes lés 
nouvelles du jour, et les répandre dans toute la provmce. 
Savez-vous comment il fait pour parler de la France. Vous 
croyez peutrêtre qu'il lui arrive des lettres particulières de 
FoflSce- correspondance établi à Paris, rue Notre-Dame des 
Victoires, ou des documens de M. Justin ou de M. Hiver, 
deux hommes qui sont aujourd'hui, avec M. Bresson, la 



3j2 NOUVELLES ET VkKlÈTtê* 

{providence de tous nos journaux de départemens et dan 
gr^nd nombre de journaux étrangers : non^ pas la moindre 
ligne; vous pensez alors quil reçoit nos feuilles de Paris* 
£h^ bon Dieu! cela lui est défendu sous peine de la prison^ 
de lamende, et de je ne sais combien d'autres pujiitions.— 
Au moins, me direz-vous, la Gazette d'Jlugsbourg, Pas du 
tout. La Gazette d*Augshourg ne se mêle-t--elle pas quel- 
quefois de faire du libéralisme, et peut-on avoir la moindre 
confiance dans un journal qui annonce fidèlement les défaites 
de Don Miguel , et qui reste en relations aussi bien avec M. de 
Pradt qu'avec M. le baron d'Eckstein ? Non , "Detosxa les jour- 
naux français^, veto sur les feuilles anglaises qui parlent avec 
estime de Lord Gray, et ne se mettent pas à genoux devant 
Wellington. Mais voici comment on fait : on attend la «Sf^afi- 
zeiiung^ de Berlin, et la Staatszeitung de Berlin reçoit ses nou- 
velles de Paris au bout de six jours, et les publie le septième, et 
arrive à Prague le dixième ; elles sont imprimées à Prague le 
douzième, et s'en vont dans les villes un peu éloigpiées.le 
quinzième. Ce n'est pas tout encore ; quelquefois les récits 
de la Staatszeitung ^ si bien ménagés qu'ils soient, sont en- 
core des morceaux d'une digestion trop difficQe pour l'estomac 
de la censure bohémienne; alors on les raie Mais ensuite 
YObseri^ateur autrichien j qui a plus de liberté, les imprime, 
et ils reviennent à Prague, et alors il est permis au. pauvre 
rédacteur de la Gazette de les prendre. Ainsi je suppose que 
la nouvelle de la révolution de Juillet était une de ces ter- 
ribles choses si difficiles à digérer ; les lecteurs un peu éloignés 
de Prague auront bien pu apprendre aii connuenoement.de 
Septembre qu'il y avai^ eu quelque rumeur à Paria à la fiu 
de Juillet. 

Prague est renommée aussi par son amour pour les arts, 
et comme le gouvernement ne s'en occupe pas beaucoup, 
les bourgeois y suppléent. Il y a un musée iformé de doos 
gratuits, et qui renferme de très-jolis tableaux, notammetit 



NOUVELLES ET VAEIÉTÉS. 3^3 

SigBorello, Tun des plus anciens peintres italiens; d'autres 
Dolce^.de Léimard de Vinci, de Van Eyde, de Van 
^ nn établissement qui mérite d exciter avant tout 
étrangers, c'est le conservatoire établi aux frais 
'î la viUe. — Il jr a là près de cent jeunes gens 
t une éducation gratuite, dont la musique ins- 
.16 et le ehant forment la partie essentielle, mais dans 
.elle entrent aussi des leçons de latin, de langues vi* 
\ antes , d'histoire et de géographie, tout ce qu'il faut enfin 
pouf leur permettre de suivre plus tard, s'ils le veulent, les 
cours de l'université. Il suffit, pour pouvoir entrer à cet éta- 
bh'ssement, que les jeunes gens aient un bel organe^ et que 
leurs parens s'engagent à pourvoir aux frais de leur entretien, 
ce qui n'est pas une grande dépense dans une ville comme 
Prague, où la meilleure table d'hôte ne coûte qu'un florin 
en paper, autrement dit, un franc- 
La route de Prague à Dresde est très-variée et pittoresque. 
On passe par Tceplitz, cette ville cosmopolite, ce rendeas-vous 
d'oisiÊ, de joueurs, de grands seigneurs, de femmes galantes 
et de gens comme il faut; cette puissante rivale de Baden- 
Baden, d'Aix et de Barrèges ; cette ville où le roi de Prusse 
et l'empereur d'Autriche s'en viennent régulièrement comme 
de simples bouvgeois, tandis que les bourgeois veulent y ar- 
river comme des princes. 

Au^-delà de Tœplitz le paysage s'élargit; l'horizon s'élève 
et s'étend; la scène prend un aspect plus imposant. Arrêtez- 
vous au-dessus de la montagne qui domine Peters'wald , vous 
embrassez du regard une plaine large et féconde, parsemée 
d'arbres et de villages , et derrière , ces montagnes de la Bo« 
bème, bizarrement taillées, avec leurs pics aigus^ leurs arêtes 
qui varient à tout instant de forme, et leur front dhauve • 
qui cache sa nudité sous les nuageSé 

Un peu plus loin se trouvent les deux monumens élevés 
par l'Autriche et la Prusse, à la mémoire de leurs soldats 



3/4 lîOUVKLLES ET VAHIÉTÉS. 

morts/dans nos dernières guerres. Ce sont deux grandes co-^ 
lonnes quadrangulaires, un lion à la base et des inscriptions; 
deux de ces grandes pages d'histoire qui devraient bien devenir 
le catédusme des peuples^ et leur enseigner à se mieux com- 
prendre, et à ne pas se battre pour le caprice d*un roi, 
quand ils pourraient s'unir pour leur bonheur; 
'*' A Peterswald on vise votre passe-port pour la dernière 
fois; on vous fait la grimace au bureau, et Y<m V^ns donne 
dans lauberjge les plus mauvaises côtelettes de tout le pays, 
sans doute pour voas éter l'envie de revenit, après quoi 
vous laissée derrière vous les frontières autridiîeanes pour 
passer sur la terre pl^s Kbéràle de Saxe. X. Marmier. 



Les OEuçres de Schleiermacher, 

Il se prépare une édition des Œuvres de Schleiermacher; 
mais on prétend que les .tuteurs de ses enfans spirituels se 
proposent d en user, comme Moore et autres ont &it de ceux 
de Byron : ils en élimineront ce qui leur paraîtra pouvoir 
donner lieu au moindre scandale. Ainsi la servilité bifferait 
toutes les paroles de liberté échappées à l'illustre mort^ et la 
pruderie puritaine tout ce qui ne cadrerait pas avec ses idéeis 
étroites de moralité. On dit qu on n'admettra pas dans la 
collection les Lettres sur Lucmde. Voilà le sort d*an grand 
homme. Quant à lui-même, il était trop grand pour renier 
rien de ce qui était sorti de sa plume ; mus ses exécuteurs 
testamentaires trouvent qu'il avait t<m. Us rartaoga'ont à leur 
fitntaisie, et le Schleiermacher qui devra passer à la postérité 
sera fait à leur image. 

On apprend avec peine que le professeur Twesten, de 
Kiel, refuse de succéder à ScMeiermadier à luniversîté de 
Berlin. Il sera aussi peu remplacé pour le moment que Hegel, 
dont on songe encore à donner la place à un de ses disciples. 

(Morgenblatt y Lettre de BtrUru) 



KOUVELLES ET VÀRIÉTéS» 



375 



UNITBRSITÉS. 

Leipzig. Le 17 Mai est mort ici M. H. tV. Brandes ^ 
recteur de Funiversité^ professeur de physique^ lun des 
membres les plus distingués de cette hftute école. 

Berlin. Le nombre des étudians immatriculés pour le 
présent semestre d'été est de 1 863 , dont 5 ao étrangers. Les 
cours sont en outre suivis par 5 a 6 étudians non encore im- 
matriculés et âèves deâ écoles spéciales^ ce qui porte le 
nombre des auditeurs à 3389. 

Bonn. Il y a ici cet été 877 étudians, dont 1 1 7 étrangers. 

Fribourg en Brisgau. Le nombre des élèves de cette 
université est de 434, dont 70 étrangers. 

Kieh Les étudians inscrits depuis Pàcpes sont au nombre 
de 3 10. 

« 

Tubingue. H y a ici 746 étudians, dont 101 étrangers. 
Hehingfors (Finlande). A la fia du semestre d été de 1 8 3 3 
on comptait ici 389 étudians* 




•h 



BIBI^IOGRAPHIB. 

Le Répertoire de la littéralare allemande . annonce ^ dans ses 
livraisons de Juillet^ 296 publications nouvelles ^ et en porte aiusi 
le nombre pour i834 à iSyi. 

Parmi les 3 2 ouvrages de Théologie , les plus imporfans sont: 
le second volume de la seconde édition du Commentaire biblique 
sur tous lès écrits du nouveau Testament ^ par le D/ Oisbausen. 
Le second volume renferme l'Évangile selon S. Jean et les Actes; 
— un commentaire sur TÉpître de S. Paul aux Epbësiens, par 
Mattbias . professeur à Greifsviralde; — le tome IX de l'Histoire de 
la Religion et de l'Eglise chrétiennes, par Locherer, professeur 
à la faculté de théologie catholique de Giessen. Ce volume ne 
Ta encore que Jusqu'à Grégoire VU ; — Poésies bibliques , par 
J. P. Lange 9 second volume; — le premier volume d'un Diction- 
naire encyclopédique de l'histoire des religions [AUgenuines Lixicon 
âer Religions" und chrisilichen KirchengescJùchté) , par le D/ Neu- 
decker (A — E), à IJmenau. Le critique, tout en rendant justice à 
certains articles, prouve par plusieurs exemples que cet ouvrage 
laisse beaucoup à désirer, et qu'il est rempli d'inexactitudes; — 
le Flagellantisme et la Confession des Jésuites, d'après l'italien, 
de G. Frusta , ouvrage curieux et presque aussi amusant qu'ins- 
tructif; — Siona , almanach religieux , quatrième année. 

La Jurisprudence compte 1 1 publications nouvelles , parmi les- 
quelles nous remarquons : De ahoUtionibus criminum ex senientia 
Juris romani, dissertation d'Emile Herrmann , professeur à Leip- 
zig ; — la Doctrine des conditions impossibles {Die Lehre von den 
unmoglichen Bedingungen) , d'après les sources du Droit romain, 
par W. Sell , professeur à Giessen ; — la Théorie de la preuve 
selon la procédure criminelle allemande (Die Lehre vom Betveise 
im deuischcn Strafprozesse j nach der Forthildttng dun^ GericAfiS" 



BULLETIH BIBLIOGRAPHIQUE. ^77 

gihrmuh und deutscker GeseUhuek^r, in Vergkkimmg mù dm 
AnsichUn des engUschen und frmtutSsistihm Stmfi i r fkknm) f par 
Mittermaier^ professenr à Hadelbeig. 

Les oQTniges de Msdecdiv sont au nombre de 29. Les plus re* 
commandabks sont : Encyclopédie de la médeône et de la chU 
itirgie pratiques y rédigée par une société de médedns et de dii- 
nngiens , et publiée par le D/ Most, professeur à Rostock, deux 
Yolnmes;— ^Collection de dissertations choisies sur les maladies 
d'enfans , tirées des meilleores feuilles périodiques et d'antres ou- 
yrages , par Melzler ; — Iliéorie des maladies des jtJaai{Lekreyam 
den Augenkmakhnten) , par A. Rosas, professeur à runivcM^sité 
de Vienne : ce Tolume^ de près de 600 pages 9 résume le grand 
ouvrage de l'auteur sur la même matière; — TraeMus defimgê 
medullari oculi, conscrips. C. G. Lincke, avec cinq feuilles litho- 
grapbiées-coloriées; — la quatrième édition , corrigée ^ du Manuel 
sjrstçmatique de la médecine l^le, par le D/ Berut» professeur 
de médecine légale à Vienne; — jlpolhnu Gtiensisf Stepham, 
Palladiij Theophili,^ MeMi, aHorum ScùUa m Hippocr^em cl 
Gaîenum , e codd, mss, Vindob. Monac^ fwrtnt, Mediàkm* Esco» 
rial,, etc., primum grœce éd. Fr. R. Dietz^ Tol. L* M. Diets 
publie aussi une CoUectio medUorum grœcontm , et s'occupe d'une 
édition critique d'Hippocrate ; — Écrits divers {Awfsàlze und Ah^ 
handlungen) , relatifs à la médecine, à la cfairuigie et à la mé- 
decine légale ; par leD/ Rust, tome premier (on j trouve entre 
autres un morceau sur le magnétisme à Vienne) ; — Manuel de 
la clinique médicale^ par Nanmann, professeur à Bonn, t. IVy 
première partie; — Sur l'établissement et Forganisation {Uiber 
die Anîegung und Einricbiung) d'un liospice pour les aliénés y 
avec une description de la maison des aliénés de Siegbourg, par 
le D/ M. Jacobi ; — Précis de la médecine opbthalmique générale^ 
par leD/A. Àndrese, de Magdeboui^ , avec trois, lithographies; 
— Instrumenlorum ad comeœ seciionem in caiarrhaciœ exiraciione 
perficiendam im^ntorum descripiio hls/orica, auct. H* Lachmann, 
avec trois planches; — Description liistorique des hospices de 
Munich [GeschithiUche Darsiellung der^ Kranken" und Vermr* 
gungsanstalien) f par Anselme Martin, médecin des pauvres à 
Munich;-— la Syphilis, par le D/ Bonorden; — Dictionnaire 



37^ BtlLLEJIir BIBLIOaRAPHIQP£« 

lxilnéograplii<)^e {Bidneograpiùthes tMuimhJkistùrUches Hand' 
und WOrttthmtk) ^ pAr le bâton L. de Zedlitz ; — le Guide médical 
aux sources minérales de l'empire d'Àttlricbe (2>f r arzitiehe IVeg- 
fPiisir, €iCé)f par le D/ Flcckles, médeoinà Garlsbad; — lesfiains 
de m«r de Tiic de Norderney, par le D/ Bluhm. Le nombre des 
baigneurty qui n'était eti tSaa que de 4^53, s'est élevé en iS33 
k i4>d3B* «^ Parmi Itâ écrits relatift à la polémique entre les 
bomoBopalhes et leurs adversaires^ le plus curieux parait celui 
qiai porte le titre singulier de : Petits tableaux à la fresque des 
arcades de la médecine {Kldm Frticégtmàlde oui den Anodin 
derHeiihmsi)^ par leD/ Grittsselich^ première livraison. 

Il a paru 4 ouvrages sur TAàT vnÉaiifAiRXy dont le plus impor- 
tant est rkîstoire des éptzooties qui ont régné dans le dnclié de 
Nassau depuis la fin du dernier siècle, par le D.' Franque, avec 
dix taUei* 

Parmi les 13 publications portées sous le titre d'ÀxcuoLocii 
et de LiUfGUES classiqiiis, nous signalerons : C VaUrii CatuUi 
€jarmina j immiaiione perpétua iUustravit F, 6. Dmring; — une 
édition stéréotype d'Horaoe, par Meinecke, faisant partie de la 
collection d'auteurs anciens , publiée par le libraire Reimer de 
Berlin; — le cinquième volume des Opuscules latins du célèbre 
critique 6. Hermann, de Leipzig; — Thistoire de la Théorie de 
Tart ohes les anciens , par Ed. MûHer, tome premier; — la pre- 
tnîére partie d'une nourelle Grammaire grecque ^ par Kûbner, 
professeur à Hanovre; — une Grammaire latine en grec moderne, 
par A. Pallaiidès. 

La PxiLosopHiE ne compte que 4 ouvrages nouveaux , dont a 
seulement offrent de l'intérêt : Hegel, ou Épilre au professeur 
Bacbmann d'Iéna ^ par Rosenkranz, professeur i Kœnigsberg; et 
l'Instruction pour se traiter soi<-méme dans les premier^ commen- 
cemens des maladies de l'a me {Unterricht in ziveckmàssiger Selisi- 
hehandhâng hri hegtnnenden Seelenkrankheilen) , par le profi»seur 
Heinrotb. 

On annonce lo ouvrages de Mathématiquis, entre autres: l'Art 
de l'arpentage sans le secours de la géométrie {Die Kunsi des 
FeUhnessens) 9 par F. A. Lossius; — la Théorie du dessin descriptif 
{Die Lehre vom Situaiionszdchnen) , par Ch. Grossmann. 



BVLI.ETIIÏ BIBLIOGRAPHIQtJE* 3?!) 

Pàrnti les lâ ouvrages relatifs aux Sciences fbtsiquîs^ nous re- 
marquons : VHepaticologia germanka (en allemand) , par le D.' 
Htibener^ — Hjmtnopierorum Ithittinionîbus y^affimum monogra" 
phiœ f généra europœa et speeies iUusiranies ; scrips» Nées ûh Esen^ 
hecky premier volume; —-le Manuel de l'amateur de papillons 
{Hûlfsbuchfiir SchmetierUngsammhr\ par Treîtschke, avec quatre 
planches; -— tine seconde édition augmentée du Précis de Z0O« 
\o^é de Goldftiss, professeur k Bonn; *- Directions pour Ik cou* 
naissance de tous les végétaux indiqués dans la Pharmaeopœa 
horussica y par Sig. KunUi , professeur de botanique r Berlin ; — 
Leçons sur la phjsique pour les dames ^ par F. Kries^ pcafesseur 
ail gT'mnase de Gotha , second '^'ohime. 

Pour les Sciences politiques on annonce i3 ouvrages nbureanx, 
dont les plus remarquables sont : l'Histoire de la liste civtle an- 
glaise^ par Hœfler^ brochure de 55 pages; — un Mémoire sur lo 
paupérisme {Ueher Verarmung, Armengesetze, Armènanstdlien) 
en Prusse^ par le baron de Lûttwitz; -— Examen constitutionnel 
du projet {Staafsrechtifche und poîiiiscbe PrUfung des Varsehlags) 
d'une réforme des universités allemandes^ avec une apologie des 
petites universités^ et une protestation contre le projet de les 
transférer dans les résidences^ par le D/ Scheidler^ professeur à 
léna; — Doutes et Observations contre certaines opinions sur les 
universités allemandes ^ par le D.' Huber, professeur à Rostock; 
— les Universités et Académies, teJles qu'elles doivent être dans 
un Etat fondé sur Tintelligence^ par Murbach , professeur à Leip- 
rig; — l'Allemagne a-t-elle à craindre une révolution? par Agri- 
cola f brochure de 26 pages. L'auteur, se prononce pour là né* 
gatite^ surtout quant aux universités. 

Il j a 4 ouvrages de Géogiaphie, dont le plus important est le 
Voyage autour du monde ^ fait par le D.^ Me} en sur le navire 
prussien y la Princesse Louise ^ commande par le capitaine Wendt^ 
dans les années de 1800— -iSSs^ tome premier^ renfermant la 
relation historique. 

Parmi les 24 écrits d'HiSToiRE, nous trouvons: Trois rapports 
de Femand Cortés à l'empereur Charles-Quint, traduits de l'espa- 
gnol, avec des notes, parKoppe, avec une carte et un fragment 
du registre des tributs en hiéroglyphes mexicains; — Lucius 



38o BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE* 

Cornélius Salla^ présenté comme le régulateur de la république 
romaine, par le D/ Zacharisc, de Heidelberg, première partie; 
— la première livraison de la nouyelie édition en un seul volume 
de l'Histoire des Allemands , par W. Menzel ; — ^Histoire des pajs 
autrichiens, par Gross-Hoffînger , dît Hans Normann, tome pre- 
mier; — l'Autriche ancienne sous les Romains; — Tableaux his- 
toriques de la Bavière rhénane {GeschiehiUcke GemaUe aus dem 
Rheinj^reise Bayêms)^ deuxième livraison, par le pasteur Leh- 
mann ; -^ la Guerre de sept ans , par Stuhr, professeur à Berlin, 
•— Frédéric-Guillaume I/^, roi de Prusse, tome premier, avec des 
documens officiels, par le D/ F. Fœrster; ^- l'Histoire des révo- 
lutions de l'Amérique espagnole de 1808 à 1825, tome second, 
par le colonel prussien de Schepeler. 

3i ouvrages sont consacrés à Tëducatio!! et a l'instruction de 
la ieunesse. On distingue les suivans : le premier volume de la 
neuvième édition des Principes de l'éducation de Niemef er ; — 
le premier Rapport annuel de l'institut des aveugles de Bruns- 
wick, par le D/ Lachmann ; -— Réflexions sur les écoles populaires 
et industrielles {Beirachtungen ûber Voiks" , Gevperb' und Indusirier 
Schuleo), Y^r G. G. Leuchs; — Précis encyclopédique (£ttrz«r 
Inhegriff aller nothwendigen und nuIzUchen Kenninisse) à l'usage 
des élèves de^ écoles primaires, par F. A. P. Gutbier, second 
volume; — Lectures pour l'adolescence {Grosser Lehrsaal fur die 
reifende Jugend) , publiées par une société d'instituteurs , trois 
volumes. Elles se composent d'un choix de voyages, de 18 bio- 
graphies et de tableaux historiques ^ — Sur Tiustruction religieuse 
dans les écoles populaires, parDannemann';'*— le second volume 
de l'Ecole populaire de Zimmermann; «-^ le Manuel degéographie 
pour les écoles de jeunes filles , par Nœsselt, seconde édition. 

Sous la rubrique Langue et LiTTE&ATOftE alleiunoes se trouvent 
annoncés 5i ouvrages, dont les plus intéressaus sont: les Sons de 
la langue allemande [Deuischen Mandes Lauie) , par* J. G. K. 
(Kohi). L'auteur cherche la signification fondamentale des sons 
principaux de la langue allemande. Ainsi, par exemple, gl est 
l'initiale des mots qui ont quelque rapport avec glisser; zw in- 
dique une division, comme dans zwei (deux), Z(«>«i^ (rameau) , 
etc. \ — les Poésies de M. dç Ghaniisso , seconde édition ; — 1*^ 



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE* 38l 

dîtion en un volume de la traduclion du Dante ^ par Streckfuss; 

— les Romances et Ballades des poètes allemands modernes , pu- 
bliées par Rassmann} — les Frères ennemis , ou rHomœopathie 
et rAUopatbîe, farce en trois actes, de, Raupach : les frères enne- 
mis sont un apothicaire et un médecin homccopathe; — les 
Feuilles Tveimariennes de F. Peucer, traducteur du théâtre clas- 
sique français : ce sont des mélanges de littérature ; — le Siège 
du château de Gozzo ou le dernier Assassin, roman de Fauteur 
de Scipion Gicala^ deux volumes; — le Gilblas juif, publié par 
un homme sans prévention (von einem Unbefangenen) ; •— les 
tomes 24 — 27 des Œuvres d'Alexandre Bronikowski 5 — le Prince 
Rosa-Stramîa, par le D/ Ed. Helmer, tome premier (ouvrage 
dans le genre de Tristram Shandj) $ -— le troisième volume de 
)'ouvrage intitulé Caragoli, du malheureux capitaine Otton de 
Pirch , qui périt en i83a près de Breslau d'une chute de cheval. 
Ce volume posthume renferme des souvenirs de voyage de Pa- 
doue y Yicence, Vérone , Brescia , de Milan , du lac de Gome. 

i P^rmi les 8 ouvrages annoncés sous le titre de Languk et Lit- 
qrfiRATUAE ÉriuiïGiiRES on. trouve une Petite grammaire italienne de 
Gravisi en allemand $ -^ un recueil de Nouvelles italienne^ , in- 
titulé : FloriUgio di No^elle piaciçoli ed istruiiiçe , publié par M. 
Yaleriani; -r-; la septième édition de la Grammaire italienne de 
de M. Fornasari-Vesce, professeur de littérature italienne â Vienne; 

— plusieurs Grammaires françaises à l'usage des Allemands. 

Les écrits relatifs aux Bnux-Aars sont au nombre de i4; parmi 
eux se distinguent : Sur la vie et les ouvrages de G. Pierluigi da 
Palestrina, diaprés les MemorU siorico-cntiche de G. Baini, avec 
des noteç historiques et critiques de Kandler, ouvrage posthume 
publié par R. G. Klesewetter. X'ouvrage original a paru â Rome 
en i8;28 en deux volumes in-4*^f — l'Essai d'une exposition esthé- 
tique ( Versuch einer âsiheiischen Darsiellung) des oeuvres de plu- 
s\euT^ codfipositeurs anciens et modernes, par le D.' Grosheim. 

Sous les titres d'£cpiioMi£ domestiqui et kuxale et de Techno- 
LOGiE on trouve 21' ouvrages, dont les plus remarquables sont: 
Sur les rapports de l'écoqomie rurale avec l'économie forestière 
( Ueber die Verhindung der Landivirihschafi mit der Forstynssen' 
schaft)^ par le D/ Fintehnann, professeur de la science forestière 



1 



38a BûLLB^iir bibliographique. 

i l'académie rqyate d'agriculture de Moegelia ; — - InsInuUon popc^ 
laire sar le hannelofi {Gemêmjkssliche Behhnmg Sèer dm Mmî^ 
^àftr) et sar les mojens de le dëtraire, par le D/ Vhemngtr, 
secrétaire g>énéral de la Société d'agriculture du Warteiiibei]g. 
On annonce enfin 1 7 joumaiu et feuilles péiiodiques. 



POB8IB. 

'Opferflammen auf des Faterïandes fFeihaltar : OflTraodes 
sur Vautçl de la patrie^ par M. Benjamin Dietz; un vo- 
lume în-^ia. Stra&boiug) chez F. G. Levrault, 1834. 

On lira avec plaisir plusieurs pièces de ce petit recueil : k 
poème sur la première révolution française ^ les vers sur la rooil 
de Benjamin Constant et sur celle du duo de Reicbsladt, et plu- 
sieurs autres poésies sur des sujets politiques j et peol-èlfe arec 
plus de plaisir encore les pièce» d'un autre genre qui ^j troarcfil 
entremêlée^ . Tout Alsacien répétera les strophes adressées par 
Fauteur à M. le professeur Herrenschneider^ à l'occasion du 
cinquantième anniTersaire de son entrée dans la carrière de ren- 
seignement^ le 6 Mai i834- Nous rappellerons à ce propos que 
les étudians de la faculté de théologie protestante, qui lui por- 
tèrent mi Facktlzug et un Vivat , suivant l'usage des universités 
allemandes ; que ses collègues et ses anciens élèves, qui lui o flîiicut 
tmhanquety et un beau vase de la main de noire admirable cise- 
leur Kirstein , ne furent pas les seuls à prendre une vive part à la 
fête du vénérable doyen de nos professeurs. Quiconque a le bon- 
heur de connaître M. le professeur Herrenschneîder , réunit ses 
rœux à ceux que M. Diets a adressés, avec plus de talent petrt- 
étre, mais non avec plus d'efiTusion, au savant modeste, an phi- 
lanthrope éclairé! 

Si l'Alsace est, comme nous le pensons, destinée, à servir de 
médiatrice entre la France et l'Allemagne, nous ne saurions trop 
applaudir au zèle et au talent de ceux qui, comme M. Dicfx, 
conservent parmi nous la tradition vivante de la langue et de la 
littérature allemandes. Le jour où nous ne saurions plus parler 
et écrire l'allemand , le jour où l'on cesserait de publier ici des 



BIÏLLBTIK BIBLIOGRÀPHIQ0B» 383 

livres en langue «IfemaBde^ nous conirions gmnd risque de ne 
plus sentir le génie allemand dans son originalité native^ et^ 
par contrecoup 9 d^cn devenir de médians inleipréKes. 

Au reste ^ nous devons déjà k la muse peréovérante de M. Diét^ 
un autre recueil, de poésies allemandes^ (fsiia 0ii^ en i83o^ les 
honneurs d'une seconde édition; ime traduetîon en Ters all&> 
mands des Vrpres siciHefmês de Casimir Delavigee^ et autres 
productions en langue allemande. • ♦** 



I.ITTBRATURB. 

Lessingy Not^dle : Lessing, Nouvelle par le baron de Sternr- 
lerg. Stuttgart et Tubingue, chez Cotta^ 1834. 

Cette Nouvelle qui vient de paraître ^ est incontestablement une 
des meilleures productions de ce genre. Si çà et là elle rappelle 
Wilheîm Meisitr et la Vie du Poète de Tieck^ cet air de famille 
ne lui vient pas seulement du stjle et du langage ^ mais aussi 
de la nature même du sujet. Lessing j parait d'abord comme jeune 
homme à la campagnc^dans ses rapports avec ses parens pédan- 
tesquement attachés aux vieilles mœurs^ et avec une famille noble 
au milieu de laquelle le jeune poète apprend à connaître les 
charmes plus élevés et plus délicats de la vie. Son amour pour 
une des filles de la maison est indiqué avec une délicatesse digne 
de Lpssing. Du milieu de cette sphère champêtre il est transporté 
à Berlin 9 où il est recherché par le critique Mjrlius et une troupe 
de comédiens qui représente sa Miss Sara Sampson. Le grand 
succès de cette tragédie l'introduit de plus en plus dans le grand 
monde 9 où il s'érige en défenseur de la vraie poésie allemande 
contre la gallomanie. Gellert parait aussi une fois. Le récit se 
complète: les comtesses de la campagne reviennent sur la scène > 
la plus belle est sur le point d'être enlevée pour un prince; 
Lessing contribue à la sauver , et elle finit par se marier^ sous 
les auspices du roi, avec un jeune comte qui est l'ami de Les- 
sing. Le langage est d'un bout à l'autre noble et élégant, sauf les 
herlinismes d'une petite soubrette. La peinture du caractère de 
Lessing, sans être aehevée, n'est point faussée^ et c^est beaucoup 



384 BULLETIli BIBI.IOGAAPHIQUS. 

dans un genre de pociie eoTabi parla délkatetfe outrée deGcelbe. 



L'auteur nVi peiul encore que le fènne Lessing. Peut-être se pro- 
po8e4-il de nous donner plus tard un tableau de Lessing , non 
plus seulement de l'auteur de Miss Sara Sampsonf mais d^EmUia 
Galotiif de Lessing mûri, de Lessing non pas seulement an mi- 
lien de ses amis , mais de ies ennemis. ' {MorgmUait^ 

s "LtMàag fiofOM le txoidèiae Tolantf des Nom^Us de M. de StecnberB. L« pieaûer 
volnM eit intitidé : Diê Zerrissenen i le second reofinme Edouard^ on la soite dm 
ipniA pséeèdeoL 



FUT DU 8EC09D YOLtJMB. DEUXIÈME SÉRIE. 



LEYRAULT , éditêur-proprUuàrt. \